CONCLUSION

Malgré ses imperfections, cette Convention constitue une avancée certaine puisqu'elle comble un vide juridique concernant la lutte contre le trafic d'organes, qui constitue la face sombre de cette avancée scientifique qu'est la transplantation d'organes.

En matière de sciences, et plus encore de transplantation d'organes, nous devons rester vigilants quant au respect de nos principes d'éthique.

Les avancées scientifiques en matière de xénotransplantations 7 ( * ) ne manqueront pas de susciter de nouvelles questions.

En décembre 2020, dans son rapport d'information au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques, l'Agence de la biomédecine a anticipé les évolutions actuelles :

« Avec la production des porcs spécifiques, la xénogreffe a sans doute franchi un cap et on observe aujourd'hui des survies de greffes porc/babouins pouvant aller jusqu'à 9 mois. Des chercheurs chinois ont affirmé être en capacité de passer a` l'étape humaine si les autorités leur permettaient. Des essais cliniques avec utilisation de cellules porcines se profilent ainsi d'ores et déjà à court terme pour des îlots de Langerhans chez des patients diabétiques, ou en greffe de cornée. »

Présentée comme un moyen de contrer la pénurie d'organes humains, la xénotransplantation soulève donc des enjeux éthiques tels que la limitation des maladies génétiques transmissibles de l'animal à l'homme, le franchissement de la barrière inter-espèce et l'adhésion sociale à la pratique. Son développement ne manquera pas de rendre nécessaire des modifications significatives sur le plan juridique, notamment en matière de réglementation relative à la recherche ou d'accès au don d'organe.

Après un examen attentif des stipulations de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 16 février 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Marie-Arlette Carlotti sur le projet de loi n° 414 (2021-2022) autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Nous sommes saisis du projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains.

Ce texte, déposé à l'Assemblée nationale en juillet 2021, a été examiné le 27 janvier 2022 seulement, soit 6 mois après. Il a été déposé le jour même au Sénat et le gouvernement avait demandé son inscription à la séance du 15 février dernier, entendant donc ne laisser au Sénat que 15 jours pour l'examiner. Le Gouvernement ayant omis d'engager la procédure accélérée, le texte a été retiré de l'ordre du jour de la séance, et nous ne savons pas aujourd'hui quand il sera examiné.

Nous avons travaillé dans des conditions extrêmement difficiles, mais il ne pourra pas être reproché à la commission d'avoir fait prendre du retard à la ratification de la Convention.

La transplantation d'organes représente une avancée scientifique considérable qui permet de sauver la vie de nombreux patients.

Mais, au niveau mondial, il existe un fort décalage entre les besoins et les organes disponibles. Ce sont 35 000 transplantations par an qui sont réalisées en Europe alors que 150 000 personnes seraient dans l'attente d'une transplantation et que des milliers de personnes meurent sans être greffées. Les délais pour obtenir un greffon sont de trois ans environ et augmentent chaque année.

C'est dans ce contexte de pénurie que se développent, depuis les années 80, les trafics et le tourisme de transplantation. L'Organisation Mondiale de la Santé estime que près de 10 000 transplantations illicites sont réalisées chaque année. Ce trafic fait partie des dix activités les plus profitables générant près de 1,4 milliard de dollars de profits par an, selon le Conseil de l'Europe.

Les victimes de ce trafic, ces donneurs malgré-eux, sont les pauvres, les mineurs isolés, les personnes vulnérables, les migrants. Tous sont exposés, comme les receveurs, à des opérations sans garantie médicale. Le plus souvent les points de trafics suivent le trajet des migrations, notamment dans les pays de transit (Égypte, Irak, Syrie) où le migrant est prêt à vendre son rein pour quelques milliers d'euros afin de continuer sa route.

Le 25 mars 2015, 14 pays ont signé en Espagne, à Saint-Jacques de Compostelle, le premier traité international de prévention et de lutte contre le trafic d'organes humains. La France l'a signé le 25 novembre 2019. Ce texte crée un délit pénal de prélèvement d'organes humains sur les donneurs vivants ou décédés, sans le consentement libre, éclairé et spécifique du donneur.

La Convention requiert l'accès équitable aux services de transplantation, des mesures de prévention et de transparence et des mesures de protection et de dédommagement des victimes. L'article 26 prévoit un mécanisme de suivi de la Convention au travers du « Comité des parties » chargé de la mise en oeuvre de la Convention et de la collecte, l'analyse et l'échange d'informations, d'expériences et de bonnes pratiques entre les États, qui doit être mis en place prochainement.

Mais cette Convention porte en elle plusieurs caractères restrictifs à cause des réserves que les États ont émises. En effet, l'article 30 donne la possibilité aux États de formuler des réserves ainsi que la possibilité à tout moment de les retirer. Sur les 26 États ayant signé la Convention à ce jour, seuls 6 ont posé des réserves, celles émises par la France sont les plus étendues. Elles sont de trois ordres et il convient de s'interroger sur leurs portées.

La première porte sur la notion de « tentative » de corruption (des articles 7 et 8 de la Convention), que le gouvernement français se réserve le droit de ne pas appliquer car la tentative de commission d'infractions n'est pas incriminée en droit pénal français. Les deux autres réserves portent sur les règles de compétence. La première ne permet pas la compétence juridictionnelle française lorsqu'une infraction est commise à l'étranger par une personne ayant sa résidence habituelle sur le territoire français. La deuxième, et plus importante réserve de compétence concerne les délits commis hors du territoire national par l'un de ses ressortissants. Dans ce cas, la France n'exercera sa compétence que si les faits sont également punis par la législation du pays où ils ont été commis et que ces méfaits ont donné lieu soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droits, soit à une dénonciation officielle des autorités du pays où ils ont été commis. Il s'agit du principe de « double incrimination ». On peut aisément concevoir qu'il ne soit pas facile pour une victime de se plaindre auprès de ceux qui ont commis le délit. Malgré la gravité des faits, la France entend conserver cette approche restrictive, en ne souhaitant pas modifier sa législation, pour ne pas porter atteinte à la souveraineté des États. Il me semble évident que les réserves émises par la France affaiblissent la portée de la Convention.

Une autre limite à la lutte contre le trafic d'organes tient à ce que nous n'avons pas d'outil performant d'évaluation et de contrôle. L'Agence de la biomédecine gère la liste nationale des malades en attente de greffe et le registre national des refus au prélèvement. Elle est chargée de réaliser une enquête tous les deux ans auprès des services de dialyses et les centres de greffe pour évaluer le recours des patients résidant en France à des greffes à l'étranger, le plus souvent pour le rein. Entre 2000-2019, l'agence de la biomédecine a recensé 81 personnes dans ce cas. Or, ces enquêtes étant anonymes et déclaratives, elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme exhaustives.

Il est donc impossible pour l'Agence de la biomédecine d'affirmer qu'aucun ressortissant français ne se soit fait transplanter au cours des 10 dernières années par l'intermédiaire d'un réseau mafieux.

La Convention de Compostelle a un autre caractère restrictif : elle n'apporte pas de réponse à la situation singulière de la Chine. Si dans la plupart des pays touchés par le trafic d'organes, c'est le crime organisé qui structure le trafic, certaines enquêtes indépendantes et témoignages soutiennent qu'en République populaire de Chine, ces actes ne seraient pas le fait d'organisations criminelles mais seraient directement organisés par l'État. Tout cela est difficile à vérifier car il est impossible de mener des enquêtes sur place. Les autorités chinoises invoquent la « non-ingérence » pour refuser toute évaluation et tout contrôle.

Enfin, cette Convention ne porte que sur les organes et exclut la transplantation de cellules, de cornées, de moelle osseuse et autres tissus humains. Nous préconisons que ces questions fassent l'objet d'un protocole additionnel.

La Convention de Compostelle du 25 mars 2015 a une large dimension internationale car elle n'est pas limitée aux États membres du Conseil de l'Europe mais ouverte à tous les pays.

De nombreux pays l'ont déjà signé :

• 26 pays ont signé la Convention ;

• Seuls 12 États l'ont ratifiée (dont le Costa-Rica qui n'est pas membre du Conseil de l'Europe).

Alors que les trafics sont aux portes de l'Europe, plusieurs pays importants n'ont pour le moment, ni signé, ni ratifié la Convention comme l'Allemagne, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas... Il est à souhaiter que la présidence française de l'Union Européenne en fasse une de ses priorités.

Mais surtout, la non-adhésion des principaux États à l'origine des trafics d'organes risque d'affaiblir considérablement sa portée.

Pour conclure, même si nous en avons souligné les limites, la Convention de Compostelle représente une avancée et marque le début d'une mobilisation de la communauté internationale contre un trafic innommable. Je propose donc à la commission d'adopter le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes.

M. André Gattolin. - Je présente toutes mes félicitations à Mme Carlotti. Ce sujet me passionne. Au sein du Conseil de l'Europe, j'ai demandé au gouvernement qu'il signe au plus vite cette convention.

On a toujours dit que le système de transplantation est un des meilleurs au monde car il repose sur des principes fondamentaux, mais il ne répond pas au problème du décalage entre « l'offre et la demande ».

Vous avez évoqué la question des 81 personnes qui sont identifiée par l'Agence de biomédecine pour être sorties des listes d'attente. Or, des ONG avec lesquelles je travaille sur ce sujet, estiment que c'est 300 personnes qui, malades, sont en attente de greffe, qui ne décèdent pas, qui n'ont pas officiellement été opérés et qui quittent ces listes. On peut considérer que c'est l'ampleur des malades qui vont se faire transplanter à l'étranger et effectivement, la Chine serait le principal pays.

Je regrette que le Gouvernement ait posé trois réserves, surtout sur la compétence territoriale de nos juridictions et sur le principe de « double incrimination ». Il faudrait procéder à une réforme de notre droit pénal, et nous devrons, à un moment, y réfléchir.

En effet, certains États dotés de régimes autoritaires, n'incrimineront probablement pas leurs propres hôpitaux, rendant inopérante la double incrimination.

On estime, selon les enquêtes indépendantes citées par la presse, qu'en Chine, le transfert d'organes représenterait un profit de plus de cinq milliards de dollars par an. On sort du domaine sanitaire pour aller vers une industrie.

Je ne peux qu'adhérer à ce qui a été dit. Il faut ratifier cette convention. Mais je rappelle que ce n'est pas la seule convention. Il y en a d'autres du Conseil de l'Europe qui sont en attente de ratification par la France.

Au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nous veillons à ce que la France soit en cohérence avec ses engagements, et nous incitons nos pays partenaires à se mobiliser.

La ratification de cette convention est un premier pas, qui ne résout toutefois pas le fond du problème de ces trafics d'organes internationaux, même si l'on peut comprendre une victime qui n'a pas d'autres solutions que d'accepter de se faire opérer dans un pays tiers, à des prix astronomique. Notre groupe votera le texte, en souscrivant aux réserves formulées par notre rapporteure.

M. Olivier Cadic. - Je me suis moi aussi beaucoup intéressé à la question des transplantations en Chine. Au vu du volume de transplantations réalisées, il semble qu'il n'y ait malheureusement pas d'autre explication que des transplantations indues.

On sait bien que des pratiquants du Falun Gong évoquent ce sujet. Ceci étant, que pensez-vous des coopérations qui visent à former des Chinois en matière de transplantation ? Pensez-vous qu'un jour on puisse poursuivre des gens qui ont acquis illégalement des organes à l'étranger ? On a pu changer notre droit en matière de pédophiles qui commettent leurs actes condamnables à l'étranger. Une telle approche pourrait-elle être envisagée ?

Mme Michelle Gréaume. - Malgré les réserves de la France et le caractère incomplet de cette convention, elle reste intéressante car elle vise à prévenir, en développant une offre de soin et de transplantation légale et transparente. Elle vise également à réprimer, en créant un certain nombre d'infractions pénales sur les prélèvements réalisés par la contrainte ou dans des conditions de consentement non libre et éclairé. Elle prévoit aussi la prise en charge des victimes juridiquement et psychologiquement.

Il est certain que, la misère, alimentée par les flux migratoires, favorise la vente d'organes pour obtenir de l'argent, dans le cadre d'un marché noir lucratif et condamnable. Je pense que cela mériterait une attention particulière.

Le groupe communiste ne prendra pas part au vote.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - J'ai lu votre remarquable tribune, cher collègue, dans laquelle vous faites état des travaux d'une ONG qui conclut à ce que 300 personnes sortent des listes des personnes en attente de transplantation en France. Je n'ai pas voulu reprendre ces chiffres dans le rapport, car nous manquons de références précises. On sait qu'il y a une sorte d' « évaporation » que l'on ne sait pas mesurer en France. De gros progrès sont à réaliser pour savoir où vont ces personnes et pourquoi elles partent, même si l'on comprend que c'est une question de survie pour elles.

En ce qui concerne les efforts de ratifications des autres conventions, je souscris à vos propos. Je pense en particulier à la convention dite d'Oviedo, ratifiée par la France, à l'exception notable de ses protocoles additionnels. Nos gouvernements doivent aller plus vite, même si notre droit interne est assez abouti en la matière.

J'avais en effet relevé que certaines enquêtes d'investigation de journalistes ou des témoignages concluent à un décalage entre le nombre de greffes annoncées par les autorités chinoises et celles qui seraient effectivement réalisées.

En ce qui concerne les coopérations médicales et scientifiques entre la France et la Chine qui se sont développées en raison de nos compétences en la matière, s'il est bien entendu hors de question d'y mettre fin, je regrette que l'on n'ait pas les moyens de les contrôler davantage. Je relève que l'hôpital de Grenoble, au nom du « doute certain » a freiné une coopération avec un hôpital chinois. C'est un sujet qui mériterait que l'on s'y intéresse. Je ne l'ai pas inscrit dans mon rapport, car je ne souhaite pas incriminer les hôpitaux français, même si des doutes sérieux existent. De plus, ce n'est pas directement l'objet de ce rapport.

Enfin, c'est en effet terrible de voir ce qu'il se passe, notamment avec les migrants, les précaires, les enfants sans identités. On sait par exemple, que les migrants en Libye qui ne peuvent pas payer leurs traversées, sont livrés aux gangs de trafics illégaux. En Égypte, les migrants sont harcelés pour vendre leurs organes. Tout cela est intolérable.

Même si la convention a des limites, je propose de la ratifier, car c'est un pas en avant.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour ce rapport, à la fois bien renseigné et équilibré.

Concernant le trafic d'organes, qu'il soit originaire d'un pays ou d'un autre, le plus important est d'être sûrs qu'il n'y a pas d'importation par les hôpitaux français d'organes prélevés illégalement. Ceci est totalement exclu vu notre système de suivi.

La commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne prenant pas part au vote.


* 7 https://www.medschool.umaryland.edu/news/2022/University-of-Maryland-School-of-Medicine-Faculty-Scientists-and-Clinicians-Perform-Historic-First-Successful-Transplant-of-Porcine-Heart-into-Adult-Human-with-End-Stage-Heart-Disease.html

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