EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 6 octobre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de M. Bernard Jomier, rapporteur, sur la proposition de loi n° 811 (2020-2021) instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2.

M. Bernard Jomier , rapporteur . - La proposition de loi que nous examinons vise à instaurer une vaccination obligatoire en population générale contre la covid-19, afin d'atteindre à court terme un niveau de protection collective qui nous permettra de maîtriser durablement l'épidémie à laquelle notre pays fait face depuis plus d'un an et demi.

Avant d'aborder l'examen de ce texte, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la vaccination contre la covid-19, aux modalités de contrôle du respect d'une obligation vaccinale contre la covid-19 et au régime des sanctions en cas de méconnaissance d'une telle obligation. En revanche, les amendements relatifs à la politique nationale de vaccination et aux autres vaccinations obligatoires, ou à l'état d'urgence sanitaire et aux outils de gestion de la crise sanitaire autres que la vaccination contre la covid-19 ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé.

Si l'annonce à la mi-juillet 2021 de l'extension du passe sanitaire a permis de relancer le rythme des vaccinations, le nombre de premières injections ne cesse de diminuer depuis le 31 juillet. Ainsi, la part des personnes entièrement vaccinées, qui s'établit au 4 octobre 2021 à un peu plus de 72 % de la population totale, ne progresse désormais plus que très lentement.

Or le taux d'immunité vaccinale ou naturelle nécessaire au contrôle de la propagation du virus, initialement évalué entre 70 % et 75 % de la population totale, se situerait désormais entre 90 % et 95 %, compte tenu du haut degré de transmissibilité du variant Delta. En l'état actuel du rythme des primo-vaccinations, il est donc impossible d'atteindre ce niveau de protection à court terme sans une mesure forte qui permette de mobiliser l'ensemble de nos concitoyens qui n'ont pas encore franchi le pas de la vaccination. Avec moins de 35 500 premières doses injectées en moyenne chaque jour, nous ne pouvons pas en effet espérer atteindre 90 % de la population partiellement vaccinée avant le 15 juillet 2022.

Il nous faut dès à présent tordre le cou à plusieurs idées fausses qui continuent de freiner l'adhésion de la population à la vaccination.

D'abord, l'idée selon laquelle le vaccin ne nous permettra pas de vaincre l'épidémie, au motif que des personnes doublement vaccinées peuvent être réinfectées. Si, le vaccin protège, y compris contre des variants du type Delta. Il constitue une arme redoutable contre les formes graves et sévères de la maladie : j'en veux pour preuve les écarts de taux d'occupation des lits de réanimation entre la région la plus vaccinée, la Bretagne, dont seulement 16 % de lits sont occupés, et une des régions les moins vaccinées, la Martinique, dont les capacités sont complètement saturées avec 319 % des lits de réanimation occupés.

Le vaccin est également un levier puissant de réduction de la circulation du virus en limitant significativement la charge virale en cas d'infection. Les personnes vaccinées infectées transmettent ainsi douze fois moins le virus que les personnes non vaccinées.

Ensuite, la seconde idée fausse à combattre est que l'effort collectif vaccinal serait derrière nous et que, au vu de la baisse des contaminations et des hospitalisations dans la période récente, il n'y aurait plus lieu de chercher à renforcer un taux de couverture vaccinale qui est déjà l'un des plus élevés d'Europe.

Or, au contraire, une part importante du chemin reste à parcourir. Cette couverture vaccinale comporte en effet de nombreux « trous dans la raquette » qui nous fragilisent face au risque d'une reprise épidémique, notamment en cas d'apparition d'un nouveau variant. La couverture vaccinale des personnes de plus de 80 ans, qui constituent la population la plus vulnérable au risque d'hospitalisation, reste ainsi le principal talon d'Achille de la campagne vaccinale en France. Quelque 84 % d'entre eux sont entièrement vaccinés, quand ce taux est supérieur à 95 % chez les personnes âgées de 70 ans à 79 ans.

Cette situation tranche avec d'autres pays comme l'Espagne, le Danemark, l'Irlande ou Malte, où la part des personnes vaccinées chez les plus de 80 ans atteint 100 %. Une part non négligeable des personnes de plus de 80 ans reste en effet éloignée de la vaccination ; les situations d'isolement sont aggravées par des difficultés d'accès à un médecin traitant et par un maillage des points d'information sur la vaccination et des centres de vaccination qui reste insuffisant dans certains territoires.

D'importantes marges de progression existent également au sein des classes d'âge plus jeunes pour atteindre une couverture vaccinale complète supérieure à 90 % : la proportion de schémas vaccinaux complets n'est encore que de 80 % chez les 25-39 ans, 83 % chez les 18-24 ans et 64 % chez les 12-17 ans.

En outre, la vaccination des publics fragiles, les plus susceptibles de développer des formes graves ou sévères de la covid-19, reste insuffisante : fin septembre, plus de 14 % des personnes atteintes de maladies chroniques ne justifiaient toujours pas d'un schéma vaccinal complet. Plus de 15 % des personnes obèses n'ont toujours pas reçu leur première dose de vaccin, alors que l'obésité constitue, après l'âge, le facteur de risque d'hospitalisation et de décès le plus important.

Face à ces fragilités, les dispositifs d'« aller-vers », indispensables pour sensibiliser les populations les plus éloignées de la vaccination, restent insuffisants pour atteindre à court terme le taux de protection collective recherché. Nous pouvons espérer un rebond des injections de premières doses à compter du 15 octobre 2021, date de la fin de la gratuité des tests de confort. Cependant, ce rebond restera limité dans son ampleur ; il ne concernera qu'un nombre limité de personnes ayant jusqu'ici préféré se faire tester plutôt que vacciner.

La vaccination universelle obligatoire s'impose dès lors comme la solution pour provoquer un sursaut et parvenir à une immunité collective, qui nous permettra de transformer l'épidémie en un phénomène à bas bruit, avec d'éventuelles résurgences saisonnières. C'est précisément l'objectif poursuivi par cette proposition de loi.

La méthode retenue est simple et ménage au pouvoir réglementaire une certaine souplesse dans le déploiement de cette obligation. Son article unique se cantonne en effet à compléter la liste des vaccinations obligatoires en population générale inscrite dans le code de la santé publique par la vaccination contre l'infection par le SARS-CoV-2.

Le droit en vigueur prévoit déjà que ces vaccinations sont obligatoires « dans des conditions d'âge déterminées par décret en Conseil d'État, pris après avis de la Haute Autorité de santé » (HAS). Il reviendra donc au Gouvernement de déterminer par voie réglementaire les conditions d'âge pour lesquelles la vaccination contre la covid-19 aura un caractère obligatoire. Ces critères pourront par exemple évoluer en fonction des données scientifiques sur le bénéfice et l'innocuité du vaccin chez les mineurs de moins de 12 ans.

De même, il appartiendra au Gouvernement de déterminer par décret les contours du schéma vaccinal complet permettant de satisfaire à l'obligation vaccinale. Pour l'heure, bien que l'administration d'une troisième dose ait débuté fin août chez les plus de 65 ans et les personnes sévèrement immunodéprimées ou présentant des comorbidités, le schéma vaccinal pour disposer d'un passe sanitaire valide n'a pas été modifié.

L'exemple israélien nous invite pourtant à la vigilance : après avoir vacciné massivement et très tôt, dès décembre 2020, le pays n'a pas résisté à une reprise épidémique cet été. Compte tenu des données disponibles sur la durée de l'immunité conférée par la vaccination, se pose donc la question de l'intégration d'un rappel vaccinal dans les caractéristiques du schéma vaccinal complet.

L'enjeu de la troisième dose ne doit pas être sous-estimé. La protection acquise par le vaccin ou l'infection diminue avec le temps : toute notre population éligible pourrait avoir tôt ou tard à renouveler le geste vaccinal par l'injection d'une dose de rappel. L'introduction d'une obligation vaccinale est justement, encore une fois, le meilleur moyen d'assurer le maintien de cette vigilance collective.

À l'image de l'obligation vaccinale contre la covid-19 que la Nouvelle-Calédonie a instituée en population générale le 3 septembre dernier, la proposition de loi n'assortit pas d'emblée cette obligation de sanctions en cas de non-respect. À cet égard, plusieurs options sont possibles ; ce texte nous donne l'occasion d'en discuter ensemble.

Les élus néo-calédoniens ont fixé au 31 octobre une clause de revoyure qui les conduira à décider, en fonction de l'évolution du taux de couverture vaccinale, si des sanctions applicables en population générale sont justifiées et nécessaires. Je vous proposerai également de retenir une démarche progressive en matière de sanctions : outre l'institution dès cet automne du principe de l'obligation vaccinale, nous pourrions prévoir l'application, à compter de janvier 2022, d'une amende forfaitaire en cas de non-respect, ce qui laissera le temps aux personnes encore non vaccinées de se conformer à cette exigence. C'est l'objet de l'amendement que je vous soumets.

En complément, la mise en place d'un passeport vaccinal pour l'accès à certains lieux collectifs pourrait achever d'amener les plus réticents à s'engager dans une démarche vaccinale. Inspiré du modèle écossais déployé depuis le 1 er octobre, le passeport vaccinal conditionnerait l'accès à de grands rassemblements à la présentation d'un justificatif vaccinal ou d'un certificat de guérison, en supprimant l'échappatoire que constituent les tests, sauf pour les personnes justifiant d'une contre-indication.

Ne sous-estimons pas l'impact positif que pourrait avoir la vaccination universelle obligatoire sur l'adhésion de la population à la vaccination. J'en veux pour preuve les résultats encourageants déjà produits par le passage de trois à onze vaccins obligatoires chez les enfants, que nous avons voté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018. En moins de deux ans, le taux de vaccination des nourrissons contre l'hépatite B a progressé de plus de 5 points et la couverture vaccinale contre le méningocoque C a connu une augmentation spectaculaire de plus de 36 points.

Vous l'aurez compris, la vaccination universelle obligatoire reste, selon moi, la solution la plus acceptable et opérationnelle, en complément des actions d'« aller-vers », pour garantir une couverture vaccinale suffisamment élevée, afin de transformer l'épidémie en un « bruit de fond » maîtrisé sur le plan sanitaire. Elle présente l'avantage de poser une règle claire et simple applicable à tous, par opposition à un passe sanitaire qui, lui, soulève d'importantes difficultés d'application, aggrave les inégalités sociales et territoriales et dont la prolongation jusqu'à l'été 2022 est envisagée par le Gouvernement. L'obligation vaccinale reste la dernière étape à franchir collectivement pour vaincre cette épidémie et enfin tourner la page d'une crise sanitaire qui n'a que trop duré.

En ma qualité de rapporteur, je vous propose donc d'adopter ce texte.

M. Philippe Mouiller . - Mon groupe est défavorable à cette proposition de loi pour trois raisons.

Nous sommes contre le principe général d'obligation et préférons une forte adhésion de la population, même si nous partageons le même objectif, celui d'une couverture vaccinale la plus large possible. Le passe sanitaire, lui, donne une certaine liberté à chacun.

Ce texte ne définit aucune sanction ni aucun moyen opérationnel pour faire appliquer cette obligation. Il ne s'agit que d'un effet d'annonce. Quelles politiques, quels moyens prévoyez-vous de mettre en place pour faire appliquer cette obligation et la contrôler ?

Enfin, cette mesure intervient au mauvais moment, la temporalité n'est pas la bonne.

M. Alain Milon . - Je salue le travail de M. Jomier, particulièrement ardu. Il lui a fallu réaliser une sacrée gymnastique intellectuelle pour trouver les raisons qui justifient cette vaccination obligatoire.

Une autre raison de l'opposition de mon groupe est l'instabilité du virus et l'arrivée de nombreux variants, dont certains seront à échappement vaccinal. La vaccination ne servira pas à grand-chose tant qu'un vaccin stable n'aura pas été trouvé.

De plus, nous constatons que l'efficacité des vaccins est limitée. Une troisième dose est aujourd'hui recommandée, et il n'est pas sûr que des doses supplémentaires ne soient pas nécessaires, comme pour la grippe.

Enfin, je suis étonné que l'on ne parle que de vaccination de la population française. Même si la population française était vaccinée, si le reste de la population mondiale ne l'était pas, des variants à échappement vaccinal surviendraient et mettraient en échec l'immunité collective. Plutôt qu'une obligation vaccinale, je préférerais que la France et l'Europe assurent la vaccination des populations qui n'y ont pas accès actuellement.

M. Olivier Henno . - Le passe sanitaire est une politique publique réussie : elle a atteint ses objectifs.

Je comprends le principe de cette vaccination obligatoire, mais son exécution pose problème. Adopter une politique publique sans pouvoir la faire exécuter, c'est se mettre en situation d'impuissance publique, c'est discréditer l'action publique. Dans cette mesure, il me semble impossible d'adopter votre proposition.

Enfin, nous ne pouvons limiter notre réflexion à la France, et même l'horizon européen ne suffit pas ; il faut envisager la question à l'échelle mondiale.

Monsieur Jomier, pourquoi dire que le passe sanitaire constitue une injustice territoriale ? Enfin, dans quels pays la vaccination est-elle obligatoire ?

M. Martin Lévrier . - Le mieux est souvent l'ennemi du bien, et il faut être prudent face aux lois qui ne seraient pas applicables. Comment encourager la vaccination chez les personnes âgées ? J'ai trouvé excellente l'idée que les médecins généralistes appellent leur patientèle non vaccinée. C'est probablement la meilleure solution, mais elle ne porte pas suffisamment ses fruits.

Je suis totalement pour la vaccination obligatoire - j'ai soutenu son extension à onze vaccins chez les jeunes enfants en 2018 -, mais à condition qu'elle soit applicable. Si cela est possible pour les enfants, il en va autrement pour les adultes.

Concernant la vaccination à l'échelle planétaire, j'ai posé plusieurs questions au Gouvernement sur le déploiement du dispositif Covax.

L'aspect pédagogique doit aussi être abordé. Si nous avions rendu la vaccination obligatoire très rapidement, les oppositions contre le vaccin auraient été beaucoup plus virulentes. Aujourd'hui, beaucoup se vaccinent un peu malgré eux, mais ont compris la nécessité de la vaccination.

Ainsi, une grande partie du groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.

M. Bernard Jomier , rapporteur. - Monsieur Mouiller, je ne savais pas que votre groupe était opposé au principe de l'obligation. Vous aviez pourtant voté l'extension de l'obligation vaccinale à onze vaccins en 2018 pour les enfants. Je ne suis pas un inconditionnel du principe d'obligation en santé publique et le débat doit effectivement avoir lieu, mais nous voilà maintenant à front renversé : vous écartez par principe un outil qui existe déjà.

Monsieur Lévrier, il ne s'agissait pas de rendre le vaccin obligatoire dès le début de la crise. Cependant, anticiper l'évolution de la pandémie implique d'adapter les outils.

Nous ne devons pas mettre au premier plan la question des sanctions
- j'étais défavorable à la dureté des sanctions pour les personnels soignants non vaccinés. L'expérience prouve que l'annonce d'une obligation amène les populations à agir, et non l'annonce d'une sanction. Chez les enfants, le taux de vaccination contre la rougeole a progressé dès que nous avons voté l'obligation vaccinale en 2018. Le taux de vaccination est aujourd'hui supérieur à 95 % et nous sommes en train d'éradiquer cette maladie.

La sanction doit être différée. La Nouvelle-Calédonie a adopté l'obligation vaccinale pour la population générale le 3 septembre. L'annonce de l'obligation vaccinale a fait progresser significativement le taux de vaccination. La Nouvelle-Calédonie est désormais dans une bien meilleure situation que les Antilles, alors qu'aucune sanction en population générale n'a encore été prise. Elles ont simplement été annoncées pour plus tard.

J'en viens à la question de la temporalité. En juillet, on nous dit « c'est trop tôt », en octobre « c'est trop tard ». Nous allons devoir nous réunir le 15 août, à l'Assomption, pour adopter ce genre de dispositions ! Le passe sanitaire a été efficace un temps. Cette forme d'obligation masquée a produit ses effets, mais cela ne fonctionne plus : 30 000 primo-vaccinés par jour, c'est infime, alors que nous devons encore vacciner 10 millions de personnes.

De plus, aucune donnée n'indique que le passe sanitaire est efficace pour réduire la circulation virale, car il y a des trous partout dans le dispositif. Voyez le métro, les supermarchés, etc. Le dispositif est « bancal », comme dit Arnaud Fontanet.

Monsieur Milon, je n'ai pas eu à me creuser la tête pour trouver des arguments, mais plutôt des contre-arguments. Dans notre pays, 17 millions de personnes n'ont ni immunité naturelle ni immunité vaccinale. Arnaud Fontanet nous alerte quant à la probabilité réelle que, dans les semaines à venir, nous connaissions une nouvelle vague et des dizaines de milliers d'hospitalisations, ce qui représente des milliers de covid longs, des centaines ou des milliers de morts et de nombreux lits de réanimations occupés. Que fait-on ? Plus d'« aller-vers » ? Nous avons parlé de l'« aller-vers » dès la commission d'enquête de 2020, mais cette stratégie est trop lente. Certes, des incertitudes perdurent, mais cela ne nous exonère en rien d'agir. L'obligation engendre de meilleurs taux de vaccination, c'est un outil qui s'est toujours avéré efficace.

Je suis évidemment pour la vaccination à l'échelle mondiale, mais cela n'est pas de notre ressort. Cependant, nous pourrions nous exprimer sur la levée des brevets, sur le dispositif Covax, qui est en faillite, et sur les engagements internationaux de la France.

En matière d'opérationnalité, voyez ce qui s'est passé en Nouvelle-Calédonie. Quand l'obligation a été décrétée, des populations kanakes, très dispersées, ont demandé des livraisons de vaccins dans des territoires reculés par les hélicoptères de l'armée. Les autorités ont agi. L'obligation vaccinale crée en miroir des obligations pour l'État, non dans le marbre de la loi, mais dans la pratique.

La vaccination obligatoire existe dans peu de pays, mais bien dans un territoire de la République, en Nouvelle-Calédonie. Cependant, elle s'étend dans de nombreux pays. L'obligation générale est très peu répandue, mais les obligations sectorielles sont de plus en plus nombreuses. En effet, une fois que les personnes volontaires sont vaccinées - c'était la bonne démarche - la population est rassurée et les enjeux de protection collective sont mieux compris. Va-t-on maintenir les restrictions de liberté et le passe sanitaire parce qu'une petite minorité hurle à la dictature sanitaire ?

La proportion d'antivax a été survalorisée. Au mois d'août, 61 % des Français étaient favorables à une vaccination obligatoire pour tous, contre 67 % en septembre. Les Français se sont fait vacciner, ils veulent donc que les dispositifs de restriction s'arrêtent.

M. Alain Duffourg . - À la fin de l'année 2020, après avoir entendu les scientifiques, ma position a évolué, et j'estime aujourd'hui que la vaccination est indispensable. Je suis pleinement favorable à la vaccination générale obligatoire. Les jeunes enfants sont bien vaccinés contre de nombreuses pathologies. Lors de mon service militaire, j'ai aussi reçu un grand nombre de vaccins, sans que l'on me demande mon avis.

Concernant la vaccination à l'échelle mondiale, la France, comme elle l'a fait en matière d'environnement, pourrait donner l'exemple.

M. Daniel Chasseing . - Je m'associe aux arguments de M. Jomier et je souhaite dire aux antivax combien le vaccin a été efficace : neuf personnes hospitalisées sur dix n'étaient pas vaccinées. Je remercie aussi les élus et les sapeurs-pompiers, qui ont tant fait pour que les populations des territoires isolés puissent être vaccinées.

Environ 72 % de la population est vaccinée, sachant que les jeunes le sont depuis peu. Environ 80 % des personnes de plus de 80 ans sont vaccinées ; celles qui ne le sont pas encore ne sont pas opposées à la vaccination, simplement, personne ne s'est rendu à leur domicile. Si nous n'allons pas vers elles, la vaccination obligatoire n'aura aucun effet.

Une reprise épidémique est certes possible avec l'arrivée de l'hiver. Cependant, comme le passe sanitaire a été efficace et que le rappel vaccinal est en cours, sans être opposé à cette proposition, le groupe les Indépendants - République et Territoires s'abstiendra.

Mme Nadia Sollogoub . - Je souhaite parler des contrôles. En cas de vaccination obligatoire, on installe des forces de police partout et l'on contrôle tout le monde à l'entrée des métros ? Les lacunes portent sur les moyens de contrôle. Le dispositif s'additionne-t-il au passe ? Voilà qui ne me semble pas opérationnel.

De plus, l'annonce de l'obligation rendra l'opposition des antivax et de la population encore plus grande. En matière d'« aller-vers », notamment auprès des jeunes, nous pouvons encore faire mieux. Dans sa majorité, le groupe Union Centriste sera opposé à cette proposition.

Mme Laurence Cohen . - Quoi que nous fassions, nous ne pourrons convaincre les antivax. Pour la tranche de population non vaccinée restante, la situation est beaucoup plus complexe. « Aller-vers » implique de se rendre auprès des personnes âgées à domicile, dans les déserts médicaux, car elles ne bénéficient pas de la vaccination. Dans ces conditions, introduire l'obligation vaccinale, d'autant plus avec des sanctions, me semble disproportionné. Concernant les mineurs, le Comité consultatif national d'éthique exprime des réticences : la balance bénéfices-risques ne plaide pas pour la vaccination obligatoire, mais pour une information éclairée et la promotion de la vaccination.

Enfin, les données sur l'efficacité du vaccin sont encore floues. Il est très difficile de demander une obligation vaccinale quand le vaccin reste entre les mains de grands laboratoires, qui font des profits colossaux. Envisageons la levée des brevets, sinon nous créerons une rente de milliards d'euros pour ces laboratoires. À la fin, c'est toujours le patient qui paie ! Enfin, le maillage territorial médical existant n'est pas propice à une telle vaccination.

Mes doutes sont nombreux ; ils ne plaident pas pour l'obligation vaccinale. Mon groupe va se réunir et je réserve donc mon vote.

Mme Corinne Féret . - Ce sujet mérite un véritable débat. Le passe sanitaire est une obligation indirecte qui ne dit pas son nom. Nous, nous faisons le choix de la transparence.

Il n'est pas trop tard aujourd'hui pour rendre la vaccination obligatoire, car la couverture vaccinale est insuffisante chez les plus vulnérables. S'ajoutent de fortes inégalités territoriales. Au rythme de vaccination actuel, qui a fortement diminué, nous n'atteindrions un taux de 90 % de vaccinés qu'en juillet 2022. Pouvons-nous nous permettre d'attendre aussi longtemps et de prendre le risque d'une nouvelle vague épidémique, de nouvelles hospitalisations et de nouveaux décès ?

Concernant le contrôle, il n'est pas question d'avoir des contrôleurs et l'armée à chaque coin de rue ! Nous sommes bien obligés d'avoir un permis de conduire, sans être contrôlés en permanence. Quant aux sanctions, elles ne seront pas forcément disproportionnées.

Soyons cohérents. La vaccination obligatoire existait au temps du service militaire, et elle existe aussi pour les plus petits - vous avez voté son extension en 2018. Il s'agit d'un choix politique de santé publique. L'argument budgétaire ne peut nous freiner. Il y va de la protection de nos concitoyens.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Merci à Bernard Jomier d'avoir engagé ce débat nécessaire, mais une question demeure : comment mettre en oeuvre l'obligation vaccinale ? Le passe sanitaire bute déjà sur un noyau de résistances, l'obligation n'améliorera pas les choses - en tout cas, je n'entends pas d'argument propre à me convaincre qu'elle y parviendra.

M. René-Paul Savary . - Favorable à l'obligation vaccinale en général, je suis plutôt convaincu par ceux qui la demandent contre la covid-19, même si je trouve également convaincants ceux qui y sont opposés pour des raisons pratiques. Cependant, quand la ceinture de sécurité a été rendue obligatoire, j'étais de ceux qui ronchonnaient devant ce que je regardais alors comme une entrave à ma liberté, puis la ceinture est entrée dans les moeurs et je m'y suis fait : la ceinture n'évite pas l'accident, mais sauve des vies, je pense que c'est comparable.

Nous avons ardemment voulu le vaccin et maintenant que nous l'avons, certains n'en veulent pas ; or il y va de la liberté de l'ensemble de la population : ceux qui refusent de se vacciner pénalisent ceux qui se sont vaccinés. Ensuite, le coût du dépistage est plus important que celui la vaccination, il faut y penser quand nous finançons le tout à crédit, sur les générations futures.

Par ailleurs, il ne suffit pas que la France se vaccine, ses voisins et la Terre entière doivent le faire, d'où l'importance de l'action européenne et internationale.

Où en est-on s'agissant des nouvelles thérapies ? Enfin, il faut maintenir les gestes barrières, on le voit avec la grippe qui fait 5 000 à 7 000 morts par an.

Je reste donc partagé : ni pour, ni contre, mais bien au contraire...

Mme Chantal Deseyne . - Vous parlez d'un taux de couverture de 73 %, alors que le Gouvernement avance 84 % : est-ce à dire que vous envisagez la vaccination des moins de 12 ans ?

M. Bernard Jomier , rapporteur . - Je n'ai pas de certitude sur certains points et je vois qu'on peut changer d'avis en avançant : d'une façon plus générale, cette crise nous a appris à gérer l'incertitude, et je crois que cela ne veut pas dire qu'on doive renoncer à prendre des décisions - c'est à quoi je m'attèle, pour trouver la voie la plus utile à la population.

Le passe sanitaire a été un bon outil, il relève d'une méthode de gouvernance connue, celle du nudge , ou du « coup de pouce » : l'autorité n'oblige pas, mais incite et « pousse » les citoyens à adopter un comportement, ici à se faire vacciner. Ce faisant, on pense éviter que les oppositions ne se cristallisent, ce qui n'est pas évident, et l'on euphémise la réalité, ce qui pose la question du respect des citoyens en démocratie - nous pourrions avoir ce débat philosophique. Quoi qu'il en soit, il reste le noyau dur, ceux qui ne voudront se faire vacciner à aucun prix : je ne sais pas de quel outil nous disposons pour les y forcer, je préfère prévoir une sanction et penser que, avec cette sanction, cette fraction de la population sera suffisamment faible pour qu'on atteigne l'immunité collective sans qu'elle se fasse vacciner.

S'agissant des vaccinations à domicile, il faut savoir qu'elles s'élèvent à peine à 15 000 par jour, c'est très peu, notre dispositif fonctionne mal. Avec l'obligation, j'escompte que l'action de l'État se modifie : il devra mettre en place un accès au vaccin, il aura une obligation de moyens - c'est la raison pour laquelle le président de la Seine-Saint-Denis réclame l'obligation. L'obligation vaccinale simplifie la vie pour l'administration du vaccin.

Sur le contrôle, ensuite, il faut se garder de toute démesure, en particulier celle consistant à dire que toute obligation devrait nécessairement être assortie d'un contrôle partout et tout le temps. Je suis pour un retour au droit commun, avec un contrôle a priori restreint à certaines circonstances, par exemple l'accès à des lieux très fréquentés, ou encore dans le train - un contrôle aléatoire, assorti de sanctions. Je crois que ce système suffirait, et j'ai du mal à comprendre l'argument consistant à dire qu'il faudrait absolument contrôler tout le monde tout le temps pour s'assurer que les gens se font vacciner, un tel contrôle ne fonctionnerait pas.

Je suis sensible à la diversité de situations pour nos concitoyens, je sais que l'obligation n'apparaîtra pas comme une solution pour ceux qui sont isolés et vivent dans des déserts médicaux. Cependant, l'obligation peut décider ceux qui ne se font pas vacciner aujourd'hui en se disant que si la vaccination n'est qu'une recommandation, c'est qu'elle n'est pas si nécessaire. Je n'en connais pas la proportion, mais je tiens compte de l'expérience avec les autres vaccins.

L'intérêt du vaccin est démontré quand sont établis son bénéfice collectif et son bénéfice individuel. Pour les mineurs de plus de 12 ans le bénéfice individuel et collectif est établi. Pour les plus jeunes, le bénéfice collectif est établi, puisque plus il y a de vaccinés, moins le virus circule ; reste à établir s'il y a un bénéfice individuel : Pfizer a demandé une autorisation pour les plus jeunes aux États-Unis et si les autorités la lui accordent, les enfants américains nous donneront le recul suffisant pour établir s'il y a, ou non, un intérêt individuel. En attendant, le mieux étant l'ennemi du bien, il n'est pas question d'abaisser l'obligation vaccinale en deçà de 12 ans, mieux vaut laisser le pouvoir réglementaire fixer l'âge de l'obligation, pour ajuster par la suite.

Est-on face à une alternative entre le passe sanitaire et l'obligation vaccinale ? La question est intéressante, la réponse dépend de l'analyse que l'on fait de la suite des événements. De mon côté, je crois que, avec à peine 30 000 primo-vaccinations par jour, nous sommes au bout de la dynamique vaccinale liée au passe sanitaire. Nous sommes parvenus mi-septembre à 50 millions de vaccinés, c'est bien, mais, pour aller plus loin, nous avons besoin de l'obligation vaccinale, c'est ce que montrent les situations où elle a été établie - voyez en Nouvelle-Calédonie, ou dans les professions médicales, le taux de vaccination s'établit désormais à 95 % chez les professionnels de santé en ville, et à plus de 90 % à l'hôpital, nous avons atteint ces niveaux avec la mise en place de l'obligation.

Sur le traitement, Jean-François Delfraissy m'a dit être très optimiste sur les thérapies ciblées, même si les anticorps monoclonaux n'ont visiblement qu'un effet partiel. Il est donc possible qu'arrive bientôt un traitement très efficace - mais actuellement, le meilleur traitement, c'est la vaccination !

Enfin, les gestes barrière restent décisifs, on le voit à travers l'effet pervers du passe sanitaire : les gens baissent la garde parce qu'ils ont leur passe, ce qui en annule les bénéfices, au risque d'une nouvelle vague épidémique...

Mme Catherine Deroche , présidente . - Le passe sanitaire est devenu obligatoire pour les plus de 12 ans au 30 septembre, on verra bientôt quel effet aura l'obligation sur les chiffres.

M. Martin Lévrier . - Et les tests ne seront plus remboursés au 15 octobre.

M. Bernard Jomier , rapporteur . - Les Français anticipent, je parie que, après le 15 octobre, nous n'enregistrerons qu'une vaguelette de vaccinations, rien de plus...

Mme Véronique Guillotin . - Je défends les vaccins et j'ai toujours été favorable à l'obligation vaccinale, mais cette obligation-ci arrive au mauvais moment, après une politique de passe sanitaire qui, même si elle montre ses limites, contribue à ce que 84 % des plus de 12 ans soient vaccinés. Nous ne sommes certes pas à l'abri d'une nouvelle vague épidémique, qui serait plus faible que les précédentes, car nous sommes davantage à être vaccinés, mais je crois que l'obligation vaccinale à ce niveau de couverture enverrait un mauvais signal à la population.

Ensuite, ce vaccin n'est pas comparable à celui contre la rougeole ou la polio, nous sommes en situation de crise et nous ne maîtrisons pas tout le schéma vaccinal. Quand le vaccin sera obligatoire, est-ce qu'on refusera de scolariser les enfants non vaccinés ? Je peux en être d'accord, mais il faut le dire.

Enfin, nous ne faisons pas la même analyse de la contrainte imposée par une telle obligation, elle introduit en réalité un passe vaccinal. Je reste donc attentive à la situation et ne gage pas l'avenir.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Le passe vaccinal n'est pas dans ce texte.

M. Bernard Jomier , rapporteur . - Non, ce n'est pas le bon véhicule. Au sein de la mission d'information, dès le mois d'avril, nous nous sommes déclarés favorables au passe vaccinal pour accéder aux événements culturels.

En réalité, si nous en étions restés à la souche originelle, l'immunité collective, qui était de 70 %, serait déjà derrière nous ; il nous faut désormais 90 % de vaccinés, comment va-t-on y parvenir, sachant qu'il n'y a plus grand monde à convaincre ? Sans changer d'outil, il nous faudra des mois pour y parvenir, c'est pourquoi je vous propose l'obligation pour maintenant - ou bien la prochaine vague, même faible, touchera quand même des dizaines de milliers de personnes qu'il nous faudra hospitaliser.

Lors de notre déplacement au Commissariat à l'énergie atomique, au printemps dernier, une chercheuse nous avait montré les atteintes de la covid-19 sur les cellules cérébrales : des cellules souches cérébrales peuvent être atteintes par des formes bénignes de la covid-19, provoquant des dégâts irréparables et des conséquences à moyen et long termes - je préfère la vaccination à une contamination suivie de troubles cognitifs...

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Bernard Jomier , rapporteur . - J'ai déjà défendu l'amendement COM-1 .

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

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