TITRE
III
LEVER LES FREINS AU RECRUTEMENT DES DEMANDEURS D'EMPLOI
SÉNIORS
Article 4
Création d'un contrat de valorisation de
l'expérience
Cet article propose de créer un nouveau contrat à durée indéterminée (CDI) à destination des demandeurs d'emploi expérimentés, qui permettrait à leur employeur de procéder à leur mise à la retraite une fois l'âge d'obtention d'une pension de retraite à taux plein atteint, et de bénéficier d'une exonération de la contribution employeur spécifique sur l'indemnité de mise à la retraite.
La commission a adopté cet article modifié par deux amendements procédant à la précision du caractère expérimental de la mesure ainsi qu'à d'autres précisions d'ordre rédactionnelles.
I°- Le dispositif proposé
A. Le droit en vigueur offre plusieurs types de contrats dédiés aux travailleurs expérimentés, qui semblent peu attractifs
1. Face aux difficultés rencontrées par les séniors sur le marché de l'emploi, les dispositifs d'aide se sont multipliés
Les personnes âgées de 55 à 64 rencontrent des difficultés spécifiques relatives à l'emploi, ce qui se traduit en 2023 par un taux d'emploi de 58,4 %, contre 82,6 % pour celles âgées de 25 à 49 ans44(*). Bien que ces taux continuent d'augmenter pour atteindre leurs plus hauts niveaux depuis 1975, l'analyse du marché de l'emploi réalisée par l'Unédic45(*) met en évidence un âge pivot, de 56 ans, à partir duquel le taux d'accès à l'emploi durable devient significativement plus faible qu'à 50 ans.
Face à ce constat, les dispositifs mis en place par les pouvoirs publics sont de deux ordres. D'une part des contrats spécifiques à destination des séniors, et d'autre part une mobilisation accrue des contrats et aides génériques à destination des personnes rencontrant des difficultés d'insertion sociale et professionnelle.
· L'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 relatif à l'emploi des séniors a conduit à la création d'un contrat à durée déterminée (CDD) sénior pour favoriser le retour à l'emploi des chômeurs séniors46(*). Ce contrat, qui ne nécessite pas de correspondre aux conditions de recours habituelles du CDD, est d'une durée maximum de 18 mois, renouvelable une fois. Conclu avec un salarié de plus de 57 ans inscrit comme demandeur d'emploi depuis plus de trois mois ou bénéficiant d'un contrat de sécurisation professionnelle après un licenciement économique, il doit lui permettre d'acquérir, par son activité, des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein.
Le CDD sénior ne faisant pas l'objet d'un suivi statistique, il est difficile d'en évaluer le recours exact. Cependant, il semble qu'il soit très peu mobilisé par les entreprises, puisqu'à titre illustratif, au 1er mars 2023 seules 38 offres d'emploi en CDD seniors étaient disponibles sur le site de Pôle emploi, contre 675 511 offres en CDI et 144 367 en CDD selon la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP).
· Parmi les contrats aidés particulièrement mobilisés au profit des séniors, il faut souligner le contrat à durée indéterminée (CDI) inclusion. Depuis 202047(*) il permet aux services d'insertion par l'activité économique (SIAE) d'embaucher des personnes âgées d'au moins 57 ans rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières. Ce contrat se destine donc aux demandeurs d'emploi très éloignés de l'emploi, depuis au moins douze mois, qui n'ont pas d'autres possibilités avant de liquider leurs droits à pension.
En 2023, il a été conventionné 1 151 équivalents temps plein (ETP) en CDI inclusion, avec un nombre de contrats réalisés de 714 - en hausse de 23,9 % par rapport à 2023 selon la DGEFP.
· En outre, les dispositifs de droit commun peuvent être proposés aux demandeurs d'emploi seniors, tels que les parcours emplois compétences dans le secteur non marchand ou dans le secteur marchand (CUI-CAE et CUI-CIE).
2. Afin de renforcer le recours aux dispositifs en faveur des seniors, le Sénat a proposé un contrat de fin de carrière ambitieux, censuré comme cavalier social
Durant l'examen au Sénat de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, la commission des affaires sociales a adopté un amendement des rapporteurs M. René-Paul Savary et Mme Élisabeth Doineau, portant la création d'un nouveau contrat, dit de « fin de carrière ».
Ce contrat visait à offrir un outil supplémentaire aux employeurs pour favoriser l'emploi des seniors et ainsi lutter contre le chômage qu'ils connaissent. Afin d'inciter les entreprises à y recourir, une exonération de cotisations famille était prévue afin « de réduire le coût du travail du salarié senior qui, compte tenu de son expérience, peut prétendre à une rémunération plus élevée qu'un jeune actif »48(*). Par ailleurs, ce contrat ouvrait la possibilité à l'employeur de mettre à la retraite d'office son salarié une fois qu'il atteignait les conditions d'une retraite à taux plein, et non plus à partir de 70 ans49(*). Enfin, le dispositif précisait que les partenaires sociaux pouvaient déterminer, par accord de branche, les activités concernées, les mesures d'information du salarié sur la nature de son contrat et les contreparties dont il pouvait bénéficier en termes de rémunération et d'indemnité de mise à la retraite.
Cet article additionnel avait alors été adopté contre l'avis du Gouvernement, qui soulignait le coût des exonérations associées sans pour autant préciser les hypothèses retenues dans son chiffrage de la mesure50(*). La décision du Conseil constitutionnel du 14 avril 2023 a cependant censuré cette disposition comme cavalier social51(*).
B. Le dispositif proposé : un contrat de valorisation de l'expérience plus incitatif pour les employeurs
L'article 3 de l'accord national interprofessionnel du 14 novembre 2024 en faveur de l'emploi des salariés expérimentés invite à « lever les freins au recrutement des demandeurs d'emploi séniors » en créant un contrat de valorisation de l'expérience.
En application de cet accord, le présent article propose la création pour cinq années, d'un nouveau contrat à durée indéterminée dit « de valorisation de l'expérience ».
Le I précise les conditions d'éligibilité des salariés, qui doivent cumulativement : avoir au moins 60 ans52(*), être inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi, ne pas pouvoir bénéficier d'une pension de retraite à taux plein et ne pas avoir été employés au sein de l'entreprise ou de son groupe durant les six mois précédents l'embauche.
Le II prévoit que le salarié est tenu de remettre à son employeur, lors de l'embauche, un document de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) précisant la date prévisionnelle à laquelle il pourra bénéficier d'une retraite à taux plein. Si cette date évolue, le salarié est tenu d'en informer son employeur durant l'exécution de son contrat.
Le III permet à l'employeur une mise à la retraite d'office de son salarié, avant 70 ans, dès lors que celui-ci atteint l'âge légal de départ à la retraite et remplit les conditions de liquidation d'une retraite à taux plein
Le IV précise que si les conditions du III ne sont pas respectées, la mise à la retraite du salarié par l'employeur constitue un licenciement.
Le V prévoit, pour trois ans, une exonération pour l'employeur de la cotisation patronale spécifique de 30 % sur le montant de l'indemnité de mise à la retraite. Le montant de cette exonération ne peut excéder les sommes dues en vertu de dispositions législatives ou conventionnelles. Il est à souligner que la limitation du bénéfice de cette exonération à trois ans s'explique par le monopole de la loi de financement de la sécurité sociale pour les exonérations de cotisations sociales supérieures à trois ans53(*).
II - La position de la commission
Le présent article assure une transposition fidèle de la volonté des partenaires sociaux exprimée à l'article 3 de l'ANI précité de créer un contrat à destination des demandeurs d'emploi expérimentés afin de faciliter leur retour à l'emploi.
Dans la lignée du contrat de fin de carrière proposé par le Sénat, le contrat de valorisation de l'expérience permet de concilier les intérêts du salarié en lui offrant une garantie de ne pas être mis à la retraite par son employeur avant qu'il puisse liquider une pension à taux plein, tout en offrant la flexibilité nécessaire à l'employeur pour prévoir ladite mise à la retraite avant le seuil légal de 70 ans.
Si les rapporteures se félicitent de la création de de ce contrat, elles s'interrogent néanmoins sur l'incitativité de l'exonération de la cotisation employeur spécifique sur l'indemnité de mise à la retraite, qui semble représenter un avantage social modéré.
Par ailleurs, elles saluent l'engagement confirmé par les directions ministérielles auditionnées de supprimer le CDD sénior par décret, afin de concourir à la rationalisation des dispositifs existants à destination des seniors. De même, l'anticipation des services ministériels doit permettre une évolution de la déclaration sociale nominative (DSN), qui permettra un recensement précis des contrats conclus sous cette forme, et non plus de simples estimations comme cela a été le cas pour le CDD sénior.
Cependant, les rapporteures regrettent que les remarques présentées dans l'avis du Conseil d'État concernant le caractère expérimental du dispositif aient conduit à l'abandon de cette voie : « le projet de loi n'a pas à le qualifier comme [expérimental] dès lors que, ni ce projet de loi, ni l'étude d'impact ne prévoient de rapport d'évaluation à remettre au Parlement au terme des cinq ans »54(*).
Par conséquent, les rapporteures proposent de suivre l'argument retenu par le Conseil d'État, en conférant à nouveau un caractère expérimental au contrat de valorisation de l'expérience, via l'amendement COM-16 adopté par la commission, et en y associant un rapport d'évaluation, afin de permettre au législateur d'être convenablement informé une fois le moment venu de pérenniser ou non le dispositif. Elles soulignent en outre que cette évaluation, conduite par le Gouvernement, n'est pas de nature à remettre en cause les travaux réalisés par le comité de suivi de la mise en oeuvre de l'accord, prévu à l'article 6 de l'ANI. À l'initiative des rapporteures la commission a également adopté un amendement rédactionnel COM-17.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
* 44 Dares, Résultats N°55, « Les seniors sur le marché du travail en 2023 », 11 septembre 2024.
* 45 Unédic, Analyse « Quel accès à l'emploi durable pour les allocataires séniors », 10 avril 2025.
* 46 Article D. 1242-2 du code du travail.
* 47 Article 2 de la loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée ».
* 48 Rapport n° 375 (2022-2023) de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 28 février 2023.
* 49 Voir le commentaire de l'article 7 du présent projet de loi.
* 50 Le ministre chargé des comptes publics, alors Gabriel Attal, a indiqué que « l'adoption de cet amendement emporterait un coût important en raison de l'effet d'aubaine qui en résulterait : actuellement, 100 000 CDI par an en moyenne sont signés avec des personnes de plus de 60 ans ; si tous ces contrats étaient signés par le biais de ce nouveau dispositif, cela coûterait 800 millions d'euros à la branche famille, laquelle se retrouverait alors déficitaire dès l'année 2025. » (Compte rendu intégral des débats en séance publique du 6 mars 2023).
* 51 Décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, paragraphe 84.
* 52 Sauf à ce qu'une convention ou un accord de branche étendu prévoit un autre âge ne pouvant être inférieur à 57 ans.
* 53 Loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale - article LO 111-3-16 du code de la sécurité sociale.
* 54 Avis N ° 409510 du Conseil d'État, paragraphe 13.