II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL PAR PROGRAMME

L'exécution budgétaire de la mission n'a été dans l'ensemble que peu touchée par la crise sanitaire.

A. LE PROGRAMME 165 « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

Le principal enjeu de la mission Conseil et contrôle de l'État demeure l'adéquation des moyens du programme 165 avec la croissance continue du contentieux administratif, en particulier dans le cadre de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). La hausse des dépenses du programme par rapport à 2019, de 3 % en CP et 12 % en AE, a été inférieure à celle anticipée en LFI pour 2020 , essentiellement du fait du premier confinement.

Évolution des crédits du programme 165

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

1. Malgré la crise sanitaire, des délais de jugement des juridictions administratives relativement stables

La réduction des délais de jugement est un enjeu de long terme. Entre 2002 et 2020, le délai prévisible moyen de jugement est passé en 1 ère instance de près de 20 mois à 10 mois (contre 9 mois et 4 jours en 2019). En appel, ce délai est passé de 3 ans et 1 mois à un an et 3 jours (10 mois et 8 jours en 2019). Cette réduction doit d'autant plus être soulignée que l'augmentation des recours devant les juridictions administratives atteint plus de 5 % en moyenne annuelle depuis près de 50 ans . De 2000 à 2019, les entrées contentieuses en données nettes ont progressé de 105 % en première instance et de 116 % en appel.

Le rapporteur spécial insiste sur l'importance que représente le coût de la réduction des délais de jugement. Un gain d'un mois de délai moyen de jugement se traduit par une baisse des dépenses de 14 millions euros , sans compter le coût humain et social que peuvent représenter des procédures trop longues.

Délai moyen de jugement par niveau de juridiction
y compris procédures d'urgence

2018

2019

Prévision
LFI 2020

Réalisation 2020

Tribunaux administratifs

10 mois
et 3 jours

9 mois
et 4 jours

10 mois

10 mois

Cours administratives d'appel

11 mois
et 6 jours

10 mois
et 26 jours

10 mois
et 8 jours

1 an
et 3 jours

Conseil d'État

7 mois
et 27 jours

7 mois
et 20 jours

7 mois
et 20 jours

7 mois
et 29 jours

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Dans ce contexte, les conséquences de la crise sanitaire sur le volume contentieux représentaient un enjeu de taille. Les juridictions administratives ne se sont pas arrêtées pendant la crise sanitaire, grâce au maintien des procédures de référé malgré l'arrêt des contentieux nécessitant des formations collégiales. L'activité des juridictions a par ailleurs repris un fonctionnement normal dès juin 2020. Toutefois, si beaucoup de magistrats avaient déjà la possibilité de travailler à distance, ce n'était pas le cas du greffe, ce qui a nécessité l'ouverture rapide de crédits supplémentaires pour des équipements informatiques.

Les conséquences sur les délais moyens de jugement ont donc été limitées, notamment car la crise a également entraîné une réduction des entrées, ce qui a contribué à une limitation du stock. Toutefois, le contentieux électoral lié aux élections municipales et sénatoriales de 2020 a alimenté les entrées , de même que la possibilité de déposer des recours sous forme électronique grâce à l'application Télérecours.

Mis à part les cours administratives d'appel, pour lesquelles on constate un allongement de deux mois, les autres niveaux de juridiction ont respecté leurs objectifs respectifs de délai moyen de jugement , principal indicateur de performance du programme 165.

Ainsi, si les entrées ont baissé en 2020 de 9 % devant les tribunaux et 15 % devant les cours administratives d'appel , les sorties ont baissé d'autant , sans entraîner de dégradation trop importante du stock d'affaires en cours.

Évolution des recours devant les tribunaux administratifs
et les cours administratives d'appel entre les premiers semestres 2019 et 2020

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Devant le Conseil d'État, la croissance brutale du nombre de référés, essentiellement en lien avec la gestion de la crise sanitaire (1 163 en 2020, soit 800 dossiers de plus que les années précédentes) a été compensée par la baisse des contestations en cassation des jugements rendus par les cours administratives d'appel. En conséquence, le délai moyen de jugement est resté stable par rapport à 2019.

2. Une nécessaire vigilance concernant la consommation des emplois accordés au programme

Le rapporteur spécial avait regretté dans son dernier rapport budgétaire la sous-consommation du plafond d'emplois accordé au programme 165 en 2019 . Dans un contexte de forte pression sur les juridictions administratives du fait de la dynamique des recours, il aurait été judicieux de pourvoir l'intégralité des postes ouverts, et ce d'autant plus que le programme 165 bénéficie d'un schéma d'emplois positif depuis 2015.

La consommation du plafond d'emplois en 2020 s'élève à 4 114 ETPT, soit une augmentation de 35 ETPT par rapport à 2019 . Cette hausse résulte, d'une part, de l'impact du schéma d'emplois réalisé en 2020 (+ 93 ETPT pour 104 créations d'emplois) et de l'extension en année pleine du schéma d'emplois 2019 (-58 ETPT).

On constate donc un écart de 149 ETP par rapport au plafond prévu en LFI 2020 . Les crédits de titre 2 ouverts en LFI étaient de 361,4 millions d'euros pour une consommation de 353,38 millions d'euros. Cet écart résulte en partie de l'impact négatif du schéma d'emplois réalisé en 2019.

En outre, la crise sanitaire a entraîné un retard dans les recrutements prévus au premier semestre 2020 . Ce retard a été en partie comblé par la suite, mais un certain nombre de recrutements ont été reportés sur 2021 (59 emplois devraient être concernés). L'objectif est permettre au programme de procéder à l'exécution de la totalité de son schéma d'emplois.

3. Une année 2020 très perturbée pour la Cour nationale du droit d'asile

Contrairement aux juridictions administratives de droit commun, le premier confinement a entraîné un arrêt total de la CNDA qui n'a pu reprendre une activité complète qu'à partir du mois d'août. Les assesseurs siégeant aux côtés des magistrats étant fréquemment des personnes vulnérables ou non situées en région parisienne, ils ne pouvaient être de retour dès mai 2020 et pendant le deuxième confinement. La reprise à l'été 2020 a donc été orientée vers les formations à juge unique , c'est-à-dire vers les procédures accélérées. En outre, la grève des avocats contre la réforme des retraites avait empêché la CNDA de tenir audience au début 2020.

En conséquence, les délais moyens de jugement en 2020 sont fortement supérieurs à ceux constatés en 2019 , mettant fin à la dynamique de réduction en cours. Concernant les procédures ordinaires, le délai moyen de jugement était de neuf mois et vingt jours en 2019, contre quinze mois en 2010. Les délais moyens constatés pour 2020 sont de onze mois pour les procédures ordinaires et vingt semaines pour les procédures accélérées, soit respectivement six mois et quinze semaines de plus par rapport à la prévision pour 2020.

La proportion des affaires en stock enregistrées depuis plus d'un an sur le nombre d'affaires enregistrées devant la Cour connaît une hausse exceptionnelle en 2020 pour atteindre 25 %, la crise sanitaire ayant également interrompu l'important déstockage mené au cours des dernières années .

La CNDA anticipe le retour à une trajectoire vertueuse de réduction de délais de jugement dès 2021. La prévision 2021, fixée à 15 %, vise un retour à la trajectoire de déstockage antérieure et est plus proche des réalisations 2018 (14,6 % d'affaires en stock depuis plus d'un an) et 2019 (16,3 %). La CNDA peut traiter environ 90 000 affaires par an . La réduction des délais de jugement est toutefois limitée par le temps de transmission des dossiers entre la CNDA et l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), dont la CNDA est juge en premier et dernier ressort. Le délai moyen de transmission est fréquemment supérieur à 3 semaines.

4. D'importantes opérations immobilières toujours en cours

Plusieurs projets immobiliers de grande ampleur sont en cours sur le programme 165. L'éclatement des locaux de la CNDA sur quatre lieux différents, ainsi que la création d'une dizaine de nouvelles chambres ces deux dernières années, justifiaient un projet d'investissement immobilier destiné au relogement de cette juridiction ainsi que du tribunal administratif de Montreuil, puisque le site retenu pour une réhabilitation en vue de ce relogement, l'ancien immeuble de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), se trouve dans la même commune. Initialement prévu en 2015, il devrait finalement normalement intervenir en 2026.

Les crédits accordés aux opérations immobilières du programme avaient déjà fait l'objet d'importants retards d'exécution . En 2019, 79 millions d'euros d'AE affectées non engagées (AENE) avaient été reportées sur 2020. Cette situation devrait se reproduire en 2021, 70 millions d'euros devant être reportés en AENE en 2020 sur 2021. En 2020, les dépenses d'investissement immobilier n'ont ainsi représenté que 8 millions d'euros en CP et 14,2 millions d'euros en AE.

En outre, l'année 2020 a été marquée par les conséquences de la crise sanitaire sur les nombreuses opérations immobilières en cours . Les CP exécutés ont été inférieurs de 3,7 millions d'euros à ceux programmés. Deux projets devraient toutefois être livrés sous peu : la cour administrative d'appel de Toulouse, pour un coût total de 2,8 millions d'euros, au 1 er mars 2022 et le tribunal administratif de Marseille , dont le chantier a pris du retard du fait de la crise sanitaire, mais qui devrait être occupé à partir de février 2022.

Mais au-delà de la crise sanitaire, les importants retards subis par la plupart des opérations immobilières depuis plusieurs années conduisent à une gestion immobilière palliant au plus pressé. Le rapporteur spécial souligne l'attention qui doit être portée à la réalisation du schéma immobilier des juridictions administratives.

5. Un probable rattachement de la commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) au programme 165 qui paraît contre-productif à court terme

L'article 63 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (dite loi « MATPAM ») a conduit à la dépénalisation et à la décentralisation du stationnement payant. L'entrée en vigueur de la réforme, reportée dans le temps à deux reprises, est intervenue le 1 er janvier 2018. Du point de vue de la contestation des amendes de stationnement (désormais « forfaits de post-stationnement » ou FPS), la dépénalisation du stationnement payant s'est traduite par une perte de compétence du juge judiciaire au profit du juge administratif.

Pour éviter un encombrement des tribunaux administratifs de droit commun, une juridiction administrative spécialisée a été mise en service en janvier 2018, la commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) , dont la mission et la composition sont fixées par l'ordonnance n° 2015-45 du 23 janvier 2015 relative à la commission du contentieux du stationnement payant, codifiée dans le code général des collectivités territoriales.

Actuellement, le fonctionnement de la CCSP figure sur les crédits du programme 216 - Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur de la mission « administration générale et territoriale de l'État », qui porte les fonctions de pilotage du ministère de l'intérieur et les crédits relatifs aux affaires juridiques et contentieuses du ministère. Sur les 132 ETP affectés à la CCSP, 120 agents de greffe relèvent du programme 216, tandis que les 12 magistrats sont mis à disposition de la CSSP par le programme 165 . Pour 2022, 3 emplois de magistrats supplémentaires ont été demandés par le Conseil d'État pour la CCSP, portés par l'action 05 - Fonction études, expertise et services rendus aux administrations de l'État et des collectivités.

La Cour des comptes a formulé en 2019 3 ( * ) et en 2020 4 ( * ) une recommandation concernant le rattachement de l'ensemble des crédits relatifs à la CCSP au programme 165 . En outre, lors de l'examen des deux dernières lois de finances, un article mettant en place un plafonnement de l'obligation de paiement préalable pour les recours contentieux formés devant la CSSP a été considéré comme rattaché à la mission « Conseil et contrôle de l'État » alors qu'il ne portait pas sur les magistrats mis à disposition de la CCSP par le programme 165, quand il aurait dû l'être au programme 216 au vu de la maquette budgétaire actuelle.

Le Conseil d'État, entendu par le rapporteur spécial, est fortement opposé à un rattachement de la CCSP au programme 165. Celle-ci devrait selon lui davantage relever de la politique publique pour laquelle elle a été instituée, comme le sont nombre de juridictions spécialisées. Les systèmes d'information utilisés par la CCSP sont par exemple ceux du ministère de l'intérieur.

En tout état de cause, si un tel rattachement devait avoir lieu, ce qui ne semble pas souhaitable dans l'immédiat selon le rapporteur spécial, il devrait entraîner une hausse des crédits accordés au programme 165 .

En effet, le Conseil constitutionnel a récemment censuré 5 ( * ) la disposition 6 ( * ) selon laquelle la recevabilité du recours contentieux devant la Commission du contentieux du stationnement payant était subordonnée au paiement préalable du montant de l'avis de paiement du FPS ou du titre exécutoire. Cette censure pourrait potentiellement engendrer un surcroît de recours devant la CCSP. Dès lors, des postes de magistrats supplémentaires devraient inévitablement être ouverts sur le programme 165, un rattachement de la CCSP n'étant pas absorbable à moyens constants.


* 3 Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2019 - Mission « administration générale et territoriale de l'État ».

* 4 Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2020 - Mission « Conseil et contrôle de l'État ».

* 5 Décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020, Mme Samiha B. [Condition de paiement préalable pour la contestation des forfaits de post-stationnement].

* 6 Article L. 2333-87-5 du code général des collectivités territoriales.

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