CHAPITRE II : MESURES VISANT À RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE DOPAGE

Article 4
Possibilité pour le Laboratoire antidopage français de procéder
à des tests génétiques sur les échantillons prélevés sur les sportifs

L'article 4 du projet de loi vise à permettre au Laboratoire antidopage français (LADF) de procéder à des tests génétiques sur les échantillons d'urine ou de sang prélevés auprès des sportifs à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques et des manifestations internationales organisées en France pendant leurs phases préparatoires, pour répondre aux demandes du Comité international olympique (CIO) de mise en conformité avec le code mondial antidopage.

La commission a relevé le caractère paradoxal de la solution choisie par le Gouvernement qui consiste en une mise en conformité temporaire du droit interne avec ce code pourtant applicable de manière permanente au titre de la Convention internationale contre le dopage dans le sport de l'Unesco du 19 octobre 2005 et des articles L. 232-9 et L. 232-18 du code du sport.

Entendant les réserves du Conseil d'Etat s'agissant de dispositions touchant à la bioéthique, il lui a semblé néanmoins possible d'adopter une solution à la fois plus nuancée et pragmatique, en distinguant selon la nature des tests génétiques qui seraient pratiqués. Il paraît en effet inopportun de soumettre à un même régime des tests opérant une comparaison d'empreintes génétiques, qui se limitent à la détection de marqueurs sur des segments d'ADN non codants, et ceux, plus intrusifs, permettant d'analyser une ou plusieurs caractéristiques génétiques.

À l'initiative du rapporteur, la commission a intégré dans le code du sport de manière pérenne les analyses visant à comparer les empreintes génétiques des sportifs pour détecter des substitutions d'échantillons ou des transfusions sanguines, en prévoyant à titre de garanties l'information préalable du sportif et le caractère subsidiaire de ces techniques.

Parallèlement, elle a prévu la mise en place d'une véritable expérimentation, assortie d'un rapport d'évaluation au Parlement, pour les deux techniques plus intrusives d'examen de caractéristiques génétiques visant à détecter des mutations génétiques naturelles ou le recours à des techniques de dopage génétique. Cette expérimentation serait suivie par le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), et menée sur un temps suffisamment long - jusqu'en juin 2025 - pour en envisager la pérennisation.

Par adoption d'un sous-amendement de la commission de la culture, le champ de cette expérimentation a été étendu à toutes les compétitions, internationales comme nationales, ainsi qu'aux tests qui doivent être pratiqués hors compétition dans le cadre des programmes annuels de contrôle, afin qu'elle puisse se dérouler dans des conditions réelles.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

1. Le contexte : une nécessité de se conformer au code mondial antidopage qui déroge aux règles bioéthiques actuelles

1.1. La nécessité de se conformer au code mondial antidopage en application de l'article 55 de la Constitution

Le 5 février 2007, la France a ratifié la convention internationale contre le dopage dans le sport, adoptée sous l'égide de l'Unesco le 19 octobre 2005, qui stipule, en son article 3, que les États parties s'engagent à adopter des mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes du code mondial antidopage .

Ce code est élaboré et mis à jour régulièrement par l'Agence mondiale antidopage (AMA), une agence internationale indépendante créée à l'initiative du Comité international olympique (CIO) en 1999 pour promouvoir et coordonner la lutte contre le dopage dans le sport sur le plan international. Il est signé par les organisations sportives telles que les comités nationaux olympiques et paralympiques, les organisations nationales antidopage et les fédérations internationales.

Selon l'article 4.3 de la convention Unesco de 2005, ses annexes « font partie intégrante de la convention ». L'annexe I comporte la liste des interdictions, qui reprend la liste des substances et méthodes interdites élaborée et mise à jour par l'AMA. Cette annexe, régulièrement amendée 12 ( * ) , comprend les interdictions suivantes :

- le dopage génétique en tant que méthode interdite de la classe M3 ;

- la transfusion homologue 13 ( * ) , relevant de la méthode interdite de la classe M1 ;

- l'érythropoïétine (EPO) 14 ( * ) , qui est référencée comme substance interdite de la classe S2 ;

- la substitution d'échantillons, en tant que méthode interdite de la classe M2

La France a fait évoluer sa législation à plusieurs reprises pour se conformer à son engagement international, conformément à l'article 55 de la Constitution . Depuis 2008 15 ( * ) , l'article L. 232-9 du code du sport fait référence à la convention Unesco de 2005 pour définir la liste des substances et procédés interdits 16 ( * ) . Cette liste est publiée par décret au Journal officiel à chaque mise à jour 17 ( * ) . L'article L. 232-18 du même code confie les analyses des prélèvements effectués par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) à un laboratoire accrédité ou approuvé par l'AMA, le Laboratoire antidopage français (LADF). Ces analyses doivent être effectuées conformément aux normes internationales 18 ( * ) .

Dans ce cadre, selon l'AFLD et le ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, les analyses génétiques sont nécessaires car il n'existe pas d'autre méthode analytique pour détecter un cas de dopage génétique que celle consistant en un examen de caractéristiques génétiques 19 ( * ) . Elles sont également nécessaires en application de l'article 6.2 du code mondial antidopage et des standards internationaux de l'AMA : pour écarter une suspicion de transfusion de sang homologue, après une première analyse par une autre technique 20 ( * ) ; pour écarter une suspicion de dopage dans le cas de mutation génétique rare qui conduit à un taux d'EPO supérieur à la moyenne ; pour confirmer des manipulations d'échantillons.

1.2. Les engagements spécifiques vis-vis du CIO pour l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques

Dans le dossier de candidature de Paris pour devenir ville hôte des Jeux olympiques 2024 - dossier cosigné notamment par le Premier ministre -il était indiqué que « la France répond à l'ensemble des exigences du code mondial antidopage ».

En conséquence, le Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques d'été de 2024 (COJO) a pris des engagements auprès de l' International Test Agency (ITA), l'agence de contrôle indépendante désignée par le CIO pour fixer le programme de contrôle antidopage pour les jeux Olympiques. Le LADF, laboratoire choisi pour effectuer les analyses durant la période des Jeux, devra dans ce cadre être en mesure de répondre à toute demande de prestation d'analyse de l'ITA .

Or, selon le code mondial antidopage, dont le CIO est partenaire et que l'ITA met en oeuvre, les échantillons doivent pouvoir faire l'objet d'analyses génétiques. Cela a été le cas lors des jeux Olympiques de Tokyo et de Pékin, où la recherche d'un dopage génétique par examen de caractéristiques génétiques a été réalisée respectivement 25 et 31 fois à la demande de l'ITA, mais n'a pas abouti à la détection de cas.

1.2. Les réticences en raison des règles de bioéthique et de l'importance accordée au consentement de la personne

Les articles 16-10 et 16-11 du code civil encadrent strictement l'examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles 21 ( * ) et l'identification par empreintes génétiques. Ils sont issus d'une des premières lois bioéthiques de 1994 22 ( * ) et prennent en compte le respect dû au corps humain, la dignité de la personne et la vie privée. La première technique était perçue à l'époque comme permettant de reconstituer la « carte génétique de la personne » et la seconde, comme pouvant établir un lien de filiation et ainsi troubler la paix des familles.

En application de ces dispositions, l'examen des caractéristiques génétiques est limité aux fins médicales ou de recherche scientifique , tandis que l'identification par empreintes génétiques peut avoir lieu dans le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentées lors d'une procédure judiciaire, à des fins médicales ou de recherche, aux fins d'établir l'identité d'une personne décédée ou dans le cadre d'opérations militaires à l'extérieur du territoire français.

La lutte antidopage ne rentre dans aucune de ces finalités . Or la détection d'une administration de sang homologue et d'une substitution d'échantillon d'urine ou de sang relève de l'article 16-11 du code civil. Il s'agit de procéder à une comparaison d'empreintes génétiques, qui, si elle ne vise pas en première intention l'identification d'un sportif, peut y conduire puisque les échantillons sont rattachés à une personne, même s'ils sont anonymisés 23 ( * ) au niveau du laboratoire qui procède aux analyses. La recherche d'une mutation génétique dans un gène impliqué dans la performance constitue, quant à elle, l'examen d'une caractéristique génétique constitutionnelle visée à l'article 16-10 du code civil. S'agissant de la recherche d'une manipulation génétique, il s'agit de rechercher un matériel génétique exogène introduit dans le corps humain. Ce n'est donc pas à proprement parler un examen de caractéristiques génétiques constitutionnelles, mais il n'est pas exclu qu'une telle analyse soit susceptible de révéler des caractéristiques génétiques constitutionnelles.

Hormis la question de la finalité, se pose également celle du consentement exprès . Il est exigé par principe dans le cadre de l'article 16-10 du code civil, mais connaît certaines exceptions reconnues par le code de la santé publique 24 ( * ) .

S'agissant de l'article 16-11, le consentement n'est exigé que dans le cadre de procédures judiciaires en matière civile , ce qui ne laisse dans le cadre pénal que la question annexe du consentement au prélèvement , et lorsque l'identification est faite à des fins médicales ou de recherche scientifique ou auprès de proches pour l'identification de personnes décédées ou supposées décédées.

D'un point de vue constitutionnel, le caractère obligatoire de ce consentement n'est pas certain . Ainsi, selon la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la justice, le Conseil constitutionnel écarte les griefs tirés de l'atteinte aux principes du respect de la dignité humaine et de l'inviolabilité du corps humain en mobilisant quatre arguments dans sa décision la plus récente 25 ( * ) , sans que les termes de cette décision ne permettent de déterminer avec certitude les critères présentant un caractère obligatoire . Ces critères, qui ne distinguent pas la question du prélèvement de celle de l'analyse , sont les suivants :

- la loi prévoit l'obligation de recueillir le consentement de l'intéressé, et ce, quand bien même son refus l'exposerait à des sanctions pénales 26 ( * ) ;

- elle prévoit la possibilité d'utiliser du matériel biologique externe au corps humain ;

- sont en tout état de cause exclus tous procédés invasifs ou douloureux ;

- l'examen ne permet que l'identification de la personne, et non l'analyse de ses caractéristiques génétiques.

Aucune décision constitutionnelle sur la question des tests génétiques ne concerne le domaine particulier de la lutte contre le dopage.

La Cour européenne des droits de l'homme , de son côté, a eu l'occasion de rejeter le grief de violation du respect de la vie privé au sujet de l'obligation de localisation imposée à des sportifs ciblés en vue de la réalisation de contrôles antidopage inopinés.

Elle a jugé que les motifs d'intérêt général de la lutte contre le dopage sont d'une particulière importance et justifiaient les restrictions apportées aux droits accordés par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; selon la Cour, « réduire ou supprimer les obligations dont ils [les sportifs requérants] se plaignent serait de nature à accroître les dangers du dopage pour leur santé et celle de toute la communauté sportive , et irait à l'encontre de la communauté de vue européenne et internationale sur la nécessité d'opérer des contrôles inopinés ».

2. La solution paradoxale du Gouvernement : une disposition temporaire et partielle « spéciale jeux Olympiques »

2.1. Une dérogation limitée et entourée de nombreuses garanties

L'article 4 du projet de loi prévoit la possibilité pour le LADF, « laboratoire accrédité par l'Agence mondiale antidopage » de déroger aux articles 16-10 et 16-11 du code civil , en vue de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024, et aux seules fins de mettre en évidence la présence et l'usage d'une substance ou d'une méthode interdites et de procéder à la comparaison d'empreintes génétiques et à l'examen de caractéristiques génétiques.

Cette dérogation serait limitée à l'analyse des prélèvements sanguins ou urinaires effectués à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques et des manifestations sportives internationales précédant leur tenue , ce qui exclut les échantillons recueillis lors des manifestations sportives nationales ou hors compétition.

Elle ne viserait que quatre finalités bien déterminées qui correspondent aux quatre cas d'usage identifiés actuellement par l'AMA . Il s'agirait de détecter : l'administration de sang homologue ; une substitution d'échantillons prélevés ; une mutation génétique dans un gène impliqué dans la performance induisant une production endogène d'une substance interdite; une manipulation génétique pouvant modifier les caractéristiques somatiques aux fins d'augmentation de la performance.

Les examens de caractéristiques génétiques auxquels il serait procédé dans ce cadre ont ainsi un caractère extrêmement limité . Il n'est nullement question d'effectuer un séquençage du génome entier ou encore d'établir « la carte génétique d'une personne » comme l'envisageaient les parlementaires lors de la discussion des premières lois de bioéthique de 1994. Le décret d'application pourrait d'ailleurs déterminer très précisément la séquence de l'ADN qu'il conviendrait d'examiner, comme cela est le cas pour l'identification par comparaison d'empreintes génétiques en matière pénale 27 ( * ) .

La quatrième finalité (détection d'une manipulation génétique pour améliorer la performance) avait été écartée par le Conseil d'Etat qui a estimé dans son avis que « la nécessité de cette recherche n'est pas établie dès lors que l'étude d'impact ne démontre pas que cette hypothèse constitue à ce jour un risque avéré ». Des tests ayant été demandés par l'ITA lors des dernières éditions des jeux Olympiques d'été (Tokyo) et d'hiver (Pékin) et compte tenu de l'évolution de la thérapie génique et des moyens de modifier l'expression génique observées ces dernières années, le Gouvernement a choisi de maintenir cette finalité dans son dispositif .

D'autres garanties ont été ajoutées à la demande du Conseil d'Etat et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) :

- le caractère subsidiaire de ce type d'analyses : elles ne seraient réalisées que dans l'hypothèse où les autres techniques disponibles ne permettent pas les finalités recherchées ;

- l'a nonymat 28 ( * ) des échantillons ;

- la limitation de l'examen aux seules parties pertinentes du génome ;

- l'interdiction d'examen permettant de conduire à une connaissance de l'ensemble du patrimoine 29 ( * ) génétique ou de donner d'autres informations que celles recherchées (à l'exception d'une éventuelle découverte incidente d'une pathologie, cas dans lequel il est renvoyé aux dispositions du code de la santé publique) ;

- l'interdiction de l'identification ou du profilage des sportifs .

S'agissant de données à caractère personnel, les traitements seraient limités aux finalités énumérées et les données analysées seraient détruites sans délai après leur utilisation dans le cadre d'une procédure disciplinaire ou immédiatement si elles ne relèvent la présence d'aucune substance ou l'utilisation d'aucune méthode interdite.

Contrairement à l'avis du Conseil d'Etat, le Gouvernement n'a pas prévu le recueil d'un consentement spécifique du sportif aux tests génétiques dès lors qu'un tel recueil rendrait le dispositif inopérant . La personne contrôlée devrait en revanche faire l'objet d'une information ad hoc , préalablement au prélèvement , ce qui est une garantie souhaitée par la CNIL 30 ( * ) en raison de l'absence de consentement spécifique. La disposition proposée ne prévoit pas de dérogation à l'article 226-25 du code pénal qui incrimine le fait de procéder à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins autres que médicales ou de recherche scientifique ou sans avoir recueilli préalablement son consentement dans les conditions prévues par l'article 16-10 du code civil 31 ( * ) . L'article 4 créerait en effet un cadre d'autorisation distinct de celui de l'article 16-10 du code civil : les examens ainsi autorisés ne rentreraient pas dans les prévisions de l'article 226-25 du code pénal.

Le consentement des sportifs aux prélèvements et aux tests antidopage

En application du code mondial antidopage 32 ( * ) , l'acceptation du règlement antidopage est une condition de participation à une manifestation sportive. Cette acceptation est expressément prévue dans les conditions de participation qui figurent sur le formulaire que chaque participant doit remplir et signer pour s'inscrire.

Un refus d'acceptation se traduit par une déclaration d'inéligibilité de participation et entraîne donc la non-participation à l'évènement.

Une fois l'adhésion confirmée, un refus de fournir un échantillon ou l'opposition que ce dernier soit analysé peut constituer une infraction au règlement antidopage et engendrer des conséquences disciplinaires. L'article 2.3 du code mondial antidopage vise précisément le fait de « se soustraire au prélèvement d'un échantillon, refuser le prélèvement ou ne pas se soumettre au prélèvement d'un échantillon de la part d'un sportif ».

Au niveau national, les articles L. 232-9-2 et L. 232-23-3-4 du code du sport répriment le fait de se soustraire au prélèvement d'un échantillon, de le refuser sans justification valable ou de ne pas s'y soumettre, d'une mesure de suspension de participation à une compétition , à un entraînement et à d'autres activités et fonctions sportives d'une durée de quatre ans.

Le sportif ne consent pas expressément aux analyses effectuées sur les échantillons prélevés , le prélèvement d'échantillon induisant nécessairement la réalisation d'analyses, auxquelles il ne peut s'opposer.

Le code du sport prévoit en revanche, afin de respecter le principe constitutionnel d'inviolabilité du domicile qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, un consentement spécifique pour procéder à un prélèvement au domicile ou au lieu d'hébergement d'un sportif la nuit, entre 23 heures et 6 heures 33 ( * ) . Ce contrôle peut être conduit à l'encontre d'un sportif appartenant à un groupe cible ou lorsqu'il y a des soupçons graves et concordants de dopage à son endroit. Le texte prévoit que le consentement peut être sollicité par l'organisateur d'une manifestation sportive internationale au moment de l'inscription à cette manifestation , à l'instar de son acceptation du règlement antidopage. Lorsque le sportif a refusé son consentement ou s'il convient de garder un effet de surprise, l'autorisation de procéder au contrôle est demandée au juge de la détention et des libertés du tribunal judiciaire dans lequel le lieu du contrôle est situé.

2.2. Une dérogation temporaire et partielle qui interroge

Ce dispositif prendrait fin le 31 décembre 2024 , après le déroulement des épreuves des jeux Paralympiques, laissant une période supplémentaire permettant de réaliser les tests génétiques nécessaires - réanalyse ou analyse de l'échantillon B - dans le cadre des procédures de contestation ou de recours.

Ce caractère temporaire paraît peu cohérent avec l'obligation, qui est bien permanente, de détecter les méthodes et substances interdites en application du code mondial antidopage au titre de la convention Unesco de 2005. Il ne s'agit pas uniquement de répondre aux demandes de l'ITA le temps des jeux Olympiques, comme le semble le suggérer le Conseil d'Etat.

Par ailleurs, une disposition temporaire qui ne prendrait pas en compte les prélèvements opérés hors compétition, se limiterait aux seules épreuves des jeux Olympiques et Paralympiques ou en phase préparatoire de ces Jeux et s'arrêterait le 31 décembre 2024, sans qu'il soit envisagé de la pérenniser, ne semble pas compatible avec les objectifs de la lutte contre le dopage . D'un point de vue pratique, ne pas se saisir de cette question reviendrait en outre à s'en remettre aux laboratoires étrangers, non soumis à la législation française, auxquelles les fédérations internationales et l'ITA pourraient avoir recours.

La présidente de l'ITA, entendue par le rapporteur, a ainsi relevé que la disposition proposée correspondait au strict minimum afin de maintenir le même standard en matière de détection du dopage que celui des éditions passées des Jeux et qu'en outre, la situation actuelle crée une inégalité de traitement entre les athlètes sur territoire français et le reste du monde , qui devrait être rectifiée de manière pérenne.

3. La position de la commission : intégrer dans le code du sport les tests les moins intrusifs et engager une vraie expérimentation dans la perspective d'une pérennisation pour les autres

Le Conseil d'Etat a appelé à une grande vigilance au sujet des tests génétiques qui pourraient être menés dans le cadre de la lutte contre le dopage, s'agissant d'un exercice de conciliation entre les objectifs d'intérêt général poursuivis par la lutte contre le dopage (protection de la santé des sportifs ainsi que garantie de l'équité et de l'éthique des compétitions sportives, prévention des atteintes à l'ordre public pouvant résulter de la commission des infractions en lien avec des faits de dopage) et le respect de la vie privée et de la dignité de la personne humaine , exercice qu'il semble vouloir réserver aux lois sur la bioéthique.

La commission regrette que cette problématique n'ait pas été traitée dans le cadre de la dernière loi sur la bioéthique qui a été votée en juin 2021 34 ( * ) alors que la mise en conformité du droit interne avec le code mondial antidopage en matière de tests génétiques était semble-t-il déjà discutée avec l'Agence mondiale antidopage (AMA) 35 ( * ) et que l'échéance des Jeux était connue.

À ce stade et compte tenu des éléments recueillis lors des auditions, il lui semble possible et souhaitable d'adopter une solution plus nuancée que celle proposée, en distinguant selon la nature des tests génétiques qui seraient pratiqués . Il lui paraît en effet inopportun de soumettre à un même régime temporaire des tests opérant une comparaison d'empreintes génétiques, qui ne concernent que des segments d'ADN non codants et se limitent à la détection de marqueurs, et ceux, plus intrusifs, permettant d'analyser une ou plusieurs caractéristiques génétiques.

À l'initiative du rapporteur, la commission a ainsi choisi de sortir de l'ambiguïté, tout en respectant un équilibre pour prendre en compte et la nécessité d'une mise en conformité pérenne du droit interne avec le code mondial antidopage et la prudence souhaitée en matière d'examen des caractéristiques génétiques.

Elle a adopté l' amendement COM-81 qui tend à :

- intégrer dans le code du sport les tests visant à comparer les empreintes génétiques des sportifs pour détecter des substitutions d'échantillons ou des transfusions sanguines 36 ( * ) , en prévoyant l'information préalable du sportif et le caractère subsidiaire de ces techniques ;

- prévoir une véritable expérimentation pour les deux techniques plus intrusives d'examen de caractéristiques génétiques , l'une pour détecter la présence d'une mutation génétique naturelle qui expliquerait un résultat anormal du sportif, l'autre pour mettre au jour un véritable « dopage génétique », c'est-à-dire la mise en oeuvre d'une technique - thérapie génique, voire à plus long terme, utilisation d'ARN messager ou édition génique - visant à modifier les caractéristiques génétiques de la performance (par exemple, pour augmenter la production d'EPO).

Le rapporteur est particulièrement attentif à ce que l'information préalable soit apportée au sportif de manière claire et que ce dernier s'inscrive à la compétition en toute connaissance de cause, c'est-à-dire en acceptant par avance cette éventualité . Interrogée sur ce point, la présidente de l'ITA s'est engagée à modifier le formulaire d'inscription aux jeux Olympiques , en concertation avec le CIO , afin que la possibilité que des tests génétiques soient réalisés sur les échantillons prélevés soit expressément mentionnée .

Par adoption d'un sous-amendement COM-124 du rapporteur pour avis de la commission de la culture, le champ de cette expérimentation a été étendu à toutes les compétitions, ainsi qu'aux tests hors compétition menés dans le cadre des programmes annuels de contrôle.

Le LADF pourrait ainsi procéder à une expérimentation en conditions réelles . En effet, en temps normal, il ne traite pas différemment les prélèvements en compétition, nationale ou internationale, et les prélèvements hors compétition. Cette phase de contrôle en amont constitue d'ailleurs l'essentiel des contrôles préolympiques ; il serait paradoxal de ne pas l'intégrer dans l'expérimentation.

L'expérimentation serait menée sur un temps suffisamment long, jusqu'au 30 juin 2025, et suivie par le CCNE et la CNIL pour en garantir les bonnes conditions de déroulement. Elle ferait l'objet d'un rapport d'évaluation remis au Parlement, ainsi qu'au CCNE et la CNIL, six mois avant son terme pour envisager une pérennisation des mesures , offrant ainsi une perspective de mise en conformité avec le code mondial antidopage ( amendement COM-83 du rapporteur).

Enfin, la commission a également adopté l' amendement COM-82 apportant diverses modifications d'ordre rédactionnel, supprimant par exemple la formulation « patrimoine génétique » qui avait été écartée en 1994 car en contradiction avec l'absence de patrimonialité du corps humain reconnue à l'article 16-1 du code civil.

La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié .

Article 5
Homologation de peines de prison en matière de lutte contre le dopage en Polynésie française

L'article 5 tend à homologuer les peines de prison prévue par les lois de pays de la Polynésie française n°2015-12 du 26 novembre 2015 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage, et n°2015-13 du 26 novembre 2015 relative à la recherche et à la constatation des infractions en matière de dopage.

La commission a adopté cet article avec modification afin d'étendre à la Polynésie française certaines dispositions du code du sport.

1. Un domaine qui relève essentiellement de la compétence de la Polynésie française

1.1. Un processus d'élaboration des normes destiné à préserver l'autonomie de la Polynésie française

La loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que cette dernière « constitue une collectivité d'outre-mer dont l'autonomie est régie par l'article 74 de la Constitution ». Dans ce cadre, l'article 13 de la loi n° 2004-192 confère aux « autorités de la Polynésie française (...) compéten[ce] dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 ». L'assemblée de la Polynésie française est chargée de la mise en oeuvre des compétences législatives de la collectivité par l'adoption de lois de pays.

De plus, les institutions de la Polynésie française sont habilitées par l'article 31 de la loi n° 2004-192 à participer à l'exercice des compétences que l'Etat conserve dans le domaine législatif et réglementaire en application de l'article 14, notamment en matière de recherche et de constatation des infractions. Cette procédure s'effectue sous le contrôle de l'Etat et suppose l'intervention préalable d'un décret portant approbation par le Premier ministre du projet de loi de pays transmis par le président de la Polynésie française ainsi que la ratification de ce décret par la loi.

Enfin, l'article 21 de la loi organique prévoit que la Polynésie française peut prévoir des peines d'emprisonnement n'excédant pas la peine maximum prévue par les lois nationales pour les infractions de même nature, sous réserve d'une homologation préalable de sa délibération par la loi.

En pratique, l'élaboration des lois de pays suppose donc un dialogue permanent entre les autorités nationales et polynésiennes. Dès lors qu'elles interviennent dans le domaine de l'Etat, le processus d'entrée en vigueur des lois de pays est également soumis à une procédure qui, faisant intervenir tant le pouvoir réglementaire que le législateur national, peut s'avérer long. Il aura ainsi fallu plus de trois ans entre la transmission par le Président de la Polynésie française du projet de loi de pays au ministre des outre-mer et la promulgation de la loi de pays du 26 novembre 2015 relative à la recherche et à la constatation des infractions en matière de dopage 37 ( * ) .

Plus de sept ans plus tard, l'article 5 du présent projet de loi permet de clore ce processus normatif en homologuant les peines de prison prévues par les lois de pays n°2015-12 du 26 novembre 2015 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage, et n° 2015-13 du 26 novembre 2015 relative à la recherche et à la constatation des infractions en matière de dopage.

1.2 La détermination complexe de l'autorité compétente pour la transposition de certains pouvoirs de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD)

Ainsi que le relève le Conseil d'Etat dans son avis sur le projet de loi, ni le sport, ni la santé publique ne figurent au sein de la liste limitative des compétences attribuées à l'Etat en Polynésie française ; ces domaines relèvent donc la collectivité. Le Conseil indique que la compétence de la collectivité en matière de lutte contre le dopage « inclut la définition des règles, des infractions et des sanctions en matière de lutte contre le dopage, mais également l'organisation d'enquêtes et de contrôles visant à rechercher et constater les infractions, à recueillir toutes informations et à demander communication de tous documents, dès lors que les personnes qui en sont chargées ne disposent d'aucun pouvoir coercitif ».

Il apparaît que restent cependant de la compétence de l'Etat les prérogatives d'enquête les plus coercitives dont l'exercice doit être combiné avec les garanties en matière de libertés publiques. Dans le cas de la lutte antidopage, l'Etat serait ainsi notamment compétent en matière de visite domiciliaire, placée sous le contrôle du juge judiciaire, en application de l'article L. 232-18-7 du code du sport. La possibilité pour les enquêteurs d'acquérir, importer, transporter ou détenir des substances ou méthodes interdites avec l'autorisation du procureur de la République et en voyant leur responsabilité pénale dégagée, telle que le prévoit l'article L.232-18-9, ressortirait au même titre de la compétence nationale.

L'État est par ailleurs compétent pour la détermination des règles de procédure pénale, ce qui concerne notamment les échanges d'informations entre autorité judiciaire et administration pour la poursuite des infractions pénales ou des violations aux règles de la lutte contre le dopage, soit les articles L. 232-19 à L. 232-20-2 du code du sport.

2. La position de la commission

La commission estime nécessaire l'homologation des peines de prisons prévues par les deux lois de pays de 2015 relative au dopage, même si celle-ci aurait dû être antérieure à leur publication.

Elle souhaite par ailleurs que l'autonomie de la Polynésie française soit respectée et que la loi nationale reste dans le domaine qui lui est fixé par la loi organique du 27 févier 2004. Le dialogue indispensable et constructif entre autorités nationales et polynésiennes repose cependant sur le fait que l'Etat exerce pleinement sa compétence, spécialement dans le cadre temporel contraint lié à la préparation des Jeux olympiques.

Il ressort des informations données au rapporteur que le gouvernement polynésien et l'AFLD sont engagés depuis 2021 dans un travail de rédaction d'un projet de loi de pays, dans le cadre d'une convention tripartite signée en novembre 2021 entre l'Etat, la Polynésie française et l'AFLD. La nécessité que la loi nationale prévoie des dispositions applicables à la Polynésie en ce domaine a été évoquée dans ce cadre et ne suscite semble-t-il pas de débat.

À l'initiative du rapporteur, la commission a donc adopté les amendements COM-84 et COM-16 respectivement du rapporteur et de Jean-Jacques Lozach tendant à étendre à la Polynésie française les dispositions du code du sport relatives aux pouvoirs d'enquête des agents de l'AFLD et mettant en cause les libertés publiques ou la procédure pénale .

La commission a adopté l'article 5 ainsi modifié .


* 12 https://wayback.archive-it.org/10611/20171122230158/http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/anti-doping/international-convention-against-doping-in-sport/annexes/

* 13 Transfusion de sang d'un donneur compatible ayant les mêmes groupes et rhésus.

* 14 Hormone qui stimule la fabrication des globules rouges et est produite principalement par le rein.

* 15 Loi n° 2008-650 du 3 juillet 2008 relative à la lutte contre le trafic de produits dopants .

* 16 Référence était avant faite à la convention contre le dopage du Conseil de l'Europe adoptée le 16 novembre 1989, ratifiée par la France le 21 janvier 1991.

* 17 Décret n° 2022-1583 du 16 décembre 2022 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adopté à Paris le 15 novembre 2022 .

* 18 Article R. 232-43.

* 19 La présidente de l' International Test Agency (ITA) a également cité une autre méthode mais qui semble ne pas convenir à tous les cas : l'utilisation du passeport biologique de l'athlète pour un suivi longitudinal de divers marqueurs biologiques sur plusieurs années.

* 20 Analyse en cytométrie de flux qui repose sur la détection de marqueurs de surface des globules rouges.

* 21 La précision « constitutionnelle » vise les caractéristiques d'une personne héritées ou acquises à un stade précoce du développement prénatal ; ces caractéristiques sont transmissibles contrairement aux caractéristiques acquises ultérieurement dites « somatiques ». Cette précision a été ajoutée par la dernière loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique .

* 22 Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain .

* 23 Il s'agit donc plutôt d'une pseudonymisation selon l'analyse de la CNIL.

* 24 Article L. 1130-3 du code de la santé publique : sur une personne hors d'état d'exprimer sa volonté, en cas de soins dans son intérêt ; article L. 1130-4 : sur une personne hors d'état d'exprimer sa volonté ou décédée, dans l'intérêt des membres de sa famille potentiellement concernés ; article L. 1130-5 : à des fins de recherche scientifique, lorsque la personne ne peut être retrouvée, après avis d'un comité de protection des personnes.

* 25 Décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010 - M. Jean-Victor C. [Fichier empreintes génétiques].

* 26 L'article 706-56 du code de procédure pénale prévoit malgré tout deux exceptions au consentement : lorsque l'identification génétique peut être réalisée à partir de matériel biologique qui se serait naturellement détaché du corps de l'intéressé ; pour les personnes condamnées ou même déclarées irresponsables pénalement pour des crimes et délits punis d'au moins dix ans d'emprisonnement.

* 27 Article A38 du code de procédure pénale :https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/
LEGIARTI000031094125

* 28 Il ne s'agit pas d'un anonymat au sens de la réglementation en matière de données à caractère personnel puisqu'il est possible à l'ITA d'identifier l'athlète par rapprochement avec un numéro attribué à l'échantillon.

* 29 Terme impropre compte tenu de la non-patrimonialité du corps humain, que le rapporteur a préféré remplacer par l'expression « ensemble des caractéristiques génétiques ».

* 30 Elle avait évoqué une information préalable à la participation à la compétition.

* 31 Les peines encourues sont d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

* 32 Article 20.

* 33 Article L. 232-14-2.

* 34 Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique .

* 35 Le dopage génétique constitue une méthode interdite par le Code mondial antidopage depuis le 1 er janvier 2003.

* 36 La finalité étant inscrite au niveau législatif, la commission a choisi une rédaction large, qui va au-delà du sang homologue, pour reprendre tous les cas d'usage interdits dans le code mondial du sport, afin d'anticiper la mise au point de techniques qui permettraient de détecter des sangs autologues ou hétérologues.

* 37 Loi n°2015-13

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