N° 554

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mai 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, complétant l' article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l' environnement ,

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3787 , 3894 , 3902 et T.A. 577

Sénat :

449 et 549 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le 5 mai 2021 sous la présidence de Catherine Di Folco (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné le rapport de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), président de la commission, sur le projet de loi constitutionnelle n° 449 (2020-2021) complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement , adopté sans modification par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 16 mars 2021.

1. PRÈS DE VINGT ANS APRÈS LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT : LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Adossée à la Constitution du 4 octobre 1958 depuis une révision constitutionnelle du 1 er mars 2005, la Charte de l'environnement consacre le droit de chacun à vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé, ainsi que plusieurs devoirs et principes visant à rendre effectif l'exercice de ce droit. Aucun autre pays n'avait alors élevé au rang constitutionnel un ensemble aussi complet et cohérent de principes relatifs à la protection de l'environnement. Depuis l'entrée en vigueur de la Charte, un abondant contentieux a permis de mieux cerner la portée juridique de ses dispositions ; le Conseil constitutionnel a notamment reconnu pleine valeur constitutionnelle à l'ensemble des droits et devoirs qu'elle définit, ainsi qu'à son préambule.

Depuis 2005, la dégradation de notre environnement s'est malheureusement poursuivie, mettant en péril l'exercice des droits fondamentaux et la survie même de l'humanité. Les plus grands périls sont aujourd'hui liés à l'accélération du changement climatique et à la réduction brutale de la biodiversité. Dans ce contexte, le droit apparaît comme un instrument adapté pour empêcher de nouvelles dégradations et obliger ceux qui le peuvent à agir : en témoigne la multiplication des instruments de droit international comme des règlementations internes, sanctionnés par les tribunaux. Le contentieux environnemental est d'ailleurs en plein développement.

Plusieurs voix se sont aussi élevées pour réviser la Constitution française dans un sens qui serait plus favorable à la protection de l'environnement. Le projet de loi constitutionnelle aujourd'hui soumis au Parlement, reprenant presque à l'identique, une proposition formulée en juin 2020 par la Convention citoyenne pour le climat, tend à insérer à l'article 1 er de la Constitution une disposition selon laquelle « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique . »

2. LES EFFETS JURIDIQUES TRÈS INCERTAINS DU TEXTE GOUVERNEMENTAL

La discussion sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure inhabituelle, pour ne pas dire irritante. Alors que l'examen parlementaire d'un texte de loi a normalement pour objet de débattre des objectifs politiques à atteindre et des effets juridiques à produire à cet effet, le débat s'est ici focalisé sur le sens des mots choisis par le Gouvernement et l'interprétation que pourraient en donner les juridictions.

Ce débat est, en outre, passablement embrouillé, le Gouvernement lui-même entretenant la confusion sur la portée juridique du texte qu'il propose, par des déclarations soit manifestement erronées, soit contradictoires, soit obscures.

Quelques déclarations du Gouvernement décryptées

« Le projet de loi constitutionnelle [vise] à instaurer un véritable principe d'action en faveur de l'environnement à la charge des pouvoirs publics. »

C'est vague (qu'est-ce qu'un « véritable » principe ?) et c'est trompeur . Les pouvoirs publics sont d'ores et déjà soumis à des obligations constitutionnelles précises ayant pour objet la protection de l'environnement.

« Un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d'une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte aucune obligation de moyens, et nécessite pour sa mise en oeuvre l'intervention du législateur. »

C'est faux . Les objectifs de valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative, les pouvoirs publics ayant notamment l'obligation de les poursuivre.

« Les conséquences de l'emploi de ces verbes ne sont pas neutres. Et telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des impacts que cela pourra avoir sur l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en matière environnementale. Il s'agit de mettre à leur charge, comme l'a souligné le Conseil d'État, une quasi-obligation de résultat . »

C'est vague . La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a aucun contenu défini en droit.

« Rehaussement ne signifie pas hiérarchie. Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L'objectif est de donner plus de poids à la protection de l'environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. »

C'est soit contradictoire , soit obscur , car cette argumentation confond deux types de hiérarchie matérielle entre des normes (la prépondérance et la priorité). C'est également très incertain, car le texte proposé peut se prêter à plusieurs lectures.

« Il est difficile de faire aboutir une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l'environnement . »

C'est faux . Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l'article 1 er de la Charte de l'environnement, est invocable en QPC. Il en va de même des autres principes de la Charte, en tant qu'ils constituent le corollaire de ce droit (5 des 10 articles ayant déjà été jugés invocables). D'ailleurs, on ne voit pas en quoi les dispositions ajoutées à l'article 1 er de la Constitution seraient invocables à elles seules en QPC.

2.1. LES POUVOIRS PUBLICS ONT DÉJÀ L'OBLIGATION D'AGIR POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le droit constitutionnel en vigueur impose déjà aux pouvoirs publics nationaux et territoriaux des obligations en matière de protection de l'environnement. En particulier, il appartient au législateur de déterminer les garanties fondamentales pour l'exercice du droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé. Les pouvoirs publics ont également l'obligation de contribuer à la réalisation de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement en tant que « patrimoine commun des êtres humains ».

Certes, la justiciabilité de ces obligations est limitée, puisque le Conseil constitutionnel ne dispose pas de pouvoir d'injonction à l'égard du législateur, et que la juridiction administrative refuse, en application de la théorie de la « loi-écran », de contrôler la constitutionnalité d'actes administratifs qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires d'une loi. Mais cette limitation est identique pour toutes les obligations constitutionnelles.

2.2. QUELLES CONSÉQUENCES SUR L'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES PUBLIQUES ?

Le Gouvernement laisse entendre que le projet de révision constitutionnelle, en raison notamment du vocabulaire employé (« garantit »), faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques en cas d'atteinte à l'environnement. Il ne définit toutefois pas ce qu'il entend par une « quasi-obligation de résultat ».

En droit civil comme en droit administratif, la notion de garantie englobe divers dispositifs juridiques visant à assurer à une personne, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.

En l'occurrence, l'article unique du projet de loi constitutionnelle se prête à trois interprétations principales :

1° Selon une première interprétation, l'État et les autres personnes publiques seraient obligés à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause (si du moins il n'est pas réparé par l'auteur du dommage lui-même). L'institution d'une telle garantie, au sens propre du terme, serait aberrante, les personnes publiques françaises n'ayant pas les moyens de l'assumer.

2° Selon une deuxième interprétation, l'État et les autres personnes publiques seraient obligés à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient eu les moyens d'empêcher. Cet objectif n'est que partiellement satisfait par le droit en vigueur, puisque les obligations issues de la Charte de l'environnement doivent aujourd'hui être conciliées, dans l'action des pouvoirs publics, avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général.

3° Selon une troisième interprétation, l'État et les autres personnes publiques seraient obligés à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient eu les moyens d'empêcher, sauf dans le cas où leur action ou inaction était justifiée par une exigence constitutionnelle ou un motif d'intérêt général, sans porter une atteinte disproportionnée aux principes constitutionnels relatifs à la protection de l'environnement. Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur, sous la réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.

2.3. QUELLES CONSÉQUENCES SUR LA VALIDITÉ DES ACTES DES POUVOIRS PUBLICS ?

L'impact de la révision proposée sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs est tout aussi incertain, le Gouvernement prétendant à la fois que son texte n'introduit pas de « hiérarchie » entre les principes constitutionnels et qu'il « rehausse » la place de la protection de l'environnement parmi ceux-ci.

On peut considérer que les principes constitutionnels relatifs à l'environnement jouissent d'ores et déjà d'une protection renforcée par rapport à d'autres, comme en témoigne la consécration récente par le Conseil constitutionnel d'un principe de non-régression tempéré en matière environnementale.

Or les termes employés par le projet de loi constitutionnelle laissent entendre, non seulement que la protection de l'environnement se verrait accorder plus de poids qu'elle n'en a aujourd'hui dans la conciliation devant être opérée entre les principes constitutionnels, mais que cette exigence devrait être satisfaite avant toute autre. La protection de l'environnement deviendrait non seulement prépondérante, mais prioritaire.

Serait ainsi mis à mal, en particulier, le principe spécial de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, fixé par l'article 6 de la Charte de l'environnement et qui constitue le corollaire d'une définition englobante du développement durable.

3. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : POUR UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE AUX EFFETS MAÎTRISÉS

Pour la commission des lois, il ne saurait être question d'accepter une révision de la Constitution dont les effets juridiques sont aussi mal maîtrisés. Cela reviendrait, pour le Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée juridique des dispositions insérées dans notre texte fondamental.

Certes, la commission a observé que le verbe « garantir », ainsi que les mots apparentés, sont déjà employés au sein du bloc de constitutionnalité en un sens très affaibli, n'impliquant pas davantage qu'une obligation d'agir. Toutefois, il n'est pas certain que les juridictions attribuent à ce verbe une signification aussi lâche dans les dispositions proposées, car elles rechercheraient l'effet utile de la révision constitutionnelle, que l'on résume par l'adage « Le législateur ne parle pas pour ne rien dire ». Or, ainsi interprétée, la phrase ajoutée à l'article 1 er de la Constitution n'introduirait aucune obligation nouvelle par rapport à celles qui résultent d'ores et déjà, pour les pouvoirs publics, de la Charte de l'environnement

Afin de lever toute incertitude, la commission des lois a adopté un amendement de son rapporteur qui, intégrant les recommandations du Conseil d'État, énonce plus sobrement : « Elle [La France] préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004. »

Sans produire d'effets juridiques nouveaux, cette rédaction aurait le double mérite, sur le plan symbolique, de réaffirmer l'attachement du peuple français à la préservation de l'environnement et d'y inclure expressément la lutte contre le dérèglement climatique, que la Charte de l'environnement ne mentionne pas.

*

* *

La commission a adopté un amendement de son rapporteur, qui sera présenté lors de l'examen du texte en séance publique, prévu les 10 et 11 mai 2021, conformément au deuxième alinéa de l'article 42 de la Constitution.

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