EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 10 juin 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Annick Petrus, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 568, 2024-2025) visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail.
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport d'Annick Petrus et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail, adoptée par l'Assemblée nationale le 5 mai 2025. Cette proposition de loi est inscrite à l'ordre du jour des travaux de la séance du jeudi 19 juin. Je vous indique qu'aucun amendement n'a été déposé sur ce texte.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Cette proposition de loi de la députée Prisca Thevenot, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 5 mai 2025 a été inscrite à l'ordre du jour de nos travaux sur l'initiative du Gouvernement.
Le dispositif, intégralement réécrit par la rapporteure lors du passage en commission à l'Assemblée nationale, vise à répondre aux discriminations, directes ou indirectes, que peuvent vivre, dans le milieu professionnel, les personnes s'engageant dans un parcours de procréation médicalement assistée (PMA), ou dans un parcours d'adoption.
Sans plus de suspense, je vous invite à soutenir cette initiative, tant il est vrai que ces parcours sont durs pour les futurs parents, et qu'il n'est pas souhaitable d'ajouter aux épreuves subies dans la vie personnelle des obstacles dans la vie professionnelle. Une fois cette évidence rappelée, j'appelle cependant votre attention sur un risque qui me semble se présenter au législateur au gré des lois inscrivant de nouveaux motifs de discrimination, au risque de confondre la maladie et le symptôme.
Au préalable, permettez-moi de rappeler le cadre légal existant en matière de discrimination au travail de personnes ayant un projet parental.
Conformément aux principes au fondement de notre République, les codes du travail et de la fonction publique érigent un principe de non-discrimination dans le monde professionnel, qui s'applique aussi bien au recrutement et au licenciement qu'aux promotions et à la rémunération, ou encore aux conditions de travail et à l'accès à la formation. Les articles rappelant ce principe prévoient également une liste de motifs de discrimination parmi lesquels figurent notamment la situation familiale, la grossesse et l'état de santé. Le code du travail prévoit en outre un régime de protection contre les discriminations des femmes enceintes, qui s'applique depuis 2016 aux femmes salariées qui bénéficient d'une assistance médicale à la procréation.
Par ailleurs, face à l'augmentation croissante du nombre de recours à la PMA qu'occasionnent la diminution de la fertilité et le recul de l'âge moyen au premier enfant, le législateur a entendu faciliter la conciliation de la vie privée et professionnelle des personnes concernées. Il a mis en place à cette fin un régime d'autorisation d'absence des salariées du secteur privé de sexe féminin, afin que celles-ci puissent se rendre aux rendez-vous médicaux nécessaires. Sensible à la difficulté de ces moments, le législateur a également consacré des autorisations d'absence pour le partenaire qui accompagne la salariée.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi part d'un constat de bon sens. L'adoption, comme le recours à la PMA, a ceci de particulier que le projet parental qu'ils portent nécessite une procédure et des rendez-vous que l'employeur peut discerner avant même le début d'une grossesse ou l'accueil d'un enfant.
L'article 1er, tel que transmis au Sénat, prévoit que les articles du code du travail relatifs à la protection contre les discriminations des femmes enceintes et des salariées suivant un parcours de PMA s'appliquent désormais à toute personne - homme ou femme - engagée dans un « projet parental », via un recours à une PMA ou via l'adoption.
Ainsi, la loi disposerait désormais que toute personne suivant un parcours de PMA ou d'adoption ne peut faire l'objet d'un refus d'embauche, d'une rupture de contrat ou d'une mutation. Par ailleurs, en cas de litige, la charge de la preuve incombera à l'employeur, ce qui est de droit commun en matière de discriminations.
Il faut être lucide, cet article 1er est d'ordre symbolique. Fort heureusement, le droit en vigueur protège déjà les salariées ayant un projet parental, ainsi que leurs conjoints, puisque le code du travail interdit les discriminations à raison de la situation familiale. Les services de l'administration nous ont d'ailleurs confirmé que les juges des prud'hommes se saisissent déjà de cette possibilité, et qu'il n'existe pas de déni de droit en la matière.
Cette disposition, symbolique, vous l'aurez compris, ne doit pas conduire à jeter l'opprobre sur les employeurs. Personne ici ne considère que le comportement délictuel d'une infime minorité d'entre eux serait représentatif de l'ensemble.
L'article 2 élargit, quant à lui, le périmètre des salariés bénéficiant du régime d'autorisations d'absence dans le cadre d'un projet parental. Il ouvre la possibilité aux hommes de bénéficier d'autorisations d'absence pour les actes médicaux nécessaires dans le cadre d'une PMA, ainsi qu'à leurs conjointes en tant qu'accompagnantes. Ce même article ouvre également la possibilité aux salariés des deux sexes engagés dans une procédure d'adoption de bénéficier d'autorisations d'absence. En effet, le processus d'agrément suppose, pour les candidats à l'adoption, de se rendre à un certain nombre d'entretiens obligatoires sur le temps de travail.
Enfin, cet article prévoit que, en cas de projet parental, les agents publics bénéficient des mêmes autorisations d'absence que celles qui sont attachées au régime de droit commun applicable aux salariés.
Contrairement à l'article 1er, ces dispositions apportent une avancée concrète pour les salariés, au profit d'une meilleure conciliation entre projet parental et vie professionnelle. Pour autant, le législateur n'a pas le monopole du bon sens, et de nombreuses branches professionnelles ou entreprises ont d'ores et déjà agi en ce sens par la voie de la négociation collective. Il en va de même pour le secteur public, où des circulaires existent en l'absence d'une base légale.
Avant de conclure, je souhaite vous faire part d'une réflexion plus personnelle sur le regard que nous devons porter aux discriminations en tant que législateur.
Lors de mes travaux, j'ai constaté une multiplication des régimes de protection contre les discriminations. L'article du code du travail listant les motifs a ainsi été modifié en moyenne une fois tous les deux ans depuis 2012, pour atteindre vingt-sept motifs aujourd'hui, parmi lesquels les discriminations à raison du sexe, de l'âge, de l'orientation sexuelle, mais également de la domiciliation bancaire ou des activités mutualistes. Entendons-nous bien : toutes ces discriminations doivent être combattues, mais ce combat est-il plus efficace en allongeant sans cesse une liste qui ne sera de toute manière jamais assez complète pour répondre à l'infinie diversité des situations individuelles ?
Légiférer de la sorte, c'est d'abord prendre le risque d'oublis ou d'incohérences ; le texte que nous examinons n'en est pas exempt : il n'inscrit pas dans le code de la fonction publique le nouveau motif de discrimination qu'il crée à l'article 1er.
Plus fondamentalement, en précisant sans cesse les motifs de discrimination proscrits par la loi, n'en vient-on pas à oublier le sens même de la non-discrimination ? Ce qui est interdit, ce n'est pas de discriminer sur l'un des motifs de la liste évoquée, mais c'est bien de discriminer tout court, c'est-à-dire de traiter un salarié de manière moins favorable qu'un autre dans une situation comparable.
Pour autant, le Gouvernement n'ayant pas engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi, et compte tenu de l'embouteillage législatif observé à l'Assemblée nationale, seule une adoption conforme assurerait une entrée en vigueur rapide de ce texte. Bien que modeste, cette avancée est attendue par les familles en procédure d'adoption ou en parcours de PMA, et je suis sûre qu'elles sauront nous trouver à leurs côtés, en faveur d'une meilleure prise en compte de la parentalité dans le monde du travail.
Je vous invite donc à adopter ce texte sans modification.
Pour terminer, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé, il m'appartient de vous proposer un périmètre, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents. Je vous propose de considérer que cette proposition de loi comprend des dispositions relatives aux discriminations au travail et aux modalités d'absence pour les procédures nécessaires dans le cadre d'un projet parental. En revanche, ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs à l'accès, aux procédures et à la recherche en matière de procréation médicalement assistée ; aux procédures d'adoption ; aux congés liés à la parentalité.
Mme Silvana Silvani. - La protection des travailleurs engagés dans un projet parental est nécessaire ; pour autant, il me paraît important de rappeler que cette proposition ne règle pas les difficultés rencontrées par des salariés en raison de leur qualité de parents ou de leur projet parental. Des femmes, en particulier, sont ainsi amenées à travailler à temps partiel, voire à quitter leur emploi, parce que l'organisation du travail ne leur permet pas de combiner vie personnelle et vie professionnelle.
L'extension de la protection au conjoint, notamment aux hommes, est très positive. Il convient en effet de garder à l'esprit leur rôle dans la procédure.
Pour autant, la protection des salariés dépend surtout de son contrôle par l'inspection du travail, laquelle est malmenée sur le plan des effectifs au point que l'application de ces mesures risque de n'être jamais véritablement vérifiable.
Cette proposition de loi est donc surtout symbolique, mais nous pouvons considérer, avec un peu d'espoir, qu'elle enverra un message à destination des employeurs. À défaut de faire avancer les droits, on peut toujours tenter de faire évoluer les mentalités...
En revanche, je m'inquiète de plus en plus de la nécessité devant laquelle nous nous trouvons de voter ces textes dans la rédaction conforme de l'Assemblée nationale ; l'argument de l'embouteillage législatif me semble avoir une portée limitée.
Mme Florence Lassarade. - Pourquoi l'intitulé de la proposition de loi est-il si peu explicatif ? Pourrions-nous le rendre plus clair ?
Mme Laurence Rossignol. - Il faut bien que tout le monde laisse sa trace dans l'histoire, et dans le code...
La rapporteure a fait part de ses interrogations quant à la nécessité juridique de ce texte. C'est en effet accorder bien peu de confiance aux juges que de considérer que ceux-ci ne seraient pas capables d'étendre d'eux-mêmes la protection concernant la discrimination fondée sur la grossesse à ces cas particuliers : ils l'ont déjà fait, bien entendu, notamment à Douai. Bref, soyons tolérants.
La seule avancée de ce texte est le droit aux congés pour les hommes qui subissent le processus aux côtés de leur compagne. J'ai lu le rapport de l'Assemblée nationale, qui me semble pour le moins ambitieux : il indique que ce texte pourrait contribuer à une hausse de la natalité. Certes, les petits ruisseaux font les grandes rivières, mais tout de même : faisons preuve d'un peu de modestie, je vous en conjure !
Nous allons voter ce texte conforme, cela fera plaisir à Mme Thevenot.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Concernant les contrôles, l'enjeu est plutôt la connaissance du régime des autorisations d'absence par les employeurs et par les salariés, afin de réduire le non-recours. Ceux-ci doivent s'emparer de ce texte et prendre connaissance de ses dispositions pour éviter d'en passer par les juges ou l'inspection de travail.
L'intitulé du texte correspond à la proposition de loi avant qu'elle ne soit enrichie des travaux de l'Assemblée nationale ; si nous le modifions, il faudra procéder à une deuxième lecture à l'Assemblée nationale, ce que nous souhaitons éviter.
Madame Rossignol, vous évoquez la formulation retenue dans le rapport de l'Assemblée nationale, nous ne prétendons pas, quant à nous, que ce texte réglera le problème de la natalité en France.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 2 (nouveau)
L'article 2 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée sans modification.