EXAMEN DES ARTICLES

TITRE Ier

FAIRE DE LA COMPÉTITIVITÉ DE LA FERME FRANCE
UN OBJECTIF POLITIQUE PRIORITAIRE
Article 1er

Institution d'un Haut-Commissaire à la compétitivité
des filières agricoles et agroalimentaires françaises

Cet article institue un Haut-Commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires françaises. Il apporte son concours à la définition et à la mise en oeuvre des politiques publiques ayant un impact sur la compétitivité des filières, assure une mission de suivi des filières, notamment en présidant les conférences publiques de filières, mais également une mission d'identification et de remontée de leurs difficultés et peut émettre des avis et recommandations sur tout sujet relatif à la compétitivité des filières.

La commission a adopté l'article 1er modifié par cinq amendements précisant notamment :

- que les filières peuvent librement saisir le Haut-Commissaire ( COM-37) ;

- la publicité les avis et recommandations du Haut-Commissaire ( COM-38) ;

- les finalités de la conférence publique de filière ( COM-40).

I. La situation actuelle - Il n'existe pas d'instance unique permettant aux filières de faire remonter facilement et efficacement leurs problématiques concrètes de compétitivité

Première recommandation du rapport sur la compétitivité de la Ferme France1(*), la création d'un Haut-Commissaire répond au constat empirique que les filières n'ont, à ce jour, pas d'interlocuteur unique et bien identifié, dédié à la thématique spécifique de la compétitivité, à ses leviers et aussi et surtout à ses freins, pouvant notamment découler de surtranspositions, c'est-à-dire de mesures législatives ou règlementaires allant au-delà des exigences posées par les textes européens.

Le monde agricole dispose de nombreux interlocuteurs que sont le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et notamment ses services déconcentrés, les établissements nationaux dédiés à la recherche, à l'innovation et à l'accompagnement de l'investissement, notamment l`Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) ou l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), de ses propres instituts techniques, de ses interprofessions, ainsi que des chambres d'agriculture. Ce tissu d'acteurs, qui ne parvient pas toujours à s'accorder sur les priorités du monde agricole, est bien établi ; cependant, aucun « guichet unique » dédié à la compétitivité et aux normes applicables à l'agriculture n'existe à ce jour.

Certains dispositifs de concertation entre filières et d'anticipation des tendances économiques sont bien établis, parmi lesquels le système des conseils spécialisés au sein de FranceAgriMer.

Créé par la loi n° 98-565 du 8 juillet 1998 sous la forme d'offices d'interventions, FranceAgriMer avait déjà comme mission de renforcer l'efficacité économique des filières. Ces établissements publics à caractère industriel et commercial sont devenus, suite à l'ordonnance n° 2009-325 du 25 mars 2009 établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de l'agriculture, avec toujours parmi ses missions, le renforcement de l'efficacité économique des filières2(*). Ses conseils spécialisés par grand type de production, au nombre de sept3(*) et se réunissant trois à huit fois par an, sont des instances de dialogue, de remontées d'informations et, dans une mesure plus moindre, d'anticipation des tendances des filières. Aux dires des filières, ces instances utiles sont en partie dépendantes du niveau de structuration des filières les investissant. Aussi, la fréquence des réunions est variable, tout comme le contenu de celles-ci, dont la dimension « échanges et remontées d'informations » demeure prégnante.

Par ailleurs, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Sapin 2 » prévoit l'institution de conférences publiques de filières, dispositif largement modelé par le Sénat par l'intermédiaire du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Daniel Gremillet. Ces conférences ont pour objectif de favoriser, dans le respect du droit de la concurrence européen, la discussion entre filières sur les perspectives d'évolution des marchés agricoles et agroalimentaires pour l'année à venir, et de formuler des estimations des coûts de production en agriculture ainsi que leur évolution. C'est donc sous l'angle « relations commerciales » que cette instance a été créée, et trouve donc logiquement sa place, à l'article L. 631-27-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) au sein d'une section dédiée au médiateur des relations commerciales agricoles.

Près de six ans plus tard, force est toutefois de constater que ce dispositif n'a pas trouvé l'écho initialement escompté au sein du monde agricole, le décret d'application relatif à la délimitation des filières agricoles et à la composition de la conférence n'ayant même pas été pris par les pouvoirs publics. Nombre d'acteurs auditionnés n'ont tout simplement jamais entendu parler de cette instance. Ces conférences seraient pourtant une opportunité pour les filières de se retrouver annuellement et d'échanger sur les évolutions à venir des marchés à court mais aussi à moyen et long terme, et pourraient également être le lieu de réflexions plus spécifiquement dédiées à la compétitivité, aux leviers à mobiliser et aux freins à lever. Pour cela, une autorité capable d'impulser, d'animer et surtout d'assurer un suivi d'une conférence à l'autre serait indispensable.

Il ressort des nombreux entretiens menés avec les filières à l'occasion de la rédaction du rapport sur la compétitivité de la Ferme France ainsi que de ceux menés dans le cadre de l'instruction de la présente proposition de loi, que les filières agricoles, particulièrement les plus petites, se trouvent souvent démunies face à des décisions venant « d'en haut ». Celles-ci sont parfois mal adaptées à la réalité de leurs contraintes quotidiennes et de leurs pratiques, et peuvent même, localement, aller au-delà des exigences légales et règlementaires, sans fondement apparent. Les syndicats agricoles constituent un relais efficace de leurs problématiques, tout comme les élus de terrain qu'ils côtoient. Cependant, il n'existe aucune entité publique clairement identifiée pour laquelle il suffirait de « sonner à la porte » pour rapporter les problématiques du quotidien, liées à la décision publique, souvent déconcentrée.

C'est ce vide observé que le Haut-Commissaire est appelé à combler, en lien étroit avec l'ensemble des instances existantes, et sous l'égide du ministre chargé de l'agriculture.

II. Le dispositif envisagé - Un interlocuteur de haut niveau et en même temps de terrain, à la croisée du politique et du technique, dédié à la compétitivité des filières

Le dispositif insère un article L. 611-1-A au chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code rural et de la pêche maritime pour instituer un Haut-Commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires.

Le Haut-Commissaire est placé auprès du ministre en charge de l'agriculture uniquement, puisque son rôle serait centré sur la compétitivité agricole et agroalimentaire d'une part, et qu'il n'aurait pas, en propre, de pouvoir d'injonction sur quelconque service. Ainsi, le Haut-Commissaire n'a pas de vocation particulière à se placer à l'échelon interministériel, les recommandations et alertes qu'il formule devant ensuite être débattues au sein d'autres instances, notamment politiques.

Premièrement, le rôle du Haut-Commissaire est d'assurer un suivi régulier de toute difficulté rencontrée par les filières, et ayant trait à la compétitivité de celles-ci. Un travail de recensement et d'objectivation est en effet un préalable nécessaire à d'éventuelles évolutions. La capacité centralisatrice du Haut-Commissaire fera de ce dernier le « guichet unique » des filières en matière de normes en lien avec la compétitivité et notamment de surtranspositions.

Deuxièmement, il apporte son concours à la définition et à la mise en oeuvre des politiques publiques ayant un impact sur la compétitivité des filières, au même titre que d'autres organismes, dans son champ de compétences.

Troisièmement, le Haut-Commissaire est chargé d'assurer le pilotage et le suivi du plan quinquennal pluriannuel de compétitivité des filières instauré par l'article 2 de la présente proposition de loi, dans la continuité de sa mission de soutien à la compétitivité des filières.

Quatrièmement, il préside les conférences publiques de filières, dont il permet par la même occasion la pleine mise en oeuvre, depuis leur institution fin 2016.

Cinquièmement, le Haut-Commissaire a la charge de produire un rapport triennal portant sur la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires, qu'il remet au Gouvernement et au Parlement. Ce rapport analyse notamment les effets des évolutions législatives et règlementaires sur la compétitivité des filières, évalue l'efficacité des mécanismes d'aide et de soutiens existants, met en évidence les déterminants de l'évolution de la balance commerciale agricole et agroalimentaire française et formule des recommandations.

Sixièmement, le Haut-Commissaire se voit conférer la possibilité d'émettre des avis et recommandations sur tout sujet relatif à la compétitivité des filières agricoles. Cette prérogative s'articule logiquement avec la fonction de recueil des difficultés des filières et vise à porter à la connaissance des autorités et du public d'éventuels points bloquants ou propositions d'améliorations permettant de préserver ou d'améliorer la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires.

Pour l'exercice de ses missions, il peut faire appel, en tant que de besoin, aux services du ministère chargé de l'agriculture, de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, de l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer, des chambres d'agriculture et des instituts techniques agricoles. De même, lorsqu'il est saisi d'une difficulté concernant plusieurs ministères, il peut recourir au concours des services des ministères concernés, et en rend compte au Premier ministre et au ministre chargé de l'agriculture. Cette précision montre que le Haut-Commissaire n'a pas vocation à agir en vase clos, coupé de l'expertise d'organismes solidement établis et dotés de moyens importants, mais plutôt de solliciter leurs expertises pour en tirer le meilleur parti, au service de la compétitivité des filières et de la résolution de leurs difficultés du quotidien.

III. La position de la commission - Un dispositif utile à la remontée des difficultés quotidiennes des agriculteurs, enrichi par la commission

La commission partage l'ambition de créer une instance dédiée à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires françaises, au plus près du terrain et à l'écoute des problématiques concrètes qu'elles rencontrent et qui sont de nature à constituer des désavantages compétitifs, particulièrement entre pays d'un même espace européen.

La vocation du Haut-Commissaire n'est pas de se substituer à l'existant mais de compléter utilement cet écosystème par sa vocation de « guichet unique » de recueil des problématiques et propositions des filières, notamment les plus petites, relatives à leur compétitivité.

A l'initiative de la rapporteure, elle a adopté cinq amendements tendant à préciser les missions du Haut-Commissaire :

- l'amendement COM-37 précise explicitement que les filières peuvent le saisir de toute difficulté ;

- l'amendement COM-38 établit que ses avis et recommandations sont publics ;

- l'amendement COM-40 étend le champ de la conférence publique de filières à la compétitivité agricole, quand l'amendement COM-41 précise que la Haut-Commissaire la convoque ;

- l'amendement COM-39 indique que les missions et les moyens du Haut-Commissaire sont précisés par décret.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 2

Mise en place d'un plan quinquennal de compétitivité
des filières agricoles et agroalimentaires

Cet article vise à encourager une meilleure planification à moyen terme des leviers de compétitivité des filières en instaurant un plan quinquennal de compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires.

La commission a adopté l'article 2 modifié, à l'initiative de la rapporteure, par trois amendements permettant notamment d'élargir la portée du plan quinquennal, pour en faire un véritable document-cadre de planification pour les filières agricoles ( COM-42)

I. La situation actuelle - Un défaut de planification systématique et institutionnalisé dans le domaine de la compétitivité agricole et agroalimentaire

Des instances d'échanges et de discussion existent au sein du monde agricole, permettant de produire des éléments de planification plus ou moins spécialisés à plus ou moins longue échéance.

Chambre d'agriculture France, dont l'une des missions est de contribuer à l'amélioration de la performance économique des exploitations agricoles4(*), élabore, avec son réseau, la stratégie nationale du réseau5(*). Actuellement, le projet stratégique 2019-2025 comporte trois axes que sont :

- accompagner l'agriculture dans ses transitions économiques, sociétales et climatiques ;

- créer plus de valeur dans les territoires ;

- faire dialoguer agriculture et société.

De plus, dans le cadre des États généraux de l'alimentation, et en réponse à l'invitation à la structuration des filières formulée par le Président de la République dans son discours de Rungis du 11 octobre 2017, près d'une trentaine de plans de filières ont été remis au ministre de l'agriculture par les interprofessions ou représentants des différentes filières. Ces plans de filières n'avaient pas comme point d'entrée spécifique la compétitivité, mais de manière générale, l'adaptation des filières aux attentes du consommateur, et du marché, avec une invitation forte des pouvoirs publics à la montée en gamme comme source de meilleure rentabilité économique, ou encore à la responsabilité sociétale et environnementale des filières. Ces plans comportent de nombreux engagements chiffrés avec des horizons de moyen terme, notamment sur le développement des productions sous signes de qualité, sur l'évolution des pratiques d'élevage ou encore sur les relations commerciales. Les auditions menées par la rapporteure ont permis de constater que, de manière générale, les filières s'étaient particulièrement engagées dans l'élaboration de leur plan et des indicateurs afférents. Chaque année, elles doivent faire remonter des données relatives à la mise en oeuvre de leur plan aux services du ministère de l'agriculture. Malheureusement, les filières font état d'un défaut de suivi par les autorités de ces plans, pourtant censés être structurants.

Plus récemment, des documents de planification ont été demandés aux filières dans le cadre du Varenne agricole de l'eau, dont les travaux ont débuté le 28 mai 2021, pour s'achever le 1er février 2022. Une charte, signée par les représentants agricoles à l'occasion de la clôture des travaux, manifeste l'engagement des filières à mettre en oeuvre des plans stratégiques d'adaptation au changement climatique d'ici 2025 au sein des filières. De plus, des plans d'adaptation de l'agriculture au changement climatique devront être mis en oeuvre à l'échelon régional.

L'empilement des plans et documents de planification demandés aux filières agricole a été pointé à plusieurs reprises à l'occasion des auditions de la rapporteure. Les filières agricoles adhèrent à la nécessité d'établir, en lien avec les pouvoirs publics, des documents de planification. Ils pointent cependant la multiplication de ces documents, intervenant souvent dans le cadre d'annonces politiques, et ne faisant, après leur élaboration, l'objet que d'un faible suivi de la part des autorités publiques. De plus, la question de la compatibilité des plans entre eux a été soulevée, tout comme la nécessaire actualisation des documents de planification au fil des années.

Ont ainsi été cités, outre les plans de filière et les plans d'adaptation au changement climatique, le plan Ecophyto, la stratégie nationale nutrition climat, ou encore des plans sectoriels comme le plan de souveraineté fruits et légumes. Une forme de cohérence et de ligne directrice est donc nécessaire, avec, au centre, les questions de compétitivité et de résilience de l'agriculture française.

II. Le dispositif envisagé - Un plan quinquennal de compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires

L'article 2 insère, au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre VI du code rural et de la pêche maritime, un article L. 611-1-1 établissant que dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente proposition de loi, puis tous les cinq ans à compter de la publication du premier plan, un plan quinquennal de compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires est élaboré par le ministre chargé de l'agriculture, en concertation avec les filières et en lien avec le haut-commissaire à la compétitivité.

Ce plan établit notamment la liste des investissements essentiels à la compétitivité et à la résilience de chaque filière. Les financements publics en faveur de l'investissement en agriculture et dans le secteur agroalimentaire tiennent compte des priorités ainsi établies.

En résumé, de même que le Varenne de l'eau invite à une meilleure planification dans le domaine de l'adaptation au changement climatique, ce plan quinquennal invite à une meilleure planification économique, au service de la compétitivité des structures agricoles et agroalimentaires.

III. La position de la commission - L'enjeu de la compétitivité ainsi que les mutations en cours de l'agriculture rendent la planification indispensable

La commission partage pleinement l'ambition de disposer d'un outil de planification économique, décliné filière par filière, secteur par secteur.

Rappelant que la Ferme France est passée du rang de deuxième exportateur mondial dans les années quatre-vingt-dix à celui de sixième en 2015, supplantée notamment par les Pays-Bas et l'Allemagne, et que ses parts de marché sont passées de 11 % en 1990 à moins de 5 % en 2021, un véritable « plan de bataille » quinquennal pourrait permettre d'orienter les investissements de manière cohérente vers des objectifs de moyen terme partagés par les filières et les pouvoirs publics.

L'exemple de la pomme, symbole de l'agriculture française, est à ce titre illustratif. Entre 1985 et 2020, la France a vu sa production reculer de 31 % alors même que la production mondiale augmentait de 115 %, la France perdant chaque jour depuis une décennie, 1,26 hectare de verger dédié à la production de pommes et accusant une baisse tendancielle des rendements à l'hectare6(*). Le corollaire de cette situation est un effondrement des exportations françaises7(*), ouvrant la porte aux importations d'un produit profondément associé au terroir français. Des investissements lourds sont donc à prévoir pour accompagner la filière dans la reconquête de sa compétitivité « prix ». Il ne serait donc pas illogique, pour cette filière comme pour les autres, de disposer d'un plan quinquennal décrivant une trajectoire pluriannuelle de reconquête de compétitivité, notamment par la détermination des investissements essentiels pour lesquels les pouvoirs publics devraient apporter leurs concours par l'intermédiaire des financements issus du Casdar ou encore de France 2030.

La commission se montre cependant attentive à la nécessité de ne pas multiplier à l'infini les documents de planification et surtout d'assurer le dialogue entre les stratégies sectorielles existantes. Elle a ainsi adopté, à l'initiative de sa rapporteure, trois des amendements traduisant ce souci :

- l'amendement COM-42, d'une part, complète le plan quinquennal en faisant explicitement référence à la problématique de l'adaptation de l'agriculture, et, d'autre part, précise sa vocation à agréger les différents plans et documents de planification existant, de manière à disposer d'un document unique et cohérent ;

- l'amendement COM-43 précise que le haut-commissaire assure le suivi du plan quinquennal, condition nécessaire à sa réussite ;

- l'amendement COM-44 procède à une correction rédactionnelle.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 3

Mise en place d'un fonds de soutien à la compétitivité
des filières agricoles en difficulté

Cet article vise à instaurer un fonds de soutien à la compétitivité des filières agricoles en difficulté, alimenté par le produit d'une hausse de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom)

La commission a adopté l'article 3 modifié par un amendement COM-45 de sa rapporteure visant à laisser le Gouvernement libre dans le choix des financements mobilisés pour abonder le fonds.

I. La situation actuelle - Le besoin d'un choc d'investissement dans de nombreuses filières

A. Des filières, notamment les plus petites, en manque alarmant de compétitivité

Le rapport sur la compétitivité de la Ferme France pose le constat chiffré et documenté d'un déclin de la Ferme France en raison, pour l'essentiel, d'un déficit de compétitivité. La direction générale du Trésor, citée par le rapport, estime que le recul français « résulte surtout d'un déficit de compétitivité, qui expliquerait plus de 70 % de la réduction du solde, et dans une moindre mesure d'un positionnement moins favorable sur les marchés porteurs »8(*).

Source : FranceAgriMer

Ce déclin touche pratiquement l'ensemble des produits agricoles français, mais est particulièrement alarmant concernant la filière fruits et légumes pour laquelle 28 % de la consommation de légumes et 71 % de la consommation de fruits est importée9(*).

Au sein de cette large filière, certaines filières spécifiques sont impactées à l'image de la tomate. Alors que la production mondiale de tomate en 2021 est supérieure de 50 % à celle de 2004, la production française n'a pas évoluée depuis 1990, stagnant à un plus de 800 000 tonnes. Cette stagnation cache en réalité la chute de la production de tomate d'industrie, passant de 371 000 tonnes en 1999 à 150 000 à 175 000 tonnes actuellement. Ce constat s'explique par des écarts de compétitivité majeurs avec ses principaux concurrents, le Maroc, l'Espagne et l'Italie : coût de la main d'oeuvre, coût des intrants, surtranspositions, manque d'investissements. Le besoin de soutien à l'inversement de la filière est criant, comme l'a montré la consommation en 24 heures des 10 millions d'euros d'aides à l'investissement temporaire dans les serres agricoles, ouvertes par FranceAgriMer début 2022 dans le cadre du plan de relance.

De nombreuses autres filières font état d'un besoin urgent d'investissement, et particulièrement les petites filières, comme l'illustre l'exemple de la lentille.

La lentille française fait simultanément face à des rendements faibles et une qualité moindre du produit en raison des attaques de bruches Signaticornis, coléoptères ravageurs des légumineuses contre lesquelles la filière est laissée sans solution phytopharmaceutique. La variété cultivée en France est l'Anicia, mise au point en 1966, mal adaptée aux conséquences du changement climatique et à la multiplication des attaques de ravageurs.

L'industrie tolère la présence d'une graine bruchée sur 10 000, alors qu'en moyenne, 10 à 15 % des graines produites actuellement sont bruchées, ce qui constitue un péril majeur pour l'ensemble de la filière, contrainte de multiplier les étapes de tri après la récolte, entrainant d'importants surcoûts. Un important travail de recherche est donc indispensable, pour mieux comprendre l'insecte ravageur, mieux mesurer les dégâts qu'il cause, et surtout améliorer la sélection variétale. Ces travaux impliquent des investissements non négligeables et pérennes, difficilement supportables par la seule interprofession.

La situation du poids est par ailleurs très similaire avec une production moyenne passée de 50 à 30 quintaux à l'hectare et un impact du changement climatique appelant de forts investissements en recherche.

B. Des soutiens publics exceptionnels mais non pérennes

Favoriser la compétitivité passe nécessairement par la recherche appliquée en agriculture. À ce titre, le programme national de développement agricole et rural (PNDAR), et son instrument financier, le compte d'affection spécial développement agricole et rural (Casdar) financent cette recherche appliquée, par l'intermédiaire des instituts techniques. Le plafond du Casdar fait chaque année l'objet d'un bras de fer entre le Gouvernement et la haute assemblée, l'entièreté du produit de la taxe affectée (taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles), payée par les agriculteurs, ne lui étant pas affectée. Pour 2023, le Sénat a obtenu que l'excédent des recettes de 2022, soit 17 millions d'euros, soit débloqué et ajouté au budget de 126 millions d'euros annuel. L'affectation du total du produit de cette taxe, imaginée pour que les agriculteurs paient eux-mêmes leur recherche appliquée, devrait aller de soi, particulièrement au regard des besoins d'investissement du secteur.

Par ailleurs, des soutiens exceptionnels et non pérennes ont été mis en place pour favoriser l'innovation et l'investissement, dans le cadre du plan de relance puis du plan « France 2030 ».

Le plan de relance comportait un volet agricole pour un montant total de 1,5 milliard d'euros, déployé entre 2021 et 2022. Des mesures avaient vocation à soutenir l'investissement en agriculture. On citera notamment :

- la prime à la conversion des agroéquipements (198,4 millions d'euros) : selon le ministère de l'agriculture, 14 636 projets ont été retenus dans le cadre de cette aide à l'investissement ;

- l'aide aux investissements de protection face aux aléas climatiques (166 milliards d'euros) : 6 496 projets ont été sélectionnés, portant, par ordre décroissant, sur la sécheresse, le gel et la grêle ;

- le plan protéines végétales (130,3 millions d'euros), qui comporte un volet agroéquipements (75 millions d'euros).

Interrogé, le ministère indique que toutes les enveloppes de ces dispositifs, gérées soit par FranceAgriMer, soit par l'Agence de services et paiement (ASP), seront consommées, avec des paiements courant jusqu'en 2024.

Le plan « France 2030 » mobilise des fonds à destination de la compétitivité de l'agriculture et la filière bois-forets. Au total, le bloc 6 « agriculture et alimentation » est doté de 2,977 milliards d'euros, dont 1,5 milliard dédié à l'innovation dans les secteurs agricoles et alimentaires. La recherche variétale, point crucial pour de nombreuses filières, bénéficiera du soutien du plan. De même, dans le cadre de ce plan, 100 millions d'euros par an seront mobilisés pour venir spécifiquement en soutien de la filière des fruits des légumes, dans le cadre de l'enveloppe dédiée aux agroéquipements, et 100 millions d'euros seront également mobilisés pour la recherche.

Bien accueillis par les filières, notamment le « plan de souveraineté fruits et légumes », ces financements ont cependant vocation à s'éteindre fin 2024 et ne suffiront pas à couvrir les besoins de long terme des filières. À titre d'exemple, l'effort consenti pour la filière fruits et légumes, 400 millions d'euros sur deux ans en additionnant les dispositifs, se donne pour ambition, somme toute modeste, le gain de cinq points de souveraineté d'ici 2030, illustrant ainsi l'ampleur du soutien nécessaire au redressement de la compétitivité de la ferme France, qui ne peut se résumer aux crédits du Casdar, complétés, uniquement pour 2023 et 2024 des financements du plan de relance et du plan « France 2030 ».

C. Sur la taxe sur les surfaces commerciales

Instituée à l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) est assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite, et que leur chiffre d'affaires annuel hors taxes est au moins égal à 460 000 €.

Le produit de Tascom a été transféré aux collectivités territoriales en 2011, dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle. Depuis 2015, l'État perçoit également le produit de majoration de 50 % de la taxe sur les surfaces commerciales pour les établissements dont la surface de vente excède 2 500 m². En 2021, selon les documents budgétaires transmis au Parlement, le rendement la taxe s'est élevée à 794 millions d'euros à destination des collectivités locales, et 189 millions d'euros pour l'État, soit un total de 983 millions d'euros.

II. Le dispositif envisagé - La mise en place d'un fonds de soutien alimenté par le produit d'une hausse de la Tascom

L'article 3 complète le I de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime de quatre alinéas visant à mettre en place un fonds spécial de soutien à la compétitivité des filières en difficulté, géré par le haut-commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires. Ce fonds spécial est alimenté par une fraction du produit de la taxe sur les surfaces commerciales. Un décret détermine le mode de fonctionnement du fonds ainsi que les conditions d'éligibilité qui lui sont attachées.

Par ailleurs, pour alimenter ce fonds, l'article 3 insère un alinéa avant le dernier alinéa du 1.2.4.1 de l'article 77 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 visant à affecter 25 % du rendement de la taxe au fonds spécial ainsi créé à l'article L. 1 du code rural.

Enfin, pour ne pas pénaliser les recettes des collectivités locales, bénéficiaires de la Tascom, l'article 3 procède au rehaussement des taux de contribution à la Tascom, de manière à ce que le rendement de la taxe augmente également de 25 %.

III. La position de la commission - Un indispensable soutien aux filières en difficulté dans leurs efforts de recherche, de modernisation et d'adaptation au changement climatique

La commission des affaires économiques du Sénat a adopté l'article 3 de la proposition de loi, considérant que les filières agricoles et agroalimentaires faisaient face à un tel défi de compétitivité qu'elles ne pouvaient se contenter de financements exceptionnels ici ou là, à l'occasion de plans de soutien ponctuels.

Elle a adopté, à l'initiative de la rapporteure, un amendement COM-45 visant à supprimer la référence à la Tascom, considérant qu'il appartient au Gouvernement de déterminer les modalités d'abondement de ce fonds.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

TITRE II

RELANCER LA CROISSANCE DE LA PRODUCTIVITÉ DE LA FERME FRANCE PAR L'INVESTISSEMENT ET LE PRODUIRE LOCAL
Article 4

Création d'un livret Agri

Cet article vise à créer un nouveau produit d'épargne défiscalisé avec pour objectif d'orienter l'épargne populaire vers des investissements en agriculture visant à améliorer la compétitivité et l'adaptation au changement climatique.

La commission a adopté l'article 4 enrichi de quatre amendements de la rapporteure, dont l'amendement COM-48 précisant que les sommes collectées au titre du livre Agri peuvent également être employées pour le soutien à l'accès au foncier agricole des jeunes agriculteurs.

I. La situation actuelle - Des produits d'épargne défiscalisés variés mais aucun destiné à l'agriculture

Le chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier régit une série de produits d'épargne pour lesquels un régime fiscal spécifique s'applique : le livre A, le livret d'épargne populaire, le livret jeune, le livret de développement durable et solidaire (LDDS), le livret d'épargne-logement, le plan d'épargne en actions et le compte épargne d'assurance pour la forêt.

Ces livrets plafonnés offrent à leurs détenteurs une absence de fiscalisation jusqu'à un certain seuil, avec, en contrepartie, une rémunération règlementée.

Le livret A, actuellement plafonné à 22 950 euros pour les particuliers, pour la partie non fiscalisée, avec un taux d'intérêt fixé par le ministre de l'économie, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, à 3 % depuis le 1er février 2023, est le livret le plus connu et le plus plébiscité par les Français. L'épargne collectée est centralisée, pour une part, 65 %, vers un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations10(*). Les fonds sont affectés en priorité au financement du logement social11(*). Les fonds non centralisés à la Caisse des dépôts doivent être employés au financement des petites et moyennes entreprises, et un rapport annuel des établissements distribuant le livret A ou le LDDS doit être rendu public présentant l'emploi des ressources non centralisées collectées au titre de ces deux livrets.

Il en va de même pour le LDDS, dont le plafond est fixé à 12 000 euros, pour une rémunération également établie à 3 %. L'épargne collectée par l'intermédiaire de ce livret sert à financer les petites et moyennes entreprises ainsi que l'économie sociale et solidaire.

L'intérêt de ces livrets est d'orienter l'épargne des Français, qui s'élève, à la fin du troisième trimestre 2022, à 862 milliards d'euros, dont environ 500 milliards pour les seuls livrets A et LDDS12(*), vers des priorités définies par le législateur. La France se situe, à l'exception de l'Allemagne, au-dessus des principaux pays de la zone euro, du Royaume-Uni et des États-Unis en termes de taux d'épargne non financière des ménages. Ce dernier s'établit, au troisième 2022, à 16,3 %13(*).

II. Le dispositif envisagé - Un produit d'épargne spécifiquement destiné au financement de certains investissements agricoles

Le dispositif envisagé insère une section 4 bis dénommée « Le livret Agri » au sein du chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier.

Sur le modèle du livret A et du LDDS, l'épargne collectée est orientée, en l'espèce vers le financement des investissements des structures agricoles et agro-alimentaires, notamment pour l'amélioration de leur compétitivité, leur mécanisation, la réduction de leur empreinte climatique ou l'atténuation des conséquences du changement climatique.

De même que pour le livret A et le LDDS, une quote-part du total des dépôts collectés, déterminée par voie règlementaire, est centralisée par la caisse des dépôts et consignations dans le fonds d'épargne qu'elle gère.

III. La position de la commission - La double nécessité d'assurer le financement des investissements agricoles et agroalimentaires, et de rapprocher les citoyens de leur agriculture

La commission partage l'ambition de rapprocher les citoyens de leur agriculture, en permettant à ceux-ci de participer directement à sa modernisation.

L'agriculture ne souffre pas d'une insuffisance majeure de financement, puisque l'on constate que les encours d'emprunts progressent d'année en année. On peut toutefois noter qu'ils progressent à un rythme inférieur à la moyenne globale de l'ensemble des secteurs, puisqu'en septembre 2022, les encours du secteur de l'agriculture, la sylviculture et la pêche s'établissaient à 61,9 milliards d'euros, contre 53,2 milliards d'euros en septembre 2018, soit une augmentation de 16,3 %, là où le montant total des encours de l'ensemble des secteurs a progressé de 33,9 % sur la même période. L'actif total agricole à la clôture de l'exercice 2019 s'élevait à 457,1 milliards d'euros, avec un actif moyen de 457 100 euros par exploitation14(*).

Dans un contexte de forte remontée des taux d'intérêt, assurer, par l'intermédiaire du livret Agri, un accès au crédit à un taux raisonnable apparaît comme une nécessité pour le monde agricole, et participerait par la même à la diversification des sources de financement à destination de ce secteur.

Par ailleurs, durant les auditions, la rapporteure a pris acte du besoin de financement matériel mais également immatériel, et singulièrement logiciel des agriculteurs, dans un contexte de développement d'outils prédictifs et d'aide à la décision, porté par un écosystème de jeunes entreprises françaises innovantes (AgriTech). Ces investissements représentent l'avenir d'une agriculture plus moderne, sobre en intrants, résiliente, et attractive pour des jeunes actifs souhaitant pouvoir conjuguer vie professionnelle et vie personnelle.

La commission a ainsi adopté l'article 4 complété, à l'initiative de la rapporteure, de quatre amendements :

- l'amendement COM-46 précise que les investissements au titre du livret Agri s'entendent au sens matériel et immatériel ;

- l'amendement COM-48 précise que les sommes collectées au titre du livret Agri peuvent être employées pour soutenir l'accès au foncier agricole des jeunes agriculteurs ;

- les amendements COM-47 et COM-49 procèdent à des précisions rédactionnelles.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 5

Mise en place d'un crédit d'impôt en faveur de l'investissement
dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire

Cet article vise à mettre en place un crédit d'impôt à destination des entreprises exerçant une activité agricole ou agroalimentaire et des sociétés coopératives agricoles des secteurs les plus intensifs en main d'oeuvre, pour encourager les dépenses d'investissement en faveur de la réduction des coûts de production, l'amélioration de la compétitivité « prix » ou l'adaptation au changement climatique.

La rapporteure a souhaité, par cinq amendement, préciser les contours du dispositif ainsi que plafonner le montant maximum du crédit d'impôt à 20 000 euros pour prévenir tout risque de surinvestissement dans certains secteurs ( COM-51). Elle a également souhaité inclure la gestion économe de l'eau parmi les finalités pour lesquelles un investissement est éligible au crédit d'impôt ( COM-52).

La commission a adopté l'article 5 ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Une absence de dispositif fort pour encourager l'investissement productif en agriculture et dans le secteur agroalimentaire

En application de l'article 39 du code général des impôts, le bénéfice net, c'est-à-dire le bénéfice imposable, est établi sous déduction de toutes charges de l'entreprise, sous certaines conditions. Les investissements réalisés par une entreprise connaissent une usure dans le temps et donc une perte de valeur, considéré comme une charge, déductible du bénéfice imposable. C'est le principe de l'amortissement.

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (loi dite « Macron ») avait mis en place, suite à la déclaration du Premier ministre du 8 avril 201515(*), un dispositif de suramortissement, permettant aux entreprises réalisant un investissement productif de déduire de leur résultat imposable 40 % de la valeur de l'investissement, impliquant une économie d'impôt de 13,3 % du montant de l'investissement, au taux normal de l'impôt sur les sociétés. Cette disposition, codifiée à l'article 39 decies du CGI, visait à encourager l'investissement productif des entreprises, qui accusaient un important retard par rapport à d'autres pays européens comme l'Allemagne. Progressivement élargie dans son champ, notamment aux associés coopérateurs des coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma)16(*), cette déduction exceptionnelle était limitée dans le temps, du 15 avril 2015 jusqu'au 14 avril 2016, étendu au 14 avril 2017 par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Le coût estimé du dispositif, avant son extension d'une année, était de 2,5 milliards d'euros sur cinq ans.

Les entreprises agricoles ont pu bénéficier de ce suramortissement pour l'achat d'une grande variété de biens et matériels, listés dans une instruction fiscale du 2 septembre 201517(*).

Sans pouvoir établir un lien de causalité net, on observe une corrélation entre la mise en place du dispositif et l'augmentation des investissements dans l'industrie manufacturière en général (tableau ci-dessous) et dans l'industrie agroalimentaire en particulier, avec une évolution annuelle de l'investissement constatée passant de - 0,1 % en 2015 à 9,5 % en 2016 puis 4,9 % en 201718(*).

Ce dispositif s'est éteint, conformément à la loi, au 14 avril 2017.

II. Le dispositif envisagé - Un crédit d'impôt en faveur de l'investissement productif et de l'adaptation au changement climatique dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire intensifs en main d'oeuvre

Le présent article crée un article 39 decies A au sein du code général des impôts visant à mettre en place un crédit d'impôt en faveur de l'investissement productif et de l'adaptation au changement climatique dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire intensifs en main d'oeuvre. Ce dispositif comporte plusieurs différences notables avec le dispositif de suramortissement temporaire précédemment décrit.

Premièrement, il est spécifiquement destiné aux entreprises du secteur agricole et agroalimentaire, ainsi qu'aux Cuma, dans le but de répondre au déclin tout particulier de compétitivité de ces secteurs. Il prévoit qu'un arrêté du ministre chargé de l'agriculture établisse la liste des secteurs concernés ainsi que les équipements éligibles. Son coût est donc nécessairement bien moindre que le coût du précédent dispositif, qui englobait l'ensemble du secteur industriel français.

Deuxièmement, ces investissements doivent avoir pour finalité la réduction ou la participation à la réduction de leurs coûts de production, l'amélioration de leur compétitivité-prix ou l'adaptation au changement climatique.

Troisièmement, contrairement au dispositif issu de la loi du 6 août 2015, il est proposé de mettre en place un crédit d'impôt d'une somme égale à 40 % de la valeur des biens acquis. À la différence d'une déduction fiscale, qui consiste en la déduction d'une somme du revenu imposable, le crédit d'impôt est une somme soustraite au montant de l'impôt et est remboursée si son montant dépasse celui de l'impôt ou si l'entité n'est pas imposable. Choisir le crédit d'impôt permettrait d'inclure dans le dispositif des entreprises plus faiblement bénéficiaires et donc en besoin tout particulier de compétitivité.

Ce crédit d'impôt serait ouvert du 1er avril 2023 au 1er avril 2026.

III. La position de la commission - L'urgence à encourager l'investissement dans les secteurs agricoles et agroalimentaires

La commission considère qu'il est urgent de relancer l'investissement productif en agriculture et dans l'industrie agroalimentaire, tant les pertes de compétitivités, se traduisant par des pertes de marché, se sont accélérées ces dernières années.

Particulièrement l'industrie agroalimentaire, essentiellement en raison de la guerre des prix que se livrent les grandes surfaces et dont elle est l'otage, a vu sa productivité s'éroder en continue entre 1995 et 2015, à raison de - 0,4 % par an19(*). Cette industrie, par ailleurs forte utilisatrice de main d'oeuvre, pourrait donc se saisir utilement de ce dispositif pour entamer ou poursuivre une reconquête de ses marges et donc de sa compétitivité, tout en investissant dans son adaptation au changement climatique.

De plus, le changement climatique implique, pour les filières agricoles, l'impérieuse nécessité de s'adapter et d'atténuer ses effets désormais très concrets, comme l'a illustré la sécheresse de l'été 2022, qui a entraîné une baisse des rendements de 10 à 30 % de la production agricole de nombreuses filières20(*). Or, l'adaptation et l'atténuation sont des démarches coûteuses, qui viennent s'ajouter à d'autres nécessités d'investissement telles que celles liées aux multiples retraits de produits phytosanitaires du marché. Face au mur d'investissement se présentant devant le monde agricole, un dispositif de crédit d'impôt semble dès lors justifié et souhaitable.

Afin d'éviter de potentiels effets d'aubaine inhérents à ce type de dispositifs, notamment le surinvestissement ou des rotations de matériels sur des durées courtes, la commission a adopté, à l'initiative de sa rapporteure, un amendement COM-51 fixant un plafond au montant maximum du crédit d'impôt engendré par un investissement. Ce plafond s'établit à 20 000 euros.

Face au développement des nouvelles technologies, outils de résilience et de compétitivité désormais incontournables, elle a souhaité préciser également, par un amendement COM-53, que les investissements pouvaient s'entendre aussi bien en termes matériels qu'immatériels.

De même, la rapporteure a souhaité inclure, parmi les finalités pour lesquelles un investissement pourra bénéficier du crédit d'impôt, la gestion économe de l'eau ( COM-52).

Un amendement COM-50 apporte des précisions rédactionnelles tandis que l'amendement COM-54 précise le cadre européen applicable au crédit d'impôt.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 6

Augmentation des plafonds de la déduction pour épargne de précaution

Cet article vise à augmenter les seuils de la déduction pour épargne de précaution.

À l'initiative de la rapporteure, un amendement COM-72 a recalibré la hausse des seuils, notamment en tenant compte de l'inflation constatée entre 2019 et 2022.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié

I. La situation actuelle - La mise en place en 2019 d'une déduction pour épargne de précaution pour favoriser la résilience des exploitations agricoles

A. La mise en place de la déduction pour épargne de précaution

La déduction pour épargne de précaution (DEP), qui figure à l'article 73 du code général des impôts, a été instituée par l'article 51 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019. Initialement censée s'éteindre au 31 décembre 2022, cette déduction a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2025 par article 49 de la LOI n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, qui prévoit par ailleurs que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 1er septembre 2024, un rapport évaluant son coût pour l'État, ainsi que son efficacité au regard des objectifs qui lui sont fixés. Ce rapport devra également identifier les pistes d'évolution envisageables.

La DEP se substitue ainsi aux dispositifs antérieurs, la déduction pour investissement (DPI) et la déduction pour aléas (DPA), dispositifs remaniés à de nombreuses reprises, mais n'ayant, pour ce qui est de la DPA, jamais véritablement pénétré le monde agricole21(*). Selon les données transmises par lie ministère de l'agriculture, en 2021, soit seulement deux ans après son instauration, 28 403 entreprises agricoles avaient recours au dispositif, pour un coût pour les finances publiques de de 111 millions d'euros. De son côté, le Crédit agricole indique que fin 2022, 53 306 comptes DEP étaient ouvert au sein de leur établissement, pour un montant total d'encours de 804 millions d'euros.

La déduction pour épargne de précaution permet de lisser la volatilité des revenus agricoles, compenser les pertes d'une mauvaise année, et alléger les prélèvements qu'une excellente année engendrerait. Les conditions liées à son utilisation sont très souples, gage de sa bonne adoption par le monde agricole.

Elle s'exerce à la condition que l'exploitant ait inscrit à un compte courant ouvert auprès d'un établissement de crédit une somme comprise entre 50 % et 100 % du montant de la déduction. À noter que cette condition d'inscription au compte courant est réputée satisfaite à concurrence des coûts qui ont été engagés pour l'acquisition ou la production de stocks de fourrage destiné à être consommé par les animaux de l'exploitation ou de stocks de produits, notamment de la viticulture, ou d'animaux, dont le cycle de rotation est supérieur à un an. Elle peut par ailleurs être mobilisée pour l'acquisition d'immobilisations, un encadrement accompagnant cette possibilité et visant à prévenir les cessions prématurées de matériels roulants.

La DEP est plafonnée annuellement en fonction du niveau de bénéfice agricole imposable. Elle l'est également globalement, avec un plafond absolu fixé à 150 000 euros pour les exploitants individuels. Pour les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) et les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL), ces plafonds sont multipliés par le nombre d'associés exploitants dans la limite de quatre, sans pouvoir excéder le montant du bénéfice imposable. Enfin, les sommes déduites au titre de la DEP doivent être utilisées au cours des dix exercices suivant celui au cours duquel la déduction a été pratiquée ; à défaut, elles sont rapportées au résultat du dixième exercice suivant celui au titre duquel la déduction a été pratiquée.

Source : Commission des finances du Sénat

Le plafond correspondant au montant total des déductions pratiquées et non encore rapportées au résultat de 150 000 euros n'a pas évolué depuis l'instauration de la DEP en 2019. Plus encore, ce plafond correspond à celui établit par la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificatives pour 201222(*) pour le cumul anciens dispositifs de DPI et DPA. Bien que les dispositifs aient évolué, puis aient été remplacés par un dispositif unique, ce plafond global n'a, quant à lui, pas évolué depuis plus de 11 ans.

Enfin, l'article 34 de la loi de n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a acté l'actualisation chaque année en fonction de la variation de l'indice des prix à la consommation hors tabac, des seuils de la DEP, ce qui constitue un signal positif envers le monde agricole.

B. Un mouvement de concentration des exploitations agricoles

On observe de longue date un phénomène de restructuration des exploitations agricoles, se traduisant par un mouvement continu de concentration des exploitations. Cette concentration est le produit de facteurs divers parmi lesquels les évolutions techniques, la problématique du renouvellement des générations ou encore les contraintes de la compétition économique intra-européenne et mondiale. Au regard de la taille des exploitations des concurrents européens et mondiaux, et du caractère souvent intensif des productions, les concentrations observées en France doivent être cependant relativisées.

Le nombre d'étables de plus de 100 vaches laitières a ainsi augmenté de 700 à 1 000 par an de 2013 à 202023(*). De manière générale, le recensement agricole de 2020 (RA 2020) permet d'observer qu'au niveau national, le ratio surface agricole utile (SAU)/nombre d'exploitations agricoles est passé de 52,6 hectares en 2010, date du précédent recensement, à 64,6 hectares en 2020, soit une augmentation de près de 23 % en 10 ans. L'évolution de la production brute standard (PBS) confirme, d'un point de vue économique, ce mouvement de concentration, puisqu'elle s'élève en 2020 à 157 000 euros, contre 134 000 euros en 2012, soit une augmentation de plus de 17 %24(*).

Pourtant, les plafonds de la DEP n'ont, eux, pas évolués.

C. Une multiplication des aléas climatiques et de leur intensité

En parallèle, la France, comme la plupart des pays du globe, voit se multiplier les aléas climatiques. Ces aléas impactent directement la production agricole, mettant les exploitations en situation de graves déséquilibres économiques, et mettant à risque l'indépendance alimentaire nationale.

En région Auvergne-Rhône-Alpes, plusieurs départements ont subi successivement d'intenses épisodes de grêle puis de gel en 2019, 2020 et 2021, fragilisant toute la filière de l'arboriculture.

De même, selon le Retour d'expérience sur la gestion de l'eau lors de la sécheresse 2022 établi en mars 2023 conjointement par l'inspection générale de l'environnement et du développement durable, l'inspection générale de l'administration et le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, les rendements agricoles ont accusé une baisse de 10 à 30 % en 2022 en raison d'un épisode de sécheresse unique, appelé dans les années à venir à ne plus l'être. Plus particulièrement la production cumulée des prairies s'est établie à un niveau inférieur de 33 % à la moyenne des vingt dernières années.

La loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, très largement marquée par l'empreinte du Sénat et de son rapporteur, Laurent Duplomb, représente la fondation d'une stratégie globale de résilience face aux aléas à destination du monde agricole, incluant nécessairement la déduction pour épargne de précaution, outil central du pilotage économique pluriannuel des exploitations agricoles. Ce pilotage pluriannuel contribue à lisser, d'un point de vue économique ces aléas, en permettant aux exploitations de constituer des réserves les années favorables, pour pouvoir réintégrer les sommes ainsi mis de côté les années défavorables.

II. Le dispositif envisagé - Une hausse des plafonds pour tenir compte du phénomène de l'évolution des exploitations agricoles et de la multiplication des aléas climatiques sévères

Le dispositif proposé vise à rehausser l'ensemble des seuils de la DEP figurant à l'article 73 du code général des impôts, pour tenir compte d'une part de la multiplication des aléas climatiques et de leur intensité, et d'autre part du phénomène de concentration des exploitations agricoles, entraînant donc, en moyenne, un accroissement du bénéfice agricole par exploitation.

Les nouveaux plafonds s'établiraient comme suit :

Bénéfice agricole

Montant maximal de la déduction

De 0 à 40 000 € de bénéfice

100 % du bénéfice

 

De 40 000 € à 75 000 € de bénéfice

40 000 € + 40 % du bénéfice excédant 40 000 €

54 000 €

De 75 000 € à 10 000 € de bénéfice

54 000 € + 30 % du bénéfice excédent 75 000 €

61 500 €

De 100 000 € à 150 000 € de bénéfice

75 000 € + 20 % du bénéfice excédent 100 000 €

71 500 €

Plus de 150 000 € de bénéfice

71 500 €

71 500 €

Source : Commission des affaires économiques du Sénat

Ainsi, le montant maximal de la DEP s'établirait à 71 500 euros, soit une augmentation de 72,7 % du montant maximal actuel, qui s'établit à 41 400 euros.

Conséquence logique de cette relevée des plafonds, il est également proposé de relever le plafond de 150 000 euros correspondant au montant total des déductions pratiquées et non encore rapportées au résultat, pour le porter à 240 000 euros, soit une hausse de 60 %.

III. La position de la commission - Une mise à niveau des plafonds indispensable dans un contexte de mutation de l'agriculture

Face aux défis que constitue la multiplication des aléas climatiques et de leur intensité, la commission soutient pleinement le rehaussement des plafonds de la DEP, outil incontournable de la gestion pluriannuelle des risques d'une exploitation agricole, mais aussi outil permettant de réaliser des investissements indispensables à la modernisation des exploitations.

Toutefois, à l'initiative d'un amendement COM-72 de sa rapporteure, la commission a souhaité trouver le bon équilibre pour parvenir à une hausse pertinente. Elle s'est donc fondée sur l'inflation constatée entre 2019, date d'instauration du dispositif et 2022, soit 8,65 %, pour proposer une hausse du premier seuil, celui jusqu'auquel 100 % du bénéfice imposable est déductible. Ce seuil évolue ainsi à la hausse, passant de 27 000 euros à 29 500 euros. Les autres seuils sont mécaniquement rehaussées, avec, pour finir, une déduction maximale annuelle passant de 41 400 euros à 59 112 euros, soit une augmentation de près de 43 %. Le plafond pluriannuel est quant à lui porté à 200 000 euros, contre 150 000 euros actuellement.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 7

Expérimentation d'une déduction
pour épargne de précaution supplémentaire en cas de contractualisation

Cet article vise à mener une expérimentation consistant en une déduction pour épargne de précaution supplémentaire en cas de contractualisation entre les filières animales et végétales.

La commission a adopté l'article 7 modifié par deux amendements de forme.

I. La situation actuelle - Des coûts de production des filières animales soumises aux aléas des cours mondiaux des céréales

Les produits agricoles s'échangeant sur un marché mondialisé, au sein duquel les cours subissent de constantes fluctuations, résultantes des évolutions de l'offre et de la demande globale, ainsi que de l'évolution du coût des matières premières. Au sein de l'Union européenne, cette situation est relativement récente puisque jusqu'en 1992, l'Union, par l'intermédiaire de la politique agricole commune (PAC) disposait d'un système de prix garantis des denrées agricoles, dans le but de stimuler la production de ses pays membres et d'atteindre l'autonomie alimentaire qui faisait défaut après-guerre. De 1992 à 2003, la PAC est progressivement réorientée, sous l'effet des déséquilibres liés à une surproduction agricole dont les prix à l'export devaient être largement subventionnés pour être compétitifs, ainsi que des négociations internationales au sein des différents « rounds » de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). La libéralisation progressive de la PAC a permis un fort accroissement de la demande en céréales européennes des filières animales, en raison d'une baisse des prix. Même si des instruments d'intervention existent, notamment en cas d'effondrement des cours, les productions européennes sont désormais largement insérées dans un marché global, dont les cours fluctuent nécessairement.

Aujourd'hui, c'est à une problématique de valorisation que font face les filières animales. Ces derrières subissent les fluctuations des cours des céréales, dont dépend en partie l'alimentation des bêtes, notamment le porc. La guerre en Ukraine a engendré une forte hausse des cours des céréales, renchérissant les coûts de production des filières animales, qui ne parviennent que partiellement à répercuter cette hausse dans leur prix de vente. Ainsi, entre 2017 et 2023, le cours du blé tendre a augmenté de 53 % quand, dans le même temps, le cours du porc n'a augmenté que de 31 %. Une contractualisation inter-filières permettrait aux éleveurs de bénéficier de prix convenus à l'avance ainsi que d'une lisibilité sur plusieurs années. Or, en période de hausse des cours, les filières végétales pâtiraient d'une telle contractualisation, leurs prix de vente étant fixés à l'avance pour plusieurs années. Inversement, en période de baisse des cours, les filières animales pourraient ne pas être incitées à contractualiser. Dès lors, pour encourager une contractualisation sans léser aucune partie, une incitation économique semble indispensable.

 
 

Source : Vincent Chatellier, Inrae

De plus, le recensement agricole 2020 souligne une dégradation générale de l'élevage en France, en termes de nombre d'exploitations, d'emplois ou encore de production brute globale, reflet d'un contexte économique et sociétal durablement dégradé et d'une filière en besoin de soutien et de visibilité sur ces coûts.

II. Le dispositif envisagé - Une expérimentation visant à encourager la contractualisation par l'intermédiaire d'une hausse du plafond de la DEP

L'article se propose de reprendre un amendement des rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques du Sénat de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales du projet de loi de finances pour 2023, Laurent Duplomb et Françoise Férat, cosigné par plusieurs de leurs collègues, visant à instituer une expérimentation de trois ans encourageant la contractualisation inter-filières.

Pour ce faire, le dispositif proposé permet d'accorder une DEP supplémentaire, prévue à l'article 73 du CGI, d'un montant global total ne pouvant excéder 30 000 euros sur la durée du contrat, aux exploitants agricoles souscrivant un engagement contractuel pluriannuel, portant sur la vente ou l'achat d'une quantité de céréales, fourrages ou aliment du bétail, déterminée à prix convenu.

Ainsi, pour un contrat de deux ans, les cocontractants auraient la possibilité d'effectuer, par exemple, une DEP de 15 000 euros par an.

L'article prévoit par ailleurs un dispositif dans le cas où un contrat serait, même partiellement, inexécuté.

Cette expérimentation s'applique pour une durée de trois ans, à compter de la publication du décret qu'elle prévoit, et visant à préciser les modalités d'application de l'expérimentation.

III. La position de la commission - La nécessité d'envoyer un signal aux filières pour assurer une stabilité des prix

La commission partage pleinement l'ambition de favoriser le développement de la contractualisation entre filières végétales et animales et tient à souligner qu'il s'agit là d'une demande de longue date des filières et de leurs représentants.

Le rejet de l'amendement des rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, avait été accueilli par le monde agricole comme une occasion manquée de mettre en place un nouvel outil indispensable de résilience pour les agriculteurs, et singulièrement pour les éleveurs, dont le modèle économique est fragilisé par l'inflation générale, et notamment la hausse du cours des céréales.

Consciente des réserves déjà exprimées par le Gouvernement quant à la compatibilité du dispositif avec le régime européen des aides d'État, la commission ne peut qu'encourager le Gouvernement à entamer un dialogue constructif avec la Commission européenne pour trouver la base juridique appropriée permettant d'assurer le bon déroulé de cette expérimentation.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté deux amendements COM-55 et COM-56 d'ajustement rédactionnel.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 8

Autorisation d'usage d'aéronefs pour la pulvérisation de précision
en agriculture

Cet article vise à autoriser l'usage d'aéronefs télépilotés ou contrôlés par intelligence artificielle pour la pulvérisation de précision de produits phytopharmaceutiques sur les terrains agricoles.

La commission a adopté l'article 8 modifié par un amendement COM-57, à l'initiative de la rapporteure, visant à mieux définir les contours du dispositif dans le but de le rendre compatible avec le droit européen. L'usage d'aéronefs est ainsi autorisé dans le cadre d'une expérimentation de cinq ans sur terrains agricoles en pente ainsi que pour l'agriculture de précision.

I. La situation actuelle - Une expérimentation d'une durée de trois ans désormais achevée

La pulvérisation aérienne de pesticides est susceptible d'avoir des effets néfastes sur la santé humaine et l'environnement en raison de la dérive des produits pulvérisés. L'article 9 de la directive 2009/128/CE pose le principe d'une interdiction des traitements aériens par produits phytopharmaceutiques dans les États membres de l'Union européenne.

Par dérogation, ce même article 9 dispose que la pulvérisation aérienne peut toutefois être autorisée dans certains cas particuliers, sous réserve de respecter de strictes conditions. Il est à noter que le projet de règlement concernant une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatible avec le développement durable et modifiant le règlement 2021/2115 (dit « SUR ») confirme l'interdiction de principe posée par le règlement 2009/128/CE (article 20), tout en aménageant également, sous conditions, des dérogations (article 22), notamment relatives à l'usage d' « aéronefs sans équipage à bord ».

L'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime transpose dans le droit français ces principes européens. La  pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques est ainsi interdite, bien que des autorisations d'épandage aérien peuvent être accordées par l'autorité administrative si un danger menaçant les végétaux, les animaux et la santé publique ne peut être maîtrisé par un autre moyen ou si la pulvérisation aérienne présente des « avantages manifestes pour la santé humaine et l'environnement »25(*) par rapport à une application terrestre. Cette autorisation est accordée pour une durée limitée et sur une zone strictement définie26(*). Elle ne concerne que des produits ayant fait l'objet d'une évaluation spécifique et d'une approbation expresse de l'Anses.

Par ailleurs, l'article 82 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Egalim » avait autorisé, par dérogation à l'article L. 258-8 du code rural et de la pêche maritime, la conduite d'une expérimentation « de l'utilisation des aéronefs télépilotés pour la pulvérisation aérienne de produits autorisés en agriculture biologique ou dans le cadre d'une exploitation faisant l'objet d'une certification du plus haut niveau d'exigence environnementale », pour une durée de trois ans et « sur des surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 % ». Cette expérimentation devait faire l'objet d'une évaluation de l'Anses visant à déterminer les bénéfices liés à l'utilisation de drones pour limiter les risques d'accident du travail et évaluer l'éventuelle réduction des risques pour la santé et l'environnement.

Un arrêté devait enfin préciser les modalités de cette expérimentation de manière à garantir « l'absence de risque inacceptable pour la santé et l'environnement ». Cet arrêté a été publié le 26 août 201927(*), après la publication d'une note d'appui scientifique de l'Anses relative à « la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques »28(*). L'article 9 de cet arrêté a par ailleurs été annulé par une décision du Conseil d'État, « en tant qu'il ne prévoit aucune mesure de protection de la santé des personnes travaillant à proximité immédiate de la parcelle traitée par un aéronef télépiloté »29(*), ce qui s'est révélé sans incidence notable sur la conduite des expérimentations, qui se sont notamment déroulées sur la vigne, la banane et les vergers de pommiers.

Dans une note du 1er juillet 2022 relative à « l'expérimentation de l'utilisation de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques »30(*), l'Anses détaille ses conclusions après la conduite de plusieurs dizaines d'essais en France. L'analyse de l'Anses traite de plusieurs points :

- la mesure de la qualité de la pulvérisation, qui porte sur l'analyse de deux variables : la mesure de la qualité des dépôts de pulvérisation (44 essais, ainsi que sur des données complémentaires issues d'essais menés en Suisse) et la mesure de l'efficacité biologique (16 essais conduits en vigne, dont seulement six exploitables) ;

- les données concernant l'exposition de l'environnement (4 rapports d'essais analysés) ;

- les données concernant l'exposition des personnes (4 rapports d'essais analysés traitant d'une part de l'exposition des opérateurs et d'autre part de la dérive ainsi que l'exposition des riverains).

Les conclusions de l'Anses tendent à montrer l'intérêt de la pulvérisation par drone, « solution intéressante pour protéger les cultures des bio-agresseurs problématiques dans certaines conditions biologiques (faible pression en maladies), végétatives (volume foliaire limité et/ou port ouvert), climatiques (sols instables) et/ou topographiques (très fortes pentes) ». L'Anses précise en revanche qu'« en conditions plus limitantes, les performances des drones de pulvérisation apparaissent inférieures à celles de pulvérisateurs terrestres classiques ». Plus précisément :

- concernant la dérive de pulvérisation, tout en indiquant que, compte tenu du jeu de données restreint dont elle disposait, il n'est pas possible de « dégager des conclusions générales robustes », l'agence souligne « des résultats préliminaires intéressants » ;

- concernant l'opérateur, pour la vigne, principale filière intéressée par la pulvérisation par drone, elle note que malgré des données disponibles limités, « l'exposition des opérateurs est très inférieure lors de l'utilisation avec un drone en comparaison à une utilisation avec un chenillard, en particulier lors de la phase d'application » ;

- concernant le travailleur, l'Anses souligne toutefois que « plusieurs études montrent que les dépôts sur les cultures présentent une variabilité supérieure après utilisation de drones en comparaison avec des matériels d'application classiques. Ainsi, la question de l'impact de la quantité des dépôts sur les cultures sur l'exposition des travailleurs se pose » ;

- concernant les personnes présentes et les résidents (riverains) pendant la phase de pulvérisation, l'agence souligne la difficulté de quantification et note que « les conditions d'utilisation ont un impact très important sur le niveau de la dérive ».

Le délai de l'expérimentation étant passé, il n'est légalement plus possible de réaliser des pulvérisations de produits phytopharmaceutiques par drone.

Localisation d'adventices par drone
L'expérimentation de la chambre d'agriculture du Loiret

La chambre d'agriculture du Loiret a réalisé une expérimentation de de localisation d'adventices et de pulvérisation par drone, notamment concernant les chardons sur culture de printemps. La technique s'est avérée concluante sur le maïs, la betterave et la chaume de céréales. Deux vols de détection permettent de définir avec précision la localisation des adventices, permettant par la suite une pulvérisation de précision. La technique s'avère bénéfique d'un point de vue environnemental, par la moindre utilisation de produits phytopharmaceutiques, et économiquement rentable sur la maïs et la betterave, à la condition que les adventices soient suffisamment localisés.

Source : Note de la Chambre d'Agriculture du Loiret

II. Le dispositif envisagé - Une autorisation générale d'utilisation d'aéronefs télépilotés ou contrôlés par intelligence artificielle pour la pulvérisation de précision sur les terrains agricoles

Le dispositif se propose d'aller au-delà de l'expérimentation menée dans le cadre de la loi Egalim  et d'autoriser, par dérogation à l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime précité, l'utilisation d'aéronefs télépilotés ou contrôlés par intelligence artificielle pour la pulvérisation de précision de produits phytopharmaceutiques sur les terrains agricoles.

Les restrictions relatives au type de produit ou au type d'agriculture sont levées, ainsi que celles relatives à la topologie des terrains agricoles pouvant faire l'objet d'une pulvérisation par drone. De même, anticipant le développement de l'intelligence artificielle en agriculture, le dispositif inclut le pilotage par intelligence artificielle des aéronefs.

Cette dérogation voit ses modalités d'application définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé, et fait l'objet d'une nouvelle évaluation de l'Anses, visant à déterminer les bénéfices liés à l'utilisation de drones pour l'application de produits phytopharmaceutiques en matière de réduction des risques pour la santé et l'environnement.

III. La position de la commission - La nécessité de faciliter le développement encadré de l'utilisation de drones pour l'épandage en agriculture de précision et sur terrains difficiles

La commission souligne que l'agriculture de précision est une voie particulièrement prometteuse pour réduire les quantités de produits phytopharmaceutiques utilisées en agriculture. À ce titre, elle doit être encouragée, et l'innovation doit être mise à profit.

En effet, l'agriculture doit pleinement se saisir des nouveaux outils permettant de poursuivre sa modernisation, d'approfondir ses démarches de longue date de sobriété dans l'utilisation des intrants et d'exigence en matière de protection sanitaire et environnementale.

L'expérimentation mise en place dans le cadre de la loi « Egalim » s'est avérée trop restreinte. La commission des affaires économiques avait, à ce titre, adopté un amendement à l'initiative des rapporteurs Michel Raison et Anne-Catherine Loisier, permettant d'élargir l'expérimentation à l'utilisation de tous les produits phytopharmaceutiques, et non uniquement à ceux autorisés en agriculture biologique ou autorisés dans les exploitations faisant l'objet d'une certification du plus haut niveau d'exigence environnementale (HVE), soulignant la nécessité d'assurer la sécurité de tous les utilisateurs, et non uniquement de certains en fonction du type d'agriculture qu'ils pratiquent. En lecture définitive, l'Assemblée nationale n'avait pas conservé la rédaction issue des travaux du Sénat.

À la lumière de l'évaluation précitée de l'Anses, et à la suite des nombreux échanges de la rapporteure avec professionnels et spécialistes, la commission considère qu'il convient de poursuivre dans la voie de l'utilisation des drones en agriculture de précision, sous la forme d'une nouvelle expérimentation de cinq ans ouverte à l'ensemble des agriculteurs, et non à quelques-uns sur des surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 %. L'agriculture de précision, doit également pouvoir bénéficier de cette expérimentation en ce qu'elle permettrait une action précoce sur bioagresseurs, réduisant grandement les quantités de produits phytosanitaires utilisés à l'échelle de la parcelle. Aussi, sur proposition de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-57 visant à ajuster les contours de l'article 8.

Cette expérimentation, plus longue et qui, lorsque le cadre est respecté, n'exclut pas la majorité des agriculteurs, devra faire de nouveau l'objet d'une évaluation détaillée de l'Anses, avant son éventuelle pérennisation.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 9

Diagnostic carbone et de performance agronomique des sols
des exploitations agricoles

Cet article vise à offrir la possibilité pour les structures agricoles d'effectuer un diagnostic carbone et de performance agronomique des sols cofinancé par l'État.

La commission a adopté l'article 9 modifié par un amendement COM-58.

I. La situation actuelle - Un accompagnement des pouvoirs publics vers la sobriété et la résilience des exploitations agricoles trop faible

A. L'existence d'un « label Bas-Carbone » permettant d'accompagner et de financer les transitions en agriculture

L'agriculture est le deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre (GES) en France, avec 19 % des émissions en 2019, derrière le secteur des transports (31 %) et devant le secteur résidentiel/tertiaire et l'industrie manufacturière (représentant chacun 18 % des GES). Les émissions de l'agriculture ont diminué de 8 % entre 1990 et 2019. Par ailleurs, le secteur agricole a la particularité d'être également capteur de GES grâce à la photosynthèse et au stockage du carbone dans les sols, appelés puits de carbone. L'élevage joue à ce titre un rôle tout particulier dans le maintien des prairies.

La France s'est dotée à l'occasion de l'article 173 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte d'une stratégie nationale de développement à faible intensité carbone (Stratégie nationale bas carbone - SNBC), codifiée aux articles L. 222-1 A à L. 222-1 E du code de l'environnement.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la SNBC, le label Bas-Carbone a été mis au point par le ministère de la transition écologique en concertation étroite avec des acteurs de la transition écologique, notamment agricoles et forestiers. Le décret n° 2018-1043 du 28 novembre 2018 constitue la base réglementaire du dispositif, complété de l'arrêté du même jour, définissant le référentiel du label Bas-Carbone.

Le marché de la compensation carbone

Le label Bas-Carbone français s'inscrit dans le cadre plus large du développement, en France et à l'étranger, du très dynamique marché de la compensation carbone volontaire, qui vise à mettre en lien des financeurs, principalement des entreprises, souhaitant, dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale (RSE), compenser volontairement leur emprunte carbone, et des porteurs de projets, agissant souvent par l'intermédiaire de mandataires, visant à réduire les émissions de carbone ou à augmenter son stockage.

En 2021, 30 700 000 tonnes de CO2 ont été vendus dans le monde, dont 6 230 000 tonnes en France. Les crédits vendus doivent être labélisés par un opérateur, dont les leaders mondiaux, et selon les données disponibles, sont Verra, Gold Standart et Clean Development Mechanism.

Le label Bas-Carbone, mis en place en 2018 et pour lequel les premiers projets ont émergé en 2019, représente 3 % des crédits vendus en France, mais 19 % en valeur financière. Cet écart s'explique par l'écart de prix entre une tonne de carbone vendue en France et une tonne de carbone vendue à l'étranger. Le prix moyen international est en effet, pour 2021, de 4,6 euros la tonne, quand il s'établit à 31,8 euros en France31(*).

Source : Info Compensation Carbone

Un projet label Bas-Carbone permet de financer des investissements visant soit à diminuer les émissions de GES soit à augmenter leur séquestration dans des puits de carbone. La certification apportée repose sur une comparaison entre les émissions d'une structure à l'issue de la mise en oeuvre de mesures et le niveau d'émission de cette même structure tel qu'il aurait été sans les mesures prises. L'instruction et le suivi des projets sont déconcentrés, effectués en hexagone par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et en outre-mer par les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal). Le préfet est compétent pour labéliser un projet.

Source : https://label-bas-carbone.ecologie.gouv.fr

Un projet ne peut être labélisé que s'ils se conforment à une méthode approuvée par le ministère de la transition énergétique.

Les méthodes agricoles approuvées dans le cadre du label Bas-Carbone

Le secteur de l'agriculture est à ce jour le plus avancé avec l'approbation de six méthodes, développées par des filières ou des entreprises :

1 - CarbonAgri : développée par l'Institut de l'élevage (Idele), cible les réductions d'émissions en élevages bovins et de grandes cultures. Il s'agit de la première méthode approuvée en agriculture ;

2 - Haies développée par la Chambre d'Agriculture des Pays de la Loire, cible la gestion durable des haies ;

3 - Plantation de vergers développée par la Compagnie des Amandes ;

4 - SOBAC'ECO TMM développée par l'entreprise SOBAC, cible la gestion des intrants ;

5 - Ecométhane développée par l'entreprise Bleu Blanc Coeur, cible la réduction des émissions de méthane d'origine digestive par l'alimentation des bovins laitiers ;

6 - Grandes cultures développée par Arvalis, Terres Inovia, l'ITB, l'ARTB et Agrosolutions, cible les réductions d'émissions en exploitations de grandes cultures.

Source : label-bas-carbone.ecologie.gouv.fr

L'intérêt du label Bas-Carbone est donc de mettre en relation des porteurs de projets labélisés et des financeurs, très majoritairement des entreprises qui, une fois les réductions d'émissions validées, pourront bénéficier de ces dernières32(*). Le label constitue donc, a priori, un moyen économiquement intéressant pour le secteur agricole d'améliorer ses performances environnementales, tout en bénéficiant, pour ce faire, de financements externes.

Ce mode de financement original peut, en même temps, constituer un frein à la massification du label Bas-Carbone, dans la mesure où, à deux exceptions près, il s'agit, pour les porteurs de projets, de convaincre des entreprises volontaires d'investir dans les crédits carbones qui seront générés par les projets. Or, avec un prix moyen de 31,8 euros la tonne contre 4,6 euros à l'étranger, il est plus avantageux pour des entreprises d'acheter des crédits carbones bons marché à l'international. Cette tarification serait notamment le résultat de l'équilibre trouvé à l'occasion des premières labellisations menées dans la filière de l'élevage. Or, de nouvelles méthodes ont été par la suite validées, notamment pour des labels en grande culture, filière pour laquelle les investissements nécessaires pour mener à bien des projets sont beaucoup plus conséquents.

La situation est donc, parfois, celle où certaines entreprises considèrent que le coût de la tonne de carbone est trop élevé, quand certains porteurs de projet considèrent qu'il est trop bas. De ce fait, une part non négligeable des financements privés provient du secteur aérien, qui, en vertu de l'article 147 de la loi dite « Climat et résilience » est tenu de compenser ses émissions de GES pour les vols domestiques, en plus de ses obligations relatives au système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE-UE). Par ailleurs, l'article 2 du décret n° 2022-1233 du 14 septembre 2022 modifiant le plafond d'émission de gaz à effet de serre pour les installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles pris en application de l'article 36 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, prévoit une obligation de compensation des émissions de gaz à effet de serre résultant du rehaussement du plafond d'émission des installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles33(*).

Ces limites ne sont toutefois pas de nature à freine le dynamisme du marché du carbone en France, qui croit année après année.

B. Le label Bas-Carbone ne peut pas, en lui-même, être le seul dispositif à destination de l'agriculture pour la réduction de ses GES et son adaptation au changement climatique

Dans le cadre du plan de relance, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a mis en place le dispositif du « Bon diagnostic carbone », doté de 10 millions d'euros. D'une durée de deux ans, de début 2021 à fin 2022, ce dispositif déployé s'adressait exclusivement aux agriculteurs installés depuis moins de cinq ans, dans un cadre individuel ou en société, et bénéficiait d'un financement public à hauteur de 90 % du coût du diagnostic. Le diagnostic consistait en une analyse des émissions de GES de l'exploitation, de son potentiel de stockage et de sa vulnérabilité au changement climatique. Par la suite, un plan d'actions est proposé à l'exploitant comportant des mesures lui permettant de réduire ses émissions d'une part, et d'augmenter le stockage d'autre part.

Le dispositif du « Bon diagnostic carbone » était conçu comme pouvant s'articuler avec le label Bas-Carbone. Le diagnostic effectué, financé à 90 % par l'État, peut ensuite servir de base à des démarches en vue de l'obtention du label Bas-Carbone.

Cette articulation s'est révélée, aux dires des acteurs de l'écosystème, particulièrement pertinente puisqu'une faiblesse du label Bas-Carbone réside dans le financement de sa phase de lancement, la phase de diagnostic, pour laquelle la recherche de financeurs s'avère complexe. Un diagnostic carbone financé par les pouvoirs publics était ainsi une étape de nature à favoriser la montée en puissance des projets et les apports de financements.

Le dispositif du « Bon diagnostic carbone » était complété par le dispositif « Plantons des haies ! », doté de 50 millions d'euros et déployé suivant le même calendrier et avec un taux de soutien public similaire. Ce dispositif n'était en revanche pas articulé avec le label Bas-Carbone puisqu'il consistait à mener un projet de bout en bout.

Les acteurs du monde agricole font globalement état de dispositifs utiles, mais ayant nécessité un temps d'émergence et d'animation très important, alors même qu'ils se sont éteints dès fin 2022. Fin 2022, selon les chiffres transmis par la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) à la rapporteure, 2 701 bons avaient été signés et 11 517 diagnostics réalisés.

Ces dispositifs ont néanmoins permis de former les conseillers agricoles, de sensibiliser les agriculteurs et de créer des outils appropriés, ce qui rendrait un nouveau dispositif plus rapidement opérationnel. Le dispositif du « Bon diagnostic carbone » a eu un effet levier sur le développement des projets de labélisation en permettant de financer la délicate étape du diagnostic.

Depuis fin 2022, seul le label Bas-Carbone, dispositif pérenne, demeure, mais aucun dispositif visant à effectuer un diagnostic préalable, avec le soutien de l'État, n'existe.

Or, le label Bas-Carbone gagnerait en ampleur si une phase de diagnostic préalable pouvait être prise en charge par la puissance publique.

Un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux d'avril 2022, évaluant le coût du changement climatique pour les filières agricoles chiffre à 600 millions d'euros le coût de la massification des diagnostics « climat », sur la base de 250 000 exploitations diagnostiquées au total. Se limitant aux seuls 13 000 nouveaux installés par an, le coût serait de 39 millions d'euros par an. Ce coût a vocation à être partagé entre divers acteurs et notamment les agriculteurs, les filières, l'État ou encore l'Union européenne par l'intermédiaire des fonds PAC du second pilier.

Le label Bas-Carbone est donc un outil pertinent, connu des acteurs de terrain, qui gagnerait à être amplifié, notamment face à la montée en puissance d'initiatives privées diverses de labélisation, reposant sur des méthodologies beaucoup moins robustes que celle développée par le label Bas-Carbone, et pouvant potentiellement tromper les agriculteurs.

II. Le dispositif envisagé - La possibilité d'effectuer un diagnostic carbone et de performance agronomique des sols cofinancé par l'État

L'article 9 de la proposition de loi vise à compléter l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime relatif aux finalités de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation, et son 10°bis relatif à la reconnaissance et à la valorisation des externalités positives de l'agriculture, notamment en matière de services environnementaux et d'aménagement du territoire, pour y inclure le stockage du carbone dans les sols, rappelant ainsi la multifonctionnalité des sols.

L'article complète également l'article L. 111-2 du même code, relatif aux objectifs de la politique d'aménagement rural, par un 3°bis A disposant que la valorisation du stockage de carbone dans les sols agricoles peut être appréciée à l'occasion d'un diagnostic carbone et de performance agronomique des sols cofinancé par l'État, et dont les modalités et le champ d'action seraient définies par décret.

Le dispositif vise ainsi d'une part à mieux reconnaître les services environnementaux rendus par l'agriculture en matière de stockage du carbone et d'autre part à pérenniser le principe d'une aide au diagnostic carbone, dans la lignée du « Bon diagnostic carbone ».

III. La position de la commission - La nécessité d'accompagner économiquement le monde agricole dans ses démarches de sobriété et de résilience

La commission considère qu'il est important d'envoyer un signal au monde agricole, en reconnaissant d'une part les services environnementaux rendus par l'agriculture, et en apportant, d'autre part, un soutien public au diagnostic des exploitations.

Par ailleurs, la Commission européenne a annoncé fin 2022 un projet de certification volontaire de stockage carbone. Un cadre général pourrait être finalisé en 2024. La France pourrait contribuer utilement aux discussions de ce cadre en tant que précurseur de la certification volontaire.

La commission a donc adopté l'article 9 modifié par un amendement COM-58 de la rapporteur comportant plusieurs précisions rédactionnelles visant à expliciter que le diagnostic carbone porte d'une part sur la capacité de stockage du carbone des sols, et d'autre part sur les émissions.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 10

Affichage obligatoire du pays d'origine des trois principaux ingrédients des produits alimentaires transformés, par ordre pondéral décroissant

Cet article vise à apporter une information plus pertinente aux consommateurs sur la provenance des ingrédients des produits alimentaires transformés, en imposant l'affichage du pays d'origine des trois principaux ingrédients de ces produits, par ordre pondéral décroissant. Ce faisant, il poursuit l'approfondissement de la transparence au bénéfice des consommateurs et des producteurs français, seule l'origine de l'ingrédient primaire d'une denrée alimentaire - et uniquement si elle diffère de l'origine de ladite denrée - étant, en l'état actuel du droit, obligatoirement indiquée.

Il ressort, après instruction par la rapporteure, que cet article n'est pas conforme au droit de l'Union européenne et notamment à l'article 39 du règlement Inco. Partageant toutefois l'intention de cet article, la rapporteure a proposé à la commission de ne pas supprimer cet article, afin d'envoyer un message politique à l'État et à la Commission européenne en vue de la révision en cours du règlement « Inco » (information du consommateur).

La commission a adopté l'article 10 sans modification.

I. La situation actuelle - En raison de marges de manoeuvre fortement contraintes par la réglementation européenne, l'information des consommateurs sur l'origine des denrées alimentaires n'a connu que de timides avancées

A. Le règlement Inco ne laisse que peu de marges de manoeuvre aux États membres

Les règles relatives à l'affichage, obligatoire ou facultatif, de l'origine des produits destinés à la consommation humaine, relèvent du droit alimentaire, qui est entièrement harmonisé au niveau de l'Union européenne.

Ainsi, le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, dit « Inco », est, comme tout règlement, d'application directe.

Son article 26 énumère trois cas dans lesquels l'affichage du pays d'origine ou du lieu de provenance est obligatoire :

- « dans les cas où son omission serait susceptible d'induire en erreur les consommateurs [...] en particulier si les informations jointes à la denrée ou l'étiquette dans son ensemble peuvent laisser penser que la denrée a un pays d'origine ou un lieu de provenance différent » ;

- pour les viandes porcines, ovines, caprines ainsi que les volailles ;

- et, pour les produits transformés, « lorsque le pays d'origine ou le lieu de provenance de la denrée alimentaire est indiqué et qu'il n'est pas celui de son ingrédient primaire » (par exemple, quand figurent sur l'emballage un drapeau ou une mention telle que « fabriqué en France », etc.). Il est également possible de se contenter d'indiquer « le pays d'origine ou le lieu de provenance de l'ingrédient primaire comme étant autre que celui de la denrée alimentaire ». La notion d'« ingrédient primaire » désigne (article 2 du règlement Inco) « le ou les ingrédients d'une denrée alimentaire qui constituent plus de 50 % de celle-ci ou qui sont habituellement associés à la dénomination de cette denrée par les consommateurs et pour lesquels, dans la plupart des cas, une indication quantitative est requise ».

Des réglementations sectorielles s'appliquent également pour plusieurs types de denrées, comme les fruits et légumes frais vendus au détail34(*), l'huile d'olive vierge, le miel35(*), les vins, ainsi que la viande bovine (dans le contexte de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine36(*)), cette dernière disposition ayant été élargie plus récemment aux viandes porcines, ovines et de volaille37(*).

Dans tous les autres cas, l'indication de l'origine des produits ne peut être que facultative.

Cette réserve de la Commission européenne et des États membres quant à l'obligation d'indication de l'origine des produits vient de ce que l'origine nationale d'un produit n'est, selon elle, pas un indicateur pertinent pour préjuger des qualités organoleptiques ou de l'impact environnemental d'une denrée alimentaire. Par exemple, l'empreinte carbone d'un produit résulte davantage des méthodes retenues au stade de la production que de l'acheminement des denrées alimentaires par transport. Par ailleurs, il peut y avoir davantage de distance entre le lieu de production et le lieu de consommation au sein d'un État membre qu'entre régions limitrophes de deux États voisins

B. De ce fait, en matière de produits alimentaires transformés, le législateur s'est borné à recopier dans la loi le règlement Inco

Toute mesure nationale intervenant dans une matière « expressément harmonisée par le règlement Inco » doit préserver la libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur et empêcher les discriminations à l'encontre de denrées alimentaires provenant d'autres États membres (article 38, paragraphe 1 du règlement).

À ce titre, elle doit être notifiée à la Commission européenne selon les procédures de notification définies à l'article 45 du règlement Inco et dans la directive (UE) 2015/153538(*). Si elle n'est pas notifiée39(*) ou si elle est adoptée sans respecter la période de statu quo40(*), elle peut être déclarée inopposable par une juridiction nationale.

Il serait toutefois possible pour la France d'appliquer la mesure uniquement aux produits fabriqués et commercialisés en France (comme pour la dénomination des steaks végétaux, l'interdiction de la vente de légumes biologiques d'été produits sous serre, ou, éventuellement l'obligation d'afficher le Nutriscore41(*)), si le paragraphe 2 de l'article 39 du règlement Inco ne disposait pas que « les États membres ne peuvent introduire des mesures concernant l'indication obligatoire du pays d'origine ou du lieu de provenance des denrées alimentaires que s'il existe un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance » et après avoir prouvé que « la majorité des consommateurs attachent une importance significative à cette information ».

C'est en raison de cette double condition fixée à l'article 39 que les mesures nationales relatives à l'obligation d'indication d'origine des produits sont rares.

S'agissant des produits alimentaires transformés, l'article 13 de la loi dite « Egalim 242(*) » se borne ainsi à recopier le règlement Inco, pourtant d'application directe, à l'article L. 412-4 du code de la consommation, et précise en outre qu'à partir du 1er juillet 2022, « cette information est inscrite à un endroit apparent de manière à être facilement visible, clairement lisible et, le cas échéant, indélébile. Elle n'est en aucune façon dissimulée, voilée, tronquée ou séparée par d'autres indications ou images ou tout autre élément interférant. » Or, le règlement d'exécution (UE) 2018/775 de la Commission du 28 mai 201843(*), entré en vigueur le 1er avril 2020, établissait déjà le corps de caractère de cette indication et sa présence dans le même champ visuel que l'indication d'origine de la denrée alimentaire.

C. L'indication de l'origine des produits est toutefois possible sur une base volontaire

La France est parvenue à faire reconnaître ses signes d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo) par la Commission européenne et les autres États membres, via la politique de protection des indications géographiques.

Outre cette exception, la seule marge de manoeuvre est d'« encourager44(*) » les opérateurs à s'inscrire dans des démarches volontaires.

Dans cette logique, des indications facultatives voient le jour, soit à l'initiative des filières à l'instar du logo « Fruits & Légumes de France » porté par Interfel depuis 2015, soit de portée plus générale et transsectorielle, comme la marque « Origine France Garantie ».

Elles ont cependant pour double limite d'être méconnues par les consommateurs et... d'être facultatives, les « bons élèves » étant par définition davantage portés à y adhérer que les autres.

II. Le dispositif proposé - L'obligation d'affichage du pays d'origine des trois premiers ingrédients de tout produit alimentaire transformé

L'article 10 vise à apporter une information plus précise et pertinente aux consommateurs sur les produits alimentaires transformés, en obligeant à indiquer l'origine des principaux ingrédients de ces produits.

Son 1° complète à cette fin l'article L. 412-4 du code de la consommation, qui contient diverses obligations en matière d'étiquetage de l'origine, pour rendre obligatoire, sur les produits alimentaires transformés, « l'indication, par ordre pondéral décroissant, du pays d'origine des trois principaux ingrédients ».

Cette obligation d'indication de l'origine est plus large que dans le paragraphe 3 de l'article 26 du règlement Inco, à quatre titres :

- s'agissant d'abord du champ des produits concernés, puisqu'au niveau européen, l'obligation d'indication s'applique uniquement dans le cas où l'origine du produit est différente de celle de l'ingrédient primaire, alors qu'ici, elle vaudrait pour tout produit transformé ;

- au regard également des possibilités de dérogation, qui existent en droit de l'Union européenne (au lieu d'indiquer l'origine en tant que telle de l'ingrédient primaire, le metteur sur le marché peut se contenter d'indiquer qu'elle est différente de celle de la denrée alimentaire), mais pas ici ;

- s'agissant ensuite de la précision de l'information apportée, puisque c'est l'origine des trois premiers ingrédients par ordre pondéral décroissant, et plus seulement celle de l'ingrédient primaire comme le prévoit le règlement Inco, qui devrait être affichée ;

- et, enfin, concernant toujours la précision de l'information apportée, puisqu'au niveau européen le « lieu de provenance » (« UE »/« non-UE ») peut, alternativement, être indiqué, au lieu du pays d'origine, ce qui n'est pas le cas ici.

Elle ne remplace pas la disposition prévue au deuxième alinéa de l'article L. 412-4, issue de l'article 13 de la loi « Egalim 2 » et qui recopie le règlement Inco, bien qu'elle la rendrait obsolète si elle était adoptée, puisqu'elle va au-delà de ses prescriptions.

Le 2° prévoit la notification de la disposition prévue au présent article à la Commission européenne. Il étend le champ du décret en Conseil d'État qui est censé être pris, après avis du Conseil d'État, pour l'application des obligations d'indication de l'origine de la gelée royale, des mélanges de miel et des produits à base de cacao, à la nouvelle obligation prévue au présent article pour les produits alimentaires transformés.

Il est à noter que ce décret n'a jamais été publié, le ministère de l'agriculture ayant justifié son inaction par la révision en cours du règlement Inco concernant ces dispositions.

III. La position de la commission - Un signal politique fort envoyé à la Commission européenne, par anticipation de la révision du règlement Inco qui doit intervenir en 2023

A. Une disposition certes contraire au droit de l'Union européenne...

À l'instar de l'ensemble des interlocuteurs entendus, la rapporteure constate qu'en l'état, cet article 10 n'est pas conforme au droit de l'Union européenne.

En effet, cette mesure pourrait être considérée par le juge comme une « question expressément harmonisée par le règlement Inco » (article 38 dudit règlement), ne pouvant, à ce titre, faire l'objet d'aucune mesure nationale.

Si ce n'était pas le cas, elle entrerait en tout état de cause dans le champ du paragraphe 2 de l'article 39 dudit règlement, qui dispose que « les États membres ne peuvent introduire des mesures concernant l'indication obligatoire du pays d'origine ou du lieu de provenance des denrées alimentaires que s'il existe un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance » et après avoir prouvé que « la majorité des consommateurs attachent une importance significative à cette information ».

Or, le Conseil d'État a jugé45(*), après avoir posé une question préjudicielle au sujet de l'indication d'origine du lait à la CJUE46(*), que ces deux conditions (importance attachée par le consommateur à cette information, et lien entre origine et propriétés d'une denrée) étaient cumulatives. En outre, elles ne devraient pas être combinées (le lien entre origine et propriétés d'une denrée doit donc être objectif, la croyance subjective des consommateurs en la réalité de ce lien ne suffisant pas à justifier l'obligation d'indication de l'origine).

Par conséquent, de même que les décrets relatifs à l'indication de l'origine du lait et du lait utilisé en tant qu'ingrédient47(*), ont été annulés, la disposition prévue au présent article serait écartée à l'occasion d'un litige.

B.... mais qui permet d'envoyer un signal politique dans le cadre de la révision en cours du règlement Inco

Malgré cette non-conformité au droit de l'UE, la commission a entendu maintenir cet article 10, afin d'envoyer un signal politique à la Commission européenne et à la France dans le cadre de la révision en cours du règlement Inco, sur l'information des consommateurs.

Suivant l'appel de la rapporteure, la commission des affaires économiques a cependant écarté tout amendement allant au-delà de la rédaction initiale (par exemple un amendement tendant à rendre obligatoire l'affichage de l'origine des cinq premiers ingrédients d'un produit alimentaire transformé, et un autre tendant à rendre obligatoire l'affichage de l'origine pour les fruits et légumes frais en restauration hors foyer).

En effet, comme tous les membres de la commission, la rapporteure partage l'intention de cette disposition, qui est de nature à apporter une information plus exhaustive et pertinente aux consommateurs, en passant de l'indication obligatoire du pays d'origine de l'ingrédient primaire à celle des trois principaux ingrédients des produits alimentaires transformés.

À titre d'exemple, en l'état actuel du droit, il n'est pas possible d'obliger une marque à informer les consommateurs de la provenance des cerises ou des fraises contenues dans les yaourts aux fruits qu'elle commercialiserait... ni même de l'origine du lait. La même contrainte s'applique pour les poires, mais aussi les pommes, d'une compote « pommes-poires » ou pour les ingrédients d'une ratatouille en conserve ou en bocal, à l'encontre des aspirations des consommateurs.

La commission des affaires économiques tient à rappeler que l'origine d'un produit est bien souvent utilisée par les consommateurs comme un moyen d'appréhender par procuration, bien que de façon approximative, les qualités organoleptiques et les externalités positives, en termes de rémunération des producteurs, d'impact environnemental ou encore de bien-être animal, d'un produit. C'est pourquoi, du reste, la présente surrèglementation est bien justifiée par un motif d'intérêt général, en cohérence avec l'esprit de la présente proposition de loi et en particulier son article 12.

La situation actuelle est de même défavorable aux producteurs français, qui sont astreints à des règles sociales, sanitaires et environnementales plus exigeantes qu'ailleurs en Europe, mais peuvent difficilement le faire valoir, ce qui se traduit par un taux d'auto-approvisionnement de nombreuses filières en érosion depuis plusieurs années, comme l'a montré le rapport sur la compétitivité de la ferme France. La présente disposition permettrait de ce fait de gagner en compétitivité par une reconnaissance à leur juste valeur de la qualité des produits français.

La rapporteure se félicite que la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) juge l'affichage obligatoire de l'origine des produits alimentaires transformés comme « essentiel pour valoriser la qualité des productions françaises, ainsi que l'implication et le savoir-faire des producteurs français ».

Elle tient enfin à relativiser les craintes exprimées par certains acteurs ayant des activités de transformation (La Coopération agricole, etc.) à l'égard des difficultés qu'emporterait cette règle eu égard à des approvisionnements souvent multiples, dans la mesure où ces surcoûts seraient compensés par une adhésion forte des consommateurs aux produits plus transparents.

La commission a adopté l'article sans modification.

Article 11

Élargissement de la liste des produits durables et de qualité à privilégier en restauration collective publique aux produits bénéficiant
d'une démarche de certification de conformité des produits

Cet article vise à élargir la liste de produits éligibles pour atteindre le seuil de 50 % de produits de qualité et durables devant composer les repas en restauration collective défini par la loi Egalim, cette cible étant loin d'être atteinte.

À cette fin, il inclut les produits bénéficiant d'une démarche de certification de conformité des produits (CCP), dans le cas où l'inscription dans cette démarche est subordonnée au respect de règles destinées à favoriser la qualité des produits ou la préservation de l'environnement, sous le contrôle du ministre chargé de l'agriculture.

Par un amendement COM-26 de la rapporteure, la commission a en outre souhaité, par réalisme, acter le fait que la cible de 20 % de produits biologiques et de 50 % de produits durables et de qualité, qui devait être atteinte par la restauration collective publique au 1er janvier 2022, ne l'était manifestement pas, repoussant par conséquent cette échéance à 2025.

La commission a adopté l'article 11 ainsi modifié.

I. La situation actuelle - L'ambition fixée par la loi Egalim en matière d'approvisionnement en produits durables et de qualité n'est pas atteinte dans la restauration collective publique

A. L'approvisionnement en produits durables et de qualité est stratégique tant du point de vue de la demande que de l'offre

Si 80 % des apports nutritionnels proviennent de l'alimentation à domicile, trois quarts des enfants et adolescents et 40 % des adultes consomment au moins une fois par semaine dans la restauration collective - restaurants scolaires, administratifs et d'entreprise. Ainsi, selon l'Anses48(*), environ 10 % des apports nutritionnels des adultes et 15 à 20 % de ceux des enfants et adolescents proviennent de la restauration collective. Par contraste, la restauration traditionnelle représente environ 10 % des apports nutritionnels des adultes mais seulement 1 % chez les enfants et adolescents.

Ainsi, du point de vue de la santé et des apports nutritionnels et gustatifs des usagers, la restauration collective est un secteur stratégique, contribuant à prévenir des maladies, à améliorer les capacités d'apprentissage des élèves et étudiants et la productivité des travailleurs. Elle constitue en outre un levier déterminant pour inculquer de bonnes habitudes alimentaires, éduquer au goût et à la diversité alimentaire.

De surcroît, selon l'Anses, la restauration collective « apparaît plus conforme aux recommandations alimentaires actuelles que les autres catégories de restauration hors foyer ». C'est pourquoi l'organisme recommande de « faciliter l'accès à la restauration collective au plus grand nombre ».

La restauration collective représente également un levier important, du point de vue de l'offre alimentaire, dans la structuration de filières de produits durables et de qualité, et la massification de cette production.

Il s'agit d'un moyen de renforcer la qualité de la production alimentaire et agroalimentaire et ainsi d'accroître la résilience et la compétitivité hors-prix de notre secteur agricole.

À cette fin, le plan stratégique national de la France fixe un objectif de 18 % de surface agricole utile en agriculture biologique d'ici à 2027. Le Pacte vert de la Commission européenne vise, lui, 25 % d'agriculture biologique au sein de l'UE d'ici 2030.

Les denrées produites en respectant des méthodes de production et des cahiers des charges exigeants, dans certains périmètres géographiques, font, elles, l'objet d'une protection spécifique.

En complément des aides dédiées à l'agriculture biologique dans le second pilier de la politique agricole commune, la commande publique constitue un moyen pour les pouvoirs publics d'aider à la structuration de filières en agriculture biologique. Elle permet de massifier la production en produits biologiques et, plus généralement, en produits durables et de qualité, en leur offrant un débouché assuré.

B. La loi Egalim49(*) a fixé un objectif contraignant de 50 % de produits durables et de qualité dans l'offre alimentaire proposée en restauration collective pour les personnes morales de droit public

C'est pourquoi l'article 24 de la loi Egalim a fixé un seuil minimal en matière d'approvisionnement en produits durables et de qualité dans la restauration collective, pour les personnes morales de droit public.

Le champ des institutions concernées comprend l'État lui-même, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics qui en dépendent. En pratique, la restauration collective publique est composée de quatre segments :

- les cantines scolaires gérées par les municipalités (école maternelle et primaire), les départements (collèges), les régions (lycées) ou les Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (enseignement supérieur) ;

- les restaurants des hôpitaux et Ehpad ;

- les restaurants administratifs ;

- ainsi que les cantines en centre pénitentiaire.

La restauration collective privée n'est pas soumise à cette obligation.

Il existe à l'origine sept voies différentes pour accéder à la qualification de produit durable et de qualité devant prioritairement être proposés en restauration collective publique. Il s'agissait :

- des produits acquis selon des modalités prenant en compte les coûts imputés aux externalités environnementales liées au produit pendant son cycle de vie ;

- des produits issus de l'agriculture biologique ou d'exploitations en conversion vers l'agriculture biologique ;

- des produits sous signe d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo) (label rouge, AOP, IGP, STG) et des mentions valorisantes (produits de montagne, fermiers, produits de pays) ;

- des produits bénéficiant de l'écolabel ;

- des produits sous label de qualité outre-mer ;

- des produits sous certification haute valeur environnementale (uniquement pour ceux de niveau 3 à partir de 2030) ;

- des produits pouvant attester d'exigences équivalentes aux signes, mentions et labels mentionnés plus haut.

D'après l'Inao, chargée de garantir la conformité des Siqo, 1 183 produits sont concernés par ces derniers, sans compter les produits issus de l'agriculture biologique. Il existe en outre plus de 8 000 exploitations haute valeur environnementale. Le vivier de produits éligibles serait en théorie suffisant pour satisfaire la demande de la restauration collective.

C'est d'autant plus vrai que la proportion ciblée est fixée en valeur et non en volume. Les produits durables et de qualité étant, par leur nature même, davantage valorisés que les produits ordinaires, cela signifie que le seuil est toujours atteint en dessous de 50 % en volume de produits durables et de qualité. En clair, la loi n'oblige pas les gestionnaires publics à faire figurer plus de 50 % de produits durables et de qualité dans les assiettes des cantines scolaires, administratives, hospitalières et pénitentiaires.

B. La loi Climat et résilience a modifié les obligations s'appliquant aux gestionnaires de la restauration collective de façon significative

Le titre « Se nourrir » de la loi Climat et résilience, et en particulier son article 257, ont modifié l'article L. 230-5-1 sur plusieurs aspects.

D'une part, deux nouveaux items ont été ajoutés à la liste des produits durables et de qualité qui doivent composer l'offre en restauration collective publique :

- les produits issus du commerce équitable ;

- les produits « dont l'acquisition a été fondée, principalement, sur les performances en matière de protection de l'environnement et de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture ».

Ce faisant, la loi Climat et résilience a assoupli une première fois l'obligation à laquelle sont assujettis les gestionnaires de la restauration collective publique en élargissant les produits certifiés commerce équitable et issus de circuits courts performants en matière environnementale50(*) à la liste des produits éligibles. L'ajout du second item permet surtout de desserrer les contraintes pour les gestionnaires, d'autant que sa portée est nuancée aussitôt qu'elle est édictée par l'adverbe « principalement ».

D'autre part et en sens inverse, la date à partir de laquelle seuls les produits HVE de plus haut niveau (niveau 3) seront considérés comme produits durables et de qualité a été avancée à 2027 (au lieu de 2030), la certification HVE de niveau 1 reposant sur le simple respect de la législation en vigueur et non sur une démarche mieux-disante. Par pragmatisme et souci de ménager des marges de manoeuvre pour les collectivités publiques, le législateur a, en revanche, souhaité maintenir l'éligibilité des produits certifiés HVE de niveau 2, même si des critiques sur sa portée en matière d'usage raisonné d'intrants et d'impacts sur la biodiversité se sont fait jour après l'adoption de la loi Egalim.

Enfin, la loi Climat et résilience a prévu un nouvel objectif plus ambitieux de 60 % de produits durables et de qualité pour les produits animaux (certaines viandes et poissons), au plus tard le 1er janvier 2024, ce qui se justifie par la part significativement plus importante de produits sous appellation d'origine protégée ou sous label rouge pour ce type de productions. L'atteinte d'une cible plus ambitieuse serait donc plus facile.

C. Après l'échéance du 1er janvier 2022, le compte n'y est toujours pas

En dépit du bilan statistique annuel de l'application de cet article demandé dans la loi Egalim, il reste très difficile d'apprécier la réalité consolidée de l'approvisionnement en produits durables et de qualité dans la restauration collective publique.

En tout état de cause, il apparaît que la cible qui devait être atteinte au 1er janvier 2022 ne l'est pas51(*), malgré des progrès certes significatifs et des situations hétérogènes selon la région et le type de restauration.

D'après l'agence bio, loin des 20 %, les approvisionnements en agriculture biologique seraient davantage de l'ordre de 6,6 % en 2021. Ils restent loin du compte également en matière de produits durables et de qualité.

D'après le rapport 2022 de l'Observatoire national de la restauration collective bio et durable, fondé sur un échantillon de près de 10 000 cantines, près d'1 cantine scolaire sur 3 n'a pas atteint l'objectif de 20 % de produits biologiques en 2021. La restauration scolaire est pourtant plutôt en avance sur d'autres types de restauration.

En plus d'un sous-financement chronique de cette politique par l'État, l'impact du Covid sur les finances publiques locales, puis l'inflation énergétique et liée à la guerre en Ukraine, ont accentué le retard des collectivités.

II. Le dispositif proposé - Un assouplissement de la définition des produits durables et de qualité qui doivent composer une part significative de l'offre alimentaire en restauration collective publique

L'article 11 ajoute un item à la liste des produits durables et de qualité que les gestionnaires publics étaient censés porter à au moins 50 %, en valeur, de l'offre alimentaire dans la restauration collective publique au plus tard le 1er janvier 2022.

Par l'ajout d'un 7°bis, il inclut les produits « bénéficiant d'une démarche de certification de conformité des produits ». Cette démarche est mentionnée au 3° de l'article L. 640-2 du code rural et de la pêche maritime. Elle consiste en l'homologation par l'État de cahiers des charges privés, hétérogènes, distincte des signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) et des mentions valorisantes, citées respectivement au 1° et au 2° du même article. En pratique, elle concerne en particulier les fruits et légumes.

Pour s'assurer que ces produits conformes soient effectivement durables et de qualité, et éviter ainsi les certifications « low-cost » ou « alibi » il est prévu que seuls les produits soumis à une démarche de conformité subordonnés « au respect de règles destinées à favoriser la qualité des produits agricoles ou des denrées alimentaires ou la préservation de l'environnement, sous le contrôle du ministre chargé de l'agriculture ».

III. La position de la commission - Une mesure rendue inévitable par l'absence de politique volontariste de l'État pour soutenir les collectivités territoriales

A. Il n'y a aujourd'hui ni carotte, ni bâton pour soutenir les objectifs fixés par la loi en matière d'approvisionnement en produits durables et de qualité

La rapporteure rappelle que le péché originel de l'objectif quantitatif adopté dans la loi Egalim vient de ce qu'un financement ad hoc de l'État n'a pas été institué pour aider les communes et autres collectivités à la mesure des efforts demandés.

Par l'effet des vases communicants, la hausse des budgets nécessaires pour l'atteinte de l'objectif d'Egalim a pu réduire d'autant ceux disponibles pour compléter les autres approvisionnements, poussant possiblement à recourir aux produits importés, généralement moins chers, pour compenser.

Dès juin 2022, filières agricoles et organisations de producteurs ont déclaré qu'il manquait 40 centimes par repas aux collectivités territoriales, la moitié liée à l'inflation sur les matières premières, et l'autre pour répondre aux objectifs fixés par la loi Egalim. Malgré des amendements déposés en ce sens lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, l'État n'a pas consenti à une telle aide. Dans le même temps, les économies escomptées par la réduction du gaspillage alimentaire et la végétalisation de l'alimentation n'ont pu être réalisées.

Outre une difficulté du contrôle liée à la complexité des typologies de produits, une autre limite, s'agissant de la portée et de l'effectivité de cette obligation, explique en partie que les collectivités se découragent : aucune sanction n'est en effet prévue pour les gestionnaires publics ne respectant pas la loi.

Enfin, la structuration des partenariats entre producteurs et acheteurs publics n'a pas été suffisamment soutenue, nombre des projets alimentaires territoriaux (PAT) prévus dans le cadre de la loi Climat et résilience ne s'étant pas concrétisés.

B. Une ouverture aux produits sous démarche de certification de conformité des produits bienvenue

Aucun des interlocuteurs entendus par la mission ne juge la démarche de certification de conformité des produits d'une exigence comparable aux voies d'accès actuelles à la catégorie des produits durables et de qualité.

Ainsi, Chambres d'agriculture France rappelle que « la certification de conformité des produits est peu contraignante ». La Coordination rurale considère que « le levier n'est pas l'élargissement de la base des produits pouvant satisfaire aux objectifs fixés par la loi Egalim » et la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) conclut qu'« il existe d'autres démarches, davantage connues des consommateurs, permettant de reconnaître un savoir-faire spécifique ou un cahier des charges précis ». Selon elle, l'extension aux produits sous démarche de certificat de conformité des produits « n'atténuera pas les véritables difficultés de mise en oeuvre juridique au regard de la prohibition de tout critère de localisme au titre du droit de la concurrence et des principes fondamentaux de la commande publique ».

Il est vrai que la CCP n'est pas strictement l'équivalent des signes d'identification de la qualité et de l'origine. Mais des différences existent déjà au sein de la catégorie des produits durables et de qualité et cela ne remet pas pour autant en cause leur bien-fondé :

- le cahier des charges du bio n'est pas celui des AOP (qui comptent elles-mêmes des différences notables au sein d'une même catégorie),

- la mention « produit de montagne » n'est pas comparable au label « commerce équitable ».

Ces produits ont bien des caractéristiques qui les distinguent des produits standards. À titre d'exemple :

- le certificat "Agneau de Qualité" de la Fédération Bétail de Qualité Bourgogne, domiciliée en Côte d'Or certifie que l'agneau est élevé avec sa mère pendant 60 jours avec une alimentation complémentaire et qu'il est élevé pendant 270 jours au maximum ;

- le certificat "Jeunes boeufs et génisses" de la société vitréenne d'abattage Jean Rozé, domiciliée à Vitré, certifie que les bêtes sont alimentées après sevrage avec 80 % minimum d'herbe conservée et de foin et que leur âge est compris entre 16 et 30 mois.]

La rapporteure juge que tant que la production nationale en produits durables et de qualité n'est pas suffisante, les efforts des acheteurs publics comportent le risque d'encourager les importations. La démarche de certification de conformité des produits est à cet égard intéressante, en ce que la quasi-totalité des produits sous cette démarche sont produits par des entreprises françaises.

C'est pourquoi la rapporteure a entendu maintenir la mesure proposée à cet article 11, insistant sur le contrôle du ministre de l'agriculture prévu par cette disposition, au regard de la qualité des produits et de la préservation de l'environnement (ce ne sont pas tous les produits suivant une démarche de conformité qui seraient éligibles aux 50 % de produits durables et de qualité).

Elle a, en outre, rappelé que le dispositif proposé au présent article avait été adopté par la commission des affaires économiques lors de l'examen du projet de loi Climat et résilience.

C. Un assouplissement mais surtout un appel à l'aide pour les collectivités territoriales

Il est à craindre dans le contexte de forte inflation alimentaire actuelle, que les faibles progrès jusqu'ici constatés restent limités, voire ne s'essoufflent, d'autant qu'il n'existe aucune sanction pour les collectivités n'atteignant pas la cible prévue et donc aucune incitation à poursuivre leurs efforts.

Les personnes morales de droit public, et en particulier les collectivités territoriales, n'ayant dans leur grande majorité pas été en mesure de proposer une offre alimentaire comprenant au moins 50 % en valeur de produits durables et de qualité dont 20 % de produits bio, la rapporteure a proposé à la commission, par un amendement COM-26, d'acter par réalisme le fait que les cibles, qui devaient être atteintes au 1er janvier 2022, ne l'étaient manifestement pas, repoussant par conséquent cette échéance à 2025.

Ce desserrement des contraintes est avant tout un moyen de faire prendre conscience au Gouvernement de l'urgence qu'il y a à soutenir les collectivités.

Il va de soi qu'une nouvelle méthode devra être adoptée : au-delà du soutien à l'achat de produits durables et de qualité, il convient de soutenir la production de ces produits dans tous les territoires, et de favoriser la déclinaison de ces objectifs en sous-objectifs par région et par type de restauration, dans le cadre de la révision du plan Ambition bio, sur cinq ans.

En effet, l'observatoire national de la restauration collective bio et durable souligne que les collectivités situées dans les départements les mieux dotés en surfaces agricoles bio ont tendance à être plus en avance sur le bio et en général sur les produits durables et de qualité.

La commission a adopté l'article 11 ainsi modifié.

TITRE III

LUTTER CONTRE LA SURRÉGLEMENTATION
EN MATIÈRE AGRICOLE
Article 12

Instauration d'un objectif de non-surtransposition
sauf motif d'intérêt général suffisant
dans les domaines agricole et alimentaire

Cet article vise à créer un objectif de non-surtransposition sauf motif d'intérêt général suffisant et complète les missions du Conseil d'État en le chargeant d'identifier les surtranspositions figurant dans un texte législatif lui étant soumis, pour lesquelles le Gouvernement devra produire une analyse à destination du Parlement.

La commission a adopté l'article 12 modifié par deux amendements de la rapporteure visant d'une part à préciser l'objectif de non-surtransposition ainsi que les obligations d'évaluation s'attachant à ces dispositions excédant les exigences des normes européennes ( COM-59), et, d'autre part, à améliorer l'information du Parlement concernant les surtranspositions règlementaires ( COM-60).

I. La situation actuelle - Des surtranspositions de normes européennes pénalisant le monde agricole

A. Une problématique connue mais persistante

En droit européen, les deux principaux vecteurs de normes sont les règlements et les directives.

Les règlements, définis à l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont d'application directe au sein des États membres.

Les directives, définies au sein du même article, lient les États membres quant aux résultats à atteindre, tout en leur laissant une marge d'appréciation plus ou moins grande quant aux moyens à mettre en oeuvre pour atteindre ces objectifs. Les directives nécessitent donc un véhicule législatif pour trouver application en droit interne : c'est la transposition. À l'occasion d'une transposition, le législateur peut décider d'aller au-delà des exigences minimales définies par une directive : c'est ce que l'on appelle usuellement une surtransposition. Il est également couramment admis que l'utilisation dans un sens contraignant des marges de manoeuvres nationales offertes par un règlement constitue une surtransposition.

Dans sa communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions Une règlementation intelligente au sein de l'Union européenne du 8 octobre 201052(*), la Commission européenne emploie le terme de « surrèglementation » et indique qu'« on entend par surrèglementation la pratique des autorités nationales consistant à aller au-delà des exigences de la législation de l'UE lors de la transposition ou de la mise en oeuvre au niveau de l'État membre ».

À la lumière de cette définition, il convient de noter qu'une surtransposition n'advient pas nécessairement par le biais d'une loi votée par le Parlement, mais peut tout aussi bien - et parfois davantage - se matérialiser par l'intermédiaire d'un acte administratif, décret, arrêté voire même circulaire. Une surtransposition peut provenir d'une ordonnance prise sur le fondement d'une habilitation à légiférer délivrée par le Parlement au Gouvernement.

Une surtransposition n'est pas, en soi, problématique, puisqu'elle procède de la légitime marge de manoeuvre laissée aux États membres, dans la conduite de leurs affaires, pour mettre en oeuvre les normes européennes et déterminer leurs propres priorités. La plupart des surtranspositions ont ainsi pour objectif initial d'assurer un haut niveau de protection, notamment sanitaire et environnemental du pays. De nombreuses surtranspositions sont ainsi mises en place dans le domaine de la protection du consommateur : publicité, produits bancaires et assurantiels, etc.

En revanche, quantité de surtranspositions interviennent sans étude d'impact préalable, voire sans véritable information du Parlement. Dès lors, la problématique de leur identification, de leur évaluation et de leur légitimité se pose. C'est notamment le cas en agriculture.

Le Sénat, à travers les travaux de sa commission des affaires économiques, s'intéresse et alerte de longue date sur les potentiels effets néfastes de certaines surtranspositions sur la compétitivité des entreprises françaises et sur les distorsions de concurrence qu'elles sont susceptibles d'engendrer.

Le rapport d'information n° 614 de juin 2018 fait au nom de la commission des affaires européennes et de la délégation aux entreprises relatif aux surtranspositions préjudiciables aux entreprises d'actes législatifs européens en droit interne, par M. René Danesi, dont proviennent les diagrammes ci-dessous, issus d'une consultation auprès des entreprises, fait le point sur certaines surtranspositions affectant les entreprises françaises.

 
 
 
 

Mal identifiées, mal analysées, leurs effets néfastes apparaissent en général après leur introduction et nécessitent alors un important travail d'alerte et de mobilisation pour pouvoir envisager, éventuellement, des mesures correctives.

Il est loisible au législateur ou aux autorités administratives, dans leurs champs de compétences, d'édicter des normes relatives à la surtransposition, pour tenter d'en fixer un cadre et d'en limiter les effets négatifs, comme l'illustrent les exemples européens en la matière.

En France, la circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maitrise du flux des textes règlementaires et de leur impact53(*) consacre son point 3. à la question des surtranspositions : « Toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive est en principe proscrite. Les dérogations à ce principe, qui peuvent résulter de choix politiques, supposent la présentation d'un dossier explicitant et justifiant la mesure qui sera soumise à l'arbitrage de mon cabinet. Ce travail ne doit pas porter sur le seul flux de transpositions mais également sur le stock. » Cette circulaire s'inscrit dans la lignée des circulaires des 17 février 2011 et 27 juillet 2013, poursuivant le même objectif. Il convient d'ailleurs de noter que dans le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance (dit « Essoc »), présenté fin 2017, plusieurs articles revenaient sur des surtranspositions.

Dispositions adoptées dans certains pays européens
relatives aux surtranspositions

L'Allemagne, l'Italie, et la Suède, notamment, ont adopté des mesures de nature différentes mais visant à interdire ou sérieusement encadrer les surtranspositions.

Allemagne : les ministères fédéraux sont convenus d'appliquer, de façon informelle, le principe de non surtransposition, le conseil fédéral de contrôle des normes (Normenkontrollrat) précisant, dans ses avis sur les projets de texte, s'il existe un risque de surtransposition. Son avis, annexé aux projets de loi, précise outre les coûts pour les citoyens, l'économie et l'administration si la transposition à l'identique est possible ou s'il existe un risque de surtransposition. Selon le principe du « one in one out » les ministères sont convenus qu'une surtransposition doit être compensée.

Italie : la règle de non surtransposition résulte de deux lois générales, adoptées en 2005 et 2012, assorties d'un rappel dans une loi votée en 2016 sur la transposition des directives relatives aux appels d'offres publics, complétées par une instruction du Président du Conseil des ministres de 2013. L'administration ne peut déroger à la règle que si elle rend compte des circonstances exceptionnelles, évaluées dans l'analyse d'impact de la réglementation qui justifient le dépassement du niveau minimum communautaire.

Suède : l'interdiction résulte de l'article 6-6 du règlement n° 1244 de 2007 sur les études d'impact relatives à une norme réglementaire selon lequel ces études contiennent notamment : « une évaluation portant sur le point de savoir si la règlementation est conforme ou si elle excède les obligations résultant de l'adhésion à l'Union européenne ». Le conseil des règles (Regelrådet) est chargé de contrôler la qualité des études d'impact susceptibles d'avoir une incidence significative sur la vie des entreprises.

Source : Note sur la surtransposition des directives européennes réalisée à la demande
de M. Jean Bizet, sénateur

B. Des surtranspositions qui entravent la compétitivité de la Ferme France

Le rapport sur la compétitivité de la Ferme France fait état du désarroi de nombreuses filières agricoles, placées dans des situations d'impasses techniques résultant notamment de surtranspositions. Ces surtranspositions entraînent des distorsions de concurrence pesant sur la compétitivité de l'agriculture française.

À l'occasion des auditions menées par la rapporteure, les filières ont pu détailler de nombreuses surtranspositions affectant leurs secteurs. Aucune filière, aucun acteur, ne remet en cause l'impératif de préservation de l'environnement et de la santé. Sont en revanche visées les distorsions de concurrence engendrées par des interdictions se limitant à l'échelle française, décidées sans concertation avec l'échelon européen, alors même que les produits agricoles s'échangent sur un marché mondialisé au sein duquel les producteurs ne jouent pas à armes égales. Outre les innombrables distorsions issues d'un différentiel de normes entre l'Union européenne et les pays tiers, c'est principalement les écarts au sein même du marché intérieur, qui posent question.

Très récemment, dans une décision du 20 janvier 2023, l'Anses a annoncé le retrait des autorisations de mise sur la marché des produits phytopharmaceutiques contenant la substance S-métolachlore, avant même la décision de l'Union européenne sur cette substance, dont l'autorisation expire au 31 juillet 2023 et dont le réexamen est donc imminent.

Même si, en agriculture, l'attention aux surtranspositions se concentre souvent sur les produits phytopharmaceutiques, ces dernières trouvent à s'exprimer dans d'autres champs, comme l'illustre la mise en place de zone de non traitement (ZNT)54(*) systématiques pour les produits classés CMR 1 (20 mètres) ou CMR2 (10 mètres) en l'absence d'une distance de sécurité spécifique fixée par l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du produit concerné. Cette règlementation excède le cadre du règlement n° 1107/2009, qui dispose, en son article 31, que l'AMM d'un produit particulier peut comporter des restrictions d'usage à des fins de protection de la santé et de l'environnement.

L'interdiction des néonicotinoïdes (NNIs)
Cas d'école d'une surtransposition franco-française

Les NNIs sont des substances insecticides utilisées dans des produits en agriculture. Ce sont des substances dites systémiques, c'est-à-dire qu'elles se diffusent dans toute la plante pour la protéger des ravageurs. En agriculture, cinq substances sont répertoriées dans la famille des néonicotinoïdes : la clothianidine, l'imidaclopride, le thiaméthoxame, l'acétamipride et le thiaclopride. Leurs effets sur l'environnement ont conduit l'UE à restreindre progressivement, depuis 2013, leur utilisation. Actuellement, seule l'acétamipride demeure autorisée à l'échelon européen.

Devançant la législation européenne, la France a interdit à partir du 1er septembre 2018 l'emploi de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances de la famille des NNIs55(*). La loi EGalim de 2018 complète le dispositif en interdisant les substances présentant des modes d'action identiques à ceux de la famille des NNIs (le flupyradifurone et le sulfoxaflor).

Malgré les alertes du monde agricole, ce n'est qu'en 2020 que l'étendue de l'impasse technique dans laquelle se trouve la filière de la betterave éclate au grand jour suite à un épisode de jaunisses d'une intensité jamais connue de mémoire d'agriculteur entraînant 30 % de perte au niveau national, et jusqu'à 70 % localement.

En urgence, le Parlement vote une loi56(*) visant à permettre, pour trois ans, des dérogations à l'interdiction de deux NNIs, l'imidaclopride et thiaméthoxame. Un programme national de recherche et d'innovation est également mis sur pied en urgence, pour tenter de sortir de l'impasse technique.

Le 19 janvier 202357(*), une décision de la Cour de justice de l'Union européenne établit qu'il n'est pas permis à un État membre d'édicter des dérogations visant à l'usage de produits phytopharmaceutiques expressément interdits par un règlement d'exécution. Dès lors, l'imidaclopride et le thiaméthoxame étant interdits à l'échelle de l'Union, les dérogations sont proscrites.

Restent alors, pour les États membres, l'acétamipride, le flupyradifurone et le sulfoxaflor, substances toujours autorisées. Or, ces mêmes substances sont interdites en France en vertu des textes précités, la filière betterave française se trouvant dans la situation à être la seule filière européenne de betterave en situation d'impasse technique complète.

Les conséquences de cette situation sont bien connues : chute des surfaces cultivées par peur de récoltes calamiteuses, déstabilisation de la filière sucrière, dépendante de la production betteravière locale, et porte ouverte aux importations de denrées traitées avec des produits dont l'utilisation est refusée aux agriculteurs français.

Dans le domaine agricole comme dans d'autres, les surtranspositions sont de nature différente. En agriculture, ce sont les surtranspositions liées aux produits phytopharmaceutiques qui cristallisent les incompréhensions. Le bienfondé des analyses scientifiques de l'Anses n'est pas questionné, puisque se basant sur des données objectives et robustes de nature uniquement scientifique58(*).

C'est bien, d'une part, l'absence d'intervention politique, en aval de l'analyse scientifique, qui pose question, et d'autre part l'absence de synchronisation à l'échelon communautaire, faisant de ces surtranspositions des handicaps compétitifs affectant unilatéralement l'agriculture française lorsque celle-ci fait face à des impasses techniques résultant, elles-mêmes d'un déficit d'anticipation et d'orientation des priorités de recherche de la part des pouvoirs publics. Or, un décalage d'un an dans le retrait d'une substance, si cette dernière place une filière en situation d'impasse technique, est suffisant à la perte de nombreux marchés et à la réorganisation des filières d'importations des clients de la France.

Au-delà des analyses scientifiques et des décisions en découlant, c'est aussi et surtout un sentiment d'incompréhension et de résignation qui, à hauteur d'homme, au sein d'une exploitation, envahit un monde agricole bousculé par un empilement de règles et de contraintes pour lesquels il n'est pas ou trop peu accompagné. Il ressort des auditions menées par la rapporteure un profond sentiment, au sein de certaines filières particulièrement sinistrées, d'abandon des agriculteurs, dont les conditions de travail sont difficiles et largement méconnues, la rémunération trop faible au regard de l'engagement fourni, et la reconnaissance des pouvoirs publics et de la société en général, inexistante.

L'exemple de la cerise - Une filière en crise suite à une surtransposition en 2016, doublée d'un retrait européen en 2022

Parmi les nombreuses petites filières en situation de crise figure la filière de la cerise, profondément déstabilisée par la concomitance de l'arrivée d'un ravageur originaire d'Asie, la Drosophila Suzukii, et par le retrait, à quelques années d'intervalle, des deux uniques substances permettant une lutte efficace, que sont le dimethoate en 2016 et le phosmet en 2022.

Le phosmet a fait l'objet d'une interdiction européenne, quand le diméthoate avait, lui, été interdit unilatéralement en France début 2016, avant de finalement être interdit à l'échelle de l'Union européenne fin 2019, soit avec près de quatre ans de décalage.

Faute d'alternative, la production de cerises et les surfaces cultivées déclinent, parallèlement à une augmentation des importations. Le verger de cerises douces représenterait aujourd'hui moins de 7 000 hectares, en baisse de 15 % en dix ans, et la production, de près de 44 000 tonnes en 2014, s'établissait en 2020 à moins de 32 000 tonnes. Environ 6 000 tonnes de cerises étaient importées en 2016, contre plus de 8 000 tonnes en 2022, avec, en conséquence, un taux d'auto-approvisionnement en baisse de 11 % entre 2010 et 202059(*).

II. Le dispositif envisagé - L'affirmation d'un objectif de non-surtransposition sauf motif d'intérêt général suffisant

L'article 12 de la proposition de loi vise à compléter l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime dédié aux finalités de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation en insérant un 1° B disposant que des mesures législatives ou règlementaires allant au-delà des exigences minimales prévues par le droit de l'Union européenne ne soit adoptées que si elles sont justifiées par un motif d'intérêt général suffisant.

Il vise également à créer un article L. 3-1 au sein du même code disposant que le Conseil d'État identifie, dans les avis, les dispositions excédant les exigences minimales des normes européennes. Pour ces dispositions, le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard sept jours avant l'examen du texte concerné par la commission permanente de la première assemblée parlementaire saisie, un document estimant les conséquences financières des dispositions ainsi identifiées et recensant les dispositions similaires éventuellement adoptées dans les autres pays de l'Union européenne.

Ce même article L. 3-1 prévoit que dans le cas où un texte règlementaire est soumis à consultation publique, le Gouvernement produit le même document à destination du public, au plus tard une semaine après le début de la consultation ou de l'enquête.

III. La position de la commission - La nécessité d'une stricte régulation des surtranspositions et d'une évaluation en amont

La problématique des surtranspositions en agriculture, ayant essentiellement trait au retrait unilatéral de produits phytopharmaceutiques, est de longue date identifiée et suivie par le Sénat. Soulignant que le solde de la balance commerciale agricole et agroalimentaire française est déficitaire avec l'Union européenne depuis 2015 et ne cesse de se dégrader, il devient urgent de mobiliser tous les leviers disponibles pour rétablir la compétitivité de la Ferme France. Parmi ces leviers figure un meilleur encadrement des surtranspositions, notamment par leur identification systématique en amont, par leur réelle analyse d'impact, suivie d'un débat public éclairé au sein duquel l'ensemble des parties prenantes trouveraient à s'exprimer.

Ainsi, la commission souhaite faire de l'interdiction des surtranspositions le principe général, et leur édiction la stricte exception, dûment justifiée. Observant que trois circulaires visant à poser le principe de l'interdiction des surtranspositions n'ont pas permis de parvenir au résultat escompté, l'affirmation de ce principe à l'échelon législatif, sur le modèle de certains pays européens, paraît indispensable.

Consciente des divergences d'interprétations que pourrait engendrer le concept d' « intérêt général majeur » et des potentiels contentieux qu'il pourrait nourrir, la commission a adopté, sur proposition de sa rapporteure, un amendement COM-59 visant à s'inspirer des termes employés dans la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017, plus clairs, qui dispose que « toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive est en principe proscrite. Les dérogations à ce principe, qui peuvent résulter de choix politiques, supposent la présentation d'un dossier explicitant et justifiant la mesure ».

En somme, la commission souhaite prendre au mot la Première ministre, lorsqu'elle déclarait le 27 février dernier au Salon international de l'agriculture : « Nous respecterons désormais le cadre européen, et rien que le cadre européen. Nous ne créerons aucune distorsion de réglementation pour nos producteurs, sauf en cas de force majeure, quand la santé publique est menacée. »

S'agissant de la mission confiée à la juridiction administrative suprême, le Conseil d'État, conseil du Gouvernement et éclairant également le Parlement, est tout indiqué pour identifier, dans les projets de loi qui lui sont soumis, des surtranspositions pour lesquelles l'exécutif devrait rendre compte devant la représentation nationale.

À l'échelon règlementaire, les professionnels doivent également pouvoir bénéficier d'une pleine information quant à l'impact des textes qui sont soumis à consultation ou enquête publique. Un amendement COM-60 à l'initiative de la rapporteure précise que le document produit par l'autorité administrative à l'occasion d'une consultation ou d'une enquête publique est transmis aux commissions compétentes du Parlement. Cet ajout vise à assurer la pleine information du Parlement, sur des dispositions aussi bien législatives que règlementaire. Sa fonction de contrôle n'en sera que renforcée.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 12 bis (nouveau)

Rapport présentant les possibilités de mise en place de « clauses miroirs » au niveau européen

En adoptant l'amendement COM-35 de la rapporteure, portant article additionnel, la commission a créé le présent article 12 bis.

Cet article vise à demander au Gouvernement la remise d'un rapport au Parlement sur l'application de l'article 44 de la loi Egalim qui pose dans la loi le principe des « clauses miroirs », ainsi que sur les possibilités de mise en oeuvre desdites clauses miroirs aux frontières du marché intérieur, à l'occasion de la conclusion de nouveaux accords commerciaux.

I. La situation actuelle - Équivalent dans nos relations commerciales avec le reste du monde du principe de non-surtransposition au sein du marché intérieur, les clauses miroirs ne sont aujourd'hui pas mises en oeuvre

A. Malgré une intention claire du législateur...

L'article 44 de la loi dite « Egalim » n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous a introduit le principe des clauses miroirs dans le code rural.

Codifié à l'article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime, cet article « interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d'aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d'identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation. »

Il avait été complété par l'article 3 de la loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, ouvrant la possibilité aux ministres chargés de l'agriculture et de la consommation, dans le respect du droit de l'Union, de prendre des mesures conservatoires « afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l'introduction, l'importation et la mise sur le marché en France de[s mêmes] denrées alimentaires ou produits agricoles. »

B. ...les clauses miroirs ne sont toujours pas une réalité

L'article 44 de la loi Egalim, dont l'un des effets les plus massifs aurait été d'interdire l'importation du maïs OGM pour l'alimentation animale, n'est toujours pas appliqué cinq ans après son adoption par le Parlement, parce qu'il n'est pas conforme au droit de l'Union européenne, la politique commerciale relevant du domaine exclusif de l'Union européenne.

Or, la pratique européenne de l'abaissement à zéro des limites maximales de résidus (LMR) admissibles ne garantit pas que des produits phytosanitaires, médicaments ou certains types d'alimentation animale ne soient pas entrés dans le processus de production des produits agricoles importés.

En dépit d'un agenda environnemental et sanitaire extrêmement ambitieux, la Commission européenne entend toujours conclure des accords commerciaux avec des États et zones moins disantes de ce point de vue, avec des clauses de réciprocité très insuffisantes.

Ce double agenda paraît complètement contradictoire et fait peser sur les agriculteurs européens le poids de normes dont leurs concurrents sont tout bonnement exemptés.

II. Le dispositif envisagé - Un rapport pour remettre le mécanisme des clauses miroirs à l'agenda de nos décideurs et prévenir de nouvelles distorsions de concurrence

De façon complémentaire à l'instauration d'un objectif de non-surtransposition au sein de l'Union (article 12 de la présente proposition de loi), l'amendement COM-35 de la rapporteure Sophie Primas est destiné à attirer l'attention des pouvoirs publics sur l'urgence de la mise en oeuvre des clauses miroirs aux frontières de l'Union.

Il demande un bilan du Gouvernement sur les clauses miroirs mises en oeuvre jusqu'à présent, et sur les possibilités de généraliser ce principe dans nos relations commerciales avec les États tiers, afin de protéger nos agriculteurs des distorsions de concurrence.

III. La position de la commission - Un principe de réciprocité de bon sens, qui gagnerait à être appliqué dans nos relations commerciales avec le reste du monde avec moins de timidité et plus de systématicité

Priorité affichée lors de la présidence française de l'Union européenne en matière d'agriculture, les clauses miroirs se sont heurtées à des désaccords politiques entre États membres et à des difficultés juridiques liées aux règles commerciales de l'Organisation mondiale du commerce.

Ce rapport devrait donc en particulier permettre de faire le point sur les efforts entrepris par l'exécutif pour faire respecter la réciprocité en matière sanitaire et environnementale dans nos échanges commerciaux et ainsi interdire effectivement l'importation de produits élaborés en suivant des méthodes de production interdites en Europe.

À titre d'exemple, il faut rappeler :

- que  l'acte délégué devant appliquer le règlement européen relatif aux médicaments vétérinaires60(*) interdisant les importations de viandes traitées aux antibiotiques promoteurs de croissance n'a été notifié qu'en décembre 2022 à l'OMC par la Commission européenne et ne prévoit qu'un vague calendrier d'actes d'exécution ultérieurs ;

- et que l'arrêté de février 202261(*) pris pour appliquer le règlement européen précité en droit interne en l'absence d'acte délégué, bien que prorogé en février 202362(*), ne fait lui-même toujours pas l'objet d'une traduction concrète, en dépit de la mise en place en France d'une police sanitaire de l'alimentation unique, demandée de longue date par le Sénat, et qui pourrait servir de bras armé à ces contrôles.

Cet article constitue la contribution du Sénat au débat citoyen qui doit avoir lieu autour des négociations de l'accord commercial avec le Mercosur, que la Commission européenne souhaite faire aboutir d'ici cet été 2023.

La Commission européenne semble en effet résolue à conclure l'accord alors que les conditions, notamment la présence de clauses miroirs suffisantes, ne sont pourtant pas réunies.

Une proposition de résolution relative à l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur a été déposée à l'Assemblée nationale le 27 avril 2023, pour souligner cette contradiction.

La transparence devrait être faite sur les propositions de la France en matière de clauses miroirs dans le cadre de ces négociations, ce que permettrait ce rapport.

Plus largement, en demandant au Gouvernement des avancées sur ce dossier, le Sénat entend redonner confiance aux agriculteurs et susciter leur adhésion quant aux normes environnementales et sociales qui, si elles valent au sein de l'Union européenne, doivent aussi valoir pour les produits introduits au sein du marché intérieur par le biais des importations.

La commission a adopté l'article 12 bis ainsi modifié.

Article 13

Précision des critères d'évaluation de l'Anses relatifs aux autorisations
de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques

Cet article vise à préciser les critères d'évaluation de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) relatifs aux autorisations de mise sur le marché (AMM) en lui confiant une mission d'analyse des bénéfices et des risques sanitaires, environnementaux et économiques de ses décisions.

Il vise en outre à porter systématiquement les délais de grâce, dans les cas de décisions de retrait de produits phytopharmaceutiques au maximum des possibilités permises par le droit européen, ainsi que l'obligation, pour l'État, de financer un accompagnement technique et de recherche pour les professionnels affectés par le retrait d'une AMM.

La commission a adopté l'article 13 modifié par deux amendements identiques COM-61 et COM-81 ainsi que par un amendement COM-62, accordant au ministre chargé de l'agriculture, à l'initiative de la rapporteure, un pouvoir de suspendre, dans certaines conditions, par arrêté, une décision de l'Anses, et permettant par ailleurs au directeur général de l'agence de s'en remettre au ministre pour une décision.

I. La situation actuelle - Des autorisations de mises sur le marché intégralement instruites par l'Anses, questionnant le rôle du politique

A. Un encadrement européen strict et une procédure d'approbation des substances actives relevant de cet échelon

La Directive 2009/128/CE instaurant un cadre communautaire d'action pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable définit le terme « Pesticide » dans son article 3. Les pesticides sont :

- d'une part les produits phytopharmaceutiques au sens du règlement (CE) n° 1107/2009 ;

- d'autre part les produits biocides au sens du règlement (CE) 528/2012.

Les produits phytopharmaceutiques sont définis à l'article 2 du règlement 1107/2009 comme tout produit « sous la forme dans laquelle ils sont livrés à l'utilisateur, composés de substances actives, phytoprotecteurs ou synergistes, ou en contenant, et destinés à l'un des usages suivants :

a) protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou prévenir l'action de ceux-ci, sauf si ces produits sont censés être utilisés principalement pour des raisons d'hygiène plutôt que pour la protection des végétaux ou des produits végétaux ;

b) exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, telles les substances, autres que les substances nutritives, exerçant une action sur leur croissance ;

c) assurer la conservation des produits végétaux, pour autant que ces substances ou produits ne fassent pas l'objet de dispositions communautaires particulières concernant les agents conservateurs ;

d) détruire les végétaux ou les parties de végétaux indésirables, à l'exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l'eau pour protéger les végétaux ;

e) freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux, à l'exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l'eau pour protéger les végétaux. »

Les produits biocides sont définis à l'article 3 du règlement 528/2012 comme « toute substance ou tout mélange, sous la forme dans laquelle il est livré à l'utilisateur, constitué d'une ou plusieurs substances actives, en contenant ou en générant, qui est destiné à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l'action ou à les combattre de toute autre manière par une action autre qu'une simple action physique ou mécanique ».

La frontière entre produit biocide et produit phytopharmaceutique est poreuse puisqu'ils peuvent parfois utiliser une même substance active. La distinction se fait alors en fonction de leur usage. Là où les produits phytopharmaceutiques sont spécifiquement utilisés en agriculture, les produits biocides ne concernent cette activité qu'à la marge. C'est pourquoi on parle de manière générale de « produits phytopharmaceutiques » pour désigner les produits utilisés en agriculture. Par ailleurs, la législation européenne relative aux produits biocides transpose très largement celle concernant les produits phytopharmaceutiques.

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) donne une définition condensée de la finalité des produits phytopharmaceutiques63(*) :

protéger les végétaux contre tous les organismes nuisibles, ou à prévenir leur action ;

- exercer une action sur les processus vitaux des végétaux (dans la mesure où il ne s'agit pas de substances nutritives) ;

- assurer la conservation des produits végétaux ;

- détruire les végétaux indésirables ;

- détruire des parties de végétaux, freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux.

La législation européenne prévoit une division des rôles entre l'échelon européen et l'échelon national. À l'échelle communautaire, les substances actives, qui composent les produits phytopharmaceutiques, doivent être approuvées selon un processus strict.

L'article 4 du règlement 1107/2009 énonce les conditions d'approbation des substances actives :

- si les résidus de produit :

. n'ont pas d'effet nocif sur la santé des êtres humains, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé des animaux, ou sur les eaux souterraines ;

. n'ont pas d'effet inacceptable sur l'environnement.

- si le produit satisfait aux conditions suivantes :

. il est suffisamment efficace ;

. il n'a pas d'effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l'intermédiaire de l'eau potable, des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l'air, ou d'effets sur le lieu de travail ou sur les eaux souterraines ;

. il n'a aucun effet inacceptable sur les végétaux ou les produits végétaux ;

. il ne provoque ni souffrances ni douleurs inutiles chez les animaux vertébrés à combattre.

L'instruction des demandes d'approbation est réalisée par l'Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA), qui nomme un État membre rapporteur. L'agence de l'État membre établit alors un projet de rapport qu'il remet à l'EFSA.

Cette dernière, après avoir effectué une consultation publique, transmet ses conclusions à la section Produits phytopharmaceutiques du Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la sécurité animale (ScoPAFF) de la Commission européenne (procédure dite de « comitologie »), au sein duquel chaque État membre est représenté. Sur la base des conclusions de l'EFSA, le comité se prononce et la Commission européenne édicte un règlement d'exécution autorisant ou non la substance active, et pouvant être assorti de précisions complémentaires.

À l'occasion de l'instruction de la demande d'approbation, de nombreux indicateurs sont déterminés, les valeurs toxicologiques de révérence (VTR) et notamment la dose journalière acceptable (DJA), la dose de référence aiguë (ARfD) pour les consommateurs, et la dose d'exposition acceptable (AOEL) pour les applicateurs, les travailleurs, les personnes présentes et les résidents. Les limites maximales de résidus (LMR) sont également définies.

Une fois la substance approuvée, une entreprise, désignée pétitionnaire, peut déposer un dossier visant à solliciter une autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un produit contenant cette molécule, auprès de l'autorité nationale compétente dans le pays au sein duquel elle souhaite commercialiser son produit. En France, il s'agit de l'Anses.

B. Une procédure d'autorisation de mise sur le marché relevant de l'échelon national mais strictement encadrée par la législation européenne

La procédure d'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un produit phytopharmaceutique est strictement encadrée par le droit européen dont l'élément central est le règlement 1107/2009 précité64(*).

L'article 29 du règlement dispose qu'un produit peut se voir délivrer une autorisation de mise sur le marché s'il respecte une série de critères faisant l'objet d'une évaluation par l'agence nationale, respectant des principes uniformes dévaluation et d'autorisation définis par le règlement d'exécution n° 546/2011.

Le même règlement détermine avec précision l'ensemble des étapes et modalités d'examen de l'agence nationale et notamment le contenu des autorisations délivrées, la durée, les modalités et les délais d'examens, les règles relatives à l'étiquetage des produits, les règles relatives au renouvellement, au retrait et aux modifications des AMM, les délais de grâce, les cas particuliers de mise sur le marché de produits à faible risque, etc.

Sans viser l'exhaustivité quant à l'encadrement de la procédure, on peut souligner que :

- l'article 40 du règlement prévoit une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations, permettant une instruction de la demande d'AMM moins contraignante si une autre agence européenne en a d'ores et déjà délivrée une sur son sol ;

- l'article 50 prévoit des modalités d'instruction particulières pour des produits contenant des substances que l'EFSA a déclaré envisager la substitution, à l'image du glyphosate. Pour ces produits, l'agence nationale doit veiller à ce que son AMM se limite aux usages pour lesquelles le produit en question n'est pas substituable dans des conditions assurant une certaine viabilité économique et pratique pour l'utilisateur ;

- l'article 53 offre la possibilité, par dérogation et dans des circonstances particulières, d'autoriser pour une période n'excédant pas 120 jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques n'ayant pas reçu d'AMM, en vue d'un usage limité et contrôlé, lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables. Une dérogation est accordée, en France, directement par le ministre chargé de l'agriculture. C'est sur le fondement de cet article que des dérogations pour l'usage de produits à base de néonicotinoïdes en 2021 et 2022 ont été accordées ;

- l'article 46 prévoit que lorsqu'un État membre retire ou modifie une autorisation ou ne la renouvelle pas, il peut accorder un délai de grâce pour l'élimination, le stockage, la mise sur le marché et l'utilisation des stocks existants, si les raisons motivant la décision ne sont pas liées à la protection de la santé humaine et animale ou de l'environnement. Dans la pratique, si un retrait d'une AMM n'est pas lié à un impératif sanitaire ou environnemental urgent, l'Anses accorde des délais de grâce ;

- enfin, l'article 44 autorise un État membre à réexaminer à tout moment un produit disposant d'une AMM si des éléments portent à croire que les exigences figurant à l'article 29 précité ne sont plus respectées. C'est sur le fondement de cet article que l'Anses a été saisie par ses autorités de tutelle pour réexaminer le S-métolachlor65(*) ou encore le prosulfocarbe.

Ce cadre européen est traduit en droit national au sein du code rural et de la pêche maritime, aux articles L. 253-1 à L. 253-18 relatifs à la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, ainsi que, pour la partie règlementaire, aux R.253-1 à D.253-54-4.

C. Le double rôle de l'Anses d'instruction des demandes d'autorisation de mise sur le marché et de décision

L'article 75 du règlement 1107/2009 précité dispose que « chaque État membre désigne une ou des autorités compétentes chargée de s'acquitter des obligations découlant du présent règlement », laissant ainsi une marge de manoeuvre aux États membres dans leur organisation interne.

En France, avant la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, les AMM étaient délivrées, sur le fondement de l'article R. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, par le ministre chargé de l'agriculture.

La direction générale de l'alimentation (DGAL) avait en charge la préparation de la décision et, dans la quasi-totalité des cas, la signature, par délégation, de l'autorisation.

La décision d'appuyait sur l'avis scientifique de l'Anses.

Plusieurs arguments ont conduit le législateur à transférer à l'Anses et, formellement, à son directeur général, la compétence de délivrance des AMM :

- la double instruction des dossiers n'apportait pas de plus-value dans la mesure où les autorités administratives suivaient systématiquement les avis de l'Anses, eux-mêmes établis suivant une procédure européenne très stricte ;

- la double instruction était plus coûteuse et, compte tenu des effectifs de la DGAL affectés à la l'instruction des dossiers d'AMM, 2,5 équivalent temps plein, les délais avaient tendance à s'allonger ;

- l'autorité administrative n'était pas entièrement dessaisie puisqu'elle conservait la tutelle de l'Anses. Par ailleurs, l'article L. 253-7 du code rural lui permettait, et lui permet toujours, « dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits » phytopharmaceutiques. Enfin, une disposition insérée à l'article L. 1313-5 du code de la santé publique permettait, et permet toujours, au ministre chargé de l'agriculture de s'opposer à une décision du directeur général de l'Anses66(*), en lui demandant, par arrêté motivé, de procéder au réexamen du dossier ayant servi de fondement à ladite décision. Mais il ne s'agit là que d'un rééxamen.

Ainsi, depuis la loi de 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt et son article 51, l'article L. 1313-1 du code de la santé publique dispose que l'Anses détient « des missions relatives à la délivrance, à la modification et au retrait des différentes autorisations préalables à la mise sur le marché et à l'expérimentation ». Il en va de même pour les matières fertilisantes, adjuvants pour matières fertilisantes, support de culture.

À noter que le transfert de la compétence de livrer des AMM concernant les produits biocides s'est opéré à l'occasion de la loi n° 2015-1567 du 2 décembre 2015 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques. Ce transfert s'est également assorti d'une faculté permettant au ministre chargé de la santé de s'opposer à une décision du directeur général, en lui demandant une réévaluation du dossier en question.

Désormais, c'est donc bien l'Anses qui instruit les dossiers et délivre les AMM, assorties des conditions d'utilisation et des usages autorisés. Pour ce faire, l'agence a dû adapter son organisation, notamment en instaurant une séparation fonctionnelle de l'évaluation et de la gestion. L'évaluation des dangers et des risques pour l'homme, l'animal ou l'environnement, ainsi que celle de l'efficacité sont réalisées par la Direction de l'évaluation des produits réglementés (DEPR). La réception et l'examen de la recevabilité des dossiers de demandes, ainsi que l'instruction des décisions d'autorisations de mise sur le marché et des permis d'expérimentation et de commerce parallèle, sont assurés par la Direction des autorisations de mise sur le marché (DAMM). La Direction générale déléguée en charge du pôle « produits règlementés » de l'Anses coordonne ces travaux et leur articulation avec les activités de veille et de vigilance. Le directeur général de l'Anses délivre les AMM. 

Une évolution scientifique basée sur l'expertise collective

Pour l'ensemble de ses thématiques, l'Anses mobilise des experts indépendants. Elle anime 16 comités d'experts spécialisés et différents groupes de travail, constitués de scientifiques ayant répondu à un appel à candidatures public. Ils sont sélectionnés par l'Anses sur différents critères, en particulier leurs compétences reconnues dans les domaines scientifiques mobilisés pour l'évaluation - toxicologie, écotoxicologie, chimie, expologie, évaluation des risques, agronomie, entomologie, microbiologie... - et après analyse de leurs éventuels liens d'intérêt.

Les experts sélectionnés s'engagent à respecter le cadre déontologique de l'Anses, comprenant notamment la charte de l'expertise sanitaire, qui assure l'indépendance et l'impartialité des avis et décisions de l'Agence. Tous les experts remplissent également une déclaration publique d'intérêts publiée sur le site DPI-santé du ministère chargé de la Santé.

Source : Produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes et supports de culture Rapport d'activité 2021, Anses

Or, l'Anses, conformément à sa mission, effectue des analyses à caractère scientifique, en suivant le cadre précis établi par la législation européenne. Il ne lui appartient pas de prendre en compte, sauf en des cas tout à fait spécifiques relevant par exemple de l'article 50 du règlement 1107/2009, le contexte économique et concurrentiel des filières agricoles potentiellement affectées par une décision de retrait ou de restriction d'une AMM.

Les nombreux acteurs entendus dans le cadre des auditions menées par la rapporteure ne remettent en cause ni la compétence de l'Anses, ni la nécessité d'assurer un haut niveau de protection sanitaire et environnementale. Il est pointé en revanche la déconnexion, parfois, entre des décisions prises nationalement par une autorité scientifique indépendante, et la réalité économique de certaines filières durement impactées par de telles décisions, au demeurant parfaitement légitimes puisque fondées sur la science.

Au-delà des conséquences sur le plan de la souveraineté alimentaire que certaines décisions non concertées peuvent entraîner, il convient de s'interroger sur le sens du retrait unilatéral d'une AMM, constitutif d'une surtranspostion puisqu'allant au-delà des prescriptions européennes, à la simple échelle française, si des denrées traitées avec le même produit sont par la suite importées. En effet, s'il est légitime et nécessaire d'interdire à l'échelle communautaire, pour tous, l'utilisation d'une molécule dont les effets sanitaires ou environnementaux s'avèrent délétères, l'intérêt sanitaire et environnemental de procéder à une telle interdiction au sein d'un seul pays, lui-même partie intégrante d'un marché unique au sein duquel les denrées s'échangent librement et sans entrave peut être questionné.

Pour le producteur, il subit une contrainte supplémentaire affectant sa capacité à fournir son marché domestique et, éventuellement, d'exporter. Pour le consommateur, le gain sanitaire est nul s'il s'avère que la denrée française est remplacée par une denrée d'importation, venue d'un producteur non soumis aux mêmes exigences que la France.

Le choix de procéder au retrait prématuré d'une AMM, au regard des conséquences induites, est par nature politique, et devrait s'effectuer au niveau politique, après l'indispensable éclairage de la science.

II. Le dispositif envisagé - Une précision des missions de l'Anses visant à inclure une analyse des bénéfices et des risques sanitaires, environnementaux et économiques de la décision envisagée

L'article 13 de la proposition de loi vise premièrement à compléter le onzième alinéa de l'article L. 1313-1 du code de la santé publique par une phrase disposant que dans ses décisions, l'Anses présente une balance détaillée des bénéfices et des risques sanitaires, environnementaux et économiques de la décision envisagée.

Deuxièmement, il est proposé d'insérer au sein du code rural et de la pêche maritime un article L. 253-1-1 disposant qu'un retrait d'autorisation ou une modification de l'autorisation d'utilisation visant à restreindre l'usage d'un produit emporte l'obligation pour l'État de financer un accompagnement technique et de recherche adapté pour les professionnels.

Troisièmement, les délais de grâce prévus par le droit européen seraient systématiquement portés au maximum des possibilités, c'est dire six mois pour la vente et la distribution et un an supplémentaire pour l'élimination, le stockage et l'utilisation des stocks existants.

III. La position de la commission - La nécessité d'une responsabilité politique dans la prise de décision finale

La commission des affaires économiques considère qu'il est du devoir des pouvoirs publics de mettre en place un accompagnement financier et de recherche en cas d'interdiction d'un produit susceptible d'entraîner une impasse technique ou des difficultés économiques ou techniques substantielles pour les filières agricoles concernées.

Concernant les missions de l'Anses, il devient urgent, comme les nombreuses actualités agricoles récentes l'ont souligné, de remettre le politique au centre des décisions importantes, impactant la souveraineté alimentaire française ainsi que la compétitivité et la pérennité de certaines filières agricoles.

Considérant d'une part que le dispositif proposé au premier alinéa de l'article 13 est peu compatible avec la mission d'évaluation purement scientifique de l'Anses, et que, d'autre part, le retour à la séparation complète de l'analyse et de la prise de décision désorganiserait une agence désormais dimensionnée et équipée pour faire face à ses missions, et réciproquement une administration ne disposant plus des moyens d'instruire des centaines de dossiers complexes par an, la commission a souhaité trouver une voie médiane pour assurer le retour du politique à l'occasion des décisions d'une particulière importance.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-61 ainsi qu'un amendement identique COM-81 visant à permettre au ministre chargé de l'agriculture de suspendre, par arrêté motivé, une décision de l'Anses, après avoir réalisé une balance détaillée des risques sanitaires, environnementaux et de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l'Union européenne, et évalué l'efficience de solutions alternatives.

Par cet amendement, il ne s'agit pas de procéder à un retour à avant la loi de 2014, mais bien d'offrir au ministre une faculté. Concrètement, très peu de décisions de l'Anses portent à controverses, et il ne paraît pas souhaitable de retirer de manière générale la faculté du directeur général de l'agence de délivrer des AMM. La commission note, à ce titre, que les décisions qui ont, ces dernières années, engendré des surtranspositions et donc des différentiels de compétitivité entre la France et ses voisins européens, sont fréquemment le résultat de saisines des autorités de tutelle de l'Anses67(*), sur le fondement de l'article 44 du règlement européen n° 1107/2009 permettant de réévaluer de manière anticipée une molécule. Dans une telle situation, le ministre de l'agriculture aura désormais un pouvoir d'appréciation légitime quant à ces décisions, leurs répercussions et effets de bord qu'elles provoqueraient, en cas de discordance avec le calendrier de l'Union européenne en matière de réexamen des molécules.

Par ailleurs, la commission a également adopté un amendement COM-62 de la rapporteure, visant à donner au directeur général de l'Anses la possibilité de s'en remettre à la décision du ministre, prise par arrêté.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 14

Demande de rapport triennal sur la mise en place des mesures d'encadrement des pratiques agricoles

Cet article vise à demander au Gouvernement de remettre au Parlement, sous un an puis tous les trois ans, un rapport portant sur les mesures d'encadrement des pratiques agricoles.

La commission a adopté l'article 14 sans modification

I. La situation actuelle - Un empilement de normes visant le monde agricole et dont les impacts sont mal évalués

Depuis 2017, de nombreuses contraintes législatives ont été mises en place à destination du monde agricole dans le but d'orienter ses pratiques, sans avoir une vision globale de l'impact de cet empilement normatif, sur la compétitivité de l'agriculture française.

Le rapport sur la compétitivité de la Ferme France souligne « une politique agricole à deux faces : d'un côté, une hausse des charges des agriculteurs, afin de contraindre aux transitions environnementales (surtranspositions, hausse de la fiscalité productive, augmentation du coût des intrants avec la loi Egalim). D'un autre côté, en contrepartie, une politique législative axée sur le rééquilibrage des relations commerciales avec la grande distribution dans le but de recentrer la production agricole sur le marché intérieur, mieux rémunéré ».

Parmi les nombreuses contraintes figurent notamment :

- la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytopharmaceutiques à l'occasion de la loi Egalim du 30 octobre 2018 ;

- l'interdiction des remises, rabais et ristournes à l'occasion de la vente de ces mêmes produits à l'occasion de cette même loi ;

- la mise en place d'un conseil stratégique phytosanitaire (CSP) payant obligatoire aux conditions de renouvellement strictes, en plus du conseil non obligatoire dont bénéficiaient d'ores et déjà de nombreux agriculteurs et du « Certiphyto » obligatoire depuis plus d'une décennie ;

- les dispositions de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire relative aux emballages plastiques pour les fruits et légumes ;

- l'élargissement et la hausse des taux de la redevance pour pollution diffuse intervenue à l'occasion de la loi de finances pour 2019.

Toutes ces contraintes, ajoutées aux surtranspositions récurrentes en matière agricole, forment un empilement dont les coûts engendrés et les effets conjugués, positifs comme négatifs, n'ont jamais été évalués dans leur globalité.

II. Le dispositif envisagé - La remise d'un rapport triennal permettant d'assurer un suivi des conséquences sur le monde agricole des dispositions d'encadrement des pratiques votées

Le dispositif prescrit au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente proposition de loi, puis tous les trois ans, un rapport des mesures d'encadrement des pratiques agricoles, précisant :

- les objectifs recherchés ;

- les coûts de la transition, leur couverture par des accompagnements publics ou des rémunérations par les marchés ;

- leurs impacts sanitaires, environnementaux et économiques au regard des objectifs initiaux.

III. La position de la commission - L'importance du suivi, de l'évaluation et de l'ajustement des normes votées par le législateur

La fonction du Parlement est de voter mais aussi d'évaluer la loi. Cette évaluation devrait intervenir ex ante mais aussi ex post, pour s'assurer que les objectifs initiaux sont respectés et analyser les éventuels effets de bords non anticipés des dispositions votées.

À ce titre, la commission des affaires économiques est favorable à l'établissement d'un rendez-vous triennal permettant de faire le bilan et prendre de la hauteur sur les dispositions votées visant à encadrer les pratiques agricoles.

Cette nécessaire évaluation devra permettre de prendre acte des réussites, et de réfléchir à des mesures correctives pour ce qui n'aurait manifestement pas produit les résultats escomptés, ou auraient engendré des coûts ou des effets de bords importants.

La commission a adopté l'article sans modification.

Article 15

Présomption d'intérêt général majeur des ouvrages destinés à prélever
et stocker l'eau à usage agricole

Cet article vise à poser le principe énonçant que les ouvrages ayant vocation à stocker de l'eau, ainsi que les prélèvements nécessaires à leur remplissage sont d'intérêt public majeur. Ces installations et activités tiennent compte, dès que possible, d'un usage partagé et raisonné de l'eau à l'échelle des bassins hydrographiques.

La commission a adopté l'article 15 complété par un amendement COM-73 à l'initiative de la rapporteure visant à inscrire ce principe d'intérêt général majeur dans le respect de l'alinéa 5 bis de l'article L. 211-1 du code de l'environnement qui prévoit notamment qu'une politique active de stockage de l'eau  doit s'inscrire dans « un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ».

I. La situation actuelle - Un cadre strict mais qui ne parvient pas efficacement à limiter les tensions ni les contentieux

A. L'agriculture prélève peu mais consomme beaucoup d'eau

L'irrigation est une pratique aussi ancienne que l'agriculture elle-même. Elle peut être réalisée au moyen d'une récupération des eaux de ruissellement ou d'un pompage des eaux de surface ou souterraines, directement destinées aux cultures. Elle peut également passer par un intermédiaire, une réserve, permettant de stocker l'eau récoltée ou prélevée et de la redistribuer aux périodes appropriées.

En 2020, 6,8 % des surfaces agricoles ont été irriguées, correspondant à plus de 1,8 million d'hectares. 34 % des surfaces de maïs sont irriguées, près de 40 % des surfaces de pommes de terre et de soja, 50 % des surfaces de vergers et plus de 60 % des surfaces de légumes68(*).

La France est un pays relativement bien pourvu, avec en moyenne plus de 900 millimètres de pluie par an. Cependant, la multiplication des aléas climatiques liés au changement climatique est source de tension sur la ressource en eau, en particulier durant la saison estivale. En effet, c'est en été que l'eau est la moins disponible, et c'est précisément durant cette période que les besoins d'irrigation agricole sont les plus importants. L'importante baisse des rendements agricoles engendrée par la sécheresse de l'été 202269(*) est un bon exemple des aléas liés à la sécheresse que les agriculteurs vont devoir parvenir à gérer. Dans ce contexte, la problématique du stockage de l'eau, et de son partage, se pose avec de plus en plus d'acuité dans de nombreux territoires.

Prélèvements et consommations d'eau en France

La France reçoit en moyenne chaque année 510 milliards de m3 d'eau sur le territoire métropolitain, soit un peu plus de 900 mm de pluie par an. 40 % de ce total, soit 210 milliards de m3, constituent les pluies efficaces qui vont vers les nappes souterraines ou les cours d'eau, le reste retournant dans l'atmosphère du fait de l'évapotranspiration.

Une petite part de ce volume est prélevée pour les activités humaines, 32,8 milliards de m3 par an en moyenne entre 2010 et 2019.

Le prélèvement d'eau consiste à capter l'eau du milieu naturel (en surface ou dans les nappes) pour s'en servir immédiatement. L'eau prélevée est rejetée après utilisation dans le milieu naturel, parfois en altérant ses qualités (eau plus chaude, eau polluée...). L'eau est alors de nouveau utilisable. Depuis une vingtaine d'années, le volume d'eau prélevé a tendance à baisser. Plus de 70 % des prélèvements sont effectués sur les eaux de surface (cours d'eau et plans d'eau) et les 30 % restants proviennent des eaux souterraines.

L'eau consommée représente quant à elle 4,1 milliards de m3 par an en moyenne entre 2010 et 2019.

La consommation d'eau correspond à la part prélevée qui n'est pas restituée au milieu aquatique au même moment et au même endroit que le prélèvement.

Ainsi, si 51 % de l'eau prélevée est destinée au refroidissement des centrales électriques, 16 % pour la production d'eau potable, 9 % pour les usages agricoles, ces chiffres sont respectivement de 12 %, 26 % et 58 % en ce qui concerne la consommation, faisant de l'agriculture le secteur le plus consommateur d'eau.

La distinction entre eau prélevée et eau consommée est toutefois assez artificielle. L'eau considérée comme consommée est parfois en large partie restituée au milieu, qu'il s'agisse de l'eau potable distribuée au consommateur ou de l'eau destinée à l'irrigation, dont une part importante peut ne pas aller à la plante mais s'infiltrer dans les sols.

Sources : Ministère de la transition écologique, ministère de l'agriculture et rapport d'information n° 142
fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur l'avenir de l'eau,
par Mmes Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, MM. Alain Richard et Jean Sol

B. Un cadre strict entourant la création d'infrastructures de prélèvement et de stockage de l'eau

Le guide juridique de la construction de retenues du ministère de la transition écologique70(*) définit les retenues comme « toutes les installations ou ouvrages permettant de stocker de l'eau (réserve, stockage d'eau, plan d'eau, étang, retenues collinaires, retenues de substitution) quel que soit leur mode d'alimentation (par un cours d'eau, une nappe, par une résurgence karstique ou par ruissellement) et quelle que soit leur finalité (agricole, soutien à l'étiage, usage AEP, maintien de la sécurité des personnes, autres usages économiques) ».

Selon le même guide, les retenues de substitution sont des « ouvrages artificiels permettant de substituer des volumes prélevés à l'étiage par des volumes prélevés en période de hautes eaux. Les retenues de substitution permettent de stocker l'eau par des prélèvements anticipés ne mettant pas en péril les équilibres hydrologiques, elles viennent en remplacement de prélèvements existants ». Il est précisé qu'il n'existe pas de définition univoque de la notion de retenue de substitution, et qu'il convient donc, dans chaque bassin, de se référer à la définition élaborée par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).

En agriculture, de nombreuses retenues collinaires sont également construites par des exploitants individuels. Elles recueillent les eaux de ruissellement, y compris de drainage. Elles sont remplies en hiver, en période d'abondance, pour être utilisées pour l'irrigation en période d'été. Elles sont la plupart du temps artificiellement créées.

La construction d'infrastructures de stockage, tout comme le niveau des prélèvements autorisés, est très encadrée. Pour assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, les Installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) sont soumis à déclaration ou autorisation, conformément à l'article L. 214-1 du code de l'environnement.

Conformément à l'article L. 214-2 de ce même code, la nomenclature détermine le régime de police, déclaration (D) ou autorisation (A), délivrée après enquête publique, auquel sont soumises les opérations suivant les dangers qu'elles présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource et les écosystèmes aquatiques. Pour certaines rubriques, des arrêtés de prescriptions générales fixent les règles et prescriptions techniques portant sur les conditions d'implantation, de réalisation, d'aménagement et d'exploitation des installations, ouvrages et travaux ainsi que les moyens d'analyse, de surveillance et de suivi des opérations et leurs effets sur le milieu aquatique.

La création d'une retenue pourra relever de plusieurs rubriques selon le mode d'alimentation de la future retenue, son emplacement, ses caractéristiques géométriques (hauteur et volume). Les questions suivantes doivent, dans le cas général, permettre de déterminer la ou les rubriques qui s'appliquent à un projet donné :

- quelle sera la superficie du plan d'eau occasionné par la retenue ?

- le prélèvement sera-t-il effectué dans une Zone de répartition des eaux (ZRE) ?

- comment sera alimentée la retenue ?

- la retenue sera-t-elle située dans le lit mineur ou majeur d'un cours d'eau ?

- quelle sera la hauteur de la retenue et le volume d'eau stocké ?

- la retenue sera-t-elle située sur une zone humide ?

- quels seront les travaux d'entretien réalisés sur la retenue ?

Les articles R. 214-6 à R. 214-56 du code de l'environnement précisent les règles de procédure à respecter pour la déclaration ou l'autorisation d'un IOTA.

L'autorisation environnementale prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement intègre ainsi l'autorisation administrative (ou déclaration) pour les IOTA ainsi que les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), complétée des études de volumes prélevables pour les prélèvements d'eau en zone à tension et de l'évaluation environnementale, comportant une étude d'impact.

Les prélèvements pour remplissage des retenues sont fixés dans le cadre de l'autorisation unique de prélèvement (OUCG) et du plan annuel de répartition (PAR), validé par le préfet (articles R. 214-31-1 à R. 214-31-4 du code de l'environnement).

Au titre de l'article L. 214-8 du code de l'environnement, toutes les installations à l'origine d'un prélèvement dans les eaux souterraines et toutes les installations permettant un prélèvement dans les eaux superficielles et soumises à autorisation ou à déclaration au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l'environnement doivent être pourvues de moyens de mesures ou d'évaluation appropriés des volumes prélevés.

La politique de l'eau en France

La politique de l'eau en France est fondée sur quatre grandes lois de 1964 (gestion par bassin hydrographique, comités de bassins, agences de l'eau), 1992 (eau comme patrimoine commun de la nation, gestion équilibrée de l'eau par les outils SDAGE et SAGE, déclaration et autorisation des IOTA), 2004 (transposition de la directive cadre sur l'eau de 2000) et 2006 (droit à l'eau, prise en compte du changement climatique) 71(*). S'ajoute à ce cadre national, qui a largement inspiré le cadre européen, la directive cadre sur l'eau (DCE) de 200072(*). Ce texte définit la notion de « bon état des eaux », vers lequel doivent tendre tous les États membres à l'horizon 202773(*). La loi de 1992 établit une hiérarchie des usages de l'eau, figurant toujours à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Les exigences de santé, de salubrité publique, de sécurité civile et d'alimentation en eau potable de la population sont prioritaires. Les autres usages, notamment économiques, et singulièrement agricoles, sont seconds.

Par ailleurs, l'article 4 de la directive cadre sur l'eau de 2000 prévoit que, par dérogation, les États membres ne sont pas en infraction avec ses prescriptions, lorsqu'ils échouent à mettre en oeuvre localement, pour une masse d'eau, les objectifs énoncés au même article, sous certaines conditions et notamment si l'ensemble des mesures pouvant être prises l'ont été et si l'altération ou la modification répond à un intérêt général majeur.

Cette disposition est transposée au VI de l'article L. 212-1 du code de l'environnement, qui dispose que « lorsque la réalisation des objectifs mentionnés aux 1°, 2° et 3° du IV est impossible ou d'un coût disproportionné au regard des bénéfices que l'on peut en attendre, des objectifs dérogatoires peuvent être fixés par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux en les motivant ».

L'article R. 212-12 du même code énonce les conditions dans lesquelles le recours aux dérogations susmentionnées est admis :

1° que les besoins auxquels répond l'activité humaine affectant l'état de masses d'eau ne puissent être assurés par d'autres moyens ayant de meilleurs effets environnementaux ou susceptibles d'être mis en oeuvre pour un coût non disproportionné ;

2° que les dérogations aux objectifs soient strictement limitées à ce qui est rendu nécessaire par la nature des activités humaines ou de la pollution ;

3° que ces dérogations ne produisent aucune autre détérioration de l'état des masses d'eau.

L'ensemble de ces conditions, particulièrement restrictives, semble conduire à conclure que déclarer, a priori, sans considération de ses impacts sur les milieux, d'intérêt général majeur tout ouvrage de prélèvement ou de stockage serait probablement contraire au droit français transposant le droit européen.

En revanche, aucune disposition ne semble faire explicitement obstacle à déclarer d'intérêt général majeur un ouvrage de prélèvement ou de stockage s'il s'inscrit dans les orientations d'un PTGE validé par le représentant de l'État, lui-même s'insérant dans le cadre posé par un SDAGE.

La notion étant sujette à interprétation quant à sa portée et sa mise en balance avec d'autres dispositions du code de l'environnement, son caractère opérationnel ne s'éprouverait nécessairement qu'à l'occasion de litiges.

C. Une hausse des tensions et des contentieux autour des ouvrages de prélèvement et de stockage de l'eau

Il n'existe pas d'inventaire précis des retenues de substitution et collinaires existantes en France. Dans le cadre des conclusions du Varenne agricole de l'eau, un inventaire des masses d'eau supérieures à 0,1 hectare est en cours, avec l'identification de 350 000 plans d'eau, pour beaucoup non utilisés et difficilement mobilisables. Une publication de 2017 évoquait le chiffre de 125 000 ouvrages de stockage, pour un volume total d'environ 3,8 milliards de m3 stockables74(*). S'agissant des projets, interrogés, le ministère de l'agriculture indique que 164 projets ont été recensés en France, majoritairement pour des retenues de substitution individuelles et de faible volume : 140 000m3 en moyenne. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine concentrent à elles deux près de 50 % des projets.

Les règles relatives à la mobilisation des fonds publics dans le bouclage des projets sont, là aussi, strictes. En plus de devoir respecter le régime des aides d'État, ces aides doivent également s'inscrire dans le cadre du règlement européen relatif au développement rural en vigueur. Actuellement, il s'agit du règlement 2021/2115 du 2 décembre 2021, dont l'article 74 dispose d'une part que « les États membres ne peuvent octroyer une aide pour un investissement destiné à l'amélioration d'une installation d'irrigation existante ou d'un élément d'une infrastructure d'irrigation [...] lorsque l'investissement a une incidence sur les masses d'eaux souterraines ou de surface dont l'état a été qualifié de moins que bon dans le plan de gestion de district hydrographique pertinent » et d'autre part que « les États membres ne peuvent octroyer une aide à un investissement se traduisant par une augmentation nette de la zone irriguée ayant une incidence sur une masse donnée d'eau souterraine ou de surface que si : l'état de la masse d'eau n'a pas été qualifié de moins que bon, dans le plan de gestion de district hydrographique pertinent, pour des raisons liées à la quantité d'eau ». Cette disposition contraint donc les financements des régions dans le cadre du FEADER, tout comme celui des agences de l'eau qui, conformément à leur programme d'intervention, ne pourront accompagner dans les bassins en déficit quantitatif que les ouvrages, dans le cadre d'un projet territorial de gestion de l'eau (PTGE), se traduisant par une diminution de la pression sur la ressource en eau et une résorption des déficits quantitatifs. Les réserves de substitutions visent précisément à diminuer la pression sur la ressource en eau, en prélevant en hiver plutôt qu'en été.

Compte tenu de l'encadrement très important précédemment exposé, nécessitant un véritable engagement de la part du porteur de projet, la multiplication des contentieux, malgré toute la démarche d'évaluation, de concertation et d'engagements en amont - permettant d'aboutir à l'obtention de l'autorisation environnementale - est source d'incompréhension et de découragement au sein du monde agricole. D'autant plus que le coût des études d'impact, dont les documents finaux font des centaines voire des milliers de pages, est parfois supérieur au coût des travaux.

Selon le rapport public d'activité 2021 du Conseil d'État, le délai moyen de jugement des tribunaux administratifs pour la catégorie des affaires dites « ordinaires », les ouvrages agricoles de prélèvement d'eau relevant de cette catégorie, est en moyenne d'un an et quatre mois. Il est de près de onze mois devant les cours administratives d'appel et d'un an devant le Conseil d'État. Ces délais allongent d'autant la perspective de voir aboutir des projets dont certains sont en gestation depuis plus d'une décennie.

À l'occasion des auditions conduites par la rapporteure, la question de l'accès à l'eau s'est avérée être un sujet majeur, source de fortes inquiétudes quant à l'avenir de l'agriculture dans certains territoires, posant par là même la question de la souveraineté alimentaire. Plus particulièrement, c'est bien la prolifération des contentieux qui est au coeur des inquiétudes, reportant de plusieurs années la réalisation de projets ayant au préalable nécessité une très longue phase de concertation. La multiplication des recours est d'autant plus mal vécue lorsque ces recours sont introduits par des acteurs extérieurs au territoire, venant parfois briser des consensus locaux patiemment bâtis dans le cadre d'un PTGE.

Les réserves de substitution de la plaine du Sud Vendée
Exemple d'une gestion intelligente de l'eau à l'échelle d'un territoire

La Vendée héberge de nombreuses retenues destinées à l'irrigation agricole du secteur de la plaine calcaire du Sud Vendée. Elles ont en commun avec les réserves des Deux-Sèvres d'être situées dans le secteur du Marais poitevin. Des dégradations de la bâche de deux retenues ont été signalées dans la nuit du 8 au 9 août 2022, mais les projets, décidés et mis en service entre 2007 et 2019, ont pu être menés à bien, alors que les plus grandes réserves de ces projets ont des capacités similaires à celles des Deux-Sèvres, supérieures à 600 000m3.

Dans le cadre de trois contrats territoriaux, un premier de dix retenues, sur le bassin-versant des Autizes, un deuxième de dix, sur le bassin-versant de la rivière Vendée et un troisième de cinq, sur le secteur du Lay, ce sont en tout 25 retenues de substitution qui ont vu le jour, pour une capacité de stockage de 11 millions de md'eau, soit près de deux fois plus que celles du projet dont fait partie Sainte-Soline.

Elles ont été construites pour mettre fin aux prélèvements désordonnés des agriculteurs via leurs forages individuels, la nappe ayant atteint un niveau critique en 1995. Elles n'ont fait l'objet d'aucun recours en justice, ce qui peut s'expliquer à la fois par le caractère précoce de la démarche et par le fait qu'elle visait à répondre à une situation dégradée.

En 2021, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, dans un document de 253 pages75(*), dresse un premier bilan de l'impact de ces réserves. L'analyse conclut, entre autres, que :

« l'analyse des volumes autorisés sur les trois secteurs met en évidence une réduction de la pression de prélèvement printemps-été permettant d'atteindre les volumes cibles de chacun des territoires ».

- « les actions menées dans le cadre des autres économies d'eau à réaliser, sous pilotage de la Chambre d'Agriculture de la Vendée, présentent une efficience et un degré d'adhésion des irrigants hétérogènes. Ainsi, la mesure agro-environnementale de désirrigation n'a pu aboutir, une solution alternative a donc été trouvée à travers une diminution des volumes autorisés de prélèvements, inscrite dans l'arrêté préfectoral d'autorisation de prélèvements de 2015 ».

- « depuis la signature des contrats, les systèmes d'irrigation n'ont que peu évolué. Il en est de même pour la Surface Utile Agricole irriguée. La principale évolution des pratiques agricoles repose sur les types de cultures. Sur l'ensemble des trois territoires, les volumes des réserves de substitution couplés à la gestion collective ont permis de retarder et de limiter les restrictions de prélèvements. Cette sécurisation a facilité la diversification des cultures avec une diminution des superficies en maïs au profit des cultures spécialisées à plus forte valeur ajoutée ».

- « les différentes analyses mettent en évidence une remontée de la nappe sur l'ensemble des piézomètres consécutivement à la construction et aux modes de gestion des réserves de substitution ».

- « pour les secteurs du Lay et de la Vendée, les différentes analyses mettent en évidence une remontée du niveau du marais sur l'ensemble des limnimètres en lien avec le début de la gestion sur les différents territoires et la construction des réserves de substitution ».

Source : Évaluation des actions pour le retour à une gestion quantitative équilibrée de la ressource en eau sur le Marais poitevin, bassins Lay, Vendée et Autizes, rapport d'observation du 15 avril 2021 réalisé par le bureau d'études Antea France pour le compte de l'agence de l'eau Loire-Bretagne

Le rapport d'information n° 142 fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur l'avenir de l'eau, par Mmes Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, MM. Alain Richard et Jean Sol en 2022 rappelle que la France ne retient que 4,7 % du flux annuel qu'elle reçoit, contre près de 50 % en Espagne. Si personne, pas même le monde agricole, n'appelle à imiter l'Espagne en matière de politique de l'eau, force est de constater que la France dispose encore d'une certaine marge de manoeuvre. La première des huit recommandations de ce même rapport est de « permettre la construction de nouvelles retenues d'eau, de préférence multi-usages, lorsque le service environnemental et économique rendu est positif ».

II. Le dispositif envisagé - Déclarer d'intérêt général majeur les ouvrages de stockage et les prélèvements d'eau destinés à alimenter ces ouvrages

L'article 15 vise à déclarer d'intérêt général majeur les plans d'eau et les prélèvements nécessaires à leur remplissage comme répondant à un intérêt général majeur.

Pour se faire, il complète l'article L. 211-1 du code de l'environnement relatif aux objectifs de la politique de l'eau, et son 5° bis du I relatif à la « promotion d'une politique active de stockage de l'eau », pour y adjoindre les mots « qui présente un intérêt général majeur ». Il complète le 3° du II du même article dans un sens similaire.

Il crée enfin un article L. 211-1-1 A disposant que « les plans d'eau, permanents ou non, comme les prélèvements nécessaires à leur remplissage, à usage agricole, sont réputés répondre à un intérêt général majeur », et précisant que « dans le respect d'une gestion équilibrée de la ressource en eau et d'une production agricole suffisante et durable, dès que possible, ces installations et activités tiennent compte d'un usage partagé et raisonné de l'eau à l'échelle des bassins hydrographiques ».

III. La position de la commission - Un fort besoin de sécuriser l'accès à la ressource en eau pour l'agriculture

Les auditions menées par la rapporteure ont confirmé le besoin urgent d'accompagnement et de sécurisation des porteurs de projets d'ouvrages de prélèvement et de stockage d'eau à des fins agricoles. Les agriculteurs font face à des aléas climatiques de plus en plus extrêmes, avec des épisodes de pluies en hiver amenés à être plus intenses, et des épisodes de sécheresses en été amenés à se multiplier et à gagner en durée comme en intensité. Il est dès lors indispensable pour l'agriculture de s'adapter à ces nouvelles conditions climatiques.

L'agriculture a ceci de spécifique que son besoin en eau est particulièrement important en été, au moment même où la pression sur la ressource est la plus élevée. Dès lors des solutions d'adaptation doivent être proposées aux agriculteurs, qui ne peuvent être laissés seuls face aux défis du dérèglement climatique.

L'adaptation de l'agriculture passe par de nombreux leviers d'action comprenant la diversification des cultures, le développement de l'agroécologie permettant de mieux retenir l'eau dans les sols, l'amélioration des techniques d'irrigation permettant une gestion économe de l'eau, une utilisation de cette dernière à des horaires précis, et durant des phases de croissance précises des cultures, ainsi que le développement de réserves, notamment de substitution, permettant de sécuriser la production agricole en été, tout en réduisant la pression sur les nappes et sur les cours d'eau en période d'étiage. L'ensemble de ces solutions doit être encouragé, et la constitution de réserves ne saurait constituer la seule réponse, certes, mais ne saurait non plus être exclue a priori ce cet éventail.

Aussi, la commission considère qu'il est indispensable d'envoyer un signal fort envers le monde agricole. C'est l'objet des articles 15, 16 et 17 du présent texte, qui visent à déclarer d'intérêt général majeur les ouvrages de prélèvement et de stockage d'eau à des fins agricoles, à réguler la durée des contentieux, et à encourager le dialogue territorial, par l'intermédiaire de l'outil PTGE. Lorsqu'un projet parvient à faire consensus, ce dernier doit être mené à bien dans des délais acceptables, pour sécuriser les agriculteurs. Ce défi est celui de la résilience de l'agriculture, mais aussi de l'attractivité du métier.

Enfin, à l'initiative de sa rapporteure, la commission a souhaité préciser l'article 15. Par un amendement COM-73, elle met en cohérence les dispositions de l'article avec l'article L. 211-1 du code de l'environnement, relatif aux objectifs de la politique de l'eau. Cet article mentionne d'ores et déjà en son 5°bis « la promotion d'une politique active de stockage de l'eau », tout en précisant que cette politique doit s'inscrire dans « un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ». Cet alinéa, souvent quelque peu oublié à l'occasion des débats autour de l'eau, rappelle la nécessité de la politique de stockage de l'eau, sans pour autant que ce stockage puisse s'exonérer des autres prescriptions figurant au sein du L. 211-1. Aussi, l'amendement complète l'article L. 211-1 A institué par l'article 15, en précisant que l'intérêt général majeur ainsi créé s'entend dans le respect des dispositions du 5°bis de l'article L. 211-1. Il procède en outre à la suppression de la mention superfétatoire des bassins hydrographiques, car le consensus autour des ouvrages d'eau a vocation à s'établir à l'échelle locale.

L'article L. 210-1 du code de l'environnement affirme que l'eau est le « patrimoine commun de la Nation » et que « sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. ». Il convient dès lors de trouver le juste équilibre entre la nécessaire protection de la ressource et sa non moins nécessaire mobilisation pour les usages anthropiques, au premier rang desquels l'agriculture, garante de la souveraineté alimentaire nationale.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 16

Inscription des PTGE dans le code de l'environnement

Cet article vise, d'une part, à créer pour la première fois une disposition de rang législatif relative aux projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), et d'autre part, à prescrire que dans ce cadre, sont déterminées avec précision les modalités de concertation locale entre acteurs en vue de la construction d'ouvrages ayant vocation à prélever ou à stocker l'eau à des fins agricoles.

La commission a adopté l'article 16 modifié par un amendement COM-63 de la rapporteure visant à insérer cette disposition, par ailleurs reformulée, à l'article L. 213-7 du code de l'environnement relatif au préfet coordinateur de bassin.

I. La situation actuelle - La montée en puissance des PTGE, outils d'aide à la construction du consensus autour des usages de l'eau dans les territoires

Créés dans le cadre des Assises de l'eau, les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) sont des outils de planification concertée portant sur l'ensemble des usages de l'eau sur un territoire (eau potable, agriculture, industries, navigation, énergie, pêches, activités récréatives...). Les PTGE s'insèrent notamment dans la logique de protection, d'amélioration et de restauration du bon état de la masse d'eau concernée dans le respect de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau sur l'eau. Les PTGE doivent donc être construits en cohérence avec les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE)76(*) à l'échelle des bassins versants, et avec les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) lorsqu'ils existent, à l'échelle des sous-bassins77(*).

L'instruction du Gouvernement du 4 juin 2015 relative au financement par les agences de l'eau des retenues de substitution, faisant suite à la conférence environnementale des 19 et 20 septembre 2013, pose les bases des PTGE, dénommés « projets de territoire » et instaure le principe de la participation au financement des ouvrages de stockages d'eau par les agences de l'eau à la double condition suivante :

- l'élaboration d'un projet de territoire ;

- la finalité de substitution des prélèvements d'eau à l'étiage par des prélèvements hors étiage.

L'instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 relative au projet de territoire pour la gestion de l'eau, élaborée suite aux travaux de la cellule d'expertise relative à la gestion quantitative de l'eau pour faire face aux épisodes de sécheresse, pilotée par le préfet Pierre-Etienne Bisch, abroge l'instruction susmentionnée pour venir poser le cadre actuel des projets de territoire, renommés « projets de territoire pour la gestion de l'eau » (PTGE).

L'instruction définit le PTGE comme suit : « Un projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) est une démarche reposant sur une approche globale et co-construite de la ressource en eau sur un périmètre cohérent d'un point de vue hydrologique ou hydrogéologique. Il aboutit à un engagement de l'ensemble des usagers d'un territoire (eau potable, agriculture, industries, navigation, énergie, pêches, usages récréatifs, etc.) permettant d'atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins et ressources disponibles en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, en anticipant le changement climatique et en s'y adaptant. Il s'agit de mobiliser à l'échelle du territoire des solutions privilégiant les synergies entre les bénéfices socio-économiques et les externalités positives environnementales, dans une perspective de développement durable du territoire. Le PTGE doit intégrer l'enjeu de préservation de la qualité des eaux (réductions des pollutions diffuses et ponctuelles). »

Elle précise le rôle de l'État à savoir favoriser l'émergence de PTGE au regard des enjeux quantitatifs ou des besoins de dialogue entre acteurs pour parvenir à co-construire un projet dépassant les situations de blocage. Le préfet coordonnateur de bassin définit les situations dans lesquelles la conduite des PTGE doit être encouragée. Ce dernier, ou un préfet référent, est le garant de la pluralité des acteurs composant le comité de pilotage du PTGE. Il valide le diagnostic, se prononce sur le programme d'action et approuve les volumes d'eau associés. Il s'assure que le PTGE est compatible avec les orientations du SDAGE. Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) sont également associées aux concertations.

L'instruction est complétée de sept annexes visant à accompagner les porteurs de projet.

L'annexe 1 décrit les étapes clefs de mise en place d'un PTGE, dont l'horizon temporel devrait être de deux à trois ans : réalisation d'un diagnostic des ressources disponibles et des besoins exprimés des différents usagers, tenant compte du changement climatique, identification des programmes d'actions possibles permettant de parvenir à un équilibre dans la durée, choix du programme, mise en place des actions retenues, suivi et évaluation de la mise en oeuvre.

L'annexe 2 fait le point sur le financement des actions d'un PTGE : mobilisation des fonds européens par l'intermédiaire des régions notamment, et conditions au financement par les agences de l'eau de la création d'ouvrages de stockage, reposant toujours sur la substitution des volumes prélevés à l'étiage par des volumes prélevés en période de hautes eaux ou en provenance d'autres masses d'eau.

L'annexe 3 rappelle l'articulation des PTGE avec les outils de planification et autres outils de gestion de l'eau et notamment avec les SDAGE dont ils doivent respecter les orientations fondamentales et les objectifs, et avec les SAGE, lorsqu'ils existent, et les priorités d'usage définies par leur règlement. En l'absence d'un SAGE, l'instruction précise qu'un PTGE peut constituer une première étape à son élaboration.

L'annexe 4 rappelle les enjeux et leviers à retrouver dans le programme d'action d'un PTGE.

L'annexe 5 précise qu'un PTGE doit détailler la répartition des volumes, en tenant compte, le cas échéant, des orientations du SDAGE et du SAGE. Ces volumes sont, quoi qu'il arrive, soumis à autorisation ou déclaration.

L'annexe 6 fournit un glossaire.

L'annexe 7 dresse la liste des territoires pour lesquels des projets ont été identifiés à date. À ce jour, selon les informations transmises à la rapporteure, environ 70 PTGE ont été finalisés sur le territoire, et une centaine seraient en cours d'élaboration.

Suite aux travaux du Varenne agricole de l'eau, un additif à l'instruction du 7 mai 2019, datant du 17 janvier 2023, a été publié. Cet additif revient sur les points fondamentaux pour la réussite de la démarche, sur la mise en place de la gouvernance, l'élaboration du programme d'action et l'accompagnement par les services de l'État durant tout le processus, ainsi que dans les situations de blocages.

De manière générale, la plupart des acteurs s'accordent à dire que la démarche PTGE peut aider à dépasser les clivages, notamment si un diagnostic objectif, chiffré et partagé est posé en préalable à tout programme d'action.

Certains retours sont aussi plus critiques, la profession agricole soulignant que les efforts demandés aux agriculteurs sont parfois particulièrement importants, pour assurer le simple maintien de leurs prélèvements, voir même leur diminution.

D'autres acteurs, au contraire, alertent sur le fait que le PTGE est un outil large de planification à l'échelle d'un territoire, qui n'a pas vocation à « valider » la constitution systématique de réserves de substitution.

Enfin, de nombreux acteurs soulignent l'importance de disposer des financements pour véritablement mettre en oeuvre un programme résultant de nombreux mois de discussions, au risque de décourager les parties prenantes. Cette problématique de la disponibilité des financements rejoint celle de la nécessaire implication des élus locaux et du portage politique des PTGE, indispensable à leur dynamique de mise en oeuvre concertée.

Enfin, la problématique de la multiplication des contentieux administratifs peut-être de nature à décourager les parties prenantes, lorsque ceux-ci sont portés par des acteurs nationaux, extérieurs au territoire et au consensus bâti localement.

Au-delà de ces réserves, aucun outil n'est de nature à créer facilement du consensus sur une question aussi structurante que l'eau, le PTGE apparaît aux yeux du plus grand nombre comme une démarche pertinente et agile.

II. Le dispositif envisagé - Créer pour la première fois une disposition de nature législative relative aux PTGE pour faciliter la concertation autour des projets de stockage agricole

Le dispositif envisagé à l'article 16 donne, pour la première fois, une consécration législative à l'outil PTGE, jusqu'à présent défini au sein de circulaires.

Disposition de droit autonome, l'article 16 dispose qu'à l'occasion de l'élaboration d'un PTGE, sont déterminées les modalités de concertations entre acteurs en vue de la construction future d'ouvrages ayant vocation à prélever ou à stocker l'eau à des fins agricoles, sous l'égide du préfet coordinateur de bassin mentionné à l'article L. 213-7 du code de l'environnement, et en lien avec les comités de bassin mentionnés à l'article L. 212-2 et les commissions locales de l'eau figurant à l'article L. 212-4 du même code.

III. La position de la commission - La nécessité de préserver le caractère agile de l'outil PTGE

La commission partage la volonté d'encourager le déploiement des PTGE, outils pertinents pour la recherche de consensus sur les territoires en vue d'un usage partagé et raisonné de l'eau et notamment de dialogue avec agriculteurs.

Les PTGE doivent néanmoins s'inscrire dans la logique des SDAGE, et, lorsqu'ils existent, des SAGE. Ces dispositifs plus lourds et plus contraignants dans leurs modalités d'élaboration figurent dans le code de l'environnement.

Par ailleurs, comme le rappelle l'additif à l'instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 relative au PTGE, le PTGE n'emporte pas d'autorisation en lui-même et ne constitue pas un document de planification au sens du SAGE.

Le PTGE est avant tout une méthode, plébiscitée par la plupart des acteurs pour son agilité et sa flexibilité. Ainsi, au-delà des prescriptions et recommandations générales de la circulaire, chaque territoire conserve une marge de manoeuvre dans la construction de son PTGE, notamment dans la détermination de son périmètre et dans celle de son instance de pilotage.

Consacrer législativement les PTGE, est un signal fort qui ne doit cependant pas rigidifier le dispositif, comme plusieurs interlocuteurs l'ont souligné à l'occasion des auditions de la rapporteure.

Par un amendement COM-63 à l'initiative de la rapporteure, la commission a procédé à une reformulation de la disposition, tout en en conservant l'esprit. Reprenant les termes de la circulaire du 7 mai 2019 relative aux PTGE quant au rôle de l'État, cet amendement permet à l'article 16 de créer une entrée relative aux PTGE au sein du code de l'environnement, à l'article L. 213-7 portant sur le préfet coordinateur de bassin, lui confiant un rôle d'encouragement à l'élaboration de PTGE dans les zones identifiées comme en tension. Ces zones sont logiquement celles où les projets agricoles se heurtent au plus de contestation, justifiant d'autant la démarche PTGE.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 17

Transfert aux cours administratives d'appel des recours dirigés
contre les décisions relatives aux projets d'ouvrages de prélèvement d'eau à usage d'irrigation

Cet article vise à confier aux cours administratives d'appel des recours dirigés contre les décisions relatives aux projets d'ouvrages de prélèvement d'eau à usage d'irrigation

La commission a adopté l'article 17 sans modification

I. La situation actuelle - Une fois l'autorisation environnementale accordée, un besoin d'accélération de la construction des ouvrages agricoles de stockage de l'eau

L'article L. 181-17 du code de l'environnement soumet les recours dirigés contre des autorisations environnementales à un contentieux de pleine juridiction. Les pétitionnaires disposent d'un délai de deux mois pour contester la décision de refus (article R. 181-50), outre la possibilité de former un recours hiérarchique ou gracieux. Les tiers intéressés disposent quant à eux d'un délai de quatre mois.

Les acteurs de terrain sont unanimes pour souligner la multiplication des recours, parfois sur un même projet, aboutissant à l'arrêt, pour plusieurs années, des projets.

Or, les projets qui aboutissent sont, le plus souvent, le produit d'un consensus local, que la multiplication des recours vient fragiliser.

Le projet de construction de réserves de substitution du bassin versant Sèvre Niortaise et Mignon dans les Deux-Sèvres est probablement l'exemple le plus médiatisé de tensions qui peuvent se cristalliser autour de la question du partage de la ressource en eau, ainsi que des délais engendrés par de multiples recours juridiques. Le premier arrêté inter-préfectoral portant autorisation uniquement concernant la construction et l'exploitation de 19 réserves de substitutions date du 23 octobre 2017, faisant suite à plusieurs années de concertations préalables. Depuis lors, on assiste à une multiplication des recours, alors même que, face aux critiques et recours relatifs au dimensionnement initial du projet, un nouvel arrêté du 20 juillet 2020, faisant suite à un rapport d'expertise du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et à un protocole d'accord signé par la majorité des parties prenantes (incluant des associations de protection de l'environnement), abaissait le nombre de réserves à 16 et réduisait leur volume. Suite à une décision du tribunal administratif de Poitier, un troisième arrêté, datant du 22 mars 2022 a été pris, actant une nouvelle baisse des volumes maximums utiles des réserves. Même si ces nombreux rebondissements n'ont pas totalement immobilisé le projet, des réserves sont désormais opérationnelles, de nombreux recours sont encore en cours d'instruction, plus de 10 ans après le début du projet, ce qui place les agriculteurs dans une situation d'insécurité juridique.

Pour tenter de réguler l'abondance de certains contentieux, des régimes d'instruction différents existent.

Ainsi, l'article L. 311-1-1 du code de justice administrative prévoit que le Conseil d'État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours formés contre des décisions relatives aux éoliennes en mer. L'article R. 311-5 du même code renvoie aux cours administratives d'appel le soin de juger en premier et dernier ressort des recours formés contre les décisions relatives à des éoliennes terrestres.

D'autres outils juridiques permettent de s'assurer que les recours formés à l'encontre de décisions sur certains projets le sont par des tiers effectivement intéressés à agir. Ainsi, l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme prévoit qu'une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. L'article R. 600-6 du même code impose au juge de statuer dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire d'un bâtiment comportant plus de deux logements.

Par ailleurs, la solidité des projets en amont permet également, dans une certaine mesure, de se prémunir contre certains recours. Ainsi, le ministère de l'agriculture indique, dans sa contribution écrite, que les principaux motifs d'annulation des arrêtés préfectoraux sont, à sa connaissance, l'insuffisance de l'étude d'impact et les incompatibilités avec les SDAGE.

II. Le dispositif envisagé - Confier aux cours administratives d'appel des recours dirigés contre les décisions relatives aux projets d'ouvrages de prélèvement d'eau à usage d'irrigation

L'article 17 reprend l'article 86 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, voté en séance publique à l'Assemblée nationale (article 33 quater) à l'initiative du rapporteur Guillaume Kasbarian, contre l'avis du Gouvernement. Cet article avait par la suite été censuré par le Conseil constitutionnel puisqu'étant sans lien, même indirect, avec le texte78(*).

Il complète le chapitre Ier du titre Ier du livre III du code de justice administrative par un article L. 311-14 disposant que les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, des recours dirigés contre les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 du code de l'environnement relatives aux projets d'ouvrages de prélèvement d'eau à usage d'irrigation et infrastructures associées, dans les conditions prévues à l'article L. 214-10 du même code.

III. La position de la commission - Donner de la visibilité aux porteurs de projets s'inscrivant une démarche territoriale

La commission partage pleinement l'objectif de sécuriser les porteurs de projets, qui doivent d'une part s'assurer en amont de disposer d'études d'impact pertinentes et d'un projet compatible avec les grandes orientations du SDAGE et, le cas échéant, du SAGE, et, en aval disposer d'une certaine visibilité quant à la durée maximale des éventuels recours dirigés contre les autorisations environnementales délivrées par la préfecture. Soulignant que des dispositions similaires ont été adoptées pour réguler certains contentieux, et notamment celui relatif aux projets de construction d'éoliennes, rien ne semble s'opposer, a priori, à ce que des dispositions inspirées par le même objectif puissent être prises concernant les ouvrages de prélèvement et de stockage de l'eau à usage agricole.

La commission a adopté l'article sans modification.

Article 18

Abrogation des dispositions relatives à la séparation de la vente
et du conseil et à l'interdiction des remises, rabais et ristournes
en matière de produits phytopharmaceutiques

Cet article vise à abroger les dispositions relatives à la séparation de la vente et du conseil et à l'interdiction des remises, rabais et ristournes en matière de produits phytopharmaceutiques.

La commission a adopté l'article 18 complété d'un amendement COM-64 de la rapporteure visant à synchroniser le renouvellement de la délivrance d'un conseil stratégique à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et le renouvellement du « Certyphyto », ce dernier devant intervenir tous les cinq ans.

I. La situation actuelle - Une architecture juridique en matière d'utilisation de produits phytopharmaceutiques inefficiente et pénalisante pour les agriculteurs

A. Une séparation du conseil et de la vente malgré de nombreuses dispositions préexistantes visant à prévenir les risques de conflit d'intérêts

La loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018, dite « loi Egalim », avait initialement pour objet de protéger le revenu des agriculteurs et de rééquilibrer les relations commerciales de ces derniers avec l'aval industriel. C'est à l'occasion de cette loi en faveur des agriculteurs, que le débat autour de la séparation de la vente et du conseil, ainsi que de la suppression des remises, rabais et ristournes s'est déroulé, ce qui peut sembler paradoxal au regard de l'ambition initiale du texte.

Avant cette loi, le Parlement avait déjà légiféré pour favoriser la réduction et le meilleur usage des produits phytopharmaceutiques en agriculture :

- l'article L. 254-1 du code rural et maritime oblige toute personne physique ou morale qui soit vend, soit applique en prestation de services, soit conseille les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques, à détenir un agrément délivré par l'autorité administrative ;

- aux termes de l'article L. 254-3 du même code, doivent détenir un certificat phytosanitaire, dénommé « Certiphyto », les personnels impliqués dans ces mêmes activités mentionnées à l'article L. 254-1 portant sur les produits phytopharmaceutiques, à savoir la vente, l'application en tant que prestataire de services ou le conseil. Les agriculteurs eux-mêmes doivent également disposer d'un tel certificat ;

- les activités de conseil délivrées par les vendeurs étaient également encadrées : obligation d'un conseil spécifique à l'utilisation des produits faisant l'objet d'une préconisation écrite, obligation d'un conseil annuel individualisé, certification spécifique des personnes délivrant des conseils (« Certiphyto conseil »), rémunération de ces mêmes personnes non indexée sur le volume ou le chiffre d'affaires des ventes des produits, etc.

Cependant, il a été considéré que le conseil délivré dans ce cadre demeurait essentiellement tourné vers l'achat en fonction de références locales du distributeur, et que ce conseil n'était pas assez orienté vers la promotion de solutions alternatives aux produits phytopharmaceutiques.

L'article 88 de la loi Egalim a donc habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi afin, notamment, de séparer les activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques. Durant les débats, le Sénat avait déjà souhaité réduire à l'essentiel cette séparation, en adoptant des amendements visant à ne pas imposer la séparation capitalistique ou encore visant à l'émergence d'un véritable conseil stratégique pluriannuel. Ces amendements n'avaient pas été retenus à l'occasion de la lecture définitive de l'Assemblée nationale.

L'ordonnance n° 2019-361 du 24 avril 2019 relative à l'indépendance des activités de conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques procède à cette séparation, refond l'architecture du conseil stratégique, et pérennise par ailleurs l'expérimentation du dispositif de certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP), visant les distributeurs.

Ainsi, les articles L. 254-1 à L. 254-1-3 du code rural et de la pêche maritime posent le principe de l'incompatibilité des activités de vente et des activités de conseil définies à l'article L. 254-1 du même code, ainsi que celui de la séparation capitalistique des deux activités.

B. À l'usage, de nombreux effets de bords induits par la séparation du conseil et de la vente de produits phytopharmaceutiques

Quatre ans après la publication de l'ordonnance, force est de constater que la pertinence de cette séparation peut être discutée, tant du point de vue de l'agriculteur, éprouvant des difficultés à trouver conseil, que des organisations qui ont dû faire un choix entre la vente et le conseil, et notamment les coopératives agricoles.

De nombreuses structures ont dû faire le choix de se séparer d'une activité pour se conformer à la nouvelle législation. Pour les coopératives, le choix de conserver l'activité de vente à leurs adhérents a été majoritaire, ce qui, de facto, empêche le réseau de milliers de conseillers d'apporter leur expertise aux agriculteurs de leurs territoires en matière de produits phytopharmaceutiques, alors qu'ils sont pourtant au plus près des réalités du terrain.

Par ailleurs, les auditions menées par la rapporteure ont également permis de constater d'autres effets de bords induits par la réforme.

Par exemple, les coopératives, qui participent activement au dispositif des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), mis en place en 2016 à titre expérimental et pérennisé par la loi Egalim (articles L. 254-10 à L. 254-10-9 du code rural et de la pêche maritime), tout comme les entreprises, qui en ont l'obligation, font état de difficultés dans la mise en oeuvre de certaines actions CEPP, alors même que l'article L. 254-1 du même code précise que la séparation du conseil et de la vente ne fait pas obstacle à ce que les vendeurs promeuvent, mettent en place ou facilitent cette mise en oeuvre. Est ici fait référence, notamment, aux fiches relatives aux produits de biocontrôle, produits qui peuvent s'avérer particulièrement efficaces lorsqu'ils sont associés à des produits phytopharmaceutiques. Cette bonne pratique ne pourra trouver son plein développement que si les vendeurs sont effectivement et sans ambiguïté autorisés à les promouvoir.

La situation de relatif flou juridique dans lequel se trouvent ces vendeurs a, de fait, été pointée. Ces derniers ont d'une part l'obligation légale de fournir un conseil d'utilisation, mais l'interdiction légale de fournir un conseil spécifique ou stratégique. Or, sur le terrain, la distinction n'est pas toujours aisée.

Les structures distribuant des produits phytopharmaceutiques font également état d'une perte de leur pouvoir de négociation avec leurs fournisseurs, souvent internationaux, pouvant entraîner des prix plus hauts pour les agriculteurs français que pour leurs homologues européens.

Enfin, de nombreux effets de bord résultant de la séparation capitalistique ont également été pointés par les coopératives agricoles, leur modèle spécifique de gouvernance « un homme = une voix » les prémunissant d'ores et déjà qu'un associé détienne plus de 10 % des droits de vote. Cette séparation capitalistique complique notamment, aux dires des coopératives, le recrutement d'administrateurs pour leurs conseils d'administration.

C. La problématique du conseil stratégique phytosanitaire, dispositif administratif peu opérant sur le terrain

La législation actuelle distingue désormais trois types de conseils :

- le conseil lié à l'utilisation des produits (article L. 254-7), obligatoire à l'occasion d'une vente ;

- le conseil stratégique (article L. 254-6-2), fondé sur un diagnostic de l'exploitation et qui a pour objet de fournir aux agriculteurs une stratégie pour la protection des végétaux ;

- le conseil spécifique (article L. 254-6-3), facultatif, et qui vise à formuler une recommandation sur une problématique plus particulière.

Les auditions ont permis de soulever l'épineux problème du conseil stratégique phytosanitaire (CSP) issu de l'ordonnance de séparation du conseil et de la vente, dont les exploitations en agriculture biologique ou en conversion à l'agriculture biologique, ainsi que celles bénéficiant de la certification « Haute valeur environnementale » (HVE) sont dispensées79(*). Ce CSP comporte deux volets, un volet diagnostic et un volet plan d'action. Un diagnostic complet de l'exploitation est nécessaire, ainsi que son actualisation au minimum tous les six ans, puis intervient le conseil en tant que tel, visant à élaborer un plan d'actions.

Les prescriptions administratives entourant ce conseil, qui représente un nouveau surcoût pour les agriculteurs (environ 500 euros), semblent assez éloignées de la réalité du monde agricole. En effet, le conseil stratégique doit être réalisé trois mois au plus tard après l'établissement ou l'actualisation du diagnostic, et renouvelé sur une période de cinq ans au moins une fois, à un intervalle de trois ans maximum80(*). La réalisation du conseil stratégique est par ailleurs indispensable au renouvellement du certificat « Certiphyto », autre obligation pesant sur les agriculteurs, permettant l'achat de produits phytopharmaceutiques.

Logiquement, les agriculteurs s'y perdent, d'autant plus qu'ils ne peuvent plus se tourner vers leurs interlocuteurs habituels dans la mesure où la vente et le conseil sont désormais séparés. Ils doivent donc se tourner vers des conseillers indépendants de l'activité de vente.

Or, le nombre de ces conseillers est particulièrement insuffisant. À titre d'exemple - les chambres d'agriculture disposant de conseillers et pouvant donc dispenser ce conseil stratégique -, la chambre d'agriculture de la Drôme dispose d'environ 60 conseillers pour 4 000 agriculteurs. La plupart des milliers de conseillers des coopératives, en raison de la séparation du conseil et de la vente, ne peuvent eux pas intervenir. Les exploitants peuvent également se tourner vers d'autres structures, mais, de manière générale, la faible attractivité du métier de conseiller, en raison, là encore, des contraintes inhérentes à la séparation du conseil et de la vente, complique l'accès des agriculteurs à ces derniers.

Pourtant, bien souvent, il y a urgence : sans justificatif de la réalisation d'un conseil stratégique, le renouvellement du certificat indispensable à l'achat de produits phytopharmaceutiques est impossible au 1er janvier 2024.

Les agriculteurs n'ont d'ailleurs pas attendu ces obligations administratives pour améliorer leurs pratiques, en passant notamment par leur chambre d'agriculture ou leur coopérative. Aucune équivalence n'étant prévue par les textes, toutes ces démarches visant à améliorer les pratiques ne sont pas valorisables par l'agriculteur, qui doit, quoi qu'il arrive, réaliser son conseil stratégique.

D. Un niveau de consommation de produits phytopharmaceutiques dont la corrélation avec la réforme n'est pas clairement établie

L'article 74 de la loi Egalim, interdit toutes remises, rabais et ristournes, différenciation des conditions générales et particulières de vente ou remise d'unités gratuites lors de la vente de produits phytopharmaceutiques. Cet article, supprimé par le Sénat en première lecture, a été adopté par l'Assemblée nationale en lecture définitive.

Concernant l'usage des produits phytopharmaceutiques, le principal indicateur du plan « Ecophyto II + » est le NOmbre de Doses Unité (NODU), qui permet de suivre les utilisations de produits en France. Il est calculé à partir des données de vente des distributeurs de produits phytopharmaceutiques déclarées dans la Banque nationale des ventes des distributeurs de produits phytopharmaceutiques (BNV-d) et correspond à la surface qui serait traitée annuellement, avec les produits phytopharmaceutiques vendus au cours d'une année, aux doses maximales homologuées. Il s'exprime en hectare et rapporté à la surface agricole utile (SAU) française, il correspond au nombre de traitements théoriques appliqués à pleine dose sur une surface d'un hectare. Il ne prend pas en compte les produits de traitement de semence et de biocontrôle.

Pour 2021, selon les données provisoires collectées par le ministère de l'agriculture, le NODU agricole s'élèverait à 85,7 millions d'hectares (Mha) en légère baisse par rapport à 2020 (88,5 Mha), mais surtout absolument identique au chiffre de 2011, soit 10 ans plus tôt, bien avant la mise en place de la séparation du conseil et de la vente, ainsi que celle de l'interdiction des remises, rabais et ristournes.

Source : site internet du ministère de l'agriculture

En revanche, pour les produits les plus dangereux, les substances « cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction » (CMR81(*)), les courbes sont nettement descendantes, puisque depuis 2016, le NODU agricole lié à des CMR est en baisse, avec en 2020 :

- 87 % pour les CMR1 et une part dans le NODU agricole qui diminue de 8 points ;

- 36 % pour les CMR2 et une part dans le NODU agricole qui diminue de 6 points.

Selon le ministère de l'agriculture, cette baisse est en partie liée au non-renouvellement progressif à l'échelle européenne des substances les plus dangereuses.

L'évolution de la quantité de produits phytopharmaceutiques, est le résultat de nombreux facteurs : une année plus ou moins humide, des saisons plus ou moins marquées, le niveau des incitations économiques, la disponibilité des solutions alternatives et leur niveau de diffusion, les changements de pratiques, etc. Il n'est pas possible d'affirmer que la séparation du conseil et de la vente ainsi que la suppression des remises, rabais et ristournes aient conduit à une baisse significative de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques de manière générale. En revanche, cette réforme a certainement renchéri le coût d'accès aux produits et au conseil pour les agriculteurs, de même que complexifié un système déjà initialement encadré.

II. Le dispositif envisagé - L'abrogation des dispositions relatives à la séparation de la vente et du conseil et à l'interdiction des remises, rabais et ristournes en matière de produits phytopharmaceutiques

L'article 18 abroge d'une part les articles L. 253-5-1 et L. 253-5-2 du code rural et de la pêche maritime relatifs à l'interdiction des remises, rabais et ristournes, à la différenciation des conditions générales et particulières de vente ou la remise d'unités gratuites lors de la vente de produits phytopharmaceutiques.

Il abroge, d'autre part, le VI de l'article L. 254-1, les articles L. 254-1-1 à L. 254-1-3 et la référence à ces dispositions au sein de l'article L. 254-2 du même code.

Se faisant, il procède à un retour à la situation d'avant l'adoption de la loi Egalim.

III. La position de la commission - La nécessité d'accompagner les agriculteurs vers la sobriété plutôt que de les pénaliser

Comme le rapport sur la compétitivité de la Ferme France l'a démontré, la politique en matière agricole depuis de trop nombreuses années a été celle du bâton plus que de la carotte, de la méfiance plus que de la confiance et de l'accompagnement. La stratégie consistant à augmenter les charges des agriculteurs pour les forcer à modifier leurs pratiques part du présupposé peu flatteur que l'agriculteur ne prendrait pas soin de sa terre.

La commission et sa rapporteure proposent de revenir sur cette logique en privilégiant l'accompagnement des agriculteurs et non la punition, source de désavantages compétitifs d'une part - quels autres agriculteurs en Europe se voient interdire de négocier la vente des produits indispensables à leur activité ? - et d'« agribashing » de l'autre.

Aussi, il est indispensable de revenir sur la séparation du conseil et de la vente, conduisant à un réel appauvrissement du conseil, sans conséquence sur la vente.

Enfin, un amendement COM-64 de la rapporteure fixe l'obligation pour l'agriculteur de réaliser un conseil stratégique tous les cinq ans, permettant une articulation plus logique avec le renouvellement du « Certyphyto », lui aussi renouvelable tous les cinq ans.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

TITRE IV

MAÎTRISER LES CHARGES SOCIALES
DES EXPLOITATIONS AGRICOLES
Article 19

Établissement du secteur agricole comme secteur prioritaire en tension
au regard des obligations de recherche d'emploi

Cet article établit le secteur agricole comme secteur prioritaire en tension au regard des obligations de recherche d'emploi des demandeurs d'emploi résultant de l'élaboration de leur projet personnalisé d'accès à l'emploi.

La commission a adopté l'article 19 non modifié.

I. La situation actuelle - Le besoin d'envoyer un signal supplémentaire en faveur de l'emploi agricole

A. Sur l'emploi agricole en France et son besoin de recrutement

Le secteur agricole représentait en France en 2019 environ 400 000 agriculteurs exploitants, soit 1,5 % de l'emploi total82(*). Ce chiffre était de 1,6 million de personnes en 1982, soit 7,1 % de l'emploi total. En 2019, 55 % des agriculteurs étaient âgés de 55 ans ou plus, soit 24 points de plus que pour l'ensemble des personnes en emploi, témoignant du vieillissement de la profession et d'un besoin de recrutement annuel fort. Selon les chiffres de la mutualité sociale agricole (MSA), 13 406 chefs d'exploitation se sont installés en 2019, et parmi eux 9 155 éligibles aux dispositifs d'aides à l'installation83(*).

Source : Insee, enquêtes Emploi, séries longues sur le marché du travail

L'agriculture est par ailleurs pourvoyeuse d'emplois salariés, et notamment saisonniers. Selon les chiffres provisoires de l'Insee pour 2021, le secteur agriculture, sylviculture et pêche comptait 271 000 salariés84(*).

Forte pourvoyeuse de contrats saisonniers, l'agriculture, comme d'autres secteurs, peine à recruter. Selon l'enquête « Besoins en main-d'oeuvre 2023 » de Pôle emploi, 245 740 projets de recrutement ont été recensés en France en agriculture, dont 57,2 % étaient considérés comme « difficiles » en raison des difficultés de recrutement, en hausse de 7 % sur un an. Ces projets de recrutement concernaient à 82,9 % l'embauche de saisonniers, en recul de 2 % sur un an. 41 900 projets de recrutements sont non saisonniers, en hausse de 10 % sur un an.

Les difficultés de recrutement sont telles que nombre de filières recourent à la main d'oeuvre étrangère, vitale pour compenser le déficit de main-d'oeuvre nationale.

B. Sur le rôle du Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle

Le Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle (Crefop) est une instance régionale quadripartite (État, régions, représentants des employeurs, représentants des salariés) instituée par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.

Issu de la fusion du Comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle (CCREFP) et du Conseil régional de l'emploi (CRE), le Crefop est le lieu de concertation unique pour le pilotage des politiques régionales de l'emploi.

Le Crefop est présidé conjointement par le président du conseil régional et le représentant de l'État dans la région. En son sein, une commission chargée de la concertation relative aux politiques de l'emploi sur le territoire assure la coordination des acteurs du service public de l'emploi.

La mission du Crefop, décrite à l'article L. 6123-3 du code du travail est « d'assurer la coordination entre les acteurs des politiques d'orientation, de formation professionnelle et d'emploi et la cohérence des programmes de formation dans la région. ». Plus précisément, il a pour mission85(*) :

- d'établir un bilan régional des actions financées au titre de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles ;

- d'émettre des avis sur de nombreux documents relatifs à la politique de l'emploi à l'échelon régional ;

- d'élaborer le contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelle figurant à l'article L. 214-13 du code de l'éducation ;

- de coordonner les outils concourant au service public de l'emploi86(*).

Le rôle du Crefop est donc central dans l'orientation des politiques de l'emploi et l'identification des besoins, que ce soit par l'intermédiaire du contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelle susmentionné, ou également par son rôle d'identification des métiers en tension au sein des territoires. Des listes sont établies et mobilisées dans le cadre de dispositifs d'orientation des demandeurs d'emploi ou de salariés en phase de transition dans l'emploi.

Ainsi, dans le cadre du dispositif « Transitions collectives », le Crefop est mobilisé pour l'établissement de listes de métiers en tension. Ce dispositif est décrit comme suit par l'instruction n° DGEFP/2022/35 du 7 février 2022 relative au déploiement du dispositif « Transitions collectives » prévu par France relance : « dispositif qui s'adresse à des salariés dont l'emploi est menacé, qui se positionnent vers un métier porteur localement. Il a pour objectif d'organiser une transition d'un métier vers un autre en évitant un licenciement mais également de répondre efficacement aux besoins de recrutement dans tous les territoires. En ce sens, ce dispositif a vocation à concourir à la résorption des tensions de recrutement observées sur certains métiers et territoires et la présente instruction s'inscrit en complémentarité avec l'instruction n° DGEFP/2021/217 du 25 octobre 2021 relative à la mobilisation nationale en faveur de la réduction des tensions de recrutement ».

De même, les demandeurs d'emploi peuvent bénéficier d'une formation rémunérée dans le cadre du dispositif de rémunération de fin de formation (RFF). Ce dispositif est soumis à diverses conditions, notamment à ce que la formation figure sur une liste des métiers en tension publiée par arrêté, après concertation au sein du Crefop.

II. Le dispositif envisagé - Établir le secteur agricole comme secteur prioritaire en tension au regard des obligations de recherche d'emploi des demandeurs d'emploi

L'article 19 crée une section 7 au sein du chapitre VIII du titre Ier du livre VII du code rural et de la pêche maritime relatif aux secteurs agricoles prioritaires de la politique de l'emploi. Son article L. 718-10 établit, sauf avis contraire du Crefop, le secteur agricole comme secteur prioritaire en tension au sens de l'article L. 5312-1 du code du travail.

Il modifie en conséquence ce même article L. 5312-1 du code du travail, relatif aux missions de Pôle emploi, pour y insérer un 1° bis constituant une nouvelle mission pour l'agence, celle d'assurer une orientation active des demandeurs d'emploi vers les secteurs prioritaires en tension identifiés par le Crefop.

Enfin, il complète l'article L. 5411-6-1 du code du travail relatif au projet personnalisé d'accès à l'emploi du demandeur d'emploi pour préciser que ce projet tient compte des listes des secteurs prioritaires en tension telles qu'établies par le Crefop.

Cette disposition tend à consacrer explicitement la mission du Crefop d'identification des métiers en tension, tout en explicitant également la mission de Pôle emploi d'orientation vers ces métiers, dont le secteur agricole, ferait partie.

III. La position de la commission - Un signal utile rappelant le manque de main-d'oeuvre chronique en agriculture

L'orientation active des demandeurs d'emploi se justifie par un taux de chômage toujours élevé en France, 7,2 % de la population active au quatrième trimestre 2022, alors même que de nombreux secteurs peinent à recruter, l'agriculture au premier chef. Selon les chiffres de la Dares87(*), au quatrième trimestre 2022, 364 500 emplois demeurent vacants, ces chiffres excluant les offres d'emploi des entreprises de moins de 10 salariés, l'intérim et l'agriculture.

Aussi, déclarer l'agriculture comme secteur en tension, tout en complétant les missions de Pôle emploi, permettant une orientation plus active des demandeurs, se justifie.

Au demeurant, l'orientation active ne retranche rien aux dispositions figurant par ailleurs à l'article L. 5411-6-1, relatives à la prise en compte de la formation du demandeur d'emploi, de ses qualifications, de ses connaissances et compétences acquises au cours de ses expériences professionnelles, de sa situation personnelle et familiale ainsi que de la situation du marché du travail local, la nature et les caractéristiques de l'emploi ou des emplois recherchés, la zone géographique privilégiée et le niveau de salaire attendu.

La commission a ainsi souhaité envoyer un signal, et mettre en lumière la problématique bien réelle du recrutement en agriculture.

La commission a adopté l'article.

Article 20

Expérimentation visant à ouvrir la possibilité pour un département
de mettre en place un cumul limité dans le temps d'une activité rémunérée et du bénéfice du revenu de solidarité active (RSA)

Cet article ouvre la possibilité d'une expérimentation dans les départements volontaires, d'un cumul limité dans le temps d'une activité rémunérée et du bénéfice du revenu de solidarité active.

La commission a adopté l'article 20 sans modification.

I. La situation actuelle - Un cumul du revenu de solidarité active et d'une activité rémunérée possible dans mais dont les éventuels surcoûts sont à la charge des départements

A. Sur le revenu de solidarité active et le retour à l'emploi

Le RSA a été institué par la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, en remplacement du revenu minimum d'insertion (RMI) et à l'allocation parent isolé (API). Allocation différentielle, c'est-à-dire complétant les ressources d'un foyer pour atteindre un seuil minimal, le RSA est le principal instrument de lutte contre la pauvreté en France. Il est versé à un peu plus de deux millions de foyers allocataires, pour un total de quatre millions de bénéficiaires. Il s'élève, pour une personne seule, au 1er janvier 2023, à 607,75 euros.

Le RSA se compose de deux volets :

- un volet allocation, se composant d'un RSA « socle » financé par les départements, pour une dépense en 2021 de 10,8 milliards d'euros88(*) et d'un RSA « activité » financé par l'État, devenu en 2016 prime d'activité, dont le montant dépend des revenus ainsi que de la situation familiale, pour une dépense en 2019 de 9,6 milliards d'euros89(*) ;

- un volet accompagnement suivant une logique « droits et devoirs », pour lequel le bénéficiaire est tenu de réaliser des démarches d'insertion. Les engagements du bénéficiaire sont formalisés dans un contrat signé avec le département90(*). Ce contrat, librement débattu, énumère les engagements réciproques en matière d'insertion professionnelle ou d'insertion sociale.

La gestion et le financement du RSA est confiée aux départements, en vertu de leur compétence relative à l'action sociale défini à l'article L. 121-1 du code de l'action sociale et des familles. En revanche, l'État définit le cadre légal et réglementaire du dispositif. Les réseaux des caisses d'allocation (CAF) et de la mutualité sociale agricole (MSA) réalisent l'instruction des demandes, le calcul des droits et le versement de la prestation sociale.

La prime d'activité est conçue pour accompagner et inciter au retour à l'emploi des allocataires et amortir la baisse du RSA consécutive à la reprise d'une activité professionnelle. L'ambition est de lutter contre les « trappes à inactivité » c'est-à-dire les désincitations à la reprise d'une activité que représenteraient la perte brutale du RSA et de certaines aides connexes lui étant liées, comme la complémentaire santé solidaire. Concrètement, lorsqu'un allocataire reprend une activité professionnelle, il conserve pendant trois mois le bénéfice de son RSA, puis ce dernier est diminué à concurrence du niveau de sa rémunération. C'est à ce moment que la prime d'activité intervient, pour lisser la perte de revenu lié à l'arrêt (ou la baisse) du RSA, et inciter financièrement au travail plutôt qu'à l'inactivité.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, rapport n° 517

Malgré l'ambition initiale du RSA par rapport au RMI, un renforcement de l'accompagnement pour la reprise d'activité, complétée de l'incitation que constitue la prime d'activité, de nombreux allocataires demeurent durablement éloignés de l'emploi. Fin 2019, 61 % des bénéficiaires du RSA l'étaient depuis au moins deux ans, 37 % depuis au moins cinq ans et 16 % depuis au moins 10 ans91(*).

B. Des initiatives départementales visant à permettre le cumul du RSA et d'une activité professionnelle

L'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles (CASF) dispose que le conseil départemental peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations relevant de sa compétence. Il précise que le département en assure alors la charge financière. L'article L. 262-26 du CASF précise que les dépenses afférentes à ces conditions et montants plus favorables sont l'objet d'un suivi comptable distinct.

Fin 2021, 33 conseils départementaux avaient mis en place un système permettant le cumul temporaire du RSA et d'une activité professionnelle par l'intermédiaire de dispositifs divers mais présentant certaines similarités, à savoir leur mise en place récente, l'orientation agricole et viticole des métiers concernés ainsi que la limite du cumul, autour de trois mois92(*).

Source : Évaluation du dispositif de cumul entre RSA et emploi, Asdo études
pour le conseil départemental de Dordogne, décembre 2021

Ainsi, le département de la Charente-Maritime propose un tel dispositif à destination des bénéficiaires du RSA souhaitant exercer un emploi saisonnier, essentiellement dans les domaines du tourisme, de l'agriculture et de l'ostréiculture. Le département de la Gironde propose également un tel cumul dans la limite de 300 heures d'activité sur l'année, et visant plus spécifiquement les secteurs agricoles. Le département du Haut-Rhin propose aussi ce dispositif, ouvert à différents secteurs, mais concernant majoritairement la viticulture.

Évaluation du dispositif de cumul du RSA
et d'une activité professionnelle en Dordogne

Une étude de décembre 2021 commandée par le conseil départemental de Dordogne permet d'avoir des éléments d'évaluation du dispositif de cumul du RSA et d'un emploi saisonnier mis en place dans le département à partir de juin 2019.

Ce cumule entre RSA et revenus professionnels avait un double objectif :

- inciter les allocataires du RSA à reprendre un emploi tout en sécurisant leurs revenus ;

- répondre aux besoins des entreprises rencontrant des difficultés de recrutement.

Les secteurs concernés par le cumul sont l'agriculture, l'hôtellerie restauration, et l'aide à domicile, à raison de 300 heures de revenus d'activités par an (environ deux mois).

Lors des deux premières années de sa mise en oeuvre, le dispositif a concerné 398 allocataires du RSA, soit 4 % des allocataires du département, employés par 298 structures. 70 % des contrats concernaient les secteurs agricoles et viticoles, avec un public touché hétérogène, ne permettant pas de dégager un « profil type » du bénéficiaire.

L'étude menée pour le département de Dordogne indique « le faible effet incitatif du dispositif du cumul pour réaliser un contrat et ainsi amener de nouvelles personnes à occuper des postes non pourvus. En effet, seules 19 % des personnes interrogées déclarent avoir eu connaissance du dispositif du cumul avant le contrat ». Il n'y a donc pas eu d'effet d'aubaine du dispositif.

L'étude met également en évidence l'importance d'un référent accompagnant les bénéficiaires dans leur demande de cumul, notamment pour éviter les erreurs qui pourraient aboutir par la suite à des réclamations d'indus.

Les effets de ce dispositif sur les bénéficiaires semblent très positifs puisque 71 % déclarent des effets forts ou très forts sur leur rythme de vie, 70 % sur leur motivation dans la recherche d'emploi, 76 % sur leur confiance en eux. 50 % des personnes interrogées dans l'étude affirment vouloir continuer à travailler dans le secteur concerné par le contrat saisonnier.

Source : Évaluation du dispositif de cumul entre RSA et emploi, Asdo études
pour le conseil départemental de Dordogne, décembre 2021

II. Le dispositif envisagé - Inscrire dans la loi la possibilité pour les départements d'expérimenter ce cumul du RSA et d'une activité, dont les charges supplémentaires seraient supportées par l'État

L'article 20 de la proposition de loi reprend et complète la rédaction de la proposition de loi d'expérimentation visant à favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) de Claude Malhuret et plusieurs de ses collègues, adoptée par le Sénat le 15 avril 2021.

Cette rédaction est notamment complétée par la référence à l'orientation des personnes bénéficiaires vers les secteurs prioritaires identifiés par le président du conseil départemental en lien, notamment, avec le comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle (Crefop), en écho à l'article 19.

Il est ainsi proposé une expérimentation pour une durée de quatre ans visant à autoriser le cumul temporaire d'une activité rémunérée et du bénéfice du RSA, dans les départements volontaires.

Les bénéficiaires de l'expérimentation sont orientés vers les secteurs prioritaires en tensions définis par le président du conseil départemental, en lien avec les acteurs économiques, les partenaires sociaux et le Crefop.

Durant la période de cumul d'une activité et du RSA, le bénéfice de la prime d'activité est suspendu.

Par dérogation au code du travail, les bénéficiaires peuvent être embauchés dans le cadre d'un contrat de travail de 15 heures hebdomadaires minimum pendant 12 mois au plus, pour leur permettre une intégration plus facile au sein de l'entreprise.

Il est par ailleurs prévu que les charges supplémentaires pour les départements résultant de l'expérimentation fassent l'objet d'une compensation financière par l'État, ce qui constitue une dérogation aux articles L. 121-4 et L. 262-26 du code de l'action sociale et des familles.

L'article prévoit que les départements menant l'expérimentation ainsi que le Gouvernement dressent un bilan de l'expérimentation, notamment pour analyser la trajectoire des bénéficiaires ainsi que les dépenses supplémentaires engendrées par le dispositif.

Un décret prévoit les modalités d'applications de l'article ainsi que les exemptions à l'obligation d'activité pouvant être accordées aux bénéficiaires de l'expérimentation.

III. La position de la commission - Un dispositif innovant permettant un retour progressif vers l'emploi et une orientation vers les secteurs en tension

En cohérence avec l'article 19 visant à assurer une orientation active des demandeurs d'emploi vers le secteur agricole, secteur en tension, l'article 20 permet de poursuivre l'objet même qui a prévalu à l'instauration du RSA en 2008, accompagner et inciter au retour à l'emploi, dans une logique de droits et de devoirs. Or, l'objectif incitatif du RSA, malgré l'existence de la prime d'activité, n'est pas pleinement atteint.

Pour l'année 2023, Pôle emploi recensait 245 740 projets de recrutement, dont plus de 57 % considérés comme « difficiles » en raison de difficultés de recrutement93(*). Le secteur agricole n'est pas le seul en difficultés de recrutement, mais sa problématique est particulièrement marquée, en témoigne l'orientation d'un grand nombre de bénéficiaires, dans les départements expérimentant déjà le cumul du RSA et d'un emploi, vers ce secteur particulier.

Par ailleurs, le cumul du RSA et d'une activité professionnelle, essentiellement saisonnière, pourrait à certaines occasions être une première étape, en agriculture, vers des projets de formation puis d'installation, à l'heure où l'agriculture française est en fort besoin de recrutement d'ouvriers agricoles comme de chefs d'exploitation.

Enfin, soulignant que les dépenses de RSA ont fortement augmenté ces dernières années, et que ces dernières ne sont qu'imparfaitement compensées par l'État, la commission considère qu'il est préférable, comme l'indique l'article 20, d'inscrire explicitement que les coûts éventuellement engendrés par cette expérimentation devront faire l'objet d'une compensation par l'État.

La commission a adopté l'article sans modification.

Article 21

Prolongation, relèvement du plafond et extension aux coopératives d'utilisation de matériel agricole et à la collecte de lait en zone
de montagne du dispositif d'exonération applicable pour l'emploi
de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emplois (TO-DE)

Cet article procède à quatre modifications pour renforcer le champ et la portée du dispositif d'exonération applicable pour l'emploi de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emplois (TO-DE) :

- il pérennise le dispositif, signal clair à destination des filières leur permettant de se projeter davantage vers l'avenir, sans craindre l'arrêt du dispositif ;

- il relève le seuil de salaire en dessous duquel s'applique l'exonération, pour tenir compte de l'inflation et éviter une trappe à bas salaires ;

- il étend le champ des bénéficiaires aux coopératives d'utilisation de matériel agricole ;

- il fait de même pour les travailleurs effectuant la collecte de lait en zone de montagne.

Outre un amendement visant à assurer le respect de l'article aux règlements européens sur les aides de minimis, la commission des affaires économiques a adopté l'article 21 ainsi modifié, suivant l'analyse de la rapporteure et en cohérence avec de nombreux votes du Sénat depuis de nombreuses années.

I. La situation actuelle - Le « TO-DE » est une bouée de sauvetage pour de nombreuses filières et entreprises agricoles dans un contexte de compétition exacerbée avec des pays aux normes sociales moins favorables

A. Un allègement du coût du travail pour faire face à la compétition en Europe

Dispositif ancien remodelé dans la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2019 à l'occasion de la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le dispositif d'exonération communément appelé TO-DE94(*) bénéficie aux entreprises du secteur agricole employant des travailleurs saisonniers. Son assiette est large, et il va au-delà du régime général des allègements de cotisations patronales en matière d'exonérations.

Cette disposition poursuit concurremment deux objectifs :

- selon la direction générale de la performance économique, ce mécanisme d'exonération permet d'égaler l'Allemagne et le Benelux en matière de coût du travail, et ne suffit pas à compenser les écarts de compétitivité avec les pays méditerranéens ou de l'Est (Italie, Espagne, et Pologne encore davantage). Ces grands pays agricoles voisins comptent en effet parmi les principaux concurrents de la France, et il faut rappeler que c'est au sein de l'Union européenne que la France a perdu le plus de parts de marché sur les vingt dernières années ;

- il vise également à lutter contre le travail illicite et la fraude sociale, qui pourraient facilement s'observer s'agissant d'emplois peu qualifiés parfois à peine au niveau du SMIC.

L'exonération est ciblée sur les bas salaires, afin de favoriser le recrutement de travailleurs en bonne et due forme, et une dégressivité de l'exonération s'applique au-delà de 1,2 SMIC afin d'éviter les effets d'aubaine.

B. Le Parlement a plusieurs fois dû pallier le manque d'ambition du Gouvernement et batailler pour maintenir cette mesure vertueuse

Le dernier projet de loi de finances a envoyé un signal positif aux filières en budgétisant le TO-DE, auparavant compensé par l'affectation d'une fraction de TVA, en un programme 381, « Allègements du coût du travail », doté de 427 millions d'euros en AE et en CP.

Pourtant, dans sa version initiale, l'article 8 du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoyait un prolongement d'un an seulement du TO-DE, alors qu'il devait arriver à échéance au 1er janvier 2023. Il a donc fallu que les députés se mobilisent pour porter l'échéance au 1er janvier 2026.

Déjà en 2019, les parlementaires avaient dû lutter pour maintenir l'existence de cette exonération fiscale absolument cruciale pour les filières les plus intensives en main-d'oeuvre telles qu'en particulier la viticulture, le maraîchage, l'horticulture et l'arboriculture. En effet, la main-d'oeuvre peut représenter jusqu'à 60 % du coût de revient d'une pomme.

En encourageant le travail manuel, le dispositif soutient les filières les plus investies dans l'agroécologie, la sortie de la dépendance aux produits phytosanitaires nécessitant plus de robots agricoles ou plus de main-d'oeuvre. En ce sens, il s'agit d'une mesure complémentaire au crédit d'impôt mis en place à l'article 5 de la présente proposition de loi pour les investissements de mécanisation.

II. Le dispositif proposé - Une pérennisation du TO-DE et un élargissement de son champ et de son assiette

L'article 21 propose quatre évolutions du dispositif d'exonération sociale bénéficiant aux employeurs de travailleurs occasionnels et de demandeurs d'emploi (TO-DE) :

- le I procède tout d'abord à sa pérennisation en supprimant l'échéance qui était fixée à 2023 jusqu'à la dernière loi de finances, qui l'a reculée de trois ans seulement, la portant à 202695(*) ;

- le 1° du II relève le seuil de revenus des travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi au-dessus duquel l'exonération sociale devient dégressive, en le portant de 1,2 à 1,25 SMIC. Ce faisant, les employeurs de salariés ayant un revenu compris entre 1 650 et 1 720 € peuvent bénéficier pleinement du dispositif ;

- le 2° du II procède du même coup à l'extension du dispositif aux près de 12 000 coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA), qui étaient expressément exclues du dispositif, et aux structures de collecte de lait en montagne, y compris pour leurs employés en contrat à durée indéterminée (en pratique, il s'agit, pour plus de la moitié des volumes collectés, de coopératives laitières).

III. La position de la commission - Le renforcement tous azimuts du TO-DE témoigne de la priorité donnée par les sénateurs à la compétitivité de la ferme France

A. L'élargissement de l'assiette et la pérennisation du TO-DE, pour adapter et rendre plus prévisible le dispositif

La rapporteure a d'abord tenu à rappeler que deux des évolutions du présent article ont été votées de façon transpartisane au Sénat lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 202396(*), à l'initiative des rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales.

Suivie dans son analyse par l'ensemble des filières entendues (notamment du maraîchage, de l'arboriculture, mais aussi, par exemple, des producteurs de maïs) et par la majorité des membres de la commission, la rapporteure a jugé l'augmentation des salaires éligibles au TO-DE à 1,25 SMIC indispensable au maintien de la compétitivité de la ferme France, afin de rétablir une parité des coûts salariaux unitaires avec l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas et de réduire l'écart de compétitivité avec l'Italie, l'Espagne et la Pologne.

En relevant le seuil à partir duquel s'applique la dégressivité de l'exonération (de 1,2 à 1,25 SMIC), la commission souhaite contribuer à atténuer le risque de « trappe à bas salaires » qui pourrait conduire, sinon, à concentrer les rémunérations en dessous de 1,2 SMIC - ce d'autant plus que le SMIC augmente plus vite que la moyenne des salaires avec l'inflation.

Cette mesure paraît en outre particulièrement bienvenue dans un contexte de difficultés croissantes de recrutement, les exonérations qui bénéficient aux employeurs pouvant éventuellement être répercutées sur les rémunérations des employés, si lesdits employeurs le décident - auquel cas il faut cependant souligner que l'impact sur la compétitivité serait réduit d'autant.

Par ailleurs, en levant la menace annuelle d'une remise en cause du dispositif, qui faisait peser une lourde hypothèque sur les opérateurs économiques, les empêchant de se projeter dans l'avenir et de procéder aux investissements pour s'agrandir, la commission a, en outre, entendu renforcer l'efficacité du dispositif en modelant les anticipations des entreprises par un regain de confiance.

En revanche, la rapporteure n'a pas souhaité donner suite à la demande de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), qui plaide pour l'extension de l'exonération sociale à tous les salariés de la production agricole quel que soit le type de contrat, permanent comme saisonnier. Bien que partageant l'objectif de réduire encore le coût du travail, elle a jugé que le coût de cette mesure serait trop élevé pour les finances publiques.

B. Une extension du dispositif aux CUMA et à la collecte de lait en zone de montagne, deux cas particuliers nécessitant, d'une façon ou d'une autre, un soutien de la part de la puissance publique

S'agissant des deux autres évolutions apportées au TO-DE, la rapporteure est bien consciente du changement de nature de l'exonération que leur adoption entraînerait.

En effet, tant les coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) que les collecteurs de lait en zone de montagne exercent des activités moins intensives en main-d'oeuvre et, par définition, moins saisonnières que certaines activités employant systématiquement des travailleurs saisonniers comme le maraîchage.

La rapporteure fait d'abord remarquer qu'un amendement étendant le dispositif aux CUMA avait déjà été adopté par le Sénat lors de l'examen du précédent projet de loi de financement de la sécurité sociale97(*), mais ne figurait pas dans la LFSS finalement adoptée. Ces structures, auxquelles adhèrent environ un agriculteur sur deux, sont dirigées par des exploitants agricoles à l'instar des coopératives agricoles, et peuvent être amenées, elles aussi, à recruter des saisonniers, par exemple dans les périodes de moisson ou de récolte des fruits et légumes.

Elles constituent un bon moyen de prévenir des investissements excessifs des agriculteurs dans la mécanisation, les préservant ainsi du surendettement et renforçant in fine la compétitivité du monde agricole.

La rapporteure observe ensuite qu'un soutien financier à la collecte de lait en zone de montagne se justifie eu égard aux contraintes physiques particulières auxquelles elle fait face, aux surcoûts qui en résultent, et aux aménités positives de l'élevage en zone de montagne, par exemple pour l'ouverture et l'entretien des milieux.

La rapporteure reconnaît que l'outil TO-DE n'apparaît pas en première analyse comme le plus logique pour une activité moins dépendante du cycle des saisons que le maraîchage ou l'arboriculture, a fortiori s'agissant des employés sous contrat à durée indéterminée - ce serait le seul cas où des non-saisonniers bénéficieraient de cette exonération fiscale. Elle constate également que l'introduction d'un critère géographique est de nature à complexifier un dispositif qui ne connaissait pas de tels critères jusqu'à présent.

Elle rappelle toutefois qu'une aide fiscale sans doute mieux fléchée, l'exonération de la taxe intérieure de consommation sur les carburants (TICPE) pour certains véhicules utilisés pour la collecte de lait dans les exploitations agricoles situées en zone de montagne98(*), votée par le Parlement, n'est toujours pas applicable faute de décret d'application sept ans après son adoption. Aussi, l'extension du TO-DE à tout employé collectant du lait en zone de montagne est de nature à rappeler au Gouvernement ses obligations.

Afin d'assurer la conformité aux règlements européens sur les aides de minimis, de l'extension du TO-DE à la collecte de lait en zone de montagne, la commission a adopté un amendement COM-27 de la rapporteure.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 22

Exclusion des entreprises agricoles et agroalimentaires dont le cycle
de production est directement déterminé par le cycle naturel des récoltes de l'application du « bonus-malus » sur les contrats courts

Cet article vise à exclure les entreprises agricoles et agroalimentaires dont le cycle de production est directement déterminé par le cycle naturel des récoltes de l'application du bonus-malus sur les contrats courts. La commission a adopté un amendement COM-28 de la rapporteure Sophie Primas élargissant le champ des employeurs pouvant déroger à cette modulation des cotisations chômage.

La commission a adopté l'article 22 ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Le « bonus-malus » sur les contrats courts complique la tâche des filières et entreprises dont les spécificités nécessitent le recours à l'emploi saisonnier

Une modulation du taux de contribution à l'assurance chômage, dit « bonus-malus » sur les contrats courts a été mis en place fin 2018 (après une première expérimentation en 2013)99(*) pour certains employeurs, publics comme privés, afin d'encourager les employeurs à limiter le recours à ces contrats courts, coûteux pour le régime d'assurance chômage, et ainsi de permettre un allongement de la durée des contrats de travail bénéfique à tous.

Codifiée à l'article L. 5422-12 du code du travail, cette modulation varie selon :

- le nombre de fins de contrat de travail d'un employeur (à l'exclusion des démissions et contrats de mission, et sous réserve d'inscription au chômage) ;

- le type de contrat de travail, de sa durée et de son motif ;

- l'âge du salarié ;

-la taille de l'entreprise ;

- et le secteur d'activité de l'entreprise.

Cette mesure, qui devait entrer en vigueur au 1er décembre 2019 l'a finalement été au 1er septembre 2022100(*) (en raison de la crise sanitaire), et a été prolongée jusqu'au 31 août 2024101(*). Le décret en définit les modalités.

Concrètement, il institue une surcotisation patronale de 0,5 à 3 % aux entreprises de plus de onze salariés dans les secteurs où des taux de fin de contrat importants sont constatés.

La « fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac102(*) » fait partie des secteurs pouvant tomber sous le coup de la mesure, même si pour le moment, le mécanisme n'a pas encore trouvé à s'appliquer aux secteurs agricole et agroalimentaire.

Les effectifs de certaines filières très intensives en main-d'oeuvre peuvent comporter, en pleine saison, une proportion de saisonniers proche de 60 %, sous CDD ou contrats de mission.

Le rapport d'information sur la compétitivité de la ferme France de MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou citait ainsi une contribution des industriels de la tomate d'industrie, utilisée notamment en boîte ou en pot sous forme de coulis, selon laquelle « l'instauration d'un système de bonus-malus pour les contrats courts n'a pas pris en compte la saisonnalité inhérente à nos métiers et va avoir pour conséquence de n'offrir que des perspectives de malus pour les entreprises caractérisées par une forte activité saisonnière. [...] La responsabilisation des entreprises pour lutter contre la précarité, et in fine limiter les contrats courts, supposerait que la durée des contrats, proposés par les entreprises de notre secteur, résulte strictement d'un choix de leur part et non d'un aléa externe, tel que la saison des récoltes et de transformations des fruits et légumes. »

Par une question écrite de février 2020, le sénateur Daniel Gremillet (Vosges - LR) avait également soulevé la question de l'impact de ce dispositif sur l'industrie agroalimentaire103(*), première industrie de France, qui recourt souvent aux contrats courts (intérim, CDD). Il pointait le risque qu'en cherchant à lutter contre l'emploi précaire, ce dispositif fragilise l'emploi tout court. Dans certains cas, le bénéfice est concentré sur quelques mois de l'année, tandis que les employeurs doivent s'acquitter de charges toute l'année. C'est au prix de cette saisonnalité des recrutements, qui permet de lisser les charges, que certains secteurs atteignent un équilibre économique.

Du reste, il est peu probable que dans ces cas les CDD soient substituables par des contrats à durée indéterminée compte tenu de leurs spécificités, les employés eux-mêmes ne le souhaitant pas nécessairement. La sanction matérialisée par la surcotisation n'a donc que peu de chances de se traduire par des changements de comportement économiques.

II. Le dispositif proposé - L'exclusion des entreprises agricoles et agroalimentaires du champ du bonus-malus, dès lors que leur activité est directement déterminée par le cycle naturel des récoltes

L'article 22 modifie l'article L. 5422-12 du code du travail, relatif à la majoration ou à la minoration du taux de contribution de chaque employeur, en disposant explicitement qu'il ne s'applique pas aux entreprises agricoles et agroalimentaires dont l'activité est directement déterminée par le cycle naturel des récoltes.

Il traduit l'un des aspects de la recommandation n° 4 du rapport d'information sur la compétitivité de la ferme France de MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou.

III. La position de la commission - Une dérogation bienvenue pour simplifier la tâche des entreprises dépendant fortement de la saisonnalité

La rapporteure juge que l'exclusion des entreprises agricoles et agroalimentaires du dispositif est une mesure de bon sens, leur recours aux contrats courts étant davantage lié au cycle naturel des récoltes qu'à un comportement non coopératif d'externalisation de leurs coûts de main-d'oeuvre vers la solidarité nationale.

La circonstance que la modulation s'applique relativement au comportement médian du secteur n'en rend pas moins absurde ce dispositif, qui constitue de fait un transfert permanent de cotisations chômage des entreprises les moins dépendantes des cycles naturels vers les entreprises saisonnières, sans justification autre que cette différence.

Pour Chambres d'agriculture France, cette exclusion « répond à une demande des exploitants agricoles ayant besoin de main-d'oeuvre exceptionnelle sur courte période : viticulteurs, producteurs de lait en zone de montagne. »

Bien que les surcotisations au sein d'un secteur soient reversées au sein du même secteur, elles sont vectrices de complexité administrative et donc de surcoûts pour certaines activités agricoles (vendanges, pastoralisme) qui sont créatrices de valeur pour les territoires davantage qu'elles ne sont un poids pour les finances sociales.

De façon générale sur ce dispositif, la commission des affaires économiques du Sénat partage l'avis de la commission des affaires sociales du Sénat, qui l'avait supprimé lors de l'examen du projet de loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel en 2018 : l'instauration d'un bonus-malus ne garantit pas une baisse de la précarité et du recours abusif aux contrats courts.

Cette commission avait souligné lors de cet examen l'existence « de réelles difficultés de principe » du bonus-malus en raison de la complexité que la modulation induit pour les entreprises concernées et pour une raison de principe, selon laquelle un bonus au bénéfice des entreprises contributrices à l'assurance chômage contrevenait à la philosophie de cotisations comme source de financement - en clair, la commission aurait préféré un dispositif de sanctions ad hoc distinct du financement de l'assurance chômage.

Elle ajoutait enfin et surtout que « le critère des fins de contrats est trop flou et pénalisant pour de très nombreux secteurs d'activités. Pour le rendre opérationnel, il faudrait prévoir une longue liste d'exceptions, qui aboutirait à un dispositif illisible et fort complexe. »

La dérogation prévue par cet article au profit des entreprises et structures agricoles et agroalimentaires en est une première illustration.

La commission a adopté un amendement COM-28 de la rapporteure qui élargit le dispositif de deux façons pour consolider la dérogation et en étendre légèrement le champ :

- d'une part, il étend la dérogation à l'ensemble des employeurs des secteurs agricole et agroalimentaire, au-delà des seules entreprises (les coopératives, GAEC et autres structures seraient également concernées) ;

- d'autre part, il remplace la notion de « cycle naturel des récoltes », trop restrictive, par celle, plus simple, de « saisonnalité », incluant les filières de production animale.

La commission a adopté l'article 22 ainsi modifié.

Article 23

Pérennisation et relèvement des taux du crédit d'impôt
en cas de recours au service de remplacement

Cet article vise à consolider le crédit d'impôt au titre des dépenses engagées pour assurer le remplacement de certains agriculteurs en cas de congé ou de maladie. À cette fin, il pérennise cette aide fiscale pour sécuriser le monde agricole, porte le taux de base du crédit d'impôt de 50 à 66 % des dépenses, et le taux « maladie » de ce crédit d'impôt de 60 à 70 %, pour accroître l'incitation à faire une pause.

Outre un amendement de coordination de la rapporteure ( COM-29), la commission a adopté un amendement COM-30 de la rapporteure ajoutant trois jours de congé « formation » au plafond de 14 jours de congé pour lesquels les dépenses engagées pour remplacement sont éligibles au crédit d'impôt. Ce faisant, elle a souhaité encourager la formation continue des agriculteurs, ardente nécessité pour accompagner les transitions et affronter les défis de notre agriculture.

La commission a adopté l'article 23 ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Le monde agricole, et en particulier celui de l'élevage, subit une charge de travail et une pression psychologique qui peuvent être source de mal-être et apparaissent en décalage avec les aspirations des nouvelles générations

A. Face à une charge de travail et à des astreintes particulièrement contraignantes pour les agriculteurs...

Les exploitants agricoles à leur compte ne comptent pas leurs heures et sont soumis à des conditions de travail particulièrement éreintantes. C'est le cas en particulier des métiers de l'élevage, qui requièrent une présence en continu sur l'exploitation afin de prodiguer les soins et d'apporter l'alimentation nécessaire à la croissance des animaux.

Une étude de l'Insee d'octobre 2020 citée dans le rapport d'information de Mme Férat et de M. Cabanel, adopté en mars 2021 par la commission des affaires économiques, sur la prévention, l'identification et l'accompagnement des agriculteurs en détresse104(*), tend à montrer que les agriculteurs connaissent un volume horaire supérieur de 65 % à celui des actifs occupés et qu'ils accomplissent des semaines de 55 heures.

En outre, le travail le week-end et le travail de nuit sont davantage la règle que l'exception dans le monde agricole, ce qui apparaît en décalage avec les conditions prévalant dans le reste du monde du travail, y compris au sein du salariat agricole.

Par contraste, les réelles coupures sont rares, un tiers seulement des agriculteurs prenant chaque année au moins quatre jours consécutifs de congé pour partir en vacances.

Dans la perspective de la transmission ou de la cession de près de la moitié des exploitations dans les dix prochaines années - puisque la même proportion d'exploitants atteindra l'âge de la retraite à cette échéance -, cette situation constitue un frein majeur au renouvellement des générations et contribue au manque d'attractivité des métiers agricoles, déjà rendu perceptible par la réduction de la population active agricole, la déprise agricole et la baisse de la production dans les filières animales.

B. ...un service de remplacement a été mis en place ainsi qu'un crédit d'impôt pour prendre en charge une partie des dépenses afférentes

Bien qu'il s'agisse de « métiers-passions », les exploitants agricoles ont droit, comme tout un chacun, à un répit. Cela participe non seulement de leur équilibre vie privée-vie professionnelle et de leur épanouissement, mais également de la prévention du syndrome d'épuisement professionnel (burn-out) et plus généralement à l'atténuation du mal-être diffus d'une profession dont la contribution à la résilience de notre économie n'est pas toujours reconnue à la sa juste valeur, et qui est déjà en première ligne face à divers aléas.

Aussi, un service de remplacement a été mis en place dès 1972 et, à partir de 2006, un crédit d'impôt a été institué105(*), uniquement à destination des exploitants agricoles dont « l'activité exercée requiert la présence du contribuable sur l'exploitation chaque jour de l'année ». En pratique, ce travail chaque jour de l'année concerne tous les éleveurs et, au cas par cas, certains autres exploitants agricoles.

Il s'agit d'aider les agriculteurs à financer le coût d'un remplaçant pour souffler ou s'arrêter pour des raisons de santé ou à la suite d'un accident.

D'un coût d'environ 18 millions d'euros par an, cette incitation fiscale comporte un risque d'effet d'aubaine très limité :

- les dépenses peuvent être comptées dans le calcul du crédit d'impôt dans la limite de 14 jours par an, ce qui apparaît relativement peu ;

- le crédit d'impôt n'est valable que dès lors que la dépense n'est pas prise en charge par une autre disposition législative ;

- il existe également des plafonds de plusieurs natures (42 fois le taux horaire du minimum garanti par journée de remplacement, limite de 4 associés par GAEC, comptabilisation de la dépense dans le total des aides de minimis par exploitant...) ;

- quand bien même il s'agit d'un crédit d'impôt et non d'une réduction d'impôt, il est prévu la restitution de ce qui excède l'impôt dû, ce qui en fait une réduction d'impôt de fait ;

- enfin et surtout, alors que près d'un chef d'exploitation sur six (70 000 personnes) adhère au service de remplacement, on observe un important phénomène de non-recours au service de remplacement et au crédit d'impôt auquel il donne droit.

En somme, le crédit d'impôt a bénéficié lors du dernier exercice fiscal à 31 647 ménages au total, dont plus d'un tiers pour maladie ou accident du travail, pour un montant moyen à hauteur de 700 € par ménage et par an.

II. Le dispositif proposé - La pérennisation et le relèvement des taux du crédit d'impôt pour dépenses de remplacement inciteront à prendre des congés et à recourir au service de remplacement

Le 1° du I procède à la pérennisation du crédit d'impôt au titre des dépenses engagées dans le but d'assurer le remplacement des exploitants agricoles pour congé, dont l'échéance était prévue, depuis la loi de finances pour 2022106(*), au 31 décembre 2024.

Actuellement limité dans le temps, comme du reste la plupart des dépenses fiscales, ce dispositif serait ainsi viabilisé afin de favoriser un changement de culture et de mentalité durable au sein de la profession agricole. Cet article part du constat que le non-recours à ce dispositif fiscal est davantage le fait d'exploitants n'ayant jamais bénéficié de ce dispositif que d'exploitants en ayant bénéficié sans épuiser le nombre de 14 jours. Il permet d'envoyer un signal économique mais aussi politique très clair à l'ensemble des exploitants agricoles.

Le 2° du I propose la hausse des deux taux du crédit d'impôt. Afin de conserver une différence de traitement, qui se justifie par elle-même, entre les congés pour maladie ou accident du travail et les congés pris pour convenance personnelle :

- il porte d'une part le taux de 50 à 66 % en cas de congés pour convenance personnelle. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire de donner de justification particulière ;

- il porte en outre le taux de 60 à 70 % des dépenses liées au remplacement, lorsque le congé est pris pour motif de maladie ou d'accident du travail.

Cette double augmentation aurait un coût de l'ordre de 5 millions d'euros par an, ce qui reste très limité au regard des bénéfices sociaux mais également économiques d'une telle mesure. En faisant une pause, les chefs d'exploitations améliorent en effet leur productivité, et permettent aux jeunes agriculteurs que sont souvent les remplaçants, de se former en appréhendant la diversité des modes de production sur plusieurs exploitations et en retenant les bonnes pratiques.

III. La position de la commission - Une mesure cruciale pour accorder un répit, ou au moins la possibilité d'un répit, aux exploitants agricoles, et ainsi aider l'agriculture à faire face au défi du renouvellement

L'intégralité des interlocuteurs entendus par la rapporteure pour instruire cette proposition de loi ont salué le présent article. D'après eux, dans le cadre des concertations en vue de l'élaboration du pacte et du projet de loi d'orientation et d'avenir sur l'agriculture (LOAA), le renforcement du crédit d'impôt pour dépenses de remplacement est revenu comme l'une des mesures les plus consensuelles.

Suivie dans son analyse de façon transpartisane par les membres de la commission, la rapporteure juge elle aussi la proposition de l'article 23 à la fois nécessaire et urgente pour encourager le répit des exploitants agricoles et faire face au défi du renouvellement des générations dans l'agriculture.

Elle a souligné que cet article correspondait aux recommandations n° 9 (pérennisation du crédit d'impôt) et n° 10 (hausse du taux des dépenses de remplacement pour motifs de maladie ou d'accident) du rapport précité de Mme Férat et de M. Cabanel107(*).

Elle a, en outre, rappelé qu'un dispositif quasi similaire108(*) au présent article avait été adopté par le Sénat en séance publique lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, à l'initiative des rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales109(*), mais pas retenu par l'Assemblée nationale dans la version définitive du budget.

La rapporteure se félicite que le crédit d'impôt soit pérennisé, ce qui garantit l'accompagnement des agriculteurs dans une temporalité allant au-delà de l'émotion médiatique suscitée par les drames d'exploitants commettant l'irréparable.

Elle accueille également de façon positive l'augmentation des taux proposée par les rapporteurs, formant le voeu que le nombre de foyers fiscaux bénéficiaires dépasse largement les 30 000 s'inscrivant actuellement dans le cadre de ce dispositif.

La commission a, en revanche, suivi l'avis de la rapporteure en rejetant plusieurs amendements qui proposaient une prise en charge intégrale des dépenses de remplacement. Ces propositions auraient paradoxalement eu pour effet de fragiliser le dispositif, en augmentant la dépense fiscale associée sans pour autant accroître nécessairement l'incitation à prendre des congés, et en prenant le risque de créer des effets d'aubaine pour les exploitants ayant déjà recours au dispositif.

Comme l'a souligné le focus thématique du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale consacré au service de remplacement, davantage que sur le taux, c'est sur la disponibilité et la qualité du service de remplacement, inégales d'un département à l'autre, que demeurent les principales marges de progrès, en particulier dans le contexte actuel, auquel font face tous les secteurs économiques, de pénurie de main-d'oeuvre. En outre, la supervision d'une exploitation nécessite une polyvalence et une capacité de travail croissantes, à l'heure où les exploitations s'agrandissent et sont de plus en plus équipées en nouvelles technologies.

De ce fait, l'évolution incrémentale proposée à l'article 23, plus équilibrée et réaliste, paraît suffire sur le volet des incitations financières individuelles. Des améliorations pourront être apportées par la LOAA afin d'accompagner cette incitation fiscale par des mesures de nature à provoquer un changement de culture et à apporter des améliorations de nature organisationnelle.

Sans attendre cette échéance, la rapporteure a en revanche entendu rehausser le plafond maximal de 14 jours de recours au service de remplacement éligibles au crédit d'impôt, en ouvrant trois jours de plus, dédiés à des congés pour formation. Elle a proposé un amendement COM-30 en ce sens, adopté par la commission des affaires économiques.

En pratique, ils seront fongibles avec les autres jours de congé, si bien que pour les exploitants utilisant déjà une partie de leurs congés pour des actions de formation, ces trois jours supplémentaires pourront être utilisés sans justification particulière. Pour les autres, ils donneront une occasion supplémentaire de se former dans un contexte de mutations rapides de l'agriculture et de défis nouveaux. Ces trois jours supplémentaires seraient par exemple utilisés à bon escient pour valider les deux formations qui doivent l'être tous les cinq ans s'agissant du conseil stratégique phytosanitaire (voir article 18 sur la séparation de la vente et du conseil).

La rapporteure souligne que cette disposition ainsi amendée permet de prendre date dans la perspective du défi prochain du renouvellement, enclenchant dès aujourd'hui un cercle vertueux en matière de formation : non seulement les exploitants en activité peuvent parfaire leur formation mais, en outre, les jeunes remplaçants, peuvent gagner en expérience et faire un premier pas vers l'installation.

Outre un amendement de coordination de la rapporteure ( COM-29), la commission a adopté l'article ainsi modifié.

TITRE V

MAÎTRISER LES CHARGES DE PRODUCTION
POUR REGAGNER DE LA COMPÉTITIVITÉ-PRIX
Article 24

Révision des seuils d'applicabilité du régime micro-bénéfice-agricole (micro-BA) et de l'exonération d'imposition sur les plus-values de cession d'une exploitation agricole

Cet article vise à relever les seuils du passage du régime du micro-BA au régime réel simplifié (de 85 800 € à 100 000 € de recettes) et au-dessus duquel s'applique le régime réel normal (de 365 000 € à 450 000 €), ainsi qu'à relever le seuil en dessous duquel s'appliquent les exonérations de plus-values en cas de cession (de 250 000 € à 350 000 €), dans chaque cas uniquement pour les entreprises exerçant une activité agricole.

En redonnant toute leur portée à ces dispositifs, cet article donnerait un coup de pouce fiscal significatif à l'agriculture française.

La commission a adopté trois amendements de la rapporteure procédant respectivement :

- à une augmentation des seuils d'exonération de l'impôt sur le revenu (micro-BA et régime réel simplifié) moindre qu'initialement prévue, se calquant sur l'inflation cumulée depuis 2016 ( COM-31) ;

- à l'indexation triennale des seuils d'exonération partielle et totale des plus-values en cas de cession, sur l'inflation ( COM-33) ;

- et à la correction d'une erreur matérielle ( COM-32).

La commission a adopté l'article 24 ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Des seuils d'exonération fiscale de plus en plus inadaptés à la réalité des résultats des exploitations agricoles

A. Les seuils de passage du micro-BA au régime réel simplifié et de ce régime au régime normal réel ont progressivement été rognés par l'inflation et l'agrandissement tendanciel de la ferme France

Codifié à l'article 64 du code général des impôts, le régime du micro-bénéfice agricole (micro-BA) remplace depuis le 1er janvier 2016110(*) le régime dit du « forfait ».

Il s'agit d'un régime fiscal plus favorable que le régime normal d'impôt sur le revenu qui ne vaut que pour les exploitants agricoles et non, plus généralement, pour l'ensemble des travailleurs indépendants.

Le seuil en dessous duquel les exploitants agricoles sont imposés selon les règles du régime du micro-BA est fixé, depuis le 25 juillet 2020, à 85 800 € de chiffre d'affaires hors taxes sur trois années consécutives111(*).

Or, bien que ce seuil soit actualisé tous les trois ans, force est de constater qu'il ne l'est pas à la mesure de l'inflation observée, puisque ce seuil était de 76 300 € de recettes moyennes sur deux années consécutives en 2004, alors que dans le même temps l'inflation aurait dû le porter à environ 100 000 €.

Preuve en est, les régimes micro-BIC et micro-BNC, comparables au micro-BA mais pour les autoentrepreneurs, sont passés dans le même temps à 170 000 € pour les activités de vente et 70 000 € pour les activités non commerciales, une augmentation de près du double112(*).

Cette sous-indexation est d'autant plus flagrante depuis la dernière actualisation, en 2020, dans la mesure où l'inflation observée depuis 2022 a été, depuis lors, très forte.

Or, le critère du chiffre d'affaires fait que des entreprises ayant nominalement un résultat supérieur n'ont, en réalité, pas réalisé davantage de bénéfices - en effet, dans le même temps, les intrants et coûts de production ont augmenté d'autant, si ce n'est de plus.

Cela se traduit en particulier par une nécessaire comptabilisation des stocks et un alourdissement des obligations comptables, d'une part en passant du micro-BA au réel simplifié, mais également en passant du réel simplifié au réel normal (à 350 000 € de chiffre d'affaires).

Ces effets de seuil emportent deux problèmes :

- d'une part, ils peuvent freiner le développement d'exploitations de petite taille, découragées par la perspective de perdre le bénéfice du micro-BA ou du régime réel simplifié d'imposition ;

- d'autre part, ils peuvent, paradoxalement, favoriser la course à l'agrandissement, pour les entreprises qui sont aujourd'hui peu au-dessus de ces seuils et doivent compenser les surcoûts pour assurer leur équilibre économique par des économies d'échelles.

B. Le seuil d'exonération des plus-values en cas de cession n'a pas été actualisé depuis de trop nombreuses années

Le seuil en dessous duquel s'applique une exonération totale de plus-values en cas de cession est fixé à 250 000 € de recettes et celui en dessous duquel s'applique une exonération partielle à 350 000 € de recettes.

Ces seuils sont restés inchangés depuis 2004. Or, dans le même temps, ces recettes se sont accrues mécaniquement, par le seul fait de l'inflation cumulée.

Par conséquent, le ciblage de l'exonération totale ou partielle a changé de nature, perdant progressivement de sa portée et limitant les possibilités de moderniser les exploitations.

En revanche, l'exonération des plus-values en cas de transmission par cession progressive des actifs a été renforcée en 2022113(*).

II. Le dispositif proposé - Un rehaussement des seuils d'exonération de l'impôt pour les agriculteurs, sur leur revenu lié aux bénéfices agricoles ou aux cessions d'actifs

L'article 24 procède à deux modifications :

- d'une part, son 1° relève, à l'article 69 du code général des impôts, les seuils de passage du régime du micro-bénéfice agricole au régime réel simplifié (de 85 800 € à 100 000 € de chiffre d'affaires annuel) et de passage de ce régime au régime réel normal (de 365 000 € à 450 000 € de CA annuel), pour compenser la différence entre les actualisations de ce seuil et l'inflation observée sur les dernières années. Il leur applique ainsi une augmentation comprise entre 17 et 18 %, qui diffère légèrement pour parvenir à des seuils clairs et faciles à retenir pour tout exploitant ;

- d'autre part, son 2° rehausse, à l'article 151 septies du même code, le seuil en dessous duquel s'applique une exonération totale de plus-values en cas de cession, de 250 000 € à 265 000 € de recettes, et en dessous duquel s'applique une exonération partielle de 350 000 € à 371 000 € de recettes, mais uniquement pour les agriculteurs. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'une indexation pérenne sur l'inflation, mais simplement d'une correction ponctuelle liée à l'inflation anticipée en 2023, estimée à 6 %.

Ce dispositif, cosigné par de nombreux sénateurs, avait déjà été adopté par le Sénat en séance publique lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, à l'initiative des rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales114(*). Il avait toutefois été supprimé dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture et en lecture définitive.

Il s'agissait pourtant seulement d'un amendement de repli, les rapporteurs pour avis ayant cherché, par un autre amendement non adopté, à rehausser le seuil en dessous duquel s'applique l'exonération totale de plus-values à 350 000 € de recettes (plutôt que les 265 000 € du présent article), et le seuil de l'exonération partielle à 450 000 € (plutôt que les 371 000 € du présent article).

En somme, par ces deux évolutions, l'article 24 de la présente proposition de loi rattrape le retard pris depuis de trop nombreuses années dans l'actualisation du référentiel de définition d'une petite exploitation.

III. La position de la commission - Une mesure pragmatique venant rattraper des années perdues pour la rémunération et la compétitivité de la ferme France

Suivie dans son analyse par la majorité des membres de la commission, la rapporteure a jugé cette proposition équilibrée en ce qu'elle combine une mesure a priori plutôt favorable aux tout petits exploitants (relèvement du seuil d'applicabilité du micro-BA et de l'imposition réelle simplifiée) et une autre plutôt favorable aux exploitations de plus grande dimension (relèvement des seuils d'exonération totale et partielle des plus-values sur les cessions). Elle a également rappelé que le dispositif proposé au présent article avait été adopté par le Sénat en séance publique lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 et qu'il était par conséquent consensuel au sein de la Haute Assemblée.

Bien que les demandes des organisations professionnelles représentatives des exploitants agricoles soient plus ambitieuses encore, la rapporteure a, dans un souci de rigueur budgétaire, proposé un amendement augmentant les seuils d'exonération de l'impôt sur le revenu (micro-BA et régime réel simplifié) de façon moindre qu'initialement prévu, en se calquant sur l'inflation cumulée depuis 2016 ( COM-31).

Par ailleurs, la mise à jour insuffisante ou tout bonnement inexistante des seuils pris en compte pour l'imposition des plus-values des agriculteurs peut amener certains d'entre eux à maintenir leur production à leur étiage le plus bas, voire à sous-déclarer leurs recettes. La commission considère que ces différents seuils devront à partir de maintenant être régulièrement mis à jour afin de poursuivre la modernisation de notre agriculture, dans un contexte où la souveraineté alimentaire impose de produire plus et mieux, et où la transition agro-écologique requiert des investissements supplémentaires. C'est pourquoi elle a adopté un amendement de la rapporteure procédant à l'indexation triennale des seuils d'exonération partielle et totale des plus-values en cas de cession, sur l'inflation ( COM-33).

La rapporteure a toutefois rappelé qu'en tant qu'aides fiscales spécifiques au secteur agricole, les exonérations renforcées par le présent article aux articles 69 et 151 septies du code général des impôts, entraient dans le montant des aides de minimis au sens du règlement 1408/2013.

Outre un amendement de correction d'une erreur matérielle COM-32, la commission a adopté l'article 24 ainsi modifié.

Article 25

Taux de TVA à 5,5 % pour les prestations fournies
en vue de la pratique de l'équitation

Cet article vise à inclure les prestations fournies en vue de la pratique de l'équitation dans le champ des activités bénéficiant d'un taux de TVA réduit à 5,5 %. En pratique, cela vise les séances d'équitation ou les prises en pension, bénéficiant de ce fait principalement aux centres équestres, maillons essentiels de la ruralité et jouant un rôle éducatif et social important. Leurs marges avaient été rognées par le relèvement de la TVA à son taux normal de 20 % depuis une décision de la Cour de justice de l'Union européenne de 2012, sur laquelle une révision de la directive TVA d'avril 2022 permet de revenir.

Suivant l'avis de la rapporteure, la commission a adopté l'amendement COM-1 rect. bis du sénateur Jean-Pierre Vogel et de plusieurs de ses collègues, que le Sénat avait déjà adopté lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, pour ajouter au taux réduit de 5,5 % sur l'équitation, un taux intermédiaire de 10 % pour les autres prestations relatives à l'exploitation des chevaux, dont la vente et l'élevage. Ces activités sont en effet soumises à une intense concurrence extra- et intra-européenne, en particulier venue de l'Irlande, pour des raisons principalement fiscales.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Après plus d'une décennie de lutte au niveau européen pour reconnaître un taux réduit de TVA sur les équidés, la mesure votée dans le dernier projet de loi de finances apparaît bien timide

A. La suppression du taux réduit de TVA, surnommée « équitaxe », a porté préjudice à la filière équine pendant de trop nombreuses années

Un taux réduit de TVA à 5,5 % était applicable depuis 2004 à la filière équine115(*).

Cependant, en application d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne de 2012 condamnant la France en manquement116(*) (précédée de deux arrêts de 2011 qui avaient condamné d'autres États membres pour les mêmes raisons), sur le fondement de la directive qui encadre les taux intermédiaires, réduits et super-réduits de TVA117(*), l'administration fiscale a dû rapidement se mettre en conformité avec le droit de l'Union européenne.

Ce retour en arrière a fragilisé les centres équestres et mis un coup d'arrêt au développement de la pratique de l'équitation.

Fort de ce constat, le Gouvernement avait tenté, par l'interprétation de son administration fiscale, de ventiler diverses prestations à des taux différenciés de 20 ou de 5,5 %. Ainsi, un taux réduit, rattaché au point 13 de la directive, a continué de s'appliquer aux démonstrations et visites des centres équestres et à l'accès aux installations en vue de la pratique du sport équestre. Une nouvelle décision de la CJUE118(*) a fortement mis en doute la conformité au droit de l'Union européenne d'une telle ventilation, démembrant artificiellement une activité unique.

À l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022, le Gouvernement avait fait de l'obtention d'un taux de TVA réduit pour la filière équine l'une de ses priorités en matière fiscale, dans le cadre de la révision de la directive TVA qui a abouti en avril 2022. Les « équidés vivants et les prestations de services liées aux équidés vivants » (11 bis) peuvent de nouveau prétendre à un taux réduit aux termes de la directive.

Encore fallait-il que le Gouvernement et le Parlement exploitent cette possibilité en transposant cette directive en droit interne.

B. L'Assemblée nationale et le Gouvernement sont loin d'avoir exploité toutes les marges de manoeuvre que le droit européen leur laisse pourtant désormais

À l'initiative des députés du groupe Renaissance119(*), la dernière loi de finances120(*) a prévu un taux réduit de TVA de 5,5 % pour la vente :

- des « denrées alimentaires destinées à la consommation des animaux producteurs de denrées alimentaires elles-mêmes destinées à la consommation humaine, les produits normalement destinés à être utilisés dans la préparation de ces denrées et les produits normalement utilisés pour compléter ou remplacer ces denrées » ;

- ainsi que des « produits d'origine agricole, de la pêche, de la pisciculture ou de l'aviculture lorsqu'ils sont d'un type normalement destiné à être utilisé dans la production agricole ».

Ainsi, cet amendement, qui concerne l'élevage en général et pas seulement l'élevage d'équidés, abaisse à 5,5 % le taux de TVA en matière agricole et d'alimentation animale. Cela revient de fait à un alignement avec le taux applicable à l'alimentation humaine.

Là où s'appliquait un taux de 10 % pour l'achat et de 5,5 % pour la vente, un taux uniforme de 5,5 % prévaudra désormais, réduisant les complexités fiscales et les coûts de trésorerie.

Toutefois, alors qu'il s'y était engagé, dès lors que la possibilité lui en était offerte au niveau européen, le Gouvernement n'a pas proposé, dans la loi de finances pour 2023, un retour à la situation antérieure à la décision de 2012.

Or, 21 des 24 secteurs éligibles à un taux réduit de TVA bénéficient déjà de cette possibilité en France. Aussi convient-il de ne pas baisser la garde pour la filière équine.

II. Le dispositif envisagé - Un taux de taxe sur la valeur ajoutée réduit à 5,5 % pour les prestations fournies en vue de la pratique de l'équitation

L'article 25 ajoute un O à l'article 278-0 bis du code général des impôts qui permet d'inclure « les prestations fournies en vue de la pratique de l'équitation » dans le champ des activités bénéficiant d'un taux de TVA réduit à 5,5 %.

En pratique, cet item vise les séances d'équitation ou les prises en pension, bénéficiant de ce fait principalement aux centres équestres.

Il ne concerne pas les autres prestations liées à l'exploitation du cheval, dont l'élevage, la vente ou l'entraînement des chevaux de course.

Il constitue de ce fait l'amendement de repli qui avait été déposé au Sénat par un large nombre de sénateurs lors de l'examen du précédent projet de loi de finances, mais pas sa version maximaliste.

III. La position de la commission - En complément du taux réduit de 5,5 % prévu pour l'équitation, l'importance d'appliquer un taux intermédiaire de TVA à 10 % pour la vente de chevaux et d'autres prestations liées à l'exploitation du cheval

Les interlocuteurs entendus par la mission ont salué l'abaissement de la TVA à un taux réduit de 5,5 % pour l'équitation, bénéficiant principalement aux centres équestres, qui pourront ainsi rétablir leurs marges.

La rapporteure Sophie Primas a insisté sur la bouffée d'oxygène que cette mesure représente pour les centres équestres, qui en l'absence de taux réduit sont souvent loin d'atteindre un équilibre économique et dont un grand nombre n'ont pu se maintenir que par la seule passion et la seule énergie de leurs gérants.

Or, les centres équestres jouent un rôle essentiel de pourvoyeur d'emplois dans la ruralité, et en particulier d'emploi féminin. En outre, le modèle français d'équitation de prise en pension des chevaux permet une large pratique, très loin de l'image d'un sport réservé aux plus aisés : le maintien d'une offre large bénéficie ainsi au plus grand nombre.

En revanche, certains interlocuteurs, dont la FNSEA, ont souligné, à raison, que les autres prestations liées à l'exploitation du cheval, comme l'élevage, n'étaient pas concernées par ce taux réduit. Or, l'élevage français d'équidés fait face à une forte concurrence au sein de l'Union européenne, en particulier de la part de l'Irlande, et notamment pour des raisons fiscales.

Suivant l'avis favorable de la rapporteure, la commission a donc adopté un amendement COM-1 du sénateur Jean Pierre Vogel (LR - Sarthe) et de plusieurs de ses collègues, qui maintient le taux réduit de 5,5 % pour les prestations fournies en vue de la pratique de l'équitation (article 278-0 bis du code général des impôts), tout en prévoyant également un taux intermédiaire de 10 % pour « les livraisons d'équidés vivants et les prestations suivantes relatives à leur exploitation, à savoir la préparation et l'entraînement, la location et la prise en pension des équidés » (article 278 bis du même code), hormis bien sûr dans le cas où le taux de 5,5 % trouve déjà à s'appliquer.

La rapporteure a rappelé qu'il s'agissait du dispositif voté en séance publique au Sénat121(*) lors de l'examen du dernier projet de loi de finances (en dépit d'un avis défavorable du Gouvernement et d'un simple avis de sagesse de la commission des finances), avant d'être supprimé dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture et en lecture définitive, afin de ne pas créer de précédent en matière de taux réduit alors qu'une baisse de TVA sur l'énergie était par ailleurs demandée par certains parlementaires.

Déjà déposé alors par le sénateur Jean Pierre Vogel, président du groupe d'études « Cheval » du Sénat, cet amendement avait été cosigné par plus de quatre-vingt sénateurs, y compris par les présidents des groupes LR et UC et par la rapporteure de la présente proposition de loi. Il reflète ainsi la position consensuelle du Sénat et, au demeurant, des différents segments de la filière cheval.

La rapporteure n'a toutefois pas donné suite à la proposition de la FNSEA d'appliquer également un taux réduit de 5,5 % à ces activités (vente de chevaux et aux autres prestations liées à l'exploitation du cheval). En effet, ce taux est généralement réduit aux produits de première nécessité, ce que n'est manifestement pas l'élevage de chevaux.

En outre, cela représenterait un effort budgétaire significatif alors que les finances publiques ne sont pas à l'équilibre, le coût estimé de l'article 25 dans sa version initiale étant de 40 millions d'euros par an, et dans sa version modifiée par l'amendement COM-1 rect. bis, de 190 millions d'euros par an (en cumulant le coût du taux réduit et celui du taux intermédiaire).

La commission a adopté l'article 25 ainsi modifié.

TITRE IV

DISPOSITIONS DIVERSES
Article 26

Gage financier de la proposition de loi

Cet article 26 vise à gager les conséquences financières qui résulteraient de l'adoption de la présente proposition de loi pour l'État et pour les organismes de sécurité sociale par une augmentation de la fiscalité sur les tabacs.

La commission a adopté l'article 26, modifié par un amendement COM-34 de la rapporteure pour gager les conséquences financières de la proposition de loi pour les collectivités territoriales.

I. Le dispositif proposé - Un gage pour les conséquences financières de la proposition de loi pour l'État et les organismes de sécurité sociale

Le I de l'article 26 gage les conséquences financières qui résulteraient de l'adoption de la présente proposition de loi pour l'État par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs, prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. Cela permettrait en particulier de couvrir les diminutions de recettes fiscales de l'État prévues aux articles 5 à 7 et 23 à 25 de la présente proposition de loi.

Le II gage les conséquences financières qui résulteraient de l'adoption du texte pour les organismes de sécurité sociale également par une augmentation de la fiscalité sur les tabacs. Cela permet notamment de couvrir les articles 21 et 22 de la présente proposition de loi.

II. La position de la commission - Une nécessité imposée par l'article 40 de la Constitution, pour toute diminution de ressources publiques

Cet article permet d'assurer la recevabilité de la présente proposition de loi au regard de l'article 40 de la Constitution.

La commission a adopté un amendement COM-34 de la rapporteure pour gager les conséquences financières de la proposition de loi pour les collectivités territoriales. En effet, son article 3 affecte une fraction de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) à un fonds spécial pour la compétitivité des filières agricoles en difficulté, alors qu'elle est aujourd'hui affectée aux communes et aux EPCI. Ce gage permettrait également de couvrir l'adoption d'éventuels amendements grevant également les recettes des collectivités.

Cette précision ayant été apportée, la rapporteure a proposé à la commission d'adopter l'article, soulignant qu'il reviendra au Gouvernement de lever le gage s'il souhaite témoigner de son soutien à cette initiative parlementaire, en vue de son adoption par les deux chambres.

La commission a adopté l'article 26 ainsi modifié.


* 1 Rapport d'information n° 905 (2021-2022) des rapporteurs Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou déposé le 28 septembre 2022. En ligne : https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-905-notice.html

* 2 Article L. 621-3 du CRPM.

* 3 Grandes cultures, ruminants, viandes blanches, produits de la pêche et aquaculture, fruits et légumes, vin et cidre, production végétales spécialisées

* 4 Article L. 513-1 du code rural et de la pêche maritime.

* 5 Article L. 513-2 du même code.

* 6 De 42 tonnes en 2010 à 35 tonnes en aujourd'hui.

* 7 Passant de 700 000 tonnes en 2014 à 350 000 tonnes en 2021.

* 8 Direction générale du Trésor, Trésor-Eco n° 230, « Comment expliquer la réduction de l'excédent commercial agricole et agroalimentaire ? », octobre 2018.

* 9 Rapport d'information n° 620 (2020-2021) de MM. Laurent Duplomb, Hervé Gillé, Daniel Gremillet, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Frédéric Marchand et Mme Kristina Pluchet, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques, déposé le 19 mai 2021 - groupe de travail « Alimentation durable et locale ».

* 10 Article L.221-5 du CMF.

* 11 Article L.221-7 du CMF.

* 12 Source : Fédération bancaire française, à partir des données Banque de France.

* 13 Banque de France, Présentation trimestrielle de l'épargne des ménages, février 2023.

* 14 Agreste, Les résultats économiques des exploitations agricoles en 2019, décembre 2020.

* 15 Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, sur les mesures de relance de l'investissement, à Paris le 8 avril 2015

* 16 Cuma qui sont, elles, exonérées d'IS et donc inéligibles au dispositif

* 17 https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/10 079-PGP.html

* 18 Source : Insee, enquête sur les investissements dans l'industrie, juillet 2021

* 19 Rapport d'information du 28 septembre 2022 sur la compétitivité de la Ferme France

* 20 Rapport interministériel CGAAER n° 22 105, IGEDD n° 014 714-01 et IGA n° 22087R : Retour d'expérience sur la gestion de l'eau lors de la sécheresse 2022, mars 2023

* 21 En 2017, environ 5 700 agriculteurs ont eu recours à la DPA, et 41 300 à la DPI (Rapport général n° 147 fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2019, novembre 2018).

* 22 Article 27.

* 23 Cette évolution ne permettant cependant pas à la France de véritablement venir concurrencer ses voisins européens, puisqu'en moyenne, une ferme laitière française ne compte que 66 vaches, contre environ 200 en Allemagne.

* 24 Économie agricole, Analyses et perspectives, n° 2207, Chambres d'agriculture France, juillet 2022.

* 25 Arrêté du 15 septembre 2014 relatif aux conditions d'épandage par voie aérienne des produits mentionnés à l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime

* 26 Un arrêté ministériel du 22 juin 2016 a ainsi établi une dérogation temporaire pour l'épandage par voie aérienne de produits phytopharmaceutiques pour les vignes présentant une pente supérieure à 90 % dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin contre le développement rapide du mildiou.

* 27 Arrêté du 26 août 2019 relatif à la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques

* 28 Disponible ici : https://www.anses.fr/fr/system/files/PHYTO2019SA0093.pdf

* 29 CE, 3ème - 8ème chambres réunies, 26/07/2021, 439 902, Inédit au recueil Lebon

* 30 Disponible ici : https://www.anses.fr/fr/system/files/PHYTO2022AST0026.pdf

* 31 Source : État des lieux de la compensation carbone en France, Info compensation carbone, 2022.

* 32 L'arrêté du 28 novembre 2018 précise toutefois que le label ne reconnaît pas de réduction d'émissions classiques pour les quantités de GES qui auraient donné lieu à la restitution d'un quota SEQE-UE si elles avaient été émises ou séquestrées.

* 33 En raison de la faible disponibilité du parc nucléaire français pour l'hiver 2023, il a été prévu de remettre en fonctionnement deux centrales à charbon. Pour en limiter l'impact climatique, il a été décidé que les émissions accrues qui en résulteraient devraient faire l'objet d'une obligation de compensation carbone, par l'intermédiaire du Label bas-carbone.

* 34 Article 76 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

* 35 Directive 2001/110/CE du Conseil du 20 décembre 2001 relative au miel.

* 36 Règlement (CE) n° 1760/2000 du Parlement européen et du Conseil du 17 juillet 2000 établissant un système d'identification et d'enregistrement des bovins et concernant l'étiquetage de la viande bovine et les produits à base de viande bovine, et abrogeant le règlement (CE) 820/97 du Conseil et décret n° 2002-1465 du 17 décembre 2002 relatif à l'étiquetage des viandes bovines, porcines, ovines et de volailles dans les établissements de restauration.

* 37 Décret n° 2022-65 du 26 janvier 2022.

* 38 Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information.

* 39 Décision CJUE, 1996, CIA Security.

* 40 Décision CJUE, 2000, Unilever.

* 41 Rapport d'information n° 742 (2021-2022), déposé le 29 juin 2022 : « Information du consommateur : privilégier la qualité à la profusion », de M. Fabien Gay, Mme Florence Blatrix Contat et Mme Françoise Férat. En ligne : https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-742-notice.html

* 42 Loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

* 43 En ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/ ?uri=CELEX :32018R0775# :~ :text=Il %20est %20applicable %20 %C3 %A0 %20partir,jusqu' %C3 %A0 %20 %C3 %A9puisement %20des %20stocks.

* 44 Recommandation n° 4 de l'avis du 20 septembre 2021 du Conseil national de la consommation. En ligne : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cnc/origine-ingredient-aliment-transforme/avis_origine_denrees.pdf ?v=1674 649 816

* 45 CE, 10 mars 2021, affaire « Lactalis », décision n° 404 651. En ligne : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-03-10/404 651

* 46 Arrêt C-485/18.

* 47 Décret des 19 août 2016, 24 décembre 2018 et du 27 mars 2020.

* 48 État des lieux des consommations alimentaires et apports nutritionnels dans la restauration hors foyer en France, à partir des données de l'étude INCA3 (2014-2015). En ligne : https://www.anses.fr/fr/system/files/OQALI2018SA0291Ra.pdf

* 49 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

* 50 Le critère « local » reste en revanche interdit, comme dans le droit de la commande publique, afin d'éviter toute discrimination fondée sur l'origine au sein du marché intérieur de l'Union européenne. Une telle disposition serait déclarée non conforme au droit de l'Union européenne si elle était contestée à l'occasion d'un litige.

* 51  https://observatoire-restauration-biodurable.fr/sites/default/files/RAPPORT %20de %20l %27OBSERVATOIRE %20de %20la %20RESTAURATION %20COLLECTIVE %20BIO %20et %20DURABLE %202 022 %20- %20Un %20Plus %20Bio.pdf

* 52 En ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/ ?uri=CELEX :52010DC0543

* 53 En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf ?id=piJ04k6FSPLRxZ_VKRa5GJBvvkSNx4jnml536XFhvBE=

* 54 Arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.

* 55 Article 125 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, codifié à l'article L. 253-8 du code rural.

* 56 Loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

* 57 CJUE, 19 janvier 2023, n° C-162/21.

* 58 Par exemple, il est établit que le diuron et le métam-sodium sont responsables d'une forte pollution des eaux, avec, pour le diuron, une permanence dans les eaux bretonne plus de dix ans après son interdiction. Le métam-sodium a quant à lui été responsable de l'intoxication de 76 personnes en 2018, précipitant son interdiction.

* 59 Source : données Interfel.

* 60 Règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE. En ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=celex %3A32019R0006

* 61 Arrêté du 21 février 2022 portant suspension d'introduction, d'importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d'animaux provenant de pays tiers à l'Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000 045 198 272

* 62 Arrêté du 27 février 2023 portant suspension d'introduction, d'importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d'animaux provenant de pays tiers à l'Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000 047 247 102

* 63 https://www.anses.fr/fr/content/encadrement des pesticides en agriculture.

* 64 À noter qu'il n'existe pas encore de règlementation harmonisée concernant les matières fertilisantes et supports de culture. L'Anses se conforme alors, dans ses activités, à la législation nationale, complétée de certaines exigences européennes.

* 65 L'herbicide S-métolachlore, très utilisé dans la culture du maïs, s'est vu retiré ses AMM à la suite d'une saisine du 17 mai 2021 de la direction générale de l'alimentation, la direction générale de la santé et de la direction générale de la prévention des risques, en application de l'article 44 du règlement précité. L'Anses a pris la décision, le 20 janvier 2023, de retirer les AMM des principaux usages de produits contenant la substance active en question.

* 66 Il est à noter que les décisions prises par le directeur général de l'Anses ne sont susceptibles d'aucun recours hiérarchique.

* 67 Ministères de la santé, de l'environnement, de l'agriculture, du travail et de la consommation.

* 68 Graph'Agri 2022, ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, 4e trimestre 2022.

* 69 De l'ordre de 1 à 30 % selon le retour d'expérience sur la gestion de l'eau lors de la sécheresse de 2022, mars 2023.

* 70  https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2012_03%20guide%20juridique_construction%20retenues.pdf

* 71 Loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, loi n° 2004-338 du 21 avril 2004 portant transposition de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.

* 72 Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.

* 73 En France, en 2015, 69,1 % des masses d'eau souterraines et 62,9 % des masses d'eau de surface sont en bon état chimique, en nette augmentation depuis 2009. 89,8 % des masses d'eau souterraines sont en bon état quantitatif, un chiffre stable par rapport à 2009. Enfin, 44,2 % des eaux de surface sont en bon ou très bon état écologique, et 39,4 % dans un état moyen, là aussi en augmentation. Source : Ministère de la transition écologique, Eau et milieux aquatiques, les chiffres clés, décembre 2022.

* 74  https://www.eaufrance.fr/sites/default/files/2019-04/impact-cumule-des-retenues-d-eau-sur-le-milieu-aquatique-afb-2017-027.pdf.

* 75 Évaluation des actions pour le retour à une gestion quantitative équilibrée de la ressource en eau sur le Marais poitevin, bassins Lay, Vendée et Autizes Rapport d'observation 15 avril 2021.

* 76 Articles L.212-1 à L. 212-2-3 du code de l'environnement.

* 77 Articles L. 212-3 à L. 212-11 du code de l'environnement.

* 78 Conseil constitutionnel n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020.

* 79 L'article R. 254-26-4 du CRPM allège par ailleurs les prescriptions de certaines petites exploitations agricoles.

* 80 Article R. 254-26-3 du CRPM

* 81 Ces substances sont divisées en deux catégories : les CMR1, dont le potentiel est avéré ou présumé, et les CMR2, dont le potentiel est suspecté.

* 82 Insee focus n° 212, 23 octobre 2020

* 83 MSA, notre de conjoncture n° 55, 7 décembre 2020

* 84 Insee, Emploi salarié et non salarié par activité, 26 janvier 2023.

* 85 Articles R. 6123-3 à R6123-3-2 du code du travail.

* 86 Article L. 6123-4.

* 87 Dares, Les emplois vacants, 17 mars 2023.

* 88 CNAF, Rapport d'activité de la branche famille, 2021.

* 89 Rapport n° 517 de la commission des affaires sociales du Sénat, avril 2021.

* 90 Articles L. 262-35 et L. 262-36 du code de l'action social et des familles.

* 91 Rapport n° 517 de la commission des affaires sociales du Sénat, avril 2021, selon les chiffres de la Drees.

* 92 Source : Évaluation du dispositif de cumul entre RSA et emploi, Asdo études pour le conseil départemental de Dordogne, décembre 2021

* 93 Pôle emploi, « Besoins en main-d'oeuvre 2023 ».

* 94 Article L. 714-16 du code rural et de la pêche maritime.

* 95 Article 8 de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, modifié plusieurs fois et, pour la dernière fois, par l'article 8 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.

* 96 En ligne : https://www.senat.fr/enseance/2022-2023/96/Amdt_968.html

* 97 En ligne : https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/96/Amdt_970.html

* 98 Article 61 de la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.

* 99 Article 52 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 100 Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d'assurance chômage.

* 101 Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage.

* 102 Ainsi que : autres activités spécialisées, scientifiques et techniques ; hébergement et restauration ; production et distribution d'eau-assainissement, gestion des déchets et dépollution ; transports et entreposage ; fabrication de produits en caoutchouc et en plastique, et d'autres produits non métalliques ; travail du bois, industrie du papier et imprimerie.

* 103  Question écrite n° 14 380 ,15législature : https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ200 214 380.html

* 104 Rapport d'information n° 451 (2020-2021) de M. Henri Cabanel et Mme Françoise Férat, Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 mars 2021. En ligne : https://www.senat.fr/rap/r20-451/r20-451.html

* 105 Article 200 undecies du code général des impôts.

* 106 Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 107 Rapport d'information n° 451 (2020-2021) de M. Henri Cabanel et Mme Françoise Férat, Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 mars 2021. En ligne : https://www.senat.fr/rap/r20-451/r20-451.html

* 108 Hausse de 60 à 66 % pour maladie ou accident du travail, et de 50 % à 60 % pour le taux normal.

* 109 En ligne : https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/114/Amdt_I-1597.html

* 110 Article 33 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

* 111 Article 69 du code général des impôts.

* 112 Article 22 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 113 Article 238 quindecies du code général des impôts, issu de la loi de finances pour 2022.

* 114 En ligne : https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/114/Amdt_I-1595.html

* 115 Loi de finances pour 2004 et loi relative au développement des territoires ruraux du 23 février 2005.

* 116 CJUE, 8 mars 2012, C-596/10. En ligne : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf ?docid=120 126&amp ;doclang=FR

* 117 Directive 2006/112 du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

* 118 CJUE, 10 novembre 2016, Pavlina Bastova, C 432/15.

* 119 En ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/0273A/AN/3445

* 120 En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000 046 845 699

* 121 https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/114/Amdt_I-25.html