EXAMEN EN COMMISSION

Réunies le mercredi 14 décembre 2022, la commission des affaires européennes et la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale ont engagé le débat suivant :

M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. - Monsieur le président de la commission des affaires européennes, chers collègues, nous réunissons les commissions des lois et des affaires européennes afin d'examiner la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 197, portée conjointement par le président Rapin et moi-même, relative à l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite « Frontex ».

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, un vote interviendra à l'issue de nos échanges, mais n'y participeront que les commissaires de la commission des affaires européennes.

Instituée en 2004 pour apporter son soutien aux États membres dans leur mission de surveillance des frontières extérieures de l'espace Schengen, Frontex est à un moment charnière de son histoire. À la suite de la crise migratoire de 2015, qui avait conduit plus d'un million de migrants à rejoindre irrégulièrement l'Union européenne, le mandat de l'agence a été considérablement renforcé, en 2016 et en 2019.

De fait, Frontex possède désormais une compétence dans l'ensemble des champs de la politique migratoire et est progressivement devenue un soutien incontournable pour les États membres dans la gestion de leurs frontières. C'est particulièrement le cas en France, où l'administration s'appuie régulièrement sur les capacités de l'agence, notamment dans sa politique de retour forcé. Alors que le nombre de traversées de la Manche a récemment explosé, Frontex affrète un avion pour la conduite d'opérations de surveillance de la côte d'Opale. L'agence intervient également en matière de lutte contre la criminalité transfrontalière et elle aide des pays tiers ayant passé un accord avec l'Union européenne à surveiller leurs frontières.

Surtout, Frontex dispose aujourd'hui de prérogatives en matière de puissance publique inédites pour une agence de l'Union européenne. Alors qu'elle était essentiellement une agence de coopération et de soutien, les dernières révisions de son règlement ont acté sa transformation en une réelle entité opérationnelle. Selon la formule consacrée, Frontex est aujourd'hui le « bras armé » de la politique migratoire européenne.

Cette extension du mandat de l'agence s'est accompagnée d'une augmentation considérable de ses moyens financiers et humains. Son budget a été multiplié par près de dix en l'espace de dix ans. Alors qu'il était de seulement 86 millions d'euros en 2012, il devrait atteindre 845 millions pour 2023. La grande nouveauté du mandat de 2019 a été de doter Frontex d'un contingent permanent de garde-frontières, vêtu d'un uniforme aux couleurs européennes et bénéficiant du port d'armes. Composé à la fois de personnels sous statut Frontex et d'experts nationaux détachés, ce contingent compte aujourd'hui 1 900 personnels, pour atteindre 10 000 en 2027. Il s'agit, là encore, d'une grande première pour une agence de l'Union européenne.

Cette nouvelle capacité opérationnelle va de pair avec une responsabilité renforcée. Aux termes du mandat de 2019, Frontex doit ainsi porter une attention toute particulière au respect des droits fondamentaux dans l'accomplissement de ses missions, notamment par la nomination d'un officier aux droits fondamentaux indépendant et la mise en place d'un mécanisme de traitement des plaintes.

Or, comme chacun d'entre nous le sait, l'agence Frontex est aujourd'hui en crise. Cette crise a atteint son paroxysme, le 28 avril dernier, avec la démission fracassante de son directeur exécutif, le français Fabrice Leggeri. La crise que connaît Frontex est d'une nature duale.

Cette crise est d'abord une crise de croissance. En moins de trois ans, l'agence a en effet dû opérer les transformations imposées par l'élargissement de son mandat, tout en conduisant une vingtaine d'opérations simultanées. Alors que le covid-19 a eu un lourd impact sur son activité, elle a en outre dû composer avec une succession de crises aux frontières extérieures. Je pense notamment à l'instrumentalisation des migrations par la Biélorussie en novembre 2021 ou, plus récemment, au déclenchement du conflit en Ukraine. J'ai conduit en mai dernier une délégation de la commission des lois à Varsovie, où l'agence a son siège : j'ai personnellement pu prendre la mesure du changement de dimension que l'agence a dû assumer depuis 2019 et des défis que cela a engendrés. Outre le recrutement des membres du corps permanent ou de l'équipe dédiée aux droits fondamentaux, Frontex a dû « monter en puissance » à marche forcée dans tous les domaines, en particulier dans ses processus décisionnels internes et ses fonctions supports.

Frontex subit également une crise de confiance. En effet, la pression de l'immigration irrégulière demeure forte aux frontières extérieures. Alors que 200 000 franchissements irréguliers avaient été recensés aux frontières de l'Union européenne en 2021, ce qui représentait déjà une augmentation de 60 % par rapport à l'année précédente, ces mouvements ont dépassé 280 000 sur les neuf premiers mois de l'année 2022.

Or, à la suite d'allégations portées par des organisations non gouvernementales (ONG) et de dénonciations internes, Frontex a été accusée, d'une part, de manquements dans son fonctionnement interne et, d'autre part, de complicité d'actions de refoulement des migrants en mer Égée et en mer Méditerranée. Ces révélations ont légitimement interpellé l'opinion publique et les institutions. En conséquence, plusieurs enquêtes et audits ont été menés, que ce soit par le Médiateur européen, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen ou encore l'Office européen de lutte antifraude (Olaf).

Dans son rapport, le Parlement européen a reconnu ne pas avoir trouvé de preuves d'une implication directe de l'agence dans des actions de refoulement. Il a en revanche dénoncé la passivité de l'agence, qui détenait des preuves de violations de droits fondamentaux de la part d'États membres avec lesquels elle menait des opérations conjointes. Le rapport de l'Olaf, qui ne porte pas sur l'agence en tant que telle, mais sur l'action de trois membres de l'équipe dirigeante, parvient à des conclusions similaires.

Ces enquêtes et audits ont directement conduit à la démission de M. Leggeri et à son remplacement par une direction intérimaire. La nomination d'un nouveau directeur exécutif a pris du retard et devrait intervenir le 20 décembre prochain.

Cette situation appelle deux observations de notre part.

Au vu de ses conséquences, il est éminemment regrettable, en termes de gouvernance et de transparence, que le rapport de l'Olaf n'ait pas été rendu public et que l'information disponible se limite à des fuites de documents organisées dans la presse.

Ensuite, il est désormais établi que l'agence Frontex fait l'objet d'un combat feutré en interne et au sein des institutions européennes, où deux visions distinctes de ses priorités s'affrontent : la première estime, quand elle ne remet pas en cause l'existence même de l'agence, que Frontex devrait avant tout veiller au respect des droits fondamentaux des migrants gagnant l'Union européenne irrégulièrement, afin de leur permettre, dès que possible, d'y demander l'asile. La seconde considère, au vu de la pression migratoire, que Frontex doit obtenir d'abord et avant tout des résultats dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Fabrice Leggeri ne nous a pas dit autre chose lors de son audition en juin dernier.

Nous estimons, le président Rapin et moi-même, que ce débat existe bel et bien, mais qu'il est en grande partie artificiel : le primat accordé à la mission de lutte contre l'immigration irrégulière est incontestable, c'est la raison d'être de l'agence. Il ne l'exonère toutefois en aucun cas de veiller au respect des droits fondamentaux dans son action.

En réalité, ces divergences semblent résulter d'abord d'inimitiés personnelles et de luttes d'influence au sein des institutions européennes pour le contrôle de l'agence opérationnelle la plus puissante de l'Union.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne réfléchit à une révision du règlement de 2019, qui prévoyait lui-même sa révision quadriennale. Formellement, la Commission européenne a lancé un appel à contribution des parlements nationaux, mais le délai très réduit pour y répondre décrédibilise grandement cette démarche d'association.

Au regard de ces éléments, nous avons décidé, le président Rapin et moi-même, d'engager des travaux sur l'avenir de Frontex. Outre l'audition, il y a un mois, de  Aija Kalnaja, directrice exécutive par intérim de l'agence, nous avons procédé à l'audition de représentants du ministère de l'intérieur et des institutions européennes. Ces travaux ont nourri notre réflexion.

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes. - Nous vous proposons d'abord de réaffirmer notre attachement à l'espace Schengen, espace de libre circulation qui est l'un des acquis précieux de l'Union européenne.

Dans le même mouvement, nous avons souhaité rappeler une évidence : la libre circulation à l'intérieur de l'espace Schengen ne peut exister durablement sans un contrôle efficace de ses frontières extérieures, contrôle qui est assuré par les États membres, avec l'appui de l'agence Frontex. À l'heure actuelle, environ 2 000 personnels de l'agence - en pratique, des officiers sous statut Frontex et des experts nationaux détachés - sont déployés pour cette mission dans le cadre de 18 opérations.

En ce sens, notre proposition souligne l'apport du règlement Frontex 2019/1896 qui a consolidé le mandat de l'agence : il prévoit de la doter d'un contingent permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes à échéance 2027, lui demande d'agir sans délai dans le respect des droits fondamentaux, lui permet de prendre une part plus active aux opérations de retour et l'autorise à coopérer avec les pays tiers.

Enfin, et je parle ici en cohérence avec la position de nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte, rapporteurs de la commission des affaires européennes pour le nouveau pacte sur l'asile et la migration, nous rappelons que la politique de contrôle des frontières doit être étroitement liée à la politique migratoire et à la politique de l'asile, au sein d'une approche globale.

Le deuxième objectif de notre proposition est de demander un vrai pilotage politique de l'agence Frontex. Tout d'abord, même si le prochain directeur exécutif est bien nommé le 20 décembre comme prévu, il faut déplorer le temps qui a été nécessaire pour procéder à cette nomination, à savoir huit mois. Il faut également regretter l'absence de candidature française pour cette direction. Il ne s'agit pas de contester la pertinence des trois candidatures en lice - celles de Terezija Gras, ministre du gouvernement croate, de Aija Kalnaja, directrice intérimaire actuelle de Frontex, et de Hans Leijtens, directeur de la maréchaussée des Pays-Bas, qui semble être le favori ; mais la France disposait des talents nécessaires pour faire acte de candidature. Ce refus d'obstacle du Gouvernement pourrait entraîner une perte d'influence de notre pays sur l'agence, qui est la plus grosse agence opérationnelle de l'Union européenne. On peut déjà observer que, sur environ 1 875 personnels sous statut, l'agence ne compte que 32 Français, soit 1,7 % !

Au-delà du choix de son directeur, l'agence doit vite se remettre au travail, ce qui demande un meilleur pilotage politique. Cela passe, d'une part, par un renforcement du suivi et de l'orientation de l'action de l'agence par les ministres des affaires intérieures, mais aussi par un rehaussement des compétences des représentants des États membres qui siègent au sein du conseil d'administration, à qui l'on demande certes une expertise technique, mais aussi une capacité managériale et une intelligence politique. Tout ceci afin que Frontex bénéficie de lignes directrices claires dans son action.

Je complète ces recommandations par une demande essentielle : pour que le pilotage politique de Frontex soit complet, les parlements nationaux doivent être associés au contrôle de son action. Or, à l'heure actuelle, ils en sont exclus. Le Parlement européen ne les a pas invités lorsqu'il a mis en place unilatéralement son groupe de suivi des missions de l'agence, alors que l'association du Parlement européen et des parlements nationaux est expressément prévue dans le règlement Frontex. En outre, nos parlements ne peuvent se désintéresser de la surveillance des frontières, mission intrinsèquement liée à la souveraineté nationale. Ce matin, à l'invitation du président Buffet, j'ai assisté à une audition sur le régime juridique du secours en mer et l'accueil des personnes débarquées. Aujourd'hui encore, des embarcations de migrants tentant de gagner les îles britanniques ont coulé dans la Manche. Sur de tels sujets, il est important que les parlementaires nationaux, qui sont plus proches des citoyens que les parlementaires européens, puissent rendre des comptes aux citoyens. C'est pourquoi nous préconisons la mise en place d'un groupe de contrôle parlementaire conjoint, à l'image de celui qui fonctionne déjà bien pour l'agence européenne pour la coopération policière (Europol).

Le troisième objectif de notre proposition est de clarifier le mandat de Frontex. La mission première de Frontex est le contrôle des frontières extérieures ; elle doit assumer cette mission dans le respect des droits fondamentaux. À cet égard, notre proposition salue la mise en oeuvre désormais intégrale des dispositions du règlement de 2019 qui garantissent un respect effectif des droits fondamentaux, en premier lieu la procédure d'alerte en cas de violation des droits fondamentaux, assortie d'un mécanisme de traitement des plaintes. Elle invite cependant les responsables de l'agence à éviter toute instrumentalisation de cette procédure par des parties hostiles à l'existence même de Frontex. En second lieu, le respect des droits fondamentaux doit être assuré par l'action de vérification incombant à l'officier aux droits fondamentaux, qui a accès à toutes les procédures et dont l'action est désormais appuyée par 46 contrôleurs. Sur ce point, la proposition émet plusieurs préconisations afin d'éviter l'institutionnalisation d'une guerre des chefs au sein de l'agence, entre son directeur exécutif et l'officier aux droits fondamentaux : instauration de canaux de dialogue permanent entre ces responsables ; nécessité d'une expérience de l'officier et des contrôleurs, non seulement en matière de droits fondamentaux, mais aussi en matière de surveillance des frontières ; principe d'une évaluation professionnelle annuelle de l'officier par le conseil d'administration et de l'examen de son action par le Médiateur européen.

Concernant les opérations conjointes entre Frontex et les États membres, la proposition rappelle que Frontex n'intervient qu'à la demande des États membres et sous leur autorité. En conséquence, son rôle premier n'est pas de surveiller les États membres, et ses personnels ne peuvent être tenus responsables des éventuelles actions litigieuses commises par leurs agents. Simultanément, conformément à l'article 46 du règlement de 2019, Frontex peut se retirer d'une opération conjointe si elle considère ne plus être en mesure d'intervenir sans enfreindre le cadre légal.

Le maintien de l'efficacité opérationnelle de l'agence Frontex constitue le quatrième objectif de notre proposition. À ce titre, nous rappelons que les exigences de responsabilité et de transparence à l'égard de l'agence s'accroissent avec ses compétences. À la suite de la Cour des comptes européenne, nous demandons aussi un renforcement des fonctions support clefs - passation des marchés publics, audit interne, analyse des risques et évaluation des vulnérabilités aux frontières -, ce qui implique un nouvel effort de recrutement d'experts, mais aussi un meilleur partage des informations des États membres avec Frontex.

Nous demandons ensuite solennellement le respect des engagements budgétaires et du calendrier prévu pour la mise en oeuvre effective d'un contingent permanent d'ici 2027. La proposition souligne aussi l'importance des opérations de surveillance maritime dans la lutte contre l'immigration irrégulière et les réseaux criminels transfrontaliers ; elle salue l'efficacité du partenariat actuel avec la Grèce, ainsi que les discussions actuelles visant à préciser à nouveau le mandat de cette opération.

La résolution appelle aussi au renforcement de la veille opérationnelle menée par Frontex sur les côtes belges et françaises afin de décourager les départs de migrants vers le Royaume-Uni et de démanteler les réseaux de passeurs. Elle salue par ailleurs la mobilisation de l'agence aux frontières des États membres riverains de l'Ukraine, pour aider ces derniers à contrôler leurs frontières et à fluidifier les passages des ressortissants ukrainiens fuyant la guerre. Quelques membres de la commission des affaires européennes ont pu se rendre en Pologne et en Slovaquie au printemps pour constater l'efficacité de ces dispositifs, même si les flux sur place étaient alors moins importants qu'au début de la guerre.

Toujours au titre de l'efficacité opérationnelle, la résolution souligne l'importance des accords de statut qui permettent le déploiement d'équipes Frontex dans des pays tiers, comme c'est le cas aujourd'hui en Albanie, au Monténégro, en Moldavie et en Serbie. Sur ce point, nous recevions hier une délégation du parlement albanais dont les membres nous expliquaient que le dispositif leur semblait efficace, l'apport de Frontex étant selon eux essentiel pour lutter contre les migrations irrégulières. La proposition de résolution salue l'action menée désormais par l'agence dans le cadre des opérations de retour, et se félicite du rôle central qu'elle est amenée à jouer dans le fonctionnement du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages - European Travel Information and Authorization System (Etias). Ce dernier, qui doit entrer prochainement en vigueur, permettra une délivrance automatisée d'autorisations de voyage dans l'Union pour les ressortissants de pays tiers qui ne sont pas soumis à l'obligation de visa.

Enfin, la proposition de résolution émet un constat simple, à l'heure où la Commission européenne réfléchit à modifier à nouveau le règlement Frontex : ce dernier est entré en vigueur le 13 novembre 2019 et l'agence n'a pas encore eu le temps de déployer tous les outils prévus par ce cadre juridique. Il est donc prématuré d'évaluer son efficacité et inopportun d'envisager déjà son actualisation. En réalité, l'urgence est d'abord que l'agence, dotée de son nouveau directeur exécutif, se remette vite au travail. Il faudra ensuite lui laisser du temps pour remplir entièrement sa mission.

M. Didier Marie . - Certes, Frontex connaît des turbulences depuis plus de deux ans, mais nous nous interrogeons sur le caractère d'urgence accordé à cette proposition de résolution européenne. Elle s'intéresse aux questions de gouvernance et de contrôle parlementaire, au sujet desquelles nous pourrions trouver des points d'accord, mais défend également des positions problématiques, ce qui explique que les deux présidents de commission s'unissent pour la soutenir, et non simplement les deux rapporteurs de la commission des affaires européennes qui suivent habituellement ce dossier. Voilà qui nous renvoie au débat franco-français sur l'immigration.

Nous souscrivons au renforcement des moyens de Frontex et à l'attachement à l'espace Schengen, mais nous ne partageons pas la tonalité générale de la résolution, sécuritaire voire alarmiste. Contrairement à l'idée d'un « bras armé » de la politique d'immigration de l'Union européenne, avancée par le président de la commission des lois dans son propos, Frontex ne peut selon nous être définie comme la police aux frontières (PAF) européenne. C'est une agence qui doit surveiller nos frontières, certes, mais qui doit aussi veiller à la mise en oeuvre des valeurs de l'Union européenne en matière de droits fondamentaux et d'accueil des réfugiés qui relèvent de l'asile - ce dernier point n'est pas assez présent dans la proposition de résolution européenne.

Nous n'adhérons pas à la défense inconditionnelle de l'ancien directeur de l'agence, même si sa démission est regrettable pour la France. Sa démission est le résultat d'un certain nombre de remarques, formulées tant par le Parlement européen que l'Olaf et la Cour des comptes européenne et reconnues par la directrice par intérim. Le Parlement européen n'a pas donné décharge budgétaire à Frontex, sur le fondement de motifs sérieux et de faits avérés - il serait difficile de le contester.

Concernant le rôle de l'officier aux droits fondamentaux, nous sommes étonnés par la somme des réserves et contraintes qui, dans le dispositif des rapporteurs, entourerait sa nomination, et par la rigueur du contrôle qui encadrerait son action. En effet, sa mission, qui consiste à faire remonter les dysfonctionnements et manquements éventuels de l'agence sur le terrain, exige une forme d'indépendance.

Désigner des « parties hostiles à l'existence même de Frontex » - le président Buffet a dit très clairement que cette formulation visait un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG) - me paraît inadapté. Ces ONG pointent du doigt des dysfonctionnements de Frontex qui peuvent irriter : ceci est leur rôle. En conséquence, l'Union européenne doit mieux coopérer avec ces organisations, pour veiller au respect des droits fondamentaux des réfugiés.

Concernant les missions de Frontex, qui ne peuvent être, en aucun cas, de surveiller les actions des États membres en matière de droits fondamentaux, nous émettons des réserves : quand les agents constatent des situations manifestement litigieuses, ils ont l'obligation de les faire remonter et de s'y opposer.

Enfin, Frontex pourrait effectivement établir des partenariats à l'extérieur de l'Union européenne, mais seulement avec des pays qui respectent les standards européens en matière de droits fondamentaux et à la condition que ces partenariats ne conduisent pas à des refoulements extraterritoriaux.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition de résolution européenne.

M. Jean-Yves Leconte . - Frontex a vocation à assurer la sécurité des frontières européennes et singulièrement de celles de la zone Schengen. Mais cette proposition de résolution n'aborde pas l'essentiel. Frontex a été conçue comme un prestataire de services pour les États membres, qui, de fait, sont responsables du contrôle de leurs frontières extérieures. Toutefois, Frontex est présentée et perçue à tort comme le garde-frontière de l'Union européenne. Il faut malheureusement constater qu'elle assume ce rôle dans un certain nombre de zones frontalières où les États membres sont défaillants.

Plusieurs de ces États, comme la Bulgarie ou la Grèce, se rendent coupables de graves violations aux droits fondamentaux dont on ne peut imputer la responsabilité à Frontex. M. Leggeri est en quelque sorte victime de cette erreur.

Les droits fondamentaux ne sont pas une option, et ils doivent être contrôlés de la manière la plus indépendante possible. Or, dans certains passages de cette proposition, les auteurs semblent déplorer que l'officier aux droits fondamentaux soit trop indépendant. Comme cela a déjà été indiqué, Frontex n'est pas la PAF européenne. Je pourrais le souhaiter mais ce n'est pas la réalité d'aujourd'hui. Frontex est, je le répète, un prestataire de services pour les États membres et sous leur responsabilité. Il faut dès lors qu'elle soit irréprochable en matière de droits fondamentaux. Or la présente proposition ne va pas du tout dans ce sens.

M. Jacques Fernique . - Mon groupe ne votera pas ce texte.

Le groupe écologiste milite en effet pour la fin de la militarisation de la politique migratoire européenne. Les questions relatives à l'immigration doivent relever non pas exclusivement de la sécurité, mais essentiellement de la solidarité.

Cette proposition de résolution européenne évoque de potentiels « irrégularités » et « manquements » dans la gestion de Frontex. Ce sont des euphémismes ! D'importants dysfonctionnements ont été dénoncés, notamment par l'Olaf et par le Parlement européen. Ce dernier a d'ailleurs marqué son désaccord en refusant de voter la décharge budgétaire de l'agence.

Au-delà des défaillances liées aux individus, les difficultés de Frontex sont structurelles. La « crise de croissance » qui est évoquée dans la proposition de résolution ne justifie pas, à mon sens, les dérives constatées ces dernières années. Je m'étonne à ce titre que votre texte ne mentionne pas les 29 000 morts aux frontières de l'Union européenne qui sont à déplorer depuis 2014.

Si cette proposition préconise des critères stricts en matière de recrutement pour l'officier des droits fondamentaux, elle ne recommande aucune évaluation extérieure ni obligation de formation en matière de droits fondamentaux pour le futur directeur exécutif de l'agence ou le reste de l'équipe.

Par ailleurs, l'affirmation de l'efficacité du partenariat avec la Grèce pour sécuriser les frontières paraît incompréhensible au regard des manquements qui ont été constatés.

Les auteurs de ce texte estiment qu'il faut laisser Frontex terminer son mandat avant de réformer son règlement. Il me semble au contraire qu'une réforme structurelle ne peut attendre.

Je regrette enfin que les facteurs expliquant les mouvements migratoires tels que la guerre, la famine, les régimes autoritaires, la pauvreté ou le dérèglement climatique ne soient pas mentionnés dans ce texte.

M. André Reichardt . - Je voterai cette PPRE en dépit des observations qui suivent.

Il est tout d'abord injuste de focaliser les critiques sur Frontex, alors que les outils du pacte sur la migration et l'asile ne sont pas finalisés et ne sont pas près de l'être, faute d'accord politique. Il existe en effet trop de disparités entre les pays pour espérer une amélioration de la politique migratoire à court terme.

J'estime ensuite que la réflexion sur les véritables compétences de Frontex est devant nous car cette agence est censée être l'un des organes de lutte contre l'immigration clandestine. Or, force est de constater qu'elle ne parvient pas à remplir cette mission.

Il ne faudrait pas, enfin, que Frontex devienne un service bureaucratique de plus. Sans doute doit-elle réorienter son action à l'aune des droits fondamentaux, mais il faut surtout qu'elle agisse sur le terrain. S'il est si difficile de recruter un nouveau directeur exécutif, c'est parce que le rôle de Frontex n'est pas clairement défini. Cependant, avant de réformer Frontex, il nous faut construire une politique migratoire européenne crédible.

Lors de son audition par nos deux commissions, le 10 novembre dernier, Mme Kalnaja, directrice par intérim de Frontex, nous indiquait qu'il y avait plus de 100 000 passages illégaux des frontières par an. On peut donc se poser la question : à quoi sert cette agence ?

M. Alain Cadec . - J'ai voté en faveur de la création de Frontex lorsque j'étais membre du Parlement européen. Son fonctionnement est certes imparfait - il faut notamment la renforcer et mieux l'organiser -, mais j'estime que nous avons besoin de cette agence. C'est pourquoi, pour ma part, je voterai cette proposition de résolution européenne.

Mme Patricia Schillinger . - À titre personnel, je voterai contre cette proposition, car j'estime qu'elle ne permettra pas d'agir assez rapidement.

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes. - C'est précisément pour faire avancer les choses que nous vous présentons cette PPRE !

M. Jean-Yves Leconte . - Vous proposez d'aller dans le mauvais sens !

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes. - En ce qui concerne le recrutement du futur directeur exécutif, il est précisé que celui-ci doit avoir une bonne connaissance du cadre juridique de l'Union européenne dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice, et plus particulièrement dans le domaine de la gestion des frontières et des retours. Cela implique évidemment la connaissance des droits fondamentaux à respecter.

La forme et le calendrier d'examen de cette proposition de résolution sont essentiellement liés à la nomination du futur directeur exécutif. Nous souhaitons que le Sénat français porte un message à l'intention de l'Union européenne, qui a déjà beaucoup tardé à nommer ce directeur, et à l'intention de la personne qui sera nommée.

J'en appelle à une mobilisation collective sur la situation actuelle. Dans les Hauts-de-France, des sauvetages ont lieu tous les jours, parfois plusieurs fois par jour. Frontex a proposé d'allouer des moyens supplémentaires à la surveillance de ces côtes, notamment un avion chargé de repérer les couloirs de passage des bateaux. Je ne vois pas en quoi cela s'opposerait aux droits fondamentaux.

Je veux également préciser que l'agence Frontex n'a pas à assumer les missions des autres agences européennes. Je rappelle en effet que l'Union européenne dispose d'une agence des droits fondamentaux et d'une agence pour l'asile. Aujourd'hui, Frontex vient en soutien des États membres pour la surveillance des frontières extérieures de l'Union européenne, et même au-delà : lors de la réunion du groupe d'amitié France-Albanie qui s'est tenue hier, nos homologues albanais nous ont remerciés pour les moyens que Frontex met à leur disposition. De même, des conventions permettent d'ores et déjà à Frontex d'apporter son appui à certains pays africains.

Notre objectif est d'adresser un message volontaire et bienveillant aux instances européennes afin d'accélérer et d'encadrer le processus de nomination et de rappeler l'importance du respect des droits fondamentaux. Ainsi, un chapitre entier de la proposition de résolution y est consacré.

M. Jean-Yves Leconte . - Les alinéas 40 à 42 encadrent tout de même très strictement la mission de surveillance de l'officier aux droits fondamentaux.

M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes. - Celui-ci doit en effet avoir également des connaissances en matière de gestion des frontières.

M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Frontex intervient, non pas de manière autonome, mais en appui des services de sécurité et de contrôle des États. L'agence est puissante parce que ses moyens ont été considérablement augmentés, et il faut indiscutablement ajuster et équilibrer les conditions d'exercice de sa mission : tel est précisément l'objet de cette PPRE.

M. Didier Marie . - Nous déplorons l'orientation sécuritaire des missions de Frontex que votre proposition défend.

Par ailleurs, la question de la responsabilité de l'agence à l'égard des États membres, notamment en ce qui concerne les refoulements et le respect des droits fondamentaux, n'est pas résolue par cette PPRE.

Enfin, ce débat pose plus largement la question de la refonte de la politique migratoire européenne. Tant qu'il n'existera pas de voies légales de migration identifiées, ces difficultés ne pourront être résolues.

M. Jean-Yves Leconte . - J'ai la conviction que Frontex n'est pas en mesure de dénoncer la réalité de ce qui se passe aujourd'hui aux frontières de la Grèce.

Par ailleurs, une PPRE est généralement étudiée au préalable en commission en bonne intelligence avec les groupes politiques, ce qui n'a pas été le cas de ce texte qu'on nous propose dans l'urgence.

M. Pascal Allizard . - Cette discussion ressemble étrangement à celle que nous avons eue hier dans l'hémicycle à l'occasion du débat qui a suivi la déclaration du Gouvernement sur la politique de l'immigration. Je crois qu'on ne peut que constater que les positions divergent, et qu'elles sont toutes respectables. Nos échanges ne feront pas évoluer ces positions. Pourrions-nous passer au vote de la proposition ?

M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Je rappelle aux collègues de la commission des lois qu'ils ne participent pas au vote de cette PPRE.

La commission des affaires européenne adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté la proposition de résolution européenne.

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