IV. SNCF RÉSEAU, LA SOCIÉTÉ DU GRAND PARIS ET VOIES NAVIGABLES : DES ENJEUX MAJEURS POUR L'AVENIR DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT NATIONALES

A. SNCF RÉSEAU DISPOSERA-T-IL DES MOYENS D'ASSURER L'INDISPENSABLE RÉGÉNÉRATION DU RÉSEAU FERRÉ NATIONAL ?

La loi n° 2018-515 pour un nouveau pacte ferroviaire , a conduit à une profonde réorganisation structurelle du groupe ferroviaire public SNCF . Cette réorganisation s'est notamment traduite par la transformation en sociétés nationales à capitaux publics des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) SCNF Mobilités et de SNCF Réseau .

Cette réforme prévoyait aussi que SNCF Réseau :

- poursuive , et même accélère , le grand programme de régénération du réseau ferroviaire ;

- réalise de nouveaux efforts de productivité, à hauteur de 380 millions d'euros d'ici 2026, portant ainsi le gain d'efficience auquel il s'est engagé auprès de l'État à plus de 1,6 milliard d'euros sur la période 2017-2026, cet objectif de gains de performance étant l'un des points d'achoppement majeur qui explique le prolongement inexorable des négociations portant sur l'actualisation d'un contrat d'objectifs et de performance entre l'État et SNCF Réseau pourtant à bien des égards obsolète (cf infra ) ;

- bénéficierait d'une reprise de dette de 35 milliards d'euros en deux temps (voir infra ).

La crise et les conséquences qui l'accompagnent, à court comme à long terme, ont contribué à bouleverser les équilibres de la réforme. Dans l'immédiat, et afin de préserver l'indispensable programme de régénération du réseau ferroviaire, l'État s'est résolu à une intervention financière d'envergure en prévoyant notamment de consacrer 4,05 milliards d'euros pour notamment assurer la continuité de l'enveloppe dédiée à la régénération du réseau (cf infra ).

Si les rapporteurs spéciaux se félicitent de cette décision sans laquelle la régénération du réseau ferroviaire aurait été mise en péril , ils appellent la puissance publique à renouveler, sur le long terme, son engagement résolu en faveur du système ferroviaire .

1. Alors qu'il est permis de s'interroger sur son caractère suffisant, le programme de régénération du réseau ferroviaire doit être sacralisé

L'audit du réseau ferré français réalisé en 2005 par l'école polytechnique fédérale de Lausanne, actualisé en 2012, a montré à quel point, en France, le réseau ferré structurant le plus circulé s'était considérablement dégradé pendant trois décennies du fait de l'insuffisance manifeste des investissements d'entretien et de régénération 18 ( * ) . Cette situation se traduit très concrètement par de nombreux problèmes de sécurité mais également d'efficacité , en raison de la multiplication des ralentissements de la circulation des trains. Face à ce constat accablant, SNCF Réseau a conçu en 2013 un plan visant à régénérer le patrimoine ferroviaire français.

La programmation des investissements dans les transports annexée à la loi d'orientation des mobilités (LOM) prévoit que SNCF Réseau investisse 3,6 milliards d'euros chaque année sur le réseau ferré existant dont 2,9 milliards d'euros pour sa régénération.

D'après les réponses apportées par la DGITM au questionnaire budgétaire, en 2021 , les dépenses liées au programme de régénération des infrastructures ferroviaires, fixé à 2 820 millions d'euros , devraient être exécutées. Au 30 juin 2021, 1 320 millions d'euros de dépenses avaient été exécutés, soit 47 % du total. En 2022, 2 850 millions d'euros de dépenses sont prévues au titre de la régénération du réseau.

Comme ils ont pu le signaler devant la commission des finances du Sénat à l'occasion du point d'étape qu'ils ont réalisé le 29 septembre 2021 concernant la mission de contrôle qu'ils conduisent sur le sujet de la situation financière et des perspectives de la SNCF , les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur le financement du réseau ferroviaire national. À ce titre, ils tiennent à souligner que les besoins de régénération sont tels, qu'il n'est pas garanti que des investissements de régénération à hauteur de 2,9 milliards d'euros par an soient suffisants .

Leur inquiétude est renforcée par le fait que par le passé, l'enveloppe dédiée à la régénération , trop souvent négligée, a été utilisée à d'autres fins que la régénération du réseau. Ils craignent que pareille situation ne se reproduise à l'avenir. Ils seront tout particulièrement vigilants aux financements liés à l'interdiction de l'utilisation du glyphosate aux abords des voies, à la rénovation des ponts ferroviaires ou à la sécurisation des passages à niveau. Une régénération insuffisante pourrait conduire à devoir abandonner par la force des choses, sans en avoir pris la décision, des pans entiers du patrimoine ferroviaire national. Cette perspective doit être conjurée par tous les moyens.

Face aux conséquences de la crise sanitaire sur les recettes de SNCF Réseau, notamment le montant des péages mais également les incidences à venir sur le niveau des bénéfices générés par la filiale SNCF Voyageurs dont une part lui est reversée via un fonds de concours dédié qui transite par le programme 203, l'État a débloqué une dotation de 4,05 milliards d'euros sous la forme d'une recapitalisation du groupe SNCF. En décembre 2020, la société anonyme SNCF a reversé cette somme au fonds de concours dédié à SNCF Réseau .

Ce concours financier était absolument nécessaire pour permettre à SNCF Réseau de maintenir la trajectoire d'investissements dans la régénération du réseau malgré les conséquences de la crise. Sans cette aide d'urgence, le programme de régénération n'aurait pu être mené à bien par SNCF Réseau en 2021 . Aussi, 2,3 milliards d'euros de l'enveloppe totale est-elle dédiée à la régénération . 1,5 milliard du montant total doit également permettre, à court terme, de couvrir les surcoûts induits par l'interdiction de l'épandage de glyphosate et financer la rénovation des ponts ferroviaires . Le reste de l'enveloppe, pour 300 millions d'euros , doit être consacré aux lignes de desserte fine du territoire.

Les rapporteurs spéciaux notent que sans cette aide exceptionnelle, l'indispensable programme de régénération de voies prévu par la LOM aurait été volé en éclats dès 2021 . Aussi considèrent-ils que si ce concours conjoncturel s'avérait indispensable pour parer à l'urgence et éviter que le programme de régénération se délite, il ne répond en rien aux enjeux structurels du financement du réseau et de la performance du gestionnaire d'infrastructures.

Mécanisme budgétaire du concours financier exceptionnel
de 4,05 milliards d'euros apportés par l'État à SNCF Réseau

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

En février 2021 , une première tranche d'aide de 1,645 milliard d'euros a été versée à SNCF Réseau via le programme 203. D'après les réponses apportées au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux, un nouveau versement de 1,761 milliard d'euros devrait intervenir en 2022 et le solde de 0,644 milliard d'euros ne serait quant à lui versé qu' en 2023 .

Calendrier prévisionnel de versements à SNCF Réseau
des 4,05 milliards d'euros d'aide exceptionnelle de l'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Aussi, à la fin de l'année 2021, 2 405 millions d'euros de crédits de fonds de concours affectés à l'action 41 « Ferroviaire » du programme 203 seront reportés sur la gestion 2022.

Si la régénération des voies ferrées doit demeurer la priorité absolue, les rapporteurs spéciaux regrettent néanmoins vivement , comme ils ont pu le souligner dans le point d'étape de leur mission de contrôle précitée, qu'aucun financement spécifique ne soit prévu en faveur de la modernisation du réseau ferroviaire et des deux principaux programmes qui la conditionnent : la commande centralisée du réseau (CCR) et le programme de signalisation dit « ERTMS ». Les rapporteurs spéciaux considèrent cette situation d'autant plus incompréhensible que ces deux programmes sont susceptibles de générer d'importants gains d'efficience et d'améliorer grandement la performance du réseau ferroviaire . À titre d'exemple, la France compte aujourd'hui 2 200 postes d'aiguillages quand le développement de la CCR sur l'ensemble du réseau pourrait les remplacer par une quinzaine de tours de contrôles.

Les enjeux de financement de ces deux programmes sont massifs et supposent un accompagnement des pouvoirs publics. D'après de premières estimations, les coûts de ces programmes pourraient s'élever à 15 milliards d'euros pour la CCR et 20 milliards d'euros pour l'ERTMS .

Prévu par la réforme de 2014, le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau n'avait été conclu qu'en avril 2017. L'autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), devenue depuis autorité de régulation des transports (ART), ainsi que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat avaient exprimé à l'époque leurs très fortes réserves sur ce contrat dont la trajectoire financière était irréaliste et les orientations tarifaires déconnectées des réalités économiques. Dès 2018, la remise en cause de la trajectoire des péages a confirmé la caducité des hypothèses sous-jacentes et des perspectives financières définies dans le contrat.

Ce contrat aurait dû être actualisé en 2020 mais cette mise à jour indispensable est sans cesse reportée . La signature du contrat est désormais annoncée au printemps 2022. Les rapporteurs spéciaux regrettent profondément le retard de cette procédure qui prive la représentation nationale de toute réelle visibilité sur l'avenir du secteur . C'est d'autant plus préjudiciable que ce contrat est au coeur du modèle économique du secteur ferroviaire.

Après la finalisation de ses laborieuses négociations, le contrat actualisé a enfin été présenté au COI le 4 novembre 2021 . Il semblerait que ce nouveau contrat confirme les engagements financiers de retour à l'équilibre pris par la société dans le cadre de la réforme pour un nouveau pacte ferroviaire de 2018 et prévoit des gains de performance à hauteur de 1,5 milliard d'euros d'ici 2026, en retrait de 100 millions d'euros par rapport aux engagements pris en 2018. Ce contrat, qui doit faire l'objet d'un avis de l'ART et être transmis au Parlement prévoit une nouvelle projection financière prenant en compte les nouvelles trajectoires d'évolution des péages sur les activités non conventionnées et des investissements annuels de 2,8 milliards d'euros en faveur de la régénération du réseau.

Bien qu'ils n'aient pas encore pu prendre connaissance de ce contrat, les premiers échos qu'ils ont pu en avoir ne rassurent pas les rapporteurs spéciaux qui craignent qu'il ne donne pas de véritable perspective à SNCF Réseau . Il ne semble pas devoir donner une vision claire du périmètre du réseau qui restera géré à terme par SNCF Réseau et de celui qui, au contraire, pourrait avoir vocation à être transféré aux régions. L'enjeu de régénération dans les années à venir dépend pourtant très largement de ce paramètre déterminant .

L'État doit être en mesure de donner une ligne claire et une stratégie lisible sur l'avenir du réseau ferré national. Par ailleurs, il semble qu'aucun modèle de financement des programmes de modernisation du réseau ne soit prévu dans ce contrat. Les rapporteurs spéciaux ne peuvent qui très vivement le regretter au regard des enjeux nationaux et européens de ces programmes.

Par ailleurs, alors que les dépenses de régénération sont probablement insuffisantes et peut-être pas garanties à terme et que le financement de la modernisation du réseau reste un total impensé, les rapporteurs spéciaux ne cachent pas leur étonnement que de nouveaux investissements dans des lignes à grande vitesse aient été annoncés cette année en dépit des engagements à privilégier la régénération du réseau existant et les mobilités du quotidien. Ils émettent des doutes sur le modèle de financement de ces projets .

2. Les crédits d'intervention pour SNCF Réseau augmentent de près de 100 millions d'euros

SNCF Réseau et le programme 203 « Infrastructures et services de transport » entretiennent des liens budgétaires très étroits dans la mesure où l'action 41 « Ferroviaire » , dont la part représente à elle seule 67 % des crédits dudit programme , est dotée, en 2022, de 2 563,1 millions d'euros en AE et 2 564,2 millions d'euros en CP . Ces crédits d'intervention en faveur de SNCF Réseau progressent respectivement de 3,9 et 4 % par rapport à leurs niveaux de 2021.

Ces crédits d'intervention servent à financer le coût de l'utilisation du réseau ferré national par les trains régionaux de voyageurs (TER), les trains d'équilibre du territoire (trains Intercités) et les trains de fret .

En 2022, SNCF Réseau devrait ainsi percevoir :

- 1 892 millions d'euros (AE=CP) pour les redevances d'accès au réseau relatives aux TER hors Île-de-France , soit une baisse de 9,6 % par rapport à 2021 ;

- 537 millions d'euros (AE=CP) pour le paiement de la redevance d'accès facturée par SNCF Réseau pour l'utilisation du réseau ferré national hors Île-de-France par les trains d'équilibre du territoire (TET), dont l'État est l'autorité organisatrice (voir infra ), soit une augmentation de 100 % par rapport aux 260,0 millions d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2021 ;

- 133 millions d'euros au titre de la « compensation fret » qui vise à couvrir l'utilisation du réseau ferré national par les trains de fret , incluant notamment une contribution au financement du coût marginal du fret pour SNCF Réseau conformément aux normes européennes .

En 2022, la compensation fret prise en charge par l'État doit ainsi augmenter de 23 millions d'euros (+ 20,1 %) .


* 18 Dans un passé récent, l'État a clairement privilégié la construction de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV), qui ont monopolisé les ressources financières, mais également les ressources humaines de SNCF Réseau et de ses sous-traitants.

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