INTRODUCTION

La commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique a été constituée en séance publique au Sénat le 1er juin 2023. Elle a tenu sa réunion constitutive le 6 juin, et a désigné à cette occasion Catherine Morin-Desailly présidente, Patrick Chaize et
Loïc Hervé rapporteurs. Les membres de la commission spéciale représentent toutes les commissions permanentes et tous les groupes politiques du Sénat.

Le calendrier d'examen du texte n'a laissé qu'un temps très réduit au Sénat pour mener ses travaux7(*), d'autant plus que le projet de loi aborde un grand nombre de thématiques dans différents domaines des politiques publiques, ainsi que des sujets innovants qui n'ont encore jamais fait l'objet d'un examen parlementaire. Malgré tout, en ce temps très contraint,
la commission spéciale a organisé huit auditions plénières8(*) et 21 auditions des rapporteurs, de nombreuses contributions écrites ayant été également communiquées.

Les travaux de la commission spéciale avaient cependant été largement préparés en amont par les différentes instances du Sénat,
qui ont analysé en profondeur ces dernières années les différents aspects de la régulation de l'économie et des usages numériques, aux niveaux national et européen.

Les travaux de la Haute Assemblée avaient notamment porté sur les trois axes majeurs du projet de loi :

la protection des mineurs contre les contenus à caractère pornographique et le cyberharcèlement, notamment dans la lignée des travaux de la délégation aux droits des femmes ;

- la reconquête d'une souveraineté économique européenne, un objectif conforté par la crise pandémique et la guerre aux frontières de l'Europe et dont le numérique constitue une part essentielle.
La commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques avaient longuement travaillé sur cette question ;

la régulation d'ensemble de l'économie, des marchés et des services numériques, avec des résolutions européennes adoptées pendant la phase de négociation par la France des trois projets de règlements sur les services numériques, les marchés numériques et la gouvernance des données, et qui ont permis d'en améliorer le contenu. Le projet de loi procède aux adaptations nécessaires de notre droit interne pour rendre ces règlements d'application directe pleinement opérationnels.

Même si beaucoup reste à faire, l'examen du projet de loi permet ainsi au Sénat de faire valoir ses propositions afin de renforcer la régulation d'un espace numérique autant source d'opportunités que d'inquiétudes.

I. PREMIER AXE : LA PROTECTION DES CITOYENS ET DES MINEURS

La protection des mineurs constitue une préoccupation constante du Sénat. Ainsi, le rapport9(*) de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes d'Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, consacré à l'industrie pornographique a largement décrit les effets toxiques de l'accès des plus jeunes aux sites à caractère pornographique, tandis que la commission des lois, à l'initiative de son rapporteur Marie Mercier, a doté l'Arcom d'un rôle en matière de contrôle de la restriction d'accès des mineurs aux sites à contenus pornographiques10(*).

A. DES RÈGLES EUROPÉENNES (ENFIN) PLUS PROTECTRICES

Le règlement européen sur les services numériques comprend trois dispositions permettant précisément de renforcer la protection des mineurs en ligne :

Ø de manière générale, chaque fournisseur de services intermédiaires doit, à la suite d'une injonction émise par les autorités compétentes, agir contre les contenus illicites (dont les contenus pédopornographiques) ;

Ø plus spécifiquement, les fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs doivent mettre en place des « mesures appropriées et proportionnées pour garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des mineurs sur leur service » ;

Ø enfin, ces fournisseurs de plateformes ne doivent pas développer des publicités en ligne ciblées visant les mineurs.

Une proposition de règlement européen établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants, en cours de négociation au niveau européen, et au sujet de laquelle le Sénat a adopté, le 15 février dernier, une résolution européenne11(*) sur le rapport des sénateurs Catherine Morin-Desailly, Ludovic Haye et André Reichardt, tend à renforcer les obligations imposées aux fournisseurs de services d'hébergement et de communications interpersonnelles afin d'assurer la protection des mineurs en ligne. Ce texte leur impose en particulier, sur injonction des autorités nationales compétentes, de détecter les contenus pédopornographiques en ligne, de les retirer ou d'en bloquer l'accès, sous peine de sanctions.


* 7 Dans son avis du 27 avril, le Conseil d'État déplore également « les délais particulièrement resserrés » de présentation du texte, ce qui n'est « pas de nature à permettre de garantir pleinement la sécurité juridique ».

* 8 L'ensemble des comptes rendus et des captations sont disponibles sur la page Internet de la commission spéciale.

* 9  Rapport d'information n° 900 (2021-2022), fait par Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur l'industrie de la pornographie, déposé le 27 septembre 2022.

* 10 Dans le cadre de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales (dossier législatif en ligne).

* 11  Résolution européenne n° 77 (2022-2023) du 15 février 2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants - COM(2022) 209 final, présentée par Ludovic Haye, Catherine Morin-Desailly et André Reichardt.

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