EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Renforcement de la protection des écosystèmes
dans les aires marines protégées

Cet article vise à mieux protéger les écosystèmes marins à travers plusieurs mesures.

Premièrement, il remplace la notion de « protection forte » employée dans la stratégie nationale pour les aires protégées (Snap) par celle de « protection stricte », en cohérence avec les standards européens et internationaux.

Deuxièmement, il instaure un objectif de couverture de 10 % de chaque façade maritime et bassin maritime ultramarin par des aires marines protégées (AMP) sous protection stricte.

Troisièmement, il prévoit la mise en place de zones « tampon » autour de ces zones placées sous protection stricte, dans lesquelles seraient interdites certaines activités en raison de leur impact sur les écosystèmes (chalutage et activités industrielles en particulier).

La commission n'a pas adopté l'article 1er pour des motifs tenant, sur le fond, au caractère trop rigide du dispositif qui ne permet pas de tenir compte des spécificités de chaque façade maritime (notamment en termes de densité des activités en mer) et, sur la forme, à la méthode retenue, qui conduirait à déstabiliser les démarches d'identification de zones de protection forte, découlant de la loi « Climat et résilience » adoptée en 2021, qui sont en cours de déploiement depuis plus de deux ans.

I. Aires marines protégées en France : une approche en décalage avec les exigences européennes et internationales en matière de protection des écosystèmes

A. Des milieux marins soumis à de fortes pressions anthropiques, au détriment de l'état des écosystèmes et des ressources halieutiques

1) Des océans en bonne santé rendent des services écosystémiques et économiques majeurs à nos sociétés

Les services écosystémiques - aussi appelés « contributions de la nature aux populations et sociétés humaines - rendus par les océans sont nombreux.

La préservation de la biodiversité et des milieux marins est essentielle au maintien des cycles de vie de la faune et de la flore et de l'équilibre des réseaux trophiques7(*). Dès lors, elle est vitale pour le secteur de la pêche et de l'aquaculture, qui constitue une source de revenus pour des millions de personnes à travers le monde : selon le Fonds international de développement agricole (Fida) des Nations unies, en 2018, entre 10 et 12 % de la population mondiale tirait sa subsistance de ce secteur8(*). Les océans constituent un vecteur essentiel d'activité économique et d'emplois à travers l'économie bleue (pêche, tourisme, transport maritime, énergies marines...), secteur qui revêt une importance majeure en France en vertu de l'étendue de notre espace maritime (2e plus vaste espace maritime au monde après celui des États-Unis, avec plus de 10 millions de km2) : l'économie bleue française représente 1,5 % du PIB national et 1,8 % de l'emploi (soit 525 000 emplois)9(*). En 2019, les produits de la mer représentaient à eux seuls plus de 37 000 emplois et 2,6 Mds€ de valeur ajoutée10(*).

Les océans, qui couvrent 70 % de la surface de la planète, jouent en outre un rôle majeur en matière d'atténuation du changement climatique : on estime que l'océan capte chaque année environ 30 % des émissions de CO2 issues des activités humaines, à travers un processus appelé « pompe à carbone biologique » reposant sur le phytoplancton et les écosystèmes marins de « carbone bleu », tels que les mangroves, les herbiers marins et les prés salés, qui captent le CO2 grâce à la photosynthèse.

Une étude publiée dans la revue « One Earth » par des scientifiques du CNRS, de la Plateforme Océan & Climat et du Stockholm Resilience Center11(*), a en outre mis en avant l'importance des écosystèmes côtiers, comme les mangroves, les récifs coralliens et les herbiers marins, dans la diminution de l'impact de la hausse du niveau de la mer, de la houle et des tempêtes sur les territoires littoraux, à travers l'accélération des phénomènes d'accrétion permettant de stabiliser les sols.

Les milieux marins constituent par ailleurs un réservoir précieux pour la recherche biotechnologique et biomédicale.

Enfin, l'océan est un espace culturel et un vecteur pour les arts et les activités de loisir et de bien-être.

2) Les milieux marins sont soumis à des pressions anthropiques fortes, qui fragilisent les écosystèmes

Les océans pâtissent des effets du changement climatique, des pollutions marines et de pressions multiples provenant des activités humaines.

Principal puits de carbone de la planète, l'océan subit directement les effets du changement climatique. Comme l'indiquent les Nations unies, « jusqu'à présent, l'océan a absorbé environ 90 % de la chaleur générée par la hausse des émissions. Alors que les suppléments de chaleur et d'énergie réchauffent les océans, l'augmentation de température provoque des effets en cascade sans précédent, comme la fonte des glaces, l'élévation du niveau de la mer, des vagues de chaleur océaniques et l'acidification des océans. Ces changements finissent par entraîner des incidences durables sur la biodiversité marine, ainsi que sur la vie et les moyens de subsistance des communautés des littoraux et au-delà : environ 680 millions de personnes vivant dans des zones côtières au relief très bas, près de 2 milliards d'habitants de la moitié des mégapoles du monde, qui se trouvent en zones côtières, près de la moitié de la population mondiale (3,3 milliards de personnes) qui dépend de la pêche pour couvrir ses besoins en protéines, et près de 60 millions de personnes qui travaillent dans le secteur de la pêche et de l'aquaculture à travers le monde. [...] De profonds changements ont été observés, notamment la détérioration des récifs coralliens et des mangroves qui concourent à la vie dans les océans, et la migration d'espèces vers des latitudes et des altitudes plus élevées, où l'eau est plus froide.

Les dernières estimations de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture mettent en garde sur le fait que plus de la moitié des espèces marines pourraient être au bord de l'extinction d'ici 2100. Avec une hausse actuelle de température de 1,1 °C, on estime que 60 % des écosystèmes marins de la planète ont déjà été dégradés ou qu'ils sont utilisés de façon non durable. Un réchauffement de 1,5 °C menace de détruire 70 % à 90 % des récifs coralliens, et une hausse de 2 °C entraînerait la disparition de presque 100 % des récifs - on atteindrait alors un point de non-retour. »12(*)

Les pollutions en mer, qui ont de multiples sources (marées noires, pollution chimique, pollution sonore, déchets en mer, etc.) constituent également une préoccupation majeure pour le maintien des écosystèmes marins.

Enfin, les activités humaines exercent de fortes pressions sur les écosystèmes marins, à commencer par la pêche.

Selon les informations publiées par le ministère de la transition écologique et provenant des évaluations de l'état des populations de poissons pêchés menées chaque année par l'Ifremer, en 2023, 58 % des poissons débarqués en France provenaient de stocks exploités durablement, mais la surpêche13(*) demeure préoccupante : la capacité des populations à se renouveler est en baisse pour 31 % des stocks évalués.

Selon cet acteur, « la « surpêche » concerne 19 % des volumes des débarquements, et 2 % proviennent de populations considérées comme « effondrées ». Depuis plusieurs années, la part de populations non surpêchées progresse très peu et on observe une baisse de plus en plus marquée du renouvellement des générations (moins de poissons jeunes et juvéniles), ce qui constitue un risque de déclin de l'abondance de certaines populations [...]. La part des populations non surpêchées a légèrement progressé en 2023. Mais si l'on regarde la tendance sur les 5 dernières années, on observe des fluctuations mineures plutôt qu'une réelle amélioration comme cela avait été le cas entre 2008 et 2016 [...]. Comment expliquer que la situation peine à s'améliorer alors que le nombre de populations non surpêchées continue à augmenter ? Il ne suffit pas de regarder ces évolutions passées, il faut aussi prendre en considération la part des jeunes poissons qui seront les adultes de demain. C'est un facteur clé pour anticiper les tendances à venir et pour garder un temps d'avance pour un océan nourricier. »

Quelques exemples de populations de poissons en France
classées selon leur état

Source : Ifremer

La situation est contrastée selon les façades maritimes, au regard des données de l'Ifremer pour 2023 :

· en Manche et mer du Nord, 56 % des poissons débarqués proviennent de populations en bon état. Le volume des débarquements a légèrement diminué (107 000 tonnes en 2023, contre 113 000 tonnes en 2022), tandis que les volumes de débarquements sont stables pour les deux principales espèces (hareng et coquille Saint-Jacques). La principale évolution est le déclassement du lieu noir, une espèce importante car elle représente 10 % des débarquements de la région en 2023, qui passe de « reconstituable » à « surpêché » en raison d'une pression de pêche trop importante qui risque de conduire à une baisse de la population ;

· en Manche Ouest et mer Celtique, cette part atteint presque 50 %, mais les volumes pêchés continuent de baisser, totalisant 122 000 tonnes en 2023 contre 150 000 tonnes en moyenne entre 2011 et 2018. Cela s'explique en partie par une croissance au ralenti de la biomasse de certaines espèces, notamment le merlan, la morue et le lieu jaune qui sont évalués « effondrés ». À cela s'ajoute également la perte de zones de pêche suite au Brexit ;

· dans le golfe de Gascogne, la situation est plus préoccupante : la part des populations en bon état reste inférieure à la moyenne nationale (39 %), malgré une tendance à la baisse des débarquements depuis les années 2000 (de 101 000 tonnes en 2014 à 71 000 tonnes en 2023). En 2023, la sardine représente encore près de 20 % des débarquements de la zone et les changements fréquents de statut de cette population (passée de « effondrée » à « reconstituable » en 2023) influent beaucoup sur la situation générale dans le golfe de Gascogne. Les mesures de suspension de la pêche mises en place par le Gouvernement depuis 2024 pourraient néanmoins induire une évolution de ces données ;

· en Méditerranée, le volume total des débarquements reste stable à 18 000 tonnes en 2023, comme l'année précédente. Si une part très faible des débarquements est issue de populations en bon état (toujours inférieure à 1 %), environ 40 % sont issus de populations reconstituables, comme le thon rouge. En revanche, près de 50 % du volume des débarquements sont issus de populations « non évaluées », comme le poulpe, le maquereau et la daurade royale. Les problématiques méthodologiques pour l'évaluation de ces espèces requièrent de la part des scientifiques de développer de nouvelles approches pour permettre d'autres formes de suivi.

Selon le biologiste marin Didier Gascuel, « une pression de pêche excessive a conduit à une très forte diminution de l'abondance des espèces ciblées. C'est en particulier, le cas pour les poissons de fond, dont les stocks ont généralement été divisés par 5, voire par 10 ou plus, du fait de l'exploitation. Autrement dit, là où il y avait autrefois 10 tonnes de poissons sur le fond, il n'en reste guère qu'une ou deux tonnes aujourd'hui. Dans le même temps on observe des phénomènes de troncature des structures démographiques (disparition des classes d'âge élevées) et une plus grande instabilité des ressources. L'exploitation a également des effets en chaîne sur les proies, les prédateurs ou les compétiteurs des espèces exploitées. »14(*)

Les pratiques de pêche non sélectives sont particulièrement dommageables pour les écosystèmes marins, car elles conduisent à capturer des poissons juvéniles et des espèces non visées. C'est en particulier le cas des engins de fond (chalut de fond15(*) et drague16(*)) et des chalutiers pélagiques17(*). Les engins de fond endommagent en outre les habitats des fonds marins et conduisent à un brassage des sédiments qui libère du CO2.

Ainsi que le souligne l'exposé de la proposition de loi, les méga-chalutiers pratiquant la pêche industrielle18(*) constituent un véritable fléau pour les écosystèmes. Didier Gascuel indique que « l'utilisation d'engins de pêche colossaux, peu sélectifs et destructeurs des fonds marins, tels que les méga-chalutiers, représente un danger croissant pour les écosystèmes marins et les populations qui en dépendent ».

3) Une biodiversité marine en déclin, au détriment des écosystèmes océaniques et du secteur de la pêche

Quelques chiffres-clés sur la biodiversité marine en France

L'hexagone compte 5 853 km de littoral, dont des côtes rocheuses (41 %), des plages et dunes (35 %) et des marais salants et maritimes (24 %). La biodiversité de certains de ces milieux (estran, vasières, estuaires...) recèle une forte biomasse. Ces milieux de continuité terre-mer constituent souvent des zones d'alimentation stratégique pour les juvéniles et les oiseaux marins.

90 % de la biodiversité marine française se trouve dans les territoires ultramarins.

10 % des récifs coralliens dans le monde sont dans les eaux françaises (quatrième plus grande surface de récifs coralliens au monde).

La France compte 71 espèces de mammifères marins sur les 120 recensées au niveau mondial.

L' Office français de la biodiversité alerte régulièrement sur la perte de biodiversité marine en France, également observée à l'échelle mondiale par le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) : 94 % des habitats marins et côtiers d'intérêt communautaire évalués en métropole sont en mauvais état et 6 poissons migrateurs sur 11 sont menacés dans les eaux douces et marines. Dans les outre-mer, 29 % des récifs coralliens sont en diminution et 29 % des oiseaux des terres australes sont menacés.

Sur les 4 732 espèces animales et 56 espèces végétales marines présentes en France et évaluées dans le cadre de la liste rouge mondiale de l'UICN, 336 espèces animales (soit 7 %) et une espèce végétale sont considérées comme éteintes ou menacées, selon les données 2022.19(*)

Selon la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB)20(*), si l'acquisition de données sur le milieu marin est particulièrement complexe sur le plan technique et coûteuse, l'évaluation 2024 menée en application de la directive-cadre « stratégie pour le milieu marin » (DCSMM) révèle notamment que :

· Les oiseaux marins apparaissent plutôt en mauvais état sur l'ensemble des façades (notamment sur la base d'indicateurs relatifs à l'abondance et à la reproduction des populations).

· Les dauphins et marsouins communs sont considérés en mauvais état dans le nord et l'ouest, notamment en raison de captures accidentelles trop importantes.

· Les populations de phoques sont plutôt en bon état (tendance à l'augmentation de l'abondance) dans le nord et l'ouest.

· Les habitats benthiques21(*) sont encore largement méconnus. Très peu d'habitats benthiques sont aujourd'hui évalués. Certains habitats d'intérêt apparaissent en mauvais état. C'est le cas par exemple pour la posidonie et le coralligène en Méditerranée ou encore les bancs de maërl dans le nord-ouest.

· La pollution, et notamment la pollution plastique, reste à des niveaux très élevés sur l'ensemble du territoire. En Méditerranée par exemple, l'abondance des déchets sur le littoral est plus de 33 fois supérieure au seuil du bon état écologique défini au niveau européen.

· Le bruit sous-marin, continu (trafic maritime) et impulsif (déminage, travaux d'implantation de parcs éoliens notamment) constitue un enjeu important dans le nord.

· L'acquisition de connaissances sur les espèces exploitées commercialement reste un enjeu important à l'échelle du territoire, l'état de ces espèces étant encore pour l'essentiel inconnu.

S'agissant de l'état des habitats, la DEB indique :

« Peu d'habitats font aujourd'hui l'objet d'une spatialisation et d'une évaluation précises à l'échelle nationale. Les habitats marins évalués sont globalement jugés en mauvais état (par exemple, les récifs en Méditerranée) ou sont en état inconnu (par exemple, une majorité des sédiments meubles). [...] Dans le cadre de la préparation de la mise en oeuvre du Règlement européen sur la restauration de la nature, les habitats spatialisés précisément et évalués en mauvais état sont à ce stade :

· Une partie des herbiers de zostère en Atlantique (reste : inconnu)

· Une partie du coralligène en Méditerranée (reste : inconnu)

· 35,5 % de l'herbier de posidonie en Méditerranée (reste : bon état) »22(*).

L'érosion de la biodiversité marine et la dégradation des écosystèmes est préoccupante au regard du rôle de régulateur climatique que jouent les océans.

Au-delà de ces enjeux écologiques, cette situation fragilise également les filières économiques qui dépendent des ressources halieutiques. Ainsi que le souligne le rapport spécial sur l'océan et la cryosphère du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), « le réchauffement, l'acidification de l'océan et la poursuite des politiques actuelles de gestion des pêches placent 60 % des pêches mondiales face à un très haut risque ».

La cartographie ci-après présente des stocks commerciaux de poissons et crustacés en Europe de 2016 à 2020.

Source : les chiffres clés 2024 de la mer et du littoral.

B. Aires marines protégées à la française : en dépit d'une apparente atteinte des objectifs de déploiement, une efficacité moindre en raison d'un décalage avec les standards internationaux

1) La stratégie française pour les aires protégées (Snap) : des objectifs ambitieux, qui s'avèrent finalement en-deçà des engagements européens et internationaux de la France

La France est caractérisée par une grande diversité d'aires protégées, terrestres et marines. La catégorie des aires marines protégées (AMP) recouvre l'ensemble des dispositifs visés à l'article L. 334-1 du code de l'environnement :

- les parcs nationaux ayant une partie maritime ;

- les réserves naturelles ayant une partie maritime ;

- les arrêtés de biotopes ayant une partie maritime ;

- les parcs naturels marins ;

- les sites Natura 2000 ayant une partie maritime ;

- les parties maritimes du domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ;

- les zones de conservation halieutiques ;

- les parties maritimes des parcs naturels régionaux ;

- les réserves nationales de chasse et de faune sauvage ayant une partie maritime.

Selon la définition proposée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une aire protégée consiste en « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d'assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui lui sont associés ». Les aires protégées contribuent directement à la protection de la vie sauvage, à la préservation de la diversité génétique, des habitats naturels, des espèces des communautés et des paysages, des sites d'intérêt géologique, au maintien des processus naturels, des écosystèmes et de leurs fonctions.

Le déploiement des AMP en France s'inscrit dans un cadre juridique à la fois européen et national.

À l'échelle européenne, la Stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 intitulée « Ramener la nature dans nos vies », annoncée le 20 mai 2020, prévoit la protection juridique d'un minimum de 30 % des terres et 30 % des mers de l'Union européenne, ainsi que la mise en place d'une protection stricte dans au moins un tiers des zones protégées. Cette stratégie s'appuie sur une ambition globale visant à ce que, d'ici 2050, tous les écosystèmes soient restaurés, résilients et suffisamment protégés.

Plus récemment, l'Union européenne a adopté un règlement fixant l'objectif de restaurer, d'ici 2030, au moins 30 % des zones d'écosystèmes terrestres, d'eaux intérieures et des écosystèmes maritimes et côtiers dégradés23(*).

Afin de décliner au niveau national les objectifs de la Stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité, le Gouvernement a publié en janvier 2021 une Stratégie nationale pour les aires protégées (Snap) de France métropolitaine et d'outre-mer. Ce document fixe l'objectif de protéger au moins 30 % du territoire, dont un tiers (soit 10 %) sous protection forte.

La publication de la Snap a constitué un tournant : pour la première fois, la France s'est dotée d'une stratégie unifiée pour la métropole et les outre-mer, intégrant les enjeux terrestres et maritimes et concernant tous les types statutaires d'aires protégées.

La loi « Climat et résilience »24(*) d'août 2021 a consacré la Snap au niveau législatif, en introduisant un article L. 110-4 dans le code de l'environnement, disposant que l'État élabore et met en oeuvre une stratégie nationale des aires protégées, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Cet article :

· transcrit l'objectif de couvrir par des aires protégées au moins 30 % de l'ensemble du territoire national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française, en métropole et en outre-mer et sur terre et en mer ;

· prévoit la mise sous protection forte d'au moins 10 % de l'ensemble du territoire national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française.

La notion de protection forte a été définie par un décret d'avril 202225(*), qui dispose que :

« Est reconnue comme zone de protection forte une zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en oeuvre d'une protection foncière ou d'une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées. »

Cette reconnaissance est automatique pour certains espaces (coeurs de parcs nationaux, réserves naturelles, réserves biologiques, zones de protection renforcée, notamment) ; elle est opérée au cas par cas pour d'autres espaces présentant des enjeux écologiques d'importance.

De fait, la définition de la protection forte ainsi retenue par la France est plus souple que la notion de « protection stricte » préconisée par l'Union européenne et par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Un document de travail de la Commission européenne du 28 janvier 2022 définit les aires placées sous protection stricte de la manière suivante (version traduite) :

« Les zones strictement protégées sont des zones entièrement et légalement protégées, identifiées pour conserver et/ou restaurer l'intégrité des zones naturelles riches en biodiversité, avec leur structure écologique sous-jacente et les processus environnementaux naturels de soutien. Les processus naturels sont donc laissés essentiellement non perturbés par les pressions humaines et les menaces sur la structure et le fonctionnement écologiques globaux de la zone, indépendamment du fait que ces pressions et menaces se situent à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone strictement protégée. »

Principales différences entre la protection forte et la protection stricte

Selon la DEB, les principales différences entre protection forte et protection stricte portent sur :

o L'approche : exclusion des activités humaines par principe avec liste limitée d'exceptions à évaluer au cas par cas pour la protection stricte ; examen au cas par cas pour la protection forte sans exclusion de principe, à l'exception de l'extraction de matériaux ;

o Le degré de pression résiduel acceptable et donc les activités humaines pouvant y être maintenues : même s'ils ne sont pas catégoriques en laissant la porte ouverte au cas par cas, les textes UE laissent entendre que les activités compatibles sont très limitées.

La Commission cite en effet des exemples d'activités jugées compatibles car n'interférant pas avec les processus naturels, comme la recherche scientifique, la prévention des risques naturels, le contrôle des espèces exotiques envahissantes ou encore le contrôle des activités récréatives non intrusives. Entendus comme des indices du niveau de pression résiduel jugé acceptable, ils illustrent une approche plus restrictive que celle de la protection forte, qui prévoit la suppression ou la « forte limitation » des pressions.

En France, la notion de protection forte correspond à la reconnaissance d'un niveau de protection supérieur au niveau « standard ». Elle relève non pas d'un statut juridique nouveau mais d'une logique de « labellisation » destinée à marquer l'exemplarité de la gestion d'une zone, le plus souvent au sein d'une AMP, pour protéger des enjeux écologiques d'importance, en recherchant la suppression ou a minima la forte réduction des pressions générées par les activités humaines.

Cette reconnaissance ne s'appuie donc pas sur l'exclusion a priori de certaines activités humaines mais relève d'une démarche au cas par cas, en analysant précisément leurs impacts sur les enjeux écologiques effectivement présents dans la zone considérée. Le concept de protection forte étant plus large que celui de protection stricte, plusieurs exemples de zones de protection forte en mer peuvent toutefois s'apparenter à de la protection stricte au titre de la définition communautaire, dans l'hexagone comme en outre-mer, notamment les zones de protection renforcée de certaines réserves naturelles.

À l'échelle de l'UE, les zones de protection stricte couvrent aujourd'hui 0,03 % des eaux européennes et la progression vers l'objectif de 10 % paraît lente. La France est donc loin d'être une exception en Europe.

Source : réponses de la DEB au questionnaire écrit du rapporteur

Selon l'UICN, la protection stricte exclut toute activité extractive à l'instar de la pêche. L'OFB indique : « d'après les standards de l'UICN, ne sont autorisées comme activités pour ces 3 catégories (Ia, Ib et II) que la recherche sans prélèvement, l'usage traditionnel sans prélèvement, la restauration/amélioration pour la conservation (contrôle des espèces invasives, restauration des coraux), la pêche / ramassage traditionnels en accord avec l'usage et la culture traditionnels, et les activités de loisirs sans prélèvement (comme la plongée), ainsi que le tourisme extensif, à partir de la catégorie II. »

Les catégories des aires protégées de l'UICN

L'UICN a également développé un système international de catégories afin de classer les aires protégées en fonction de leurs modalités de gestion. Cette classification sert de nombreux objectifs, parmi lesquels :

• faciliter la planification des aires protégées ;

• encourager les gouvernements à développer un éventail d'objectifs de gestion adaptés aux conditions nationales et locales ;

• faciliter les comparaisons entre pays ;

• réglementer les activités en fonction des objectifs de gestion de l'aire protégée.

Six catégories d'aires protégées ont été définies en 1994. Elles correspondent à une gradation des interventions humaines dans les milieux naturels, depuis l'exclusion de toute activité jusqu'à des stratégies de gestion durable de la biodiversité. Du plus strict au plus permissif : la catégorie I ne tolère que la recherche non extractive et les initiatives de restauration, tandis que la catégorie VI autorise les activités compatibles avec les objectifs des AMP. Les rejets de déchets, l'extraction minière et pétrolière et toute activité industrielle ne sont compatibles avec aucune catégorie définie par l'UICN.

L'assignation d'une catégorie à un statut de protection est fonction des modalités de gestion et de la réglementation. Cette analyse peut aboutir à classer des espaces protégés portant la même dénomination dans des catégories différentes selon la gestion mise en place, la superficie et les éléments constitutifs du site. Les différentes zones d'un même statut (par exemple au sein d'un parc national) peuvent également faire l'objet de classements différents.

Le tableau ci-après26(*) présente les types d'activités admises ou non au sein des AMP, selon leur degré de protection. Les AMP sous protection stricte correspondent aux aires des catégories I et II.

Le décret d'avril 2022 ayant défini la protection forte a été contesté devant le Conseil d'État par l'association Bloom, notamment au regard des divergences entre la définition de la « protection forte » retenue dans ce texte et la notion de « protection stricte » définie par l'Union européenne et recommandée par l'UICN. Le Conseil d'État27(*) a néanmoins considéré, dans sa décision du 6 novembre 2024, que les documents établis par l'UICN, d'une part, et le document de travail de la Commission européenne publié le 28 janvier 2022, d'autre part, étaient dépourvus de « portée normative ». La requête a donc été rejetée.

2) Bilan de la Snap après trois ans de mise en oeuvre : des résultats mitigés et une répartition géographique fortement déséquilibrée

Selon les chiffres clés 2024 de la mer et du littoral, la France compte désormais 564 aires marines protégées (AMP)28(*).

Depuis 2012, le domaine maritime français couvert par le réseau des AMP a fortement progressé en superficies couvertes, notamment avec la création du sanctuaire Agoa en 2012 dans les Antilles, celle du Parc naturel de la mer de Corail en 2014 et l'extension de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises en février 2022, désormais la plus grande AMP française avec 1,6 million de km2.

Le graphique ci-après présente l'évolution de la proportion des eaux françaises classées en AMP de 2000 à 2022.

Source : chiffres clés 2024 de la mer et du littoral

Selon les informations publiées sur le site du MTE, en France métropolitaine et dans les territoires d'outre-mer, 33 % des eaux françaises sont désormais couvertes par des AMP.

En revanche, les aires marines sous protection forte couvrent 4,8 % du territoire national, mais seulement 0,1 % du territoire hexagonal29(*). Des AMP sous protection forte sont en cours d'identification à travers la mise à jour des documents stratégiques de façade (DSF), il est donc trop tôt pour en dresser un bilan. La stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), a fixé à horizon 2030 l'objectif d'atteindre 5 % d'aires sous protection forte dans l'hexagone. Cet objectif est assorti d'objectifs intermédiaires d'ici 2027 par façade : 1 % en Manche Est - Mer du Nord, 3 % en Nord Atlantique - Manche Ouest, 3 % en Sud Atlantique et 5 % en Méditerranée.

Deux réserves peuvent être formulées quant aux résultats de la France en matière de déploiement d'AMP.

D'une part, selon les données du MTE, la superficie des AMP française est contrastée. Le territoire maritime métropolitain, qui ne représente que 3,64 % de la superficie totale des eaux françaises, est couvert à hauteur de 45,3 % par un réseau de petites et nombreuses AMP (366 sites). À l'inverse, les espaces maritimes ultramarins, qui représentent 96,36 % des eaux françaises, font l'objet d'une couverture très hétérogène. Ainsi, les Antilles françaises, la Nouvelle-Calédonie, Mayotte et les îles subantarctiques sont des territoires bien couverts (à plus de 96 %), contrairement à d'autres espaces comme La Réunion, Wallis-et-Futuna, la Guyane française ou Saint-Pierre-et-Miquelon où la couverture de l'espace maritime par les AMP est inférieure à 0,1 %.

D'autre part, de fait, la France se caractérise par un large décalage entre le déploiement chiffré annoncé en termes de déploiement d'AMP d'une part, et le degré de protection réelle de ces aires, d'autre part. Comme le souligne le CNRS, « seulement 1,6 % de l'espace maritime français bénéficie d'un statut de protection intégrale ou haute, qui sont les deux niveaux permettant de réduire au mieux les impacts humains sur la biodiversité et qui peuvent être assimilés à de la protection forte ». En métropole, seul 0,04 % de l'espace maritime est couvert par des aires de protection stricte.

Ainsi que l'a indiqué l'Ifremer, « nombre des AMP françaises comme européennes n'imposent actuellement que peu de restrictions aux activités les plus impactantes (qui incluent principalement, mais pas uniquement, la pêche). Certains pays ont fait le choix de classer moins de surface de leurs ZEE en AMP, mais en leur accordant une protection plus stricte vis-à-vis des activités humaines tandis que d'autres, tels la France, mais pas seulement, ont choisi de définir des AMP sur des proportions importantes de leurs eaux (plus de 30 % à l'échelle de la ZEE française, et plus de 45 % pour les eaux métropolitaines), mais avec des niveaux de protection plus faibles voire inexistants, par rapport à la réglementation de “droit commun”. »30(*)

De fait, selon un récent rapport de l'organisation non gouvernementale Oceana, la pêche au chalut de fond est fréquente dans les AMP françaises : en 2024, plus de 100 chalutiers de fond ont passé plus de 17 000 heures à pêcher dans les six parcs naturels marins de la France. Ce rapport indique : « la France prétend avoir déjà mis sous protection 30 % de ses eaux, mais ces résultats montrent que la majeure partie de cette « protection » n'existe que sur le papier ».31(*)

De même, l'Ifremer indique : « une part significative de l'activité des chaluts et des dragues a lieu dans les AMP. En 2022, le CSTEP (Comité Scientifique, Technique et Économique pour la Pêche auprès de la Commission européenne) a réalisé une estimation pour l'ensemble des États membres, sur les années 2017-2019. Pour la France, cette part avait été estimée à environ 33 % des jours de mer et 25 % de la valeur des débarquements de la pêche aux arts traînants de fond pour les navires de plus de 12 m. Cette analyse se basait toutefois sur une analyse peu précise, car utilisant des données disponibles à l'échelle européenne mais relativement agrégées (base de données FDI opérée par le JRC, Joint Research Center). Dans ce rapport, le CSTEP explique d'ailleurs en détail la difficulté de l'exercice, à la fois du fait de résolutions spatiales souvent différentes entre les données de pêche disponibles et les contours des AMP, surtout lorsqu'elles sont de petite surface, mais également du fait de la multitude de définitions des AMP d'un État membre à un autre, et de l'hétérogénéité de la disponibilité des informations les concernant au niveau européen. »32(*)

La répartition géographique des AMP sous protection stricte est en outre très fortement déséquilibrée. Ainsi, 80 % de ces aires se situent dans les terres australes et antarctiques françaises (TAAF), une concentration qui s'élève à plus de 97 % si l'on y inclut la Nouvelle-Calédonie. En métropole, les niveaux de protection sont bien plus faibles : « à titre d'exemples, 59 % des eaux françaises méditerranéennes sont dans des AMP, dont 0,1 % en protection haute ou intégrale ; presque 40 % de la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord est sous un statut d'AMP tandis que 0,01 % reçoit une protection haute ou intégrale. »

Couverture des différents niveaux de protection en France métropolitaine et en outre-mer

Source : CNRS

Or, l'OFB rappelle que « pour observer un gain de biodiversité dans une aire marine protégée, il faut réunir 3 conditions :

• Protéger fortement

• Protéger sur une longue période

• Protéger une zone dégradée / exploitée

Cet acteur indique : « ces conditions sont rarement réunies. Les aires protégées de Cerbère Banyuls, Port Cros, ou Parc marin de la côte bleue ont démontré leur efficacité en termes de gain de biodiversité. En Atlantique, le cantonnement de pêche de la chaussée de Sein a également démontré de très bons résultats sur la population de langoustes. Dans ce dernier cas, il n'a pas été observé de gain de biodiversité en dehors de cette espèce halieutique car le site était déjà en très bon état »33(*).

Or, la mise en place d'AMP efficaces, c'est-à-dire strictement protégées, aurait des conséquences bénéfiques pour le secteur de la pêche.

Comme le souligne la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, l'efficacité écologique des AMP augmente avec le niveau de protection : ainsi, en comparaison des zones non protégées, les aires hautement et modérément protégées présentent une abondance et une biomasse de poissons très supérieure ; en revanche, l'abondance et la biomasse des poissons dans les aires faiblement protégées ne semblent pas différer de celles des zones environnantes non protégées.

La mise en place d'AMP hautement protégées permettrait donc de renforcer les ressources halieutiques.

Selon l' UICN, « les réserves marines “hautement protégées” entraînent une augmentation moyenne de 28 % de la taille individuelle des organismes, de 21 % du nombre d'espèces observées, de 166 % de la densité et de près de 450 % de la biomasse par rapport aux zones non protégées. Il a également été observé que les zones de récifs coralliens sous protection forte sont en moyenne six fois plus résistantes au blanchissement et à d'autres perturbations que les zones non protégées.

Enfin, il a été démontré que dans des zones de protection intégrale, forte ou modérée on observait des biomasses et abondances d'espèces commerciales de poissons supérieures à celles mesurées dans des zones non protégées. Cependant, les zones de protection modérée ne seraient efficaces écologiquement que lorsqu'elles sont à proximité immédiate d'une zone de protection intégrale. »

Selon Didier Gascuel, spécialiste des ressources halieutiques :

« Dans une étude de 2014 (Colleter et al.) consacrée à 5 (petites) AMP de Méditerranée, nous avons montré que les exports de biomasse étaient du même ordre de grandeur que les captures auxquelles les pécheurs devaient renoncer du fait de la fermeture. Autrement dit, ils peuvent espérer retrouver à l'extérieur ce à quoi ils ont dû renoncer à l'intérieur. Cette analyse ne tient cependant compte ni de l'exportation potentielle de larves (d'où l'intérêt des AMP pour les zones de frayère ou nourricerie) ni des gains de long terme liés, par exemple, à la préservation de la biodiversité génétique. »34(*)

La mise sous protection stricte de certaines zones entraîne en outre un « effet réserve » et un effet de « débordement » (ou « spill over »), qui désigne l'augmentation de la taille des poissons et de la quantité de biodiversité présente autour de la zone protégée et, en conséquence, la hausse des captures de pêche. Cet effet a été documenté, y compris récemment par une étude du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture35(*) de l'Union européenne.

L'instauration autour des aires strictement protégées de « zones tampons » dans lesquelles la pêche artisanale est autorisée, mais la pêche industrielle et de loisir interdite, permet ainsi aux pêcheurs professionnels de bénéficier de manière prioritaire de l'effet réserve.

Didier Gascuel indique : « Les effets de débordement (spillover) sont clairement démontrés, notamment dans les milieux peu dispersifs (zones de courants plus faibles). La littérature scientifique démontre également l'intérêt de zones tampons, pour éviter que les biomasses exportées depuis l'intérieur des réserves (strictes) ne soient captées par un petit nombre de bateaux pêchant en lisière de la zone protégée »36(*). De même, l'Ifremer indique : « Pour les poissons adultes, si l'effort de pêche se reporte aux frontières de l'AMP, le gain pourrait être absorbé par cet effort accru autour de la zone, et son rôle dans la réduction de la pression de pêche serait alors limité ».37(*)

Selon l'observatoire des réserves sous-marines et des aires marines des côtes françaises de la Méditerranée (Medamp), ce dispositif est largement employé dans les aires marines protégées d'Italie. En France, il a par exemple été instauré autour de la réserve marine de la Scandola en Corse (cf. schéma ci-après : en rouge, zone de non-prélèvement et en bleu, zone tampon où la pêche artisanale est autorisée).

Source : site internet de Medamp

II. Le dispositif proposé : renforcer la protection juridique dans les aires marines protégées

L'article 1er vise à renforcer la protection juridique dont font l'objet les AMP, à travers la modification de l'article L. 110-4 du code de l'environnement qui concerne la Snap.

Premièrement, le 1° de l'article réécrit le premier alinéa du I de l'article L. 110-4 du code de l'environnement, en y apportant plusieurs modifications :

- la notion de « protection forte » est remplacée par celle de « protection stricte », conformément aux standards internationaux. L'objectif de couvrir le territoire métropolitain et d'outre-mer, sur terre et en mer, de 10 % d'AMP sous protection forte est donc renforcé au profit d'une protection stricte ;

- un objectif est introduit visant à ce que les AMP sous protection stricte couvrent 10 % au moins de chaque façade maritime ou bassin maritime ultramarin ;

- la date « butoir » du 1er janvier 2030, conformément à la Stratégie de l'UE pour la biodiversité et à la Snap ;

Deuxièmement (3°), une définition de la protection stricte est introduite au même article L. 110-4, qui s'inspire de celle donnée par l'UICN. En vertu de cette définition, ne sont autorisées que les « activités de gestion nécessaires à la restauration ou à la conservation des habitats et des espèces pour la protection desquels la zone a été désignée ainsi que les activités limitées et bien contrôlées qui n'interfèrent pas avec les processus naturels ou les améliorent ». Un décret doit préciser les modalités de mise en oeuvre de la protection stricte, notamment en ce qui concerne les procédures de contrôle.

Enfin (3°), l'article prévoit l'instauration d'une zone tampon autour de chaque zone placée sous protection stricte dans laquelle seraient interdits le chalutage, les activités industrielles et la pêche récréative, compte tenu de leurs impacts sur les écosystèmes. Un décret viendra préciser les modalités de mise en oeuvre de ces zones et les procédures de contrôle et de sanction adéquates pour en assurer le respect.

Ces zones tampons ont vocation à permettre aux professionnels de la pêche artisanale d'exploiter en priorité les retombées positives de l'« effet réserve » induit par la zone de protection stricte.

III. La position de la commission : un objectif louable, mais un dispositif qui soulève des difficultés de méthode, de calendrier et d'opérationnalité

La commission partage l'objectif et l'esprit de l'article 1er de la proposition de loi, qui vise à assurer l'effectivité et l'efficacité des aires marines protégées françaises et ce, d'autant plus que la France s'apprête à accueillir à Nice, du 9 au 13 juin 2025, la troisième Conférence des Nations unies pour les Océans.

Néanmoins, elle l'a jugé qu'il soulevait des difficultés de fond et de méthode à deux titres.

Premièrement, le remplacement dans le code de l'environnement de la notion de « protection forte » par celle de « protection stricte », tel que proposé par le dispositif, conduirait à remettre en cause les équilibres établis par le législateur lors de l'adoption, en août 2021, de la loi « Climat et résilience ». L'approche française, basée sur l'analyse au cas par cas des impacts de chaque activité sur les enjeux écologiques présents dans la zone considérée, apparaît plus souple et plus apte à faciliter la conciliation des usages en mer. En outre, un tel changement de méthode conduirait à déstabiliser le processus d'identification des zones de protection forte qui est en cours, depuis plus de deux ans, sur les différentes façades maritimes dans le cadre de la mise à jour des documents stratégiques de façade. Il apparaît préférable d'attendre le déploiement complet du dispositif issu de la loi « Climat et résilience » avant d'en évaluer précisément la portée et les résultats sur la protection des écosystèmes marins.

Deuxièmement, l'établissement d'un objectif visant à couvrir au moins 10 % de l'espace maritime de chaque façade par des zones de protection stricte apparaît trop rigide : il ne permet pas de tenir compte des différences de situation (en termes de contraintes physiques et socio-économiques, de densité des usagers en mer, etc.) entre les territoires. Conscient de cette difficulté, le rapporteur a proposé un amendement COM-1 pour assouplir ce dispositif en prévoyant la déclinaison de l'objectif global de 10 % de zones sous protection stricte sur chaque façade maritime sous la forme de sous-objectifs, tenant compte de leurs contraintes respectives et des enjeux de protection de la biodiversité en présence. Néanmoins, jugeant inopportun le passage à une doctrine de « protection stricte » en lieu et place de celle de protection forte aujourd'hui en cours de déploiement, la commission a malgré tout rejeté cet amendement.

Le rapporteur a également proposé trois amendements, afin :

- de mieux distinguer, en termes d'impacts, la pêche récréative, d'une part, du chalutage et des activités industrielles, d'autre part, à l'alinéa 7 prévoyant l'instauration autour des zones strictement protégées de zones « tampon » dans lesquelles ces activités seraient interdites ( COM-3) ;

- d'opérer deux harmonisations rédactionnelles ( COM-2 et COM-4).

Bien qu'ils aient proposé des évolutions bienvenues, la commission n'a pas adopté ces amendements dans un souci de cohérence, compte tenu de son choix de ne pas adopter l'article 1er.

La commission n'a pas adopté l'article 1er.

Article 2
Concilier les activités de pêche et la protection des écosystèmes marins

Cet article vise à concilier les activités de pêche et la protection des écosystèmes marins à travers deux mesures à portée socio-économique.

La première disposition consiste à mettre en oeuvre et à accompagner la transition de l'activité du chalut de fond vers des activités plus durables, à travers la création et l'animation par l'État d'un nouveau document stratégique : une « stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond ».

La seconde disposition exclut l'activité de pêche d'un certain type de navires des eaux territoriales françaises : il crée une interdiction, à compter du 1er janvier 2026, de l'exercice des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.

La commission n'a pas adopté l'article 2.

I. Concilier les multiples activités de pêche avec la protection des écosystèmes marins : un cadre scientifique, juridique et stratégique récent

A. Derrière le terme de « pêche », une multiplicité de réalités techniques, socio-économiques et environnementales

La grande diversité des pratiques de pêche et de leurs caractéristiques respectives nécessite de distinguer plusieurs typologies.

1) Techniques et activités de pêche

Les distinctions techniques (par l'action, par le type d'outil) sont à mobiliser en conservant à l'esprit qu'un même engin donné peut pratiquer plusieurs types d'activités de pêche. À la différence de certains pays européens qui ont orienté leur pêche vers un modèle industriel et standardisé, comme en Allemagne ou au Pays-Bas, la France a conservé une flotte diverse, polyvalente, reposant sur une grande diversité de métiers.

- Parmi les engins actifs utilisés, le terme de « chalut » correspond à un type de filet en forme d'entonnoir. Celui-ci peut s'exercer sans être en contact avec le fond (on parle alors de « chalut pélagique ») ou bien être placé à proximité du fond et le racler en action : cette dernière pratique correspond au « chalut de fond » ;

- Parmi les engins tractés qui ont vocation à racler le fond, on peut distinguer deux types d'outils : le chalut (type de filet) et la drague (panier).

2) Localisation géographique

La variété des contextes géographiques, écosystémiques et socio-économiques conduit à différencier les approches selon les distinctions suivantes :

- Sur le territoire national, il est à noter la spécificité de la situation en Hexagone, qui se caractérise par une plus grande densité de toutes les activités en mer et pas seulement de l'activité de pêche ;

- Au sein de l'Hexagone, on relève également la spécificité de la façade atlantique par rapport à la façade méditerranéenne en fonction de la densité et de l'importance socio-économique du secteur de la pêche.

3) Taille des navires

La classification par la taille des navires en longueur hors tout est mobilisée :

- sur le plan réglementaire : en fonction de l'autorité compétente pour examiner les demandes de permis de mise en exploitation (longueur hors tout inférieure ou égale à 25 mètres). Il est à noter cependant que cette classification est disjointe des critères mobilisés pour les typologies de la Politique commune de la pêche (PCP), soient la puissance et la jauge.

- sur la caractérisation de la pêche dite « industrielle » par rapport à la pêche dite « artisanale ».

Il n'existe pas de consensus sur les notions de pêches « industrielle » et « artisanale ». La plupart des organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et que certains documents de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) considèrent que seuls les navires de moins de 12 mètres utilisant des arts dormants relèvent de la pêche artisanale. A contrario, les organisations professionnelles considèrent comme artisans tous les navires dont le propriétaire est le capitaine embarqué à bord au moins une partie de l'année. De fait, cette définition couvre la grande majorité des navires d'une longueur hors tout de moins de 24 mètres. Ainsi, certains universitaires en écologie marine comme Didier Gascuel38(*) choisissent de qualifier d'industriels les engins d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 24 mètres.

4) Importance socio-économique

Les données disponibles en open data39(*) qui sont collectées par le Comité scientifique, technique et économique des pêches (CSTEP), le comité d'avis de l'Union européenne sur la gestion des pêches, permettent de dresser le bilan suivant de l'importance socio-économique des deux typologies qui font l'objet du plus de controverses :

- l'activité des chaluts et sennes de fond ;

- les engins d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 24 mètres.

Le tableau ci-après présente l'importance socio-économique respective de ces deux typologies selon les critères suivants :

- nombre d'engins ;

- nombre d'équivalents temps plein (ETP) associés ;

- débarquements en volume ;

- débarquements en valeur.

On peut ainsi relever l'importance socio-économique des engins de fond hors drague, représentant ainsi 23 % des ETP, 25 % des débarquements en volumes et 30,4 % des débarquements en valeurs de la pêche française (pour l'Hexagone, respectivement 3,78 % des ETP, 4,23 % des volumes et 5,1 % en valeurs).

Importance socio-économique respectives des engins de fond hors drague et des engins d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 24 mètres.

Nombre d'engins (chalut et sennes de fond)

Toutes tailles d'engins confondues

10,9 % en France
dont 1,78 % en Hexagone

Engins = 24 m

1,6 % en France
dont 0,8 % en Hexagone

Nombre d'ETP correspondants

Toutes tailles d'engins confondues

23 % en France
dont 3,78 % en Hexagone

Engins = 24 m

7,4 % en France
dont 3,7 % en Hexagone

Débarquements en volumes

Toutes tailles d'engins confondues

25 % en France
dont 4,23 % en Hexagone

Engins = 24 m

11,6 % en France
dont 0,8 % en Hexagone

Débarquements en valeurs

Toutes tailles d'engins confondues

30,4 % en France
dont 5,1 % en Hexagone

Engins = 24 m

12 % en France
dont 6 % en Hexagone

Source : CATDD, d'après D. Gascuel et alii, 2024, op. cit.

5) Performance socio-économique

Celle-ci est évaluée par l'étude précitée40(*) en fonction de la taille des engins selon plusieurs critères :

- la valeur ajoutée (VA) par volume débarqué ;

- le nombre d'ETP créé par volume débarqué ;

- le niveau de subvention par VA.

L'étude conclut à une « forte décroissance de ces performances en fonction de la taille des navires »41(*).

6) Impact écologique

Celui-ci est évalué par l'étude précitée42(*) en fonction du type d'activité selon plusieurs critères :

- la surface abrasée de fonds marins ;

- la surexploitation des ressources ;

- la capture de poissons juvéniles ;

- les émissions carbonées.

Il ressort de cette étude43(*) que l'empreinte écologique des engins de fond hors drague est supérieure à tous les autres types d'activité de pêche, qu'il s'agisse de l'empreinte par volume, par euro de valeur ajoutée et par ETP.

B. Concilier les pêches et la protection des écosystèmes : les cadres européen et français

1) Le cadre juridique et stratégique européen pour concilier les pêches et la protection des écosystèmes

Dans le cadre de la Politique commune de la pêche (PCP), l'Union européenne et les États membres exercent des compétences partagées dans le domaine de la pêche, à l'exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer, qui relève d'une compétence exclusive de l'Union.

Parmi les objectifs de la PCP figurent notamment, d'une part, la préservation des stocks halieutiques et, d'autre part, la garantie des revenus et des emplois stables aux pêcheurs.

L'évolution des objectifs de la politique commune de la pêche

La PC poursuivait initialement quatre objectifs distincts :

- préserver les stocks halieutiques ;

- protéger l'environnement marin ;

- garantir la viabilité économique des flottes de l'Union ;

- fournir une alimentation de qualité aux consommateurs.

En 2002, afin de mettre un terme à la surpêche et d'assurer durablement l'avenir du secteur de la pêche, un objectif supplémentaire a été assigné à la politique commune de la pêche, à savoir permettre une exploitation durable des ressources aquatiques vivantes, de manière équilibrée et en tenant compte des aspects environnementaux, économiques et sociaux.

Si la réforme de 2002 a ainsi introduit une approche à long terme pour la gestion de la pêche comprenant notamment des plans de reconstitution ou de gestion pluriannuels pour les stocks halieutiques, elle n'a pas permis d'enrayer la détérioration de certains stocks.

C'est dans ce contexte qu'a été élaborée la « nouvelle PCP » de 2013, afin de garantir que les activités de pêche soient durables à long terme sur le plan environnemental. Le règlement de 2013 stipule notamment que la PCP doit contribuer « à la protection du milieu marin, à la gestion durable de toutes les espèces exploitées commercialement » et qu'il est « nécessaire de mettre en oeuvre une approche écosystémique de la gestion des pêches, de limiter les incidences des activités de pêche sur l'environnement et de réduire autant que possible les captures indésirées ».

L'Union européenne a également posé progressivement les jalons d'une stratégie visant à encadrer la pêche de fond afin d'en réduire les incidences sur les écosystèmes marins les plus vulnérables.

Restrictions de la pêche mobile de fond : des précédents ponctuels

Par le passé, des mesures ponctuelles ont été prises pour restreindre la pêche de fond mobile dans certaines zones particulièrement sensibles - avec par exemple en France l'interdiction, depuis 1862, du chalutage dans la bande des 3 milles marins (soit 6 kilomètres) ou encore l'interdiction périodique de la pêche au chalut entre 3 et 6 milles nautiques des côtes dans le golfe du Lion, afin de protéger les populations juvéniles de merlus.

Dans sa communication (à portée non normative) du 21 février 2023 intitulée « Plan d'action de l'UE : protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente », la Commission propose d'étendre considérablement les restrictions spatiales apportées à la pêche de fond mobile, en prohibant l'utilisation des engins de fond dans les zones Natura 2000 dès 2024, et dans toutes les aires marines protégées existantes ou nouvelles à compter de 2030.

2) L'approche française pour concilier les pêches et la protection des écosystèmes

Dans sa vision stratégique portée par la Stratégie nationale biodiversité (SNB3) et par la Stratégie nationale mer et littoral (SNML), la France décline l'enjeu de durabilité des pêches selon une approche revendiquée comme souple, fondée sur l'analyse dite « au cas par cas » des impacts de chaque type de pression exercée localement sur un écosystème donné.

Cette approche revendiquée par la France procède du principe qu'il convient d'étudier l'ensemble des interactions entre les activités de pêches et les espèces et habitats d'intérêt communautaire afin d'évaluer le risque d'atteinte aux objectifs de conservation. Les analyses du risque pêche (voir encadré) constituent en ce sens un outil emblématique de cette approche française. Néanmoins, dans la mesure où chaque site protégé peut réglementer différemment les activités humaines, le cadre juridique applicable se révèle ainsi complexe et hétérogène à l'échelle nationale.

Un outil emblématique de l'approche française « au cas par cas » :
les analyses du risque pêche (ARP) dans les sites Natura 2000

Des actions sont d'ores et déjà mises en place et en cours en France pour réduire les impacts du chalutage de fond, notamment au travers des analyses risques pêches (ARP) dans les sites Natura 2000. Ces analyses s'appuient sur une méthodologie nationale pour évaluer site par site l'impact des pressions susceptibles d'être générées par les différents engins de pêche sur les habitats et espèces marins considérés. Lorsqu'un risque d'atteinte aux objectifs de conservation du site Natura 2000 est identifié, des mesures réglementaires sont adoptées au cas par cas pour réduire ce risque à un niveau compatible avec les objectifs du site.

Ces analyses sont en cours depuis 2019 et se dérouleront jusqu'en 2026, pour une prise des mesures réglementaires nécessaires programmées d'ici 2027.

La gouvernance de l'approche française repose sur une large concertation avec l'ensemble des parties prenantes, visant à générer un consensus le plus large possible et ainsi garantir l'atteinte effective des objectifs nationaux et locaux.

À titre d'exemple, à l'échelle de chaque façade (Hexagone) ou chaque bassin maritime (Outre-mer), il existe une instance de concertation dédiée à l'élaboration des instruments d'orientation de la politique maritime intégrée à l'échelle de la façade. Il permet à des acteurs divers (État, collectivités locales, associations, organisations socio-professionnelles) d'intervenir dans la définition des modalités de gestion des différents espaces maritimes de la façade.

Enfin, en termes d'appréhension française des différentes activités de pêche, il est à noter que l'approche française prend en compte la problématique de renouvellement de la flotte et d'amélioration des engins de pêche dans sa globalité, sans la focaliser uniquement sur la pêche de fond.

II. Le dispositif proposé : mieux concilier certaines pratiques de pêche avec la protection des écosystèmes marins

L'article 2 vise à introduire dans le livre IX du code rural et de la pêche deux dispositions à portée socio-économique :

- la première propose de compléter le chapitre Ier du titre Ier, relatif aux dispositions générales applicables à la pêche maritime et à l'aquaculture marine (1°) ;

- la seconde vise à rétablir un article au sein de la section 1, relative à l'autorisation des activités de pêche maritime (2°).

A. La première disposition : mettre en oeuvre et accompagner la transition de l'activité du chalut de fond vers des activités plus durables

La disposition prévue par le 1° du I de l'article 2 complète le chapitre Ier du titre Ier du code rural et de la pêche par un nouvel article L. 911-5.

Cet article L. 911-5 vise à impulser une démarche à portée socio-économique et écologique qui se traduit par la création et l'animation par l'État d'un nouveau document stratégique : une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond vers des pratiques plus durables.

Cet article crée l'obligation : pour l'État, de créer et d'animer cette démarche et de la réviser tous les trois ans ; pour les pouvoirs publics (État, collectivités et opérateurs publics), de la traduire dans leurs documents de planification et de programmation.

Les objectifs globaux qui y sont fixés sont :

- de réduire la dépendance de la filière de la pêche française à la consommation d'énergies fossiles ;

- de diminuer et, à terme, de mettre fin à la pression exercée par le chalut de fond sur les écosystèmes marins ;

- de manière plus générale, amorcer et accompagner la transition vers d'autres techniques de pêche que le chalut de fond et concilier les pratiques de pêche avec la gestion durable des ressources halieutiques.

Parmi les mesures que devront comprendre cette stratégie, décrites de manière non exhaustive figurent :

- le soutien à l'innovation en faveur du développement de techniques de pêche alternatives ;

- la mobilisation en faveur de la transition des leviers suivants :

o les modalités d'attribution des permis de mise en exploitation des navires de pêche professionnelle ;

o les critères et la répartition des quotas de pêche ;

- la compensation et l'accompagnement socio-économique de la transition vers d'autres pratiques.

B. La seconde disposition : interdire les navires de plus de 25 mètres de long des eaux territoriales française

La disposition prévue au 2° complète la section 1, relative à l'autorisation des activités de pêche maritime, du chapitre du code rural et de la pêche relatif à l'autorisation des activités de pêche maritimes, par le rétablissement d'un article L. 921-8.

Cet article vise à exclure l'activité d'un certain type de navires des eaux territoriales françaises. Il crée en effet une interdiction, à compter du 1er janvier 2026, de l'exercice des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.

Le périmètre de l'interdiction : les eaux territoriales françaises

Les eaux territoriales françaises sont définies par une distance de 12 milles marins de la laisse de basse mer des côtes (soit environ 22,224 km), conformément au droit international selon la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, (Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982). Il s'agit l'espace maritime sur lequel la France exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources.

Source : https://limitesmaritimes.gouv.fr

III. La position de la commission : au-delà des enjeux de protection des écosystèmes, l'avenir socio-économique des pratiques de pêche en question

La commission partage l'objectif de l'article 2, qui est d'articuler la protection de plusieurs écosystèmes complexes et fortement liés : les écosystèmes biologiques et les écosystèmes socio-économiques et institutionnels constitués par les activités humaines en mer.

Toutefois, elle s'inquiète des conséquences potentielles de ces deux dispositifs, avec des impacts incertains sur le plan de la protection de la biodiversité, mais potentiellement dévastateurs pour la structuration socio-économique de la filière pêche française.

Premièrement, les enjeux de la durabilité de la pêche sont déjà abordés dans les stratégies nationales existantes (Stratégie nationale biodiversité, SNB3, et Stratégie nationale pour la mer et le littoral, SNML), lesquelles sont en cours de déploiement. L'adoption d'un nouveau document stratégique poserait ainsi des difficultés de cohérence et d'opérationnalité et remettrait en question les efforts déjà engagés par l'ensemble des parties prenantes économiques et institutionnelles pour la mise en oeuvre des stratégies existantes. Ainsi, le dispositif proposé ne présenterait pas de garanties suffisantes d'un impact effectif sur la protection des écosystèmes, si son acceptabilité n'est pas garantie.

En deuxième lieu, les produits de l'activité de chalut de fond sont significatifs pour la structuration de la filière agroalimentaire française ; par conséquent, ils seraient nécessairement compensés par une augmentation en proportion des importations, lesquelles sont capturées sans que ne soit connu précisément leur impact sur les écosystèmes marins concernés.

Enfin, les volumes et la valeur ajoutée liés à l'activité des chaluts de fond sont déterminants pour la structuration et le dynamisme des activités littorales, notamment en termes d'équipements et d'infrastructures. Les mesures proposées auraient ainsi des conséquences néfastes sur le tissu socio-économique des façades maritimes concernées, et en particulier la façade atlantique.

Ainsi, si la commission reconnaît la nécessité d'un accompagnement de la filière, notamment dans un contexte économique préoccupant au vu des conséquences du Brexit sur l'activité des flottilles françaises, elle insiste sur le fait que cet accompagnement doit porter sur l'ensemble des activités - et non sur les seuls chaluts de fond -, et s'inscrire dans les dispositifs existants, dont la mise en oeuvre repose sur des processus de concertation qui en garantissent à la fois l'acceptabilité et la portée effective.

La commission n'a pas adopté l'article 2.

Article 3
Gage financier

L'article 3 vise à gager les dispositions de la présente proposition de loi afin d'assurer sa recevabilité financière au regard de l'article 40 de la Constitution.

La commission n'a pas adopté l'article 3.


* 7 Selon l'Office français de la biodiversité, un réseau trophique se définit comme l'ensemble des relations alimentaires entre espèces au sein d'un écosystème. Tout déséquilibre ou retrait dans la chaîne trophique entraîne un impact et une réorganisation de l'ensemble de cette chaîne. Ces déséquilibres touchent en grande partie les derniers maillons des chaînes alimentaires, les prédateurs supérieurs.

* 8 Fida, « L'avantage de la pêche et de l'aquaculture - Faire progresser la sécurité alimentaire, la nutrition, les revenus et l'autonomisation », 2019.

* 9 Source : Secrétariat général à la Mer et Cluster maritime français, L'économie bleue en France, édition 2022.

* 10 Source : Ministère de la transition écologique, Chiffres clés de la mer et du littoral, édition 2024.

* 11 One Earth, Juliette Jacquemont, Robert Blasiak, Chloé Le Cam, Maël Le Gouellec , Joachim Claudet, « Ocean conservation boosts climate change mitigation and adaptation », 2022.

* 12 Source : site internet des Nations unies.

* 13 Selon la définition donnée par l'Ifremer, « il y a « surpêche » lorsque la pression de pêche exercée sur un stock est supérieure à celle permettant son exploitation maximale durable. À moyen terme, la surpêche entraîne la surexploitation du stock ».

* 14 Institut océanographique, fondation Albert Ier, « L'évaluation et la gestion des stocks de poissons », Didier Gascuel, 2016.

* 15 Le chalut de fond permet de capturer des espèces de fond telles que la lotte, la sole ou le cabillaud.

* 16 La drague est un engin rigide traîné sur le fond, utilisé pour la pêche des coquillages.

* 17 Les chaluts pélagiques sont en général plus larges que les chaluts de fond et peuvent être tractés par un ou deux bateaux. Ils sont conçus pour cibler des poissons en pleine eau et à la surface, comme le hareng, le hoki et le maquereau, le thon, le bar, etc.

* 18 Sur le site du Ministère de la transition écologique, la pêche dite « industrielle » est pratiquée sur des navires de 50 à 80 mètres de long. Le poisson est traité de manière plus technique que sur les navires pratiquant des marées plus courtes. Les espèces capturées et les engins de pêche (chalutiers, thoniers et palangriers) varient également selon les zones de pêche. Le poisson est vidé, lavé et congelé ou glacé à bord.

* 19 Source : MTE, chiffres clés de la mer et du littoral, édition 2024.

* 20 Source : réponses de la DEB au questionnaire écrit du rapporteur.

* 21 Les habitats benthiques désignent les habitats spécifiques aux organismes aquatiques vivants à proximité du fond.

* 22 Source : réponses de la DEB au questionnaire écrit du rapporteur.

* 23 Règlement (UE) 2024/1991 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2024 relatif à la restauration de la nature et modifiant le règlement (UE) 2022/869.

* 24 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 25 Décret n° 2022-527 du 12 avril 2022 pris en application de l'article L. 110-4 du code de l'environnement et définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en oeuvre de cette protection forte.

* 26 Source : UICN, comité français, les zones de protection forte en mer, état des lieux et recommandations, 2021.

* 27 Conseil d'État, 6e et 5e chambres réunies, décision n° 468 106, 6 novembre 2024.

* 28 Cela inclut des parcs nationaux (3), réserves naturelles (38), des arrêtés de protection de biotope (28), des parcs naturels marins (8), des sites relevant du réseau Natura 2000 (234), des parties maritimes du domaine du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (55), une réserve nationale de chasse et de faune sauvage (1), des aires marines instaurées au titre des conventions de mers régionales et des conventions internationales (81) ou en application des codes de l'environnement de la Polynésie française (60), des codes de l'environnement des provinces de Nouvelle-Calédonie et/ou délibérations du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (58).

* 29 Source : réponses de la DEB au questionnaire écrit du rapporteur.

* 30 Source : réponses de l'Ifremer au questionnaire écrit du rapporteur.

* 31 Oceana, Marine Paper Parks : Exposing Destruction in France's Iconic Marine Protected Areas, 28 mai 2025.

* 32 Source : réponses de l'Ifremer au questionnaire écrit du rapporteur.

* 33 Source : réponses de l'OFB au questionnaire écrit du rapporteur.

* 34 Source : réponses de Didier Gascuel au questionnaire écrit du rapporteur.

* 35 European maritime, fisheries and aquaculture fund, “Assessing spillover from marine protected areas to adjacent fisheries - Baltic and North Seas, Atlantic EU Western Waters and Outermost Regions : final report”, 2024.

* 36 Source : réponses de Didier Gascuel au questionnaire écrit du rapporteur.

* 37 Source : réponses de l'Ifremer au questionnaire écrit du rapporteur.

* 38 Notamment dans l'étude « Transipêche » : Gascuel, Quenper et al., 2024 - accessible sur https://halieutique.institut-agro.fr/files/fichiers/pdf/Transip%C3%AAchePerformances.pdf

* 39 Les données proviennent des déclarations des États membres de l'UE et sont établies sur un pas de temps annuel à l'échelle de chacune des flottilles de pêche : https://stecf.ec.europa.eu.

* 40 D. Gascuel, Quenper et alii, 2024, op. cit, p. 67 et en particulier la figure n°38.

* 41 Étude précitée, p. 66 et graphes associés.

* 42 D. Gascuel, Quenper et alii, 2024, op. cit

* 43 Étude précitée, p.64 et en particulier la figure n°37.

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