LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 25 janvier 2022

- Commission d'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) : MM. Michel JEANNOUTOT , président, et Jérôme BENEZECH , directeur.

- Conseil des ayants droit de M. David Cender (article 4) : Maître Melina WOLMAN , avocat à la cour, cabinet Pinsent Masons France LLP.

- Mairie de Sannois : M. Bernard JAMET , maire, Mmes Valérie FERRARI , directrice du cabinet, et Nathalie LECA , responsable du service culturel.

- Représentant des ayants droit de Nora Stiasny (article 1 er ) : Maître Alfred NOLL , professeur de droit, avocat.

- Ayant droit de M. Georges Bernheim (article 3) : M. Vincent TILLIER .

- Représentante des ayants droit de M. Armand Dorville (article 2) : Maître Corinne HERSHKOVITCH , avocate à la cour, cabinet Corinne Hershkovitch.

Jeudi 27 janvier 2022

Audition commune :

. du Cabinet de la ministre : MM. Jean-Baptiste DE FROMENT , conseiller spécial en charge du patrimoine, de l'architecture et de la prospective, et Tristan FRIGO , conseiller technique en charge des relations avec le Parlement ;

. de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 : M. David ZIVIE , responsable de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés 1933-1945 ;

. et du Service des musées de France : Mme Claire CHASTANIER , adjointe au sous-directeur des collections du service des musées de France.

Mardi 1 er février 2022

- Institut national d'histoire de l'art (INHA) : M. Éric de CHASSEY , directeur général.

- Musée d'Orsay : M. Christophe LERIBAULT , président, Mmes Virginie DONZEAUD , administratrice générale adjointe, et Sylvie PATRY , directrice de la conservation et des collections, et M. Emmanuel COQUERY , adjoint à la directrice de la conservation et des collections.

Jeudi 3 février 2022

- Mme Emmanuelle POLACK , historienne de l'art, spécialiste de l'art sous l'Occupation, chargée de mission au musée du Louvre sur les oeuvres acquises par ce musée entre 1933 et 1945.

- Musée du Louvre : Mme Néguine MATHIEUX , directrice de la recherche et des collections.

- Musée national d'art moderne (MNAM) : M. Xavier REY , directeur.

- Association des généalogistes : MM. Cédric DOLAIN , président, et Gérald POSTANSQUE , secrétaire général.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl21-395.html

ANNEXE

Audition de M. David Zivie, responsable de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du ministère de la culture

MERCREDI 19 JANVIER 2022

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M. Laurent Lafon , président . - Nous accueillons ce matin M. David Zivie qui dirige, depuis sa création en avril 2019, la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 rattachée au secrétariat général du ministère de la culture.

Monsieur Zivie, vous travaillez depuis maintenant plusieurs années sur la question des biens culturels spoliés. Vous avez été chargé en 2017 par la ministre de la culture de l'époque, Audrey Azoulay, de dresser l'état des lieux des avancées et des points à améliorer dans le traitement par la France des oeuvres et des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations. Votre rapport, remis en 2018 à Françoise Nyssen, a conduit le Gouvernement à souhaiter revoir l'organisation interministérielle pour donner un coup d'accélérateur aux restitutions de biens spoliés. C'est ainsi que fut créée la mission que vous dirigez aujourd'hui et que les pouvoirs de la Commission d'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) furent renforcés.

Nous sommes ravis de vous recevoir aujourd'hui à un double titre.

D'abord pour que vous nous fassiez partager votre travail. Quel est le rôle de cette nouvelle cellule ? Pourquoi dépend-elle du secrétariat général du ministère de la culture ? Quelle est son articulation avec la CIVS ? Quels progrès avez-vous enregistrés en trois ans ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté ? Vous connaissez l'intérêt de notre commission pour ces questions. Le rapport de Corinne Bouchoux en 2013 avait pointé du doigt les insuffisances en termes de recherche de provenance et appelait de ses voeux une « dynamique muséale » en la matière.

Ensuite, actualité législative oblige, nous souhaiterions aborder avec vous le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, que l'Assemblée nationale doit nous transmettre la semaine prochaine, une fois qu'elle en aura achevé l'examen. Si vous le voulez bien, peut-être pourriez-vous déjà nous en dire quelques mots dans votre intervention liminaire, avant que notre collègue, Béatrice Gosselin, qui en sera la rapporteure, ne vous pose des questions plus spécifiques à son sujet.

M. David Zivie, responsable de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du ministère de la culture . - Je suis très honoré d'être entendu par votre commission. Je dois d'abord vous dire que de nombreuses autres personnes travaillent sur le sujet des spoliations, que ce soit au ministère de la culture, dans les musées et institutions culturelles ou à la CIVS. Il s'agit donc d'un travail d'équipe que nous menons aussi avec les familles et les ayants droit.

La mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 a été créée en 2019, vous l'avez dit, monsieur le président, à la suite de plusieurs travaux de réflexion, dont celui mené par Mme Bouchoux au Sénat. À l'occasion de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, en 2018, le Premier ministre avait demandé à ce que les efforts de recherche des biens conservés dans les collections publiques soient accentués. Il avait demandé de « faire mieux » pour une question d'honneur et de dignité de l'État. Cette volonté politique a permis de créer un service ad hoc chargé d'animer ces recherches et de mobiliser les professionnels et les différents acteurs concernés. Il s'agit, j'insiste sur ce point, d'une véritable politique publique de réparation et de mémoire.

La CIVS constitue un autre volet de ce dispositif. Créée en 1999 et placée auprès du Premier ministre, elle émet des recommandations en matière d'indemnisation ou, lorsque cela est possible de restitution. En 2018, un décret a élargi ses compétences en lui conférant notamment la capacité de s'autosaisir.

Cette politique publique s'inscrit dans la lignée des décisions prises par Jacques Chirac, lorsqu'il était Président de la République, et des recommandations de la mission que Jean Mattéoli a conduite entre 1997 et 2000 ; elle s'inscrit aussi en collaboration avec la Fondation pour la mémoire de la Shoah.

Notre mission est rattachée au ministère de la culture, mais il faut toujours rappeler que les biens culturels ne constituent qu'une petite partie des spoliations subies dans le cadre du projet nazi d'éradication des Juifs d'Europe.

Le rattachement au secrétariat général du ministère permet de développer une vision transversale. Nous travaillons avec les différents services concernés au sein du ministère : le service des musées de France, mais aussi le service du livre et la lecture - parmi les biens spoliés, on compte de nombreux livres. Ce rattachement permet aussi de répondre à la critique ancienne, mais qui me semble dorénavant dépassée, selon laquelle le ministère serait juge et partie et aurait des réticences à restituer des biens.

Nous sommes chargés de travailler sur les oeuvres conservées dans les collections publiques, que ce soit sur ce qu'on appelle les MNR (Musées Nationaux Récupération), qui sont des oeuvres récupérées en Allemagne après la guerre, ou sur des oeuvres entrées légalement dans les collections, mais dont le parcours est problématique. Nous devons aussi répondre aux demandes des familles, qui font souvent elles-mêmes des recherches. Enfin, notre mission est chargée de présenter ces oeuvres, de raconter leur histoire et de sensibiliser le public.

Nous nous occupons par ailleurs de développer les formations sur ces questions et nous instruisons des dossiers individuels à la demande soit de musées soit de familles, ce qui inclut le cas échéant la recherche d'ayants droit.

Il reste beaucoup de travail à faire sur les MNR, qui restent au nombre d'environ 2 000. Depuis la guerre, 175 oeuvres ont été restituées, dont 40 % durant les dix dernières années, ce qui dénote une certaine accélération. Nous pensons en restituer entre 25 et 30 en 2022.

Mais, fait nouveau des dernières années, nous travaillons aussi sur les oeuvres achetées par les musées tant entre 1933 et 1945 que postérieurement à la guerre ; leur provenance doit être étudiée. Le musée du Louvre a lancé une vaste étude sur cette question, mais nous travaillons aussi avec d'autres musées - le musée d'Orsay, le musée national d'art moderne et des musées de taille plus modeste comme le musée Faure d'Aix-les-Bains ou le musée des Beaux-arts de Rouen. Les investigations sont difficiles. Ce travail sur l'ensemble des oeuvres achetées depuis 1933 est titanesque et nous devons identifier les oeuvres qui ont ce que nous appelons un « trou » dans la provenance. Lorsqu'un musée procède à une acquisition, il faut vérifier précisément la provenance de l'oeuvre.

Nous avons de nombreux partenaires en France et dans le monde. Les oeuvres circulent, elles sont disséminées et il nous faut aussi travailler avec les acteurs du marché de l'art, notamment pour les repérer lorsqu'elles sont mises en vente.

J'en viens maintenant au projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites. C'est un texte très important. Il autorise la sortie du domaine public d'oeuvres spoliées ou acquises dans des conditions troubles. C'est le premier exemple de texte de ce type, même si on peut le rapprocher de la loi du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal - les conditions historiques sont évidemment profondément différentes, mais la rédaction utilisée dans les articles du projet de loi que vous allez examiner se rapproche de celle de cette loi.

Ce projet de loi concernait quatorze oeuvres à l'origine ; une a été ajoutée lors des travaux de l'Assemblée nationale. Il raconte quatre « romans » pour reprendre le terme employé par la ministre en commission des affaires culturelles à l'Assemblée nationale.

L'article 1 er prévoit de faire sortir des collections nationales le tableau de Gustav Klimt intitulé « Rosiers sous les arbres », conservé par le musée d'Orsay. Cette oeuvre, achetée par l'État en 1980, a en effet fait l'objet d'une spoliation dans le cadre des persécutions antisémites perpétrées par les nazis en Autriche après l'Anschluss : la propriétaire de ce tableau, Eleonore Stiasny, a été contrainte de le vendre en août 1938 à Vienne pour un prix dérisoire afin de tenter de faire face aux taxes et impôts imposés à la population juive.

L'article 2 prévoit de faire sortir des collections nationales douze oeuvres issues de la collection d'Armand Dorville vendues lors d'une vente publique en juin 1942.

L'article 3 prévoit de faire sortir des collections de la ville de Sannois un tableau de Maurice Utrillo intitulé « Carrefour à Sannois ». Cette oeuvre, achetée par la ville en 2004, s'est révélée avoir été volée par le service allemand de pillage des oeuvres d'art, le Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) dirigé par Alfred Rosenberg, au collectionneur et marchand Georges Bernheim à Paris en 1940.

Enfin, l'article 4, ajouté à l'Assemblée nationale à la suite de recherches achevées récemment, concerne un tableau de Marc Chagall intitulé « Le Père » et conservé dans les collections nationales placées sous la garde du Musée national d'art moderne. Cette oeuvre s'est révélée avoir été volée à Lodz, en Pologne, à David Cender pendant ou après le transfert des Juifs vers le ghetto de la ville en 1940.

J'ajoute que nous n'avons pas besoin de loi pour restituer des MNR, car ces oeuvres sont considérées comme ne faisant pas partie des collections publiques.

Ce projet de loi constitue, à notre sens, une première étape, car nous devons avancer. Je rappelle que la ville de Sannois a décidé il y a plusieurs années maintenant de restituer le tableau de Maurice Utrillo. Pour l'avenir, la question se pose de savoir si nous devons disposer d'un dispositif législatif cadre pour faciliter les restitutions ou si nous devons procéder au cas par cas. La ministre est plutôt favorable à la première solution, plus souple, mais il n'est pas simple d'écrire un tel dispositif, car il faut définir précisément le champ des oeuvres concernées, mais aussi le champ temporel ou géographique. De nombreux députés se sont exprimés en faveur d'une loi-cadre, mais nous avions besoin de cette première étape. C'est l'objet de ce projet de loi.

Mme Béatrice Gosselin , rapporteure . - Notre commission examinera dans trois semaines le projet de loi dont débattent actuellement nos collègues députés. Il est important d'aller rapidement sur ces sujets, parce que le temps passe et que les recherches sont de plus en plus difficiles. Il s'agit d'un texte à la fois essentiel et sans précédent.

Essentiel, parce qu'il devrait permettre à notre pays de contribuer à la mémoire des victimes des persécutions antisémites, en restituant à leurs ayants droit quinze oeuvres appartenant à nos collections publiques.

Sans précédent, parce qu'il s'agit du premier texte visant à faire sortir des biens spoliés des collections que le Parlement aura à examiner.

L'étude d'impact de ce texte est à la fois très fournie et d'une grande qualité. Il me semble qu'elle permet de répondre à l'essentiel des interrogations que nous pourrions avoir. Je voudrais cependant vous poser trois séries de questions.

Dans son avis sur ce projet de loi, le Conseil d'État s'interroge, en ce qui concerne l'article 2, sur le caractère éventuellement prématuré de la remise des oeuvres aux ayants droit d'Armand Dorville, compte tenu de l'action en justice qu'ils ont parallèlement intentée l'été dernier pour obtenir la nullité de la totalité de la vente de juin 1942. Le Conseil évoque également le risque de créer un précédent sur la validité des ventes conduites à l'époque dans des circonstances analogues. Ces deux interrogations vous paraissent-elles fondées ?

J'en viens maintenant au débat autour d'une éventuelle loi-cadre. Vous recommandiez, dans votre rapport de 2018, de modifier le code du patrimoine pour permettre d'annuler l'entrée dans les collections publiques des oeuvres qui se révèlent spoliées et ne relèvent pas de la catégorie spécifique des MNR. Il est évident qu'une disposition-cadre permettrait d'accélérer sensiblement le rythme des restitutions des oeuvres spoliées, ce qui est souhaitable. Mais ce projet de loi nous montre combien les cas sont divers. Les spoliations ont des natures multiples et ne sont pas forcément intervenues sur le sol français. Comment parvenir à définir des critères à la fois suffisamment précis pour rendre possibles des dérogations au principe d'inaliénabilité des collections et suffisamment larges pour ne pas faire obstacle à certaines restitutions ? Est-ce un sujet auquel le ministère de la culture travaille actuellement ? Quels sont les critères que vous avez déjà identifiés ?

Je souhaiterais enfin vous interroger sur les axes d'amélioration, parce que nous nous rendons compte que le temps presse pour parvenir à identifier les oeuvres spoliées et répondre aux demandes des ayants droit qui se lancent aujourd'hui dans un véritable parcours du combattant, voire à les anticiper. Des progrès importants ont été faits ces dernières années. Le nombre d'oeuvres MNR restituées s'est beaucoup accru. Mais ce projet de loi nous le prouve, la question ne se résume pas aux seules oeuvres MNR. Quels sont les documents sur lesquels il est possible de s'appuyer pour ce travail d'identification ? Les archives sont-elles désormais suffisamment ouvertes ? Les moyens consacrés à la recherche sont-ils suffisants ? Faudrait-il former davantage de chercheurs ? Les exemples étrangers (Allemagne, États-Unis, Israël...) peuvent-ils être une source d'inspiration en termes de méthodologie, de moyens ou de formation ?

M. David Zivie . - En ce qui concerne l'article 2 du projet de loi, le contexte est complexe et il a fallu longtemps pour le caractériser. La vente des douze oeuvres en question a été organisée par la succession du collectionneur Armand Dorville, un avocat français juif, à la suite de son décès qui a eu lieu en zone Sud, mais elle a été placée sous administration provisoire par le Commissariat général aux questions juives. L'État a donc conservé le produit de la vente ; certes, il a ensuite proposé, au bout de quelques mois, et de manière surprenante, de le remettre à la famille, mais plusieurs des membres de celle-ci avaient entre-temps été arrêtés - ils seront déportés et assassinés. Après la guerre, selon les documents dont nous disposons, la vente elle-même n'a pas été remise en cause par les héritiers de la famille qui en ont finalement perçu le produit.

La CIVS a considéré que l'État, présent à la vente par l'intermédiaire du chef du département des peintures du Louvre, représentant la direction des musées nationaux, a acheté ces douze oeuvres en ayant connaissance du caractère particulier des circonstances de la vente ; elle a estimé que cette vente n'était pas spoliatrice, mais qu'elle avait eu lieu dans un contexte « trouble ». Compte tenu de ces circonstances particulières, la CIVS a proposé de « remettre » ces oeuvres, non de les « restituer ». Le Premier ministre a suivi cette recommandation.

La famille souhaitait pour sa part faire constater la nullité de la vente, ce qui permettrait la restitution d'autres oeuvres entrées dans les collections publiques après la guerre. Selon nous, ce contentieux est indépendant du projet de loi et nous poursuivons finalement le même objectif. De deux choses l'une : si le juge donne raison à la famille, l'État pourra remettre ces oeuvres grâce à l'adoption du texte qui va vous être soumis ; si le juge la déboute, l'État considère de toute façon qu'il faut les lui remettre. J'ajoute que la famille ne remet pas en cause la décision de l'État ; elle assigne l'État selon une autre procédure que celle que nous suivons avec ce projet de loi.

En ce qui concerne la mise en place d'un autre dispositif, plus général, visant à faciliter les restitutions, des réflexions sont en cours, mais il n'y a pas d'arbitrage à ce stade. Dans mon rapport, je proposais, sur le modèle de ce qui a été adopté dans le cadre de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, de permettre à l'État de saisir le juge pour que celui-ci constate, ou non, la nullité de l'entrée de certaines oeuvres dans les collections publiques. Néanmoins, d'autres solutions existent et je ne suis plus favorable, à titre personnel, à la mesure que je proposais alors.

La question des critères est évidemment importante. Par exemple, la CIVS est aujourd'hui compétente pour les seules spoliations intervenues sur le territoire français pendant l'occupation, quelle que soit la nationalité des personnes spoliées. Or certaines oeuvres présentes dans nos collections ont été spoliées ailleurs ou à un autre moment et il faudrait prendre en compte cette situation. Vous le voyez, il est nécessaire de bien calibrer le dispositif pour ne pas embrasser trop large, tout en ne restreignant pas les possibilités de manière excessive. Plusieurs options sont sur la table et je pense que nous serons prêts assez vite maintenant.

En ce qui concerne les axes d'amélioration, j'en vois plusieurs.

Il est évident qu'il faut créer de l'intérêt dans les équipes des musées et des bibliothèques, susciter un déclic. Pour cela, nous organisons des formations avec l'Institut national du patrimoine (INP) et l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (Enssib) et il me semble que la compétence se diffuse. Un premier cursus universitaire diplômant a été ouvert à Nanterre cet hiver.

Les agents doivent aussi disposer de temps pour travailler sur de tels dossiers, ce qui est souvent difficile, car les effectifs sont nécessairement limités. Des chercheurs indépendants proposent aussi leurs services, sur le modèle de ce qui se fait en Allemagne où, pour information, les restitutions ne sont pas nécessairement plus faciles qu'en France.

S'agissant des documents, les archives sont désormais ouvertes et de plus en plus souvent numérisées, mais elles sont dispersées, tant en France qu'à l'étranger. Un exemple : nous devons aussi avoir recours aux archives diplomatiques pour ce qu'on appelle la commission de récupération artistique, un organisme créé en 1944 afin de traiter et de restituer les oeuvres d'art et les livres que le régime nazi avait spoliés en France durant l'occupation et que les alliés avaient retrouvés à la fin de la guerre à travers le continent européen.

Nous assistons en tout cas à un mouvement général dans beaucoup de pays et de nombreux musées ont lancé la revue de leurs collections. Il me semble que la clé réside dans l'échange d'informations pour éviter que nous fassions tous un peu les mêmes recherches, comme cela arrive parfois aujourd'hui. Nous devons mettre en commun nos connaissances.

M. Olivier Paccaud . - Je m'interroge sur un point précis en tant qu'agrégé d'histoire... Votre mission vise explicitement la période 1933-1945 contrairement au projet de loi qui ne comporte, dans son intitulé tout du moins, aucune date. Il est vrai que l'arrivée d'Hitler au pouvoir en janvier 1933 va très vite être suivie de mesures tenant à réduire les droits des Juifs, mais avez-vous des exemples de spoliations subies dès 1933 ? Il s'agit de ma part d'une simple curiosité historique.

M. Pierre Ouzoulias . - Le travail que vous menez est exemplaire ; il montre combien les recherches historiques sont indispensables avant qu'il ne puisse être question de proposer des solutions au Parlement, lorsqu'il est question de sortir des oeuvres des collections publiques. Vous avez compris que nous aurions aimé disposer d'un tel travail avant l'examen du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal...

Il ne peut être question de faire une comparaison entre les deux situations et contextes historiques et je me situe uniquement d'un point de vue juridique. D'un côté, le ministère de la culture semble considérer que la loi-cadre ne permet pas d'énoncer des critères opératoires au regard de la diversité des situations rencontrées et du risque d'incompétence négative du législateur - c'est ce qui est indiqué pour ce texte dans l'étude d'impact et c'est d'ailleurs la position de notre commission ! De l'autre, le ministère explique qu'une loi-cadre est possible pour la restitution des oeuvres africaines. Nous ne pouvons qu'être surpris... Je ne comprends pas, en droit, ce qui justifie la différence de traitement entre les deux dossiers.

Sur le fond, je comprends de votre intervention que le Gouvernement a acté un changement de doctrine sur ce qui constitue une oeuvre spoliée. Jusqu'à présent, on considérait surtout comme spoliées celles que le III e Reich avait saisies en France, éventuellement avec l'aide du Gouvernement français.

Désormais, la prise en compte du contexte particulier des lois antisémites donne lieu à une nouvelle approche. Certaines ventes ayant eu lieu sous l'Occupation s'apparentent à du dol. Le domaine de compétences de la commission s'est ainsi élargi après 1945. Par la loi du 22 juillet 1940, le Gouvernement pétainiste a déchu de nombreux juifs de leur nationalité. Beaucoup de juifs envoyés dans les camps étaient donc de fait étrangers, devenus apatrides et expulsés pour cela. Vous l'aurez compris, je me réfère à un discours récent. Or, quand on est déchu de sa nationalité, en droit français, on ne nous octroie plus les mêmes conditions de vente, ce qui signifie que les légitimes propriétaires ne pouvaient donc plus bénéficier de la protection juridique accordée aux Français. Cette nouvelle doctrine exige de vous un travail pour examiner la nature du marché de l'art pendant cette période, sachant que des musées nationaux ont ensuite pu racheter certaines des oeuvres vendues à l'époque.

Cette extension de compétences donne le vertige et le champ ainsi ouvert est immense. Vous avez raison : le Louvre ne doit pas s'arrêter en 1945. Y a-t-il un programme au sein du ministère de la culture pour renforcer ces moyens ?

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je vous remercie d'avoir rappelé que notre ancienne collègue Corinne Bouchoux a été à l'origine de la mise en lumière de ces sujets et de cette trop lente réparation. Je salue son travail, occasion d'une prise de conscience pour notre commission.

Les choses semblent enfin bouger. Monsieur Zivie, vous accomplissez un travail important avec les moyens dont vous disposez. Vous avez évoqué le rôle du musée du Louvre et d'autres, dont celui de Rouen, ainsi que la formation des élèves de l'INP. Quels sont le cadre et le rythme de cette formation ? Beaucoup de musées sont-ils concernés en France ? Les élus des collectivités territoriales, gestionnaires de ces musées, ont-ils été sensibilisés à la question ? Ce sujet n'a en effet jamais été évoqué dans le cadre du conseil des territoires pour la culture, avec la ministre, alors que les tutelles devraient être sensibilisées à cette cause nationale.

Sur la recherche de provenance, certaines oeuvres qui avaient fait l'objet de spoliations sur le territoire français se trouvent sans doute aujourd'hui à l'étranger. Quelles actions sont déployées dans ce domaine ?

Enfin, pour aller dans le sens des propos de Pierre Ouzoulias, vous évoquez les difficultés à élaborer une loi-cadre. Estimez-vous pour autant qu'une loi-cadre est impossible ?

M. Max Brisson . - Je partage les propos de Pierre Ouzoulias et de Catherine Morin-Desailly.

Béatrice Gosselin a dit notre appréciation générale sur la loi présentée à l'Assemblée nationale et sur ses limites, et vous nous avez apporté des réponses.

Vous avez dit que le Sénat avait débattu d'un dispositif-cadre pour faciliter les restitutions. Ce n'est pas le cas : nous voulons que ce dispositif-cadre éclaire la représentation nationale pour éventuellement permettre certaines restitutions. Nous voulons examiner, par une démarche scientifique, chaque proposition de restitution. Nous sommes attachés à l'inaliénabilité des collections nationales et au rôle de la représentation nationale. Chaque oeuvre, chaque parcours a une histoire particulière.

Certes, comme l'a dit Pierre Ouzoulias, il n'y a pas à comparer la façon dont certains biens qui ont pu entrer dans les collections nationales à l'époque coloniale et la spoliation qui a eu lieu quand l'Europe était sous la férule nazie. Mais il est surprenant d'entendre le Président de la République parler de loi-cadre alors que vous exprimez des réserves, que je partage d'ailleurs. Généraliser reviendrait à une approche trop globale de l'histoire qui instrumentaliserait des oeuvres.

Pour les biens entrés dans nos collections durant la période coloniale, sous le Président Chirac et depuis la mission d'étude Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France, un vrai travail de réflexion scientifique, que vous amplifiez, a été mené. Dieu merci, nous ne sommes pas ici sous l'emprise du rapport Sarr-Savoy, mais plutôt dans le cadre d'une réflexion digne d'un pays qui s'est confronté à son histoire.

M. David Zivie . - Monsieur Olivier Paccaud, pour la question des dates, nous avons cherché à viser large, de 1933 à 1945. Très vite, on observe des cas de ventes forcées à la suite de mesures prises contre des citoyens allemands juifs. Par exemple, nous nous interrogeons sur la date d'un tableau vendu par une famille berlinoise à la fin de l'année 1933, dont nous considérons qu'elle peut être liée aux persécutions qu'elle a subies. En 1935 et en 1936, beaucoup de ventes ont eu lieu pour pouvoir payer les impôts permettant de quitter le pays : elles peuvent être assimilées à une spoliation. Ainsi, le musée Labenche de Brive-la-Gaillarde a indemnisé une famille pour conserver une oeuvre vendue dans ces conditions.

Il est en tout cas important de rappeler que les ordonnances de 1945 ne visent que les spoliations intervenues sur le territoire français à partir de juin 1940. Par exemple, la spoliation du tableau de Klimt date de 1938, en Autriche. En tout cas, pour des ventes à partir de janvier 1933 en Allemagne, il y a un risque de spoliation, contrairement à une vente passée avant. Pour l'heure, la loi ne couvre que quatre cas dont le plus ancien remonte à 1938.

Sur l'élargissement du champ entre les saisies, les vols et les ventes, ce n'est pas si nouveau. On s'est beaucoup intéressé à la question du pillage par les services allemands dès juin 1940, parfois aidés des services français, par exemple le dossier Utrillo, avec l'intervention de l'équipe d'intervention du Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR). La question des ventes, notamment faites sous la contrainte, organisées par Vichy et le commissariat général aux questions juives, est prise en compte depuis la création de la CIVS qui indemnise les victimes de ces ventes. Les ventes dites « d'aryanisation » sont elles aussi considérées comme des spoliations depuis longtemps.

En revanche, c'est plus compliqué à caractériser pour certaines ventes non organisées par les administrateurs temporaires de Vichy, par exemple d'un particulier vendant mal et sans traces parce qu'il doit fuir. Beaucoup de pays considèrent les familles avec une certaine bienveillance et on peut considérer qu'il n'y a pas forcément besoin de preuves absolues. Il ne faut toutefois pas considérer que tout le marché de l'art, florissant après la guerre, est concerné.

Sur vos questions relatives à la loi-cadre, je me suis peut-être mal exprimé. Nous travaillons tous ensemble, au ministère et avec les musées, sur la période coloniale et sur la spoliation des années 1933 à 1945, mais nous abordons les sujets séparément. Les questions juridiques sont souvent proches, car il faut dans tous les cas faire sortir les oeuvres du domaine public. Pour la partie coloniale, que je connais moins, l'une des dernières étapes est l'annonce en octobre par le Président de la République, au moment de la restitution des oeuvres au Bénin, d'une réflexion sur une loi générale, confiée à Jean-Luc Martinez. Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur la création d'un dispositif-cadre pour la période 1933-1945.

Cette dernière option n'a pas été retenue, comme nous l'avons précisé dans l'exposé des motifs. Cependant, pour reprendre les termes prononcés avant-hier par la ministre devant l'Assemblée nationale, nous sommes sur cette voie, qui n'est pas impossible même si j'ai exprimé certaines des questions et des difficultés que pose la rédaction d'un tel cadre, en particulier en ce qui concerne ses bornes géographiques et temporelles. Cette loi est une première étape. Peut-être aurons-nous deux cadres, un pour le volet colonial et l'autre pour le volet 1933-1945.

Sur le fait de faciliter les restitutions, je me suis mal exprimé en interprétant ce que voulait le Sénat, mais je maintiens le terme pour les biens dont on sait qu'ils ont été spoliés, comme le Klimt ou l'Utrillo de Sannois. Une fois la spoliation avérée, il pourrait être souhaitable d'accélérer les choses. Bien qu'il faille séparer les deux questions, ce travail qui dure depuis 25 ans permettra peut-être aussi de servir de modèle à ceux qui réfléchissent sur les oeuvres coloniales. J'espère avoir pu corriger les choses.

M. Max Brisson . - Je vous remercie.

M. David Zivie . - Madame Catherine Morin-Desailly, vous avez parlé du rôle des musées, avec des milliers d'oeuvres ainsi acquises. Le Louvre a commencé par les acquisitions faites de 1933 à 1945, mais aussi après 1945. C'est ce que nous avons fait aussi avec le musée national d'art moderne et le musée d'Orsay. On parle de milliers d'oeuvres. Pour Rouen, nous en sommes au début, nous en reparlerons prochainement avec son directeur Sylvain Amic, qui est enthousiaste. Le musée pourra ainsi s'appuyer sur un réseau de chercheurs pour passer en revue certaines acquisitions. Il y a d'autres initiatives, comme celle du musée Faure à Aix-les-Bains, sur un legs reçu en 1942, de l'initiative propre du musée, avec le soutien de la collectivité.

D'autres musées nous consultent à l'occasion de certaines donations. C'est par exemple le cas de celui du Havre pour la donation d'un Dufy, pour lequel je précise qu'il n'y avait pas de problème. Le mouvement n'est pas encore massif, mais ces initiatives locales sont à saluer.

Vous avez raison, il faut peut-être travailler plus systématiquement à la sensibilisation des élus en plus du travail actuel des directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Sur la formation, j'ai évoqué un nouveau diplôme universitaire. Pour les agents du ministère, dont les élèves conservateurs de l'INP, et des bibliothécaires de l'Enssib, il y a trois jours de formation obligatoire sur ce sujet, sur des cas concrets. Les deux établissements proposent aussi des formations continues. L'école du Louvre aborde aussi la question de l'histoire des collections, et un membre de l'équipe y intervient régulièrement. En outre, plusieurs universités en histoire de l'art et en droit travaillent sur la question, comme celles de Lyon et Paris II. Il devient plus rare pour des étudiants, même non spécialistes, de passer à côté du sujet.

S'agissant de l'étranger, un réseau s'est constitué entre la CIVS et des commissions équivalentes en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Pour les oeuvres spoliées en France et retrouvées à l'étranger, cela dépend de discussions entre États et avec les détenteurs. Nous sommes parfois aussi sollicités par des acteurs du marché de l'art, qui s'appuient sur notre expertise pour négocier entre le détenteur et les descendants de la famille spoliée. Nous échangeons également avec des homologues aux États-Unis et en Israël.

Mme Annick Billon . - Dans le volet gouvernance générale de votre rapport de février 2018, votre cinquième proposition était d'aider et d'assister les collectivités territoriales dans le suivi des dossiers des biens spoliés. Quelle en serait la déclinaison locale concrète et quelles collectivités en seraient les bons chefs de file ?

Ensuite, comment peut-on renforcer les liens avec le marché de l'art pour mieux lutter contre la circulation des biens spoliés ?

M. Laurent Lafon , président . - La constitution de la CIVS a été un accélérateur. Combien de familles ont déposé un dossier auprès d'elle ?

Par ailleurs, la question de la spoliation n'est plus un sujet de débat public, la doctrine s'est affinée et une organisation est en place pour répondre aux demandes et agir de manière proactive. À quel rythme pouvons-nous traiter des spoliations qui ont eu lieu il y a plus de 80 ans et quels sont les moyens mis à disposition par l'État ?

Mme Laure Darcos . - Quels sont vos rapports avec les instances juives ? En particulier, on sait que le mémorial de la Shoah est volontaire sur le sujet.

M. David Zivie . - Nous avons des exemples de collaboration avec les collectivités territoriales, je pense notamment au musée Labenche de Brive-la-Gaillarde, dont j'ai déjà parlé. Ce musée avait reçu une demande d'une famille en Allemagne, pour une tapisserie achetée durant les années 1990. Nous les avons aidés à faire les recherches nécessaires, en y associant le Louvre. Une fois la confirmation que c'était bien l'oeuvre recherchée, vendue sous la contrainte en Allemagne, nous avons aidé à la mise en relations. Si tous nous demandaient de l'aide, nous aurions du mal à y répondre mais cela se met en place.

Sur le niveau pertinent de collectivité, je pense que ce doit être avant tout la collectivité propriétaire, souvent la municipalité, mais pas toujours : il existe aussi des musées départementaux par exemple. En effet, c'est le propriétaire qui est amené, le cas échéant, à restituer l'oeuvre. Nous l'avons vu avec la ville de Sannois, dont le conseil municipal s'était à l'unanimité prononcé en faveur de la restitution.

Sur le marché de l'art, il y a de plus en plus de liens avec les grandes maisons de vente, comme Christie's, Sotheby's, Artcurial et quelques maisons de vente plus modestes en France. Les deux premières ont un service restitutions, qui passe les oeuvres en revue avant leur mise en vente. Elles nous sollicitent parfois, et nous les invitons le cas échéant à retirer des oeuvres de la vente. Certaines maisons plus petites font appel à Art Loss Register, qui recense tous les fichiers d'oeuvres volées. Nous avons nous aussi besoin des archives des maisons de vente, pour retrouver les propriétaires d'avant-guerre. Nous travaillons avec Drouot, qui a des séries complètes de catalogues de vente. Cela fonctionne bien, même si ces partenaires ont parfois du mal à révéler des informations comme le propriétaire actuel ou les acheteurs les plus récents. Sotheby's présentera d'ailleurs bientôt ses travaux au Louvre.

Sur les familles qui formulent des demandes auprès de la commission, certaines n'ont aucune information à donner. Lorsqu'elles existent, les archives des familles sont précieuses, mais nous ne les leur demandons pas spécifiquement.

Environ 170 dossiers sont ouverts à la CIVS, dont une vingtaine en fin de parcours. Une cinquantaine de dossiers sont en cours d'ouverture. Cependant, parmi eux, certains concernent des milliers de pièces volées, et d'autres beaucoup moins, mais avec très peu d'éléments d'information ou d'archives, notamment des ventes contraintes.

Quelques demandeurs deviennent eux-mêmes des chercheurs. Ainsi, Pauline Perrignon, arrière-petite-fille du collectionneur Jules Strauss, s'est plongée dans cette problématique et aide désormais d'autres familles.

Sur la rapidité et sur le rythme, nous avons élargi notre champ d'action en travaillant sur les collections. Madame Gosselin m'interrogeait plus tôt sur le risque de créer des précédents : combien d'oeuvres pourraient être concernées par une future loi, d'espèce ou cadre ? Il est impossible de le dire. S'agissant du précédent que pourrait créer le dossier Dorville, le travail du Louvre a permis de montrer que les quelques ventes ayant eu lieu pendant la guerre via un administrateur provisoire ont déjà été traitées après-guerre. En revanche, certaines oeuvres ont circulé à la même période mais dans d'autres conditions.

En termes de moyens, nous sommes six personnes et faisons appel, grâce à notre budget, qui n'existait pas avant, à des chercheurs indépendants qui doublent nos capacités. La CIVS a accès aux archives nationales et départementales sur l'ensemble des chefs de spoliation.

Désormais, nous restituons très rarement à des enfants de spoliés en raison de leur âge. Il s'agit plutôt de petits-enfants ou d'arrière-petits-enfants. Même avec l'éloignement, ces démarches recréent souvent un lien avec les générations passées, il y a un effet dans la mémoire des familles, apprécié et recherché par elles. Le temps n'est donc pas un obstacle.

Sur les organisations juives, la Fondation pour la mémoire de la Shoah est notre principal interlocuteur. Le Mémorial de la Shoah a organisé une exposition en 2019 sur ce sujet, à laquelle nous avons été associés, avec pour la première fois des prêts d'oeuvres du Louvre et du Musée d'Orsay. Je pense aussi à la Claims Conference américaine, avec laquelle nous travaillons.

Mme Sabine Drexler . - Étant élue d'Alsace, je sais que beaucoup de familles juives alsaciennes sont parties en Suisse. Je souhaite savoir si vous travaillez avec ce pays.

M. David Zivie . - Nous travaillons avec des musées suisses, dont celui de Berne, mis en avant dans l'actualité depuis des années, car c'est à lui que le marchand Cornelius Gurlitt a légué plusieurs centaines oeuvres, qui ont fait l'objet de recherches par le musée.

Un autre volet, que je connais moins, concerne les questions bancaires sur l'argent conservé en Suisse.

Toujours est-il qu'il y a bien des contacts sur place, avec le musée de Neuchâtel également. D'ailleurs, certaines oeuvres ont aussi été mises à l'abri en Suisse, sous un statut pas toujours clair : était-ce une vente de sauvetage, une vente forcée, l'acheteur en a-t-il profité ? Ces questions restent souvent posées.

M. Laurent Lafon , président . - Je vous remercie pour toutes ces explications, qui seront précieuses pour notre travail sur ce texte. Chacun dans cette commission est attentif au travail de réparation auquel notre pays se livre et vous avez notre soutien. Au-delà du projet de loi actuel, nous aurons certainement l'occasion d'en reparler.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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