LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale a adopté un amendement de crédit, qui vise à abonder de 50 000 euros supplémentaires le programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soin » pour développer la recherche sur le cancer de la prostate. Il s'agit de la seule modification apportée par l'Assemblée nationale.

Si le rapporteur spécial partage l'objectif d'améliorer la recherche sur ce cancer, qui est un véritable enjeu de santé publique, la somme prévue est très faible .

En outre, cet amendement de crédits ne change pas les problèmes d'organisation structurels de la mission .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 2 novembre 2021, sous la présidence de M. Dominique de Legge, vice-président, la commission a examiné le rapport de M. Christian Klinger , rapporteur spécial, sur la mission « Santé ».

M. Christian Klinger , rapporteur spécial de la mission « Santé » . - En 2022, les crédits de la mission « Santé » diminuent de 1,6 %, passant de 1,32 milliard à 1,299 milliard d'euros.

Cette mission est composée de deux programmes : le programme 204, dédié à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, et le programme 183, consacré à la protection maladie et dont la quasi-intégralité des crédits est désormais consacrée à l'aide médicale de l'État (AME).

Ces deux programmes sont toutefois déséquilibrés : le programme 204, via des mesures de périmètre, a peu à peu perdu l'essentiel de ses dispositifs. Il ne représente aujourd'hui plus que 212,9 millions d'euros, soit 16,3 % des crédits de la mission « Santé ». Les dépenses d'intervention du programme 183 ont en revanche fortement augmenté. La mission est ainsi aujourd'hui concentrée sur le financement de l'AME : 82,6 % des crédits demandés en 2022, soit 1,087 milliard d'euros, lui sont dédiés.

La mission a également perdu la majorité de ses opérateurs, dont Santé publique France en 2020. Il n'en reste aujourd'hui que deux : l'Institut national du cancer (INCa) ainsi que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Par ailleurs, plus de 50 % du budget de l'INCa est financé via la mission « Recherche ». Les dépenses de personnel de l'Anses sont, quant à elles, prises en charge par la mission « Agriculture ».

Je vais à présent détailler les évolutions pour chacun des deux programmes, en commençant par le programme 185 relatif à la protection maladie.

Comme je l'ai déjà souligné, 99,3 % des crédits du programme sont consacrés à l'AME. Les crédits demandés pour celle-ci sont en augmentation de 2,1 % par rapport à l'année dernière, et s'élèvent à 1,087 milliard d'euros. Il faut relever que l'aide médicale de droit commun - c'est-à-dire l'aide médicale hors soins urgents et hors humanitaire - dépasse pour la première fois la barre du milliard d'euros.

Je vous rappelle qu'une réforme adoptée en loi de finances pour 2020 sur l'initiative du Gouvernement devait en limiter le coût. Il a notamment été instauré une obligation de résidence, hors visa, de trois mois, ainsi qu'une obligation de présence physique lors de la demande de l'ouverture des droits à l'AME. Notre commission avait jugé à l'époque cette réforme insuffisante.

Dans le projet de loi de finances pour 2021, nous avions déjà pu constater une forte majoration des crédits destinés à l'AME : ils progressaient de 15,4 % par rapport à 2020. Face à ce constat, il nous a été répondu que la crise sanitaire avait bouleversé l'application de la réforme. Il est vrai que des décrets d'application n'avaient pas encore été pris, et que le statut de bénéficiaire avait fait l'objet de plusieurs extensions.

Toutefois, nous pouvons constater dans ce budget une nouvelle majoration des crédits de l'AME, alors que nous pouvons espérer que la crise sanitaire est en grande partie derrière nous. On ne peut qu'en déduire l'insuffisance de la réforme de 2020.

Plus que jamais, le dynamisme des dépenses de l'AME incite à l'adoption de mesures structurelles réellement efficaces, visant le panier de soins, afin de limiter sa progression, répondre à l'impératif de sincérité budgétaire et garantir la soutenabilité de la mission.

S'agissant du programme 204, la crise nous a rappelé l'importance des termes qui composent l'intitulé de ce programme : « prévention, sécurité sanitaire et offre de soins. » Ils représentent tous des aspects majeurs d'une politique publique de santé, mais l'ironie est que ce programme y joue malheureusement une part très faible. En effet, près de la moitié de ses crédits sont tournés vers le financement de deux sous-actions : l'agence de santé de Wallis-et-Futuna et le fonds d'indemnisation des victimes de la Dépakine.

À ce titre, l'augmentation des crédits accordés à l'agence de santé de Wallis-et-Futuna répond aux critiques répétées du Sénat concernant sa sous-budgétisation antérieure à 2020. Elle ne saurait cependant se substituer à la mise en oeuvre de réformes structurelles, qui restent à ce jour incomplètes. Quant au fonds d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, les crédits accordés sont conformes aux prévisions.

Toujours est-il que ces deux sous-actions concentrent près de la moitié des crédits du programme, alors qu'elles ne représentent pas des aspects majeurs d'une politique de santé et qu'il y a même plusieurs arguments pour les déplacer dans une autre mission. Il s'agit en outre de dépenses qui sont, par nature, peu pilotables. En somme, la mission « Santé » semble se réduire à un vecteur budgétaire de l'AME. Cela interroge sur l'intitulé même de la mission : que penser d'une mission « Santé » dès lors que l'essentiel de la politique de santé publique se déroule en réalité en dehors d'elle ?

De manière plus inquiétante, cet état de fait pose la question du contrôle parlementaire sur les crédits accordés aux politiques publiques de santé.

La Cour des comptes a recommandé à plusieurs reprises de distinguer clairement entre les dépenses dont les financements relèvent d'une logique contributive, comme sont censées l'être celles de l'assurance maladie, et les dépenses qui relèvent du budget de l'État, ce qu'est supposée représenter la mission « Santé ». Or c'est tout l'inverse qui se produit. La mission « Santé » est réduite à peau de chagrin, et de nombreux dispositifs financés directement par le budget de l'État sont intégrés à l'assurance maladie.

À ce titre, la question récurrente de l'opportunité du maintien ou non de la mission « Santé » est devenue quasiment sans objet : la mission est déjà devenue, si on fait abstraction de l'AME, une coquille vide.

Compte tenu des éléments que je viens d'évoquer, je considère que les crédits de la mission ne peuvent faire l'objet d'une adoption. Au regard de l'absence d'évolution depuis l'année dernière, je vous propose donc de les rejeter.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je remercie le rapporteur, qui ne fait que confirmer nos observations de l'année dernière sur le côté « famélique » de cette mission.

S'agissant de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, quelles propositions de réforme ont été envisagées ? Quels sont les obstacles à leur mise en oeuvre ?

M. Christian Klinger , rapporteur spécial . - Un projet stratégique quinquennal a été établi en 2016 : quinze mesures avaient été proposées pour parvenir à une maîtrise des coûts. Elles étaient de natures diverses : création d'un secrétariat général et d'un pôle de prévention, recrutement d'un diététicien, d'un épidémiologiste et d'un médecin de santé publique, renforcement du développement de la télémédecine. L'administration nous a transmis pour la première fois un bilan des mesures mises en place. La télémédecine est notamment en cours de déploiement dans le cadre du projet de convention avec le centre hospitalier universitaire de Rennes. On peut regretter que certaines mesures n'aient néanmoins pas été prises : il n'y a pas eu de recrutement d'épidémiologiste et de diététicien. Il s'agit pourtant d'enjeux de santé publique majeurs dans le Pacifique. La création de ces postes permettrait d'élaborer un véritable pôle de prévention et de santé publique au sein de l'agence.

Se pose aussi la question du maintien de cette sous-action dans la mission « Santé » et de l'opportunité de son transfert à la mission « Outre-mer ». Une grande part des dépenses de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna provient de l'évacuation des patients en Nouvelle-Calédonie.

M. Roger Karoutchi . - Je me demande pourquoi la mission « Santé » existe toujours, alors qu'elle ne comprend plus que l'AME. On devrait l'appeler mission « AME », ce serait plus simple ! La réduction du périmètre de cette mission est désolante.

S'agissant de l'AME, j'ai fait voter par le Sénat des mesures pour en faire une aide médicale d'urgence. Le projet de loi de finances pour 2022 est illusoire : les mouvements migratoires ont été ralentis en 2020-2021, mais ils ont repris depuis juillet dernier : le chiffre de 1,087 milliard d'euros est irréaliste. N'importe quel spécialiste sait qu'il faudrait au moins 1,2 milliard d'euros. Le Gouvernement avait fait une réforme a minima il y a deux ans qu'il n'applique pas. La situation est explosive. Pourquoi le Gouvernement n'accepte-t-il pas de se mettre autour de la table pour imaginer une réforme qui soit humaine et qui permette de maîtriser la dépense publique ? Quand j'évoquais il y a quelques années le moment où on en arriverait au milliard d'euros, Mme Touraine m'avait répondu que j'extrapolais pour faire de la démagogie...

M. Sébastien Meurant . - L'aide médicale « de l'État » sert à des personnes qui ne devraient pas être sur le territoire. À l'heure où nous n'avons pas d'argent pour les hôpitaux, cela devrait nous interroger. Et je ne parle même pas des territoires qui sont encore plus à part dans le fonctionnement de la République française : Mayotte et la Guyane. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la situation dans ces deux territoires ?

On constate une augmentation des flux de migrants par les Pyrénées-Orientales, qui conduira à une hausse des dépenses de l'AME.

Mme Isabelle Briquet . - Je partage le manque d'enthousiasme du rapporteur. Le Gouvernement n'a pas de stratégie globale et n'attribue pas les crédits nécessaires aux deux programmes. Le budget consacré à la prévention et l'offre de soins baisse entre 2021 et 2022, ce qui confirme la tendance à l'appauvrissement de cette mission.

Le Gouvernement continue de transférer des dépenses relevant de l'État, et donc de l'impôt, de cette mission à l'assurance maladie, parfois sans compensation. Je pense, par exemple, aux crédits dédiés à la modernisation de l'offre de soins, aux projets régionaux de santé, à la prévention...

M. Christian Klinger , rapporteur spécial . - S'agissant de l'AME, rien de neuf sous le soleil ! Il est difficile de réduire le panier de soins ; et mettre en place l'aide médicale d'urgence est un signe politique que le Gouvernement doit envoyer, ce qu'il ne fait pas. Les dépenses de l'AME vont continuer de croître.

La question doit être posée : doit-on la rattacher à la mission « Immigration » ? Car les deux sont évidemment liés, et maîtriser l'immigration contribuera forcément à réduire le budget de l'AME. Une augmentation de 30 % du nombre d'étrangers en France a un impact de 50 % sur le budget de l'AME : l'augmentation est exponentielle.

Il faut donc mener une réforme de fond en comble de cette politique. Il est vrai que le sujet est délicat. Lorsqu'un médecin reçoit un blessé dans un hôpital, il fait son métier : il soigne ! Il ne va pas demander à cette personne si elle est en France depuis plus de trois mois, d'autant qu'il n'existe aujourd'hui aucun critère restrictif.

Nous avons bien entendu organisé des auditions sur ce sujet et nous avons regardé comment s'organisent les autres pays européens. Or certains ont réduit le panier de soins. C'est donc possible, mais tout cela dépend de la volonté politique.

En ce qui concerne le changement de périmètre de la mission, ce mouvement a commencé en 2015, avec un transfert de 134 millions d'euros de dépenses liées aux formations médicales. Depuis lors, d'autres transferts ont été organisés vers l'assurance maladie. Ainsi, la loi de finances pour 2020 a procédé au transfert à l'assurance maladie des dépenses de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour 156 millions d'euros et de celles de l'Agence nationale de santé publique pour 112 millions d'euros.

La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Santé ».

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Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission.

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