EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 27 octobre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de Mme Colette Mélot, rapporteure, sur le projet de loi n° 157 (2020-2021) visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d'un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous passons à présent à l'examen du rapport de Colette Mélot sur la proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d'un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.

Mme Colette Mélot , rapporteure . - Adoptée par l'Assemblée nationale il y a presque un an, cette proposition de loi suscite beaucoup d'attentes de la part des associations, qui espèrent une entrée en vigueur rapide de ses dispositions.

Avant d'aborder l'examen de ce texte, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives aux conditions de bénéfice du congé de présence parentale (CPP) et de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP). En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé les amendements relatifs à la politique nationale de prévention et de prise en charge des maladies graves chez les enfants ou à l'éducation thérapeutique et à l'accompagnement d'enfants atteints de maladies graves ou chroniques en milieu scolaire.

Créés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le CPP et l'AJPP constituent des dispositifs précieux pour soulager des situations familiales complexes et douloureuses. Ils permettent en effet aux parents d'interrompre leur activité professionnelle et de bénéficier d'une compensation de la perte de revenus associée afin d'accompagner un enfant dont la dégradation de l'état de santé justifie un accompagnement soutenu. Il peut s'agir d'une pathologie, telle qu'un cancer pédiatrique, d'un handicap ou d'un accident particulièrement grave.

À l'heure actuelle, le bénéfice du CPP et de l'AJPP semble restreint moins par des considérations médicales que par des considérations de régulation budgétaire. Le CPP est ainsi limité à 310 jours ouvrés de congés pouvant être mobilisés sur une période initiale de trois ans. En conséquence, le nombre d'AJPP pouvant être versé aux parents pendant cette période de référence est également limité à 310. Le CPP et les AJPP sont, bien entendu, conditionnés à la fourniture d'un certificat médical attestant de la gravité de la maladie, du handicap ou de l'accident de l'enfant et précisant la durée prévisible de traitement.

Face à un plafonnement qui semble quelque peu déconnecté de la situation médicale de l'enfant, des ajustements ont été apportés à ces dispositifs dans la période récente, afin d'en renforcer la flexibilité.

La loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli a ainsi assoupli les conditions de réexamen de la durée prévisible de traitement de l'enfant, afin de simplifier la vie des parents. Elle a surtout complété les motifs justifiant, après la première période de trois ans, le renouvellement du CPP et de l'AJPP ; au-delà des cas de rechute ou de récidive, ce renouvellement est de droit en cas de perpétuation de la gravité de l'état de santé.

En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a ouvert la possibilité pour le salarié, avec l'accord de son employeur, de fractionner le CPP ou de le transformer en période d'activité à temps partiel, afin de mieux concilier l'accompagnement de l'enfant et le maintien d'une activité professionnelle. Notre commission est particulièrement attachée à cette souplesse en ce qu'elle contribue, au moins dans une certaine mesure, au maintien de l'employabilité du parent.

Le recours au CPP et à l'AJPP est dynamique : le nombre de bénéficiaires a augmenté de 70 % sur la période 2013-2020. En 2020, un peu moins de 10 000 familles ont ainsi bénéficié de l'AJPP, pour un coût total de 97 millions d'euros, tous régimes confondus. Le montant mensuel moyen d'AJPP perçu par les bénéficiaires est ainsi estimé à 846 euros en 2020. Quant à la durée moyenne de versement de l'AJPP, elle s'établirait à huit mois. Sur ces bénéficiaires, un peu plus de 23 % sont des familles monoparentales pour lesquelles l'arrêt d'une activité professionnelle peut avoir des conséquences financières particulièrement préjudiciables.

Quelques enjeux de gestion ne doivent pas être sous-estimés. Un grand nombre de critiques formulées par les associations portent sur les délais de traitement des demandes d'AJPP par les organismes débiteurs, les caisses d'allocations familiales (CAF). En théorie, la sécurité sociale dispose d'un délai maximal de trois mois pour verser l'allocation, au-delà duquel le silence de l'administration vaut acceptation. Ce délai inclut l'examen du certificat médical par le service du contrôle médical de l'assurance maladie.

Je tiens à rappeler qu'il s'agit d'un délai théorique et qu'une attente de trois mois peut avoir des conséquences psychologiques et matérielles difficilement supportables pour des familles déjà fortement déstabilisées par l'annonce du diagnostic. Il faudra donc veiller à ce que les CAF soient pleinement réactives lorsqu'elles sont saisies d'une demande, quitte à verser des avances sans attendre le feu vert du service du contrôle médical des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).

En outre, le Gouvernement s'est engagé à fluidifier le pointage mensuel par les CAF des jours de CPP effectivement pris pendant le mois, en supprimant les attestations mensuelles sur papier signées de l'employeur, pour privilégier une transmission dématérialisée via les déclarations sociales nominatives de l'entreprise. Cette dématérialisation devrait intervenir d'ici la fin de l'année 2022.

J'en viens au contenu de la proposition de loi. Son article unique ouvre la possibilité de renouveler le CPP et le crédit d'AJPP au-delà de 310 jours sur la période de référence initiale de trois ans. Cette évolution est pleinement justifiée par le souci de mieux tenir compte de la réalité de la pathologie ou du handicap de l'enfant et des soins qu'il requiert.

La possibilité de renouvellement après la période initiale de trois ans, que nous avons inscrite dans la loi du 8 mars précitée, présente un intérêt limité. N'oublions pas que, au bout de trois ans, la plupart des enfants sont soit guéris, soit décédés. Les dispositions actuelles ne répondent donc pas aux besoins des quelque 600 foyers - soit 6 % des bénéficiaires - qui, au cours de la période de trois ans, épuisent leur crédit de 310 jours d'AJPP. Dans le cas de cancers pédiatriques, les chiffres les plus pessimistes évaluent à 30 % la part des parents bénéficiaires de l'AJPP qui auraient besoin d'une prolongation du nombre de jours d'allocation.

Le renouvellement des droits au CPP et à l'AJPP permet ainsi aux parents concernés de mobiliser, si la santé de leur enfant le requiert, un crédit maximal de 620 jours sur la période de référence de trois ans. Au total, le coût de la mesure serait compris entre 5 et 8 millions d'euros.

L'extension aux agents publics du bénéfice de ces nouvelles dispositions ne figure pas dans le texte - elle est pourtant essentielle au regard du principe d'égalité ! En ce que cette extension induit une dépense supplémentaire, seul un amendement gouvernemental peut la proposer.

Pour réparer cet oubli, je suggère une solution qui ne compromettra pas l'adoption rapide du texte, dans un contexte d'encombrement de l'ordre du jour parlementaire. Le texte a en effet été adopté il y a déjà près d'un an par l'Assemblée nationale. Beaucoup de foyers déjà fragilisés par la crise sanitaire ont déjà épuisé leur crédit de 310 jours sans pouvoir le renouveler. Et plus l'adoption de la loi sera retardée, plus les foyers souffrant d'une situation pareille seront nombreux.

Dans un premier temps, je propose que le Sénat adopte ce texte de façon conforme, de sorte que les familles arrivant en fin de droits dans les jours suivant la promulgation de la loi puissent renouveler aussi sereinement que possible leur CPP et leur AJPP. Dans un second temps, le Gouvernement devrait rapidement proposer l'extension du dispositif aux agents publics par voie d'amendement au PLFSS.

Mes échanges tant avec le rapporteur de l'Assemblée nationale qu'avec le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles me font penser qu'il s'agit de la solution la plus efficace, dans l'intérêt des familles concernées. Une commission mixte paritaire sur ce texte pourrait en différer l'adoption définitive à la mi-décembre, dans le meilleur des cas.

Compte tenu de ces observations, je vous propose d'adopter ce texte sans modification. Parce qu'il répond aux attentes des familles, nous devons garantir son entrée en vigueur dans les plus brefs délais.

Mme Laurence Rossignol . - Comment les maladies psychologiques des enfants sont-elles identifiées dans la liste annexée ? La phobie scolaire et l'anorexie, entre autres, ouvrent-elles droit à l'AJPP ?

M. Jean-Luc Fichet . - Je suppose que cette proposition de loi recevra l'avis unanime des membres de la commission. Les familles n'utilisent en moyenne que 173 jours de CPP sur le plafond de 310 jours. On pourrait penser que c'est suffisant. Pourtant, 6 % des familles ont besoin d'un crédit beaucoup plus important. Porter ainsi le plafond à 620 jours est une excellente chose, encore faut-il que les familles puissent bénéficier de ces congés sans rupture. Au demeurant, il conviendrait que les délais d'instruction des dossiers soient les plus courts possible.

Notre groupe approuve l'adoption conforme de ce texte à laquelle nous appelle la rapporteure.

M. Bernard Jomier . - Le Gouvernement a présenté un amendement au PLFSS à l'Assemblée nationale visant à majorer de façon significative l'AJPP
- il est question de le porter au niveau du SMIC mensuel -, et l'allocation journalière du proche aidant (AJPA). Cet amendement est-il en ligne avec la présente proposition de loi ?

Mme Florence Lassarade . - Le taux de répartition des jours de congé entre les deux parents a-t-il été évalué ? Comment les professions indépendantes et les auto-entrepreneurs pourraient-ils bénéficier de ces avantages ?

M. Daniel Chasseing . - Cette proposition de loi est attendue par 30 % des familles, dont la situation est souvent d'une particulière gravité. Nous devrions tous consentir à son adoption conforme.

M. René-Paul Savary . - Avouez qu'on a le pistolet sur la tempe. Alors que la proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale il y a un an, on nous demande de la voter dans la précipitation. Résultat : le Sénat se trouve obligé de procéder à un vote conforme.

Étendre le bénéfice du dispositif aux fonctionnaires paraît une bonne chose, mais le Gouvernement n'a même pas proposé un amendement en ce sens devant l'Assemblée nationale. Pourquoi le proposerait-il ici ? Le Gouvernement n'a aucune volonté ! À mon sens, le présent texte, vu son objet, aurait dû constituer une disposition du PLFSS ; son dispositif aurait pu être anticipé et faire l'objet d'une étude d'impact préalable, plutôt que d'être adopté dans la précipitation. Une fois de plus, le Sénat est maltraité !

Qu'en sera-t-il des droits à la retraite pour les salariés concernés ? Comment les trimestres, donc le montant des retraites, sera-t-il calculé ?

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Cette proposition de loi fait l'unanimité ; elle nous concerne tous, vu les situations que nous connaissons dans nos départements respectifs. Toutefois, aucune de ses dispositions ne porte sur les cotisations sociales et les droits à la retraite. Il faudra bien que l'on précise les choses de ce point de vue-là ! Du reste, je souscris aux propos de notre collègue Fichet : la consommation des crédits de CPP ne devrait être affectée d'aucune rupture.

Mme Annie Delmont-Koropoulis . - Aider ces personnes qui se trouvent dans le désespoir le plus total est essentiel. Mais celles-ci, la plupart du temps, ne sont pas bien informées. Ne pourrait-on pas envisager que des assistantes sociales, dans les hôpitaux, puissent les orienter et leur proposer le dispositif ?

Mme Colette Mélot , rapporteure . - Les maladies reconnues doivent être d'une particulière gravité, laquelle est confirmée par le certificat médical, et doivent justifier des soins contraignants. Le certificat est soumis au contrôle médical de la CPAM. Par exemple, les maladies psychiatriques peuvent nécessiter des soins contraignants et ainsi justifier l'AJPP.

Je partage vos observations, monsieur Fichet. Il est urgent d'adopter cette proposition de loi dans les plus brefs délais !

Jusqu'à présent, le montant de l'AJPP n'était revalorisé qu'en fonction de l'inflation. L'amendement du Gouvernement au PLFSS pour 2022 visant à le revaloriser en référence au SMIC mensuel est bienvenu.

Il semble que l'extension du dispositif aux agents publics ait été oubliée lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Il est impensable de dire aux fonctionnaires qu'ils n'y ont pas droit. Le Gouvernement déposera donc un amendement au PLFSS pour 2022 visant à garantir le bénéfice des nouvelles dispositions aux fonctionnaires.

La question des droits à la retraite ne figure pas dans la proposition de loi. La loi du 8 mars 2019 s'était cantonnée à garantir le maintien de l'intégralité des droits à l'ancienneté pendant le CPP.

M. René-Paul Savary . - Le Sénat ne peut pas proposer l'extension du dispositif aux fonctionnaires en raison de l'article 40 de la Constitution. L'Assemblée nationale a une liberté bien plus grande !

Mme Catherine Deroche , présidente . - Concernant les fonctionnaires, les jours de congé de présence parentale sont assimilés à des jours de travail et ouvrent donc bien droit à retraite.

M. René-Paul Savary . - Le calcul des droits à la retraite pour les salariés du privé pourrait être affecté. Les trimestres non cotisés ont une répercussion sur le montant des droits...

Mme Catherine Deroche , présidente . - L'État impose beaucoup de choses aux entreprises privées qu'il ne s'applique pas à lui-même. Ce n'est pas la première fois que l'on se retrouve dans cette situation. Nous avons été contraints à de multiples reprises de procéder à une adoption conforme. Ce fut le cas de la proposition de loi relative aux cancers pédiatriques - nous étions pourtant très réservés sur certaines de ses dispositions - et de la proposition de loi relative à l'expertise des comités de protection des personnes. J'ajoute que nous examinerons en décembre une proposition de loi visant à l'accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer. Bref, on ne fait que des sauts de puce, et encore, rien ne garantit que les textes d'application soient pris.

Ce serait l'honneur d'un gouvernement, quel qu'il soit, de proposer un texte global. Les situations sont tellement difficiles pour les familles. Mettre un peu d'humanité ne ferait pas de mal.

M. René-Paul Savary . - Le Sénat a nettement moins de marges de manoeuvre que l'Assemblée nationale au regard de l'article 40 de la Constitution. Avant, nous proposions des amendements susceptibles d'entraîner des recettes pour compenser ceux qui visaient à créer des dépenses supplémentaires. Même cela on ne peut plus le faire ! Quel changement y a-t-il eu dans la gestion de l'article 40 ?

Mme Catherine Deroche , présidente . - Il n'y a pas eu de changement. Nous avons parfois gagé des pertes de recettes par une augmentation de recettes, mais ce n'est pas possible pour une augmentation des dépenses. Reste que l'article 40 bloque certaines propositions : c'est ainsi que des amendements prévoient des demandes de rapport, au moins pour évoquer le sujet.

Mme Corinne Imbert . - L'AJPP est-elle cumulable avec la prestation de compensation du handicap (PCH) pour les enfants ? Une évaluation de l'impact financier de l'extension du dispositif aux agents du secteur public a-t-elle été réalisée ?

Mme Colette Mélot , rapporteure . - L'AJPP est bien cumulable avec l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH). Nous vérifierons si elle peut être cumulée avec la PCH.

Le suivi des familles par les assistantes sociales est une nécessité. L'information en matière de CPP et d'AJPP est insuffisante, si bien que les familles ne pensent même pas à demander à en bénéficier. Nous devons donc faire le nécessaire pour consolider l'information. C'est d'ailleurs à l'hôpital qu'elle devrait être assurée : prévoir un rendez-vous systématique entre les familles et les assistantes sociales semble être une bonne idée.

Encore une fois, ce texte mérite d'être adopté. Il permettrait de renforcer l'aide des familles en proie à ces situations douloureuses.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

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