C. UN CHAMBOULEMENT DES INTERVENTIONS DU PROGRAMME 149 DANS LE CONTEXTE DE LA CRISE DU PRINTEMPS 2020

1. Un soutien aux filières très peu lisible

L'exécution du budget agricole en 2020, alors qu'il était tributaire du contexte économique de l'année 2020 (cf. encadré infra ), conduit à retrouver une déplaisante réalité, celle d'une forme de stagnation des interventions destinées à soutenir les capacités de l'agriculture française à se renforcer .

Une baisse des subventions d'exploitation de la branche agriculture en 2020, tenant à la gestion des dotations

La « Ferme France » a été marquée par la crise de 2020 : les résultats provisoires de l'agriculture de décembre 2020 indiquent que la production agricole (74,6 milliards d'euros hors subventions, 3,5 % du PIB) a baissé de 2,1 % soit un peu plus qu'en 2019 (- 1,6%).

La valeur ajoutée brute (30,2 milliards d'euros, soit 40,8 % de la production hors subvention) s'est nettement plus repliée que la production (- 5,4 %) dans un contexte de maintien du poids des consommations intermédiaires en valeur. La valeur ajoutée aux coûts des facteurs, qui inclut le bilan net des transferts entre les administrations publiques (sous forme de subventions) et les impôts payés par les exploitants diminue aussi de 5,5 % : les subventions d'exploitation, qui ont baissé (voir infra ), n'ont pas permis de la soutenir. Le niveau des subventions d'exploitation versées à l'agriculture s'est inscrit en baisse de 375 millions d'euros entre 2019 et 2020. Plus significativement encore il est inférieur à celui de 2015 (- 581 millions d'euros).

Les subventions d'exploitation de la branche agriculture (2014-2020)

(en millions d'euros)

Les facteurs baissiers ne proviennent a priori pas de la programmation initiale du Feader pour la période 2014-2020, l'enveloppe de la France ayant été portée de 7,6 milliards d'euros à 11,4 milliards d'euros, d'autant que le second pilier de la PAC auquel correspond ce fonds a été abondé en cours de gestion par des transferts provenant du premier pilier pour 7,5 % des disponibilités de la France au titre du Feaga . Il faut ainsi plutôt les attribuer à des facteurs internes, tenant à la gestion des dotations.

Source : commission des finances du Sénat

Ces interventions sont portées par le programme 149 . Or, en 2020, si les AE consommées ont été très nettement supérieures à celles de l'année précédente (+ 10,7 %), les CP ont accusé un repli de 3,1 %.

Les taux de consommation des crédits ouverts par la loi de finances initiale ont été inférieurs à l'unité (de 1,8 % pour les AE, de 2,5 % pour les CP). Ces déficits d'exécution sont encore plus élevés au regard des crédits finalement disponibles.

Pour mémoire, lors de la séance publique tenue au Sénat le 16 novembre 2020, le ministre chargé des comptes publics avait évoqué une somme de 330 millions d'euros mobilisée pour tout le secteur de l'agriculture en 2020 . Ce chiffrage demandait des précisions sur les budgets d'imputation de ces interventions (qu'il s'agisse du plan de relance, du plan d'urgence ou des programmes compris dans la mission AAFAR).

Interrogé sur ce point par le rapporteur spécial, Patrice Joly, en séance publique le 24 novembre 2020, le ministre n'avait pas clarifié les choses 9 ( * ) , l'interrogation du rapporteur spécial portant sur les soutiens accordés dès 2020, la réponse du ministre délégué évoquait, quant à elle, l'exécution d'un véhicule budgétaire consacré à la relance (et non au soutien de l'économie), sans existence juridique en 2020 (la mission « Plan de relance » n'étant créée qu'à compter de 2021).

Les conditions dans lesquelles se déroule l'examen du présent projet de loi de règlement ne permettent pas de lever l`ensemble des incertitudes subsistant autour de ces déclarations.

Le rapport annuel de performances pour 2020 n'apporte pas de clarification s'agissant des interventions liées à la situation créée par la crise sanitaire et financées à partir du programme 149 de la mission. Il mentionne la mobilisation du fonds d'allègement des charges dans le cadre de l'action « Gestion des crises et des aléas de la production agricole » du programme 149 à hauteur de 72,6 millions d'euros en AE et de 29,98 millions d'euros en CP , tout en évoquant une liste d'interventions réalisées au bénéfice des filières, pour un total d'interventions de 159,3 millions d'euros.

Le rapport se borne à indiquer que les mesures évoquées ont été financées par le dégel de la réserve de précaution, la mobilisation de la trésorerie des opérateurs et des redéploiements au sein du programme 149.

La note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes apporte des informations différentes. Les dépenses d'aide aux filières agricoles, d'un montant de 159 millions d'euros, y apparaissent comme devant finalement relever de deux exercices différents, l'exercice 2021 représentant la majeure partie des soutiens attribués .

Aides apportées aux filières agricoles en 2020 et 2021

(en millions d'euros)

Selon la Cour des comptes, si 85,6 millions d'euros ont été consommés en 2020 en AE (dont près de 96 % pour le secteur viti-vinicole ), seuls 43,6 millions d'euros ont pu être payés (dont 91,7 % pour le même secteur).

Les restes à payer sur les crédits engagés en 2020 s'élèvent ainsi à 42 millions d'euros auxquels il faudra ajouter les engagements nouveaux prévus en 2021 (73,7 millions d'euros) pour un besoin de financement en crédits de paiement de 115,7 millions d'euros.

On est donc très loin des informations données par le ministre des comptes publics : l'ensemble des engagements cumulés pour 2020 et 2021 devraient mobiliser le budget de la mission agricole, y compris en 2021 .

Quant aux conditions de financement des aides aux filières, outre les délais de réaction insuffisamment rapides, tant pour les engagements que pour les paiements effectifs, force est d'en relever l'extrême opacité, qui renvoie à un problème structurel de présentation des opérations budgétaires, en prévision et en exécution.

La mobilisation de « crédits dormants » au sein des opérateurs (ASP et FranceAgrimer) , celle de redéploiement de crédits destinés à la transition agroécologique 10 ( * ) ou à un fonds de modernisation des exploitations agricoles, tous mouvements dont l'identification budgétaire n'est pas systématiquement assurée du fait de leurs modalités (le recours aux moyens délégués aux opérateurs) altèrent l'exhaustivité de la restitution des consommations budgétaires de l'exercice.

2. Une exécution des crédits du programme éloignée des prévisions initiales

Quoi qu'il en soit, l'exécution budgétaire du programme 149 s'est révélée significativement éloignée de l'autorisation donnée en loi de finances initiale.

Certaines actions ont été surexécutées (ainsi de l'action « gestion des crises et des aléas » et, à moindre titre, de l'action « Protection sociale »), alors même que des restes à charges et des charges à payer peuvent se constater sur ces actions, mais la plupart des actions ont été sous-consommées. Il en est allé ainsi de l'action n° 24 « Gestion équilibrée et durable des territoires », qui mobilise la plus grande partie des interventions consacrées au développement rural.

Évolution des crédits par action du programme 149

(en millions d'euros et en %)

2019

2020

Exécution / prévision 2020

Exécution

2020 / 2019

Exécution

Crédits votés LFI

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

21 - Adaptation des filières à l'évolution des marchés

AE

196,4

217,8

217,8

208,6

- 9,2

- 4,2 %

+ 12,2

+ 6,2 %

CP

190,6

217,8

217,8

207,5

- 10,3

- 4,7 %

+ 16,9

+ 8,9 %

22 - Gestion des crises et des aléas de la production agricole

AE

82,0

5,4

5,4

222,6

+ 217,2

+ 4 042,2 %

+ 140,7

+ 171,6 %

CP

88,1

5,4

5,4

181,0

+ 175,6

+ 3 267,5 %

+ 92,9

+ 105,5 %

23 - Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles

AE

119,4

127,3

127,3

110,2

- 17,1

- 13,4 %

- 9,1

- 7,6 %

CP

204,7

166,8

166,8

155,6

- 11,2

- 6,7 %

- 49,1

- 24,0 %

24 - Gestion équilibrée et durable des territoires

AE

357,9

566,9

566,9

458,2

- 108,7

- 19,2 %

+ 100,3

+ 28,0 %

CP

427,6

464,1

464,1

381,6

- 82,5

- 17,8 %

- 46,1

- 10,8 %

25 - Protection sociale

AE

178,0

117,4

117,4

125,3

+ 8,0

+ 6,8 %

- 52,7

- 29,6 %

CP

178,0

117,4

117,4

125,3

+ 8,0

+ 6,8 %

- 52,6

- 29,6 %

26 - Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois

AE

215,3

241,1

241,1

235,1

- 6,0

- 2,5 %

+ 19,8

+ 9,2 %

CP

227,6

246,4

246,4

241,7

- 4,7

- 1,9 %

+ 14,1

+ 6,2 %

27 - Moyens de mise en oeuvre des politiques publiques et gestion des interventions

AE

420,1

487,1

487,1

380,3

- 106,8

- 21,9 %

- 39,8

- 9,5 %

CP

416,0

487,1

487,1

384,9

- 102,2

- 21,0 %

- 31,1

- 7,5 %

28 - Pêche et aquaculture

AE

40,3

50,6

50,6

40,9

- 9,7

- 19,1 %

+ 0,6

+ 1,6 %

CP

35,1

50,6

50,6

34,5

- 16,0

- 31,7 %

- 0,6

- 1,7 %

Total programme

AE

1 609,2

1 813,5

1 813,5

1 781,2

- 32,3

- 1,8 %

+ 172,0

+ 10,7 %

CP

1 767,7

1 755,5

1 755,5

1 712,1

- 43,4

- 2,5 %

- 55,6

- 3,1 %

LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires.

Si l'on se penche sur certaines sous-actions correspondant à des grandes interventions de la politique agricole , les écarts entre les consommations et la programmation initiale apparaissent, en certains cas, encore plus conséquents.

En considérant un champ d'interventions dotées initialement de 645 millions d'euros en AE et de 581,1 millions d'euros en CP, on relève une sous exécution de 123,8 millions d'euros pour les premières et de 114,6 millions d'euros pour les seconds, soit près de 20 % des crédits de la loi de finances initiale.

Comparaison entre les ouvertures de crédits au titre de certaines
grandes interventions de politique agricole et leur consommation

Source : commission des finances du Sénat

Or, cette situation n'est que secondairement l'effet de la situation sanitaire en cours, qui a relativement peu pesé sur l'exécution des crédits de la mission en 2020, mais devrait davantage influencer l'exécution 2021, alors même que la loi de finances initiale n'a pas provisionné de soutiens particuliers pour compenser les pertes de revenus des exploitants.

Elle résulte en réalité d'une sous-programmation structurelle des besoins d'accompagnement d'exploitations de plus en plus systématiquement confrontées aux effets des aléas climatiques, sous-programmation qui ayant mis sous tension le programme 149 en 2020 devrait à nouveau exercer ses effets délétères en 2021.

Enfin, il est à noter une nouvelle contribution de l'État au fonds national de gestion des risques agricoles (FNGRA), à hauteur de 150 millions d'euros en 2020 . Pour mémoire, le coût des mesures d'indemnisation des exploitants agricoles était estimé pour l'année 2020 à 175 millions d'euros, à la suite des épisodes de sécheresses de 2018 et 2019. Toutefois, ce montant s'est rapidement révélé insuffisant. Le financement du FNGRA est assuré par la mobilisation de la provision pour aléas portée par le programme 149, destinée au financement des refus d'apurement : elle a été dotée de 175 millions d'euros en 2020 dont 125 millions d'euros sont allés à l'indemnisation des calamités . Au total, le FNGRA a décaissé 210 millions d'euros d'indemnisations, dont 150 millions d'euros via le programme 149 (24 millions d'euros provenant de redéploiements).

Les dotations initiales pour 2021 allouées à la provision pour aléas, relevées à 190 millions d'euros, sont de nouveau insuffisantes en 2021 pour faire face aux conséquences de la sécheresse de 2020, malgré une trésorerie de 42 millions d'euros du fonds à la fin 2020. Le projet de loi de finances rectificative pour 2021 prévoit ainsi un nouvel abondement de l'État au FNGRA, que la Cour des comptes estime à 130 millions d'euros.


* 9 « M. Patrice Joly. : Je voudrais profiter de cette occasion, où l'on parle des conséquences pour l'agriculture, l'ostréiculture et d'autres secteurs de la crise que nous vivons, pour évoquer les propos qu'a tenus le ministre le 16 novembre dernier. Il nous indiquait alors que 300 millions d'euros avaient été débloqués pour l'ensemble du secteur agricole, afin de lui permettre de faire face à cette crise. Comme nous rencontrons des difficultés de lisibilité avec le budget, monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser sur quels budgets sont imputés ces fonds ? Sur ceux du plan de relance ou sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ? Je le répète, c'est un problème de lisibilité qui me préoccupe.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué : Le budget de l'agriculture, au sein de la mission que vous avez citée, est stable. Tous les crédits qui sont évoqués par ailleurs sont portés par la mission « Plan de relance ». »

* 10 Près de 38,5 millions d'euros proviennent en effet d'économies réalisées sur les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) découlant du décalage d'un an de la prochaine PAC.

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