B. UNE CROISSANCE PORTÉE PAR LE DÉRAPAGE DES COMPTES PUBLICS ET UNE AMÉLIORATION EN TROMPE-L'oeIL DE LA BALANCE COMMERCIALE, MAIS FREINÉE PAR LES EFFETS RETARDÉS DE LA CONTRACTION MONÉTAIRE

En 2024, la croissance a été portée par le dérapage des comptes publics, qui s'observe non seulement dans la contribution de la demande publique à la croissance du PIB (+ 0,6 point), mais également dans celle de la contribution d'autres postes, comme la consommation des ménages (+ 0,5 point), moins affectés par la fiscalité que prévu - on rappelle en effet que la dégradation du déficit public en 2024 résulte en grande partie de recettes moindres qu'attendu7(*) - et portés par une progression de la dépense sociale, notamment la revalorisation des retraites en fonction de l'inflation de 2023.

La croissance a également été fortement soutenue par l'amélioration de la balance commerciale, dont la contribution à la croissance a été de + 1,3 point. Un mouvement de déstockage est toutefois la contrepartie de la baisse des importations : pour satisfaire la demande, les entreprises, au lieu d'importer, ont préféré déstocker.

Contribution des différents facteurs de la demande à la croissance en 2023

(en points de croissance du PIB)

Note : la différence entre la somme des contributions et le total est due aux erreurs d'arrondis. Les « ISBLM » sont les institutions sans but lucratif au service des ménages ».

Source : commission des finances, d'après les données de l'Insee de mai 2025

1. La demande publique explique près de la moitié de la croissance en 2024

La demande publique, en 2024, a contribué à près de la moitié de la croissance. Cette dernière s'est en effet élevée à 1,2 %, et la contribution de la demande publique a cette dernière a été de 0,6 point8(*).

La consommation publique, qui a crû de 1,4 % en volume en 2024 - comme en 2023 - a en effet contribué à hauteur de 0,3 point à la croissance du PIB, portée par les dépenses de soins de ville et les achats de médicaments financés par la Sécurité sociale9(*).

L'investissement public, porté par les collectivités et notamment les communes, s'est quant à lui montré encore dynamique, avec une hausse de 4,8 % en volume représentant une contribution à la croissance du PIB de 0,2 point.

2. L'amélioration de la balance commerciale n'est que la contrepartie d'une consommation atone et d'un mouvement de déstockage des entreprises

Par ailleurs, l'amélioration à hauteur de 38,8 milliards d'euros de la balance commerciale - toujours déficitaire - contribue positivement à la croissance, et de façon significative. En effet, non seulement le niveau des exportations augmente de 2,5 %, mais le niveau des importations diminue de 1,2 %.

Bien que le Gouvernement, dans l'exposé des motifs du présent projet de loi, explique que le niveau de croissance a été plus faible que prévu du fait d'une demande mondiale adressée à la France limitée en raison d'une perturbation du trafic maritime transitant par les canaux de Suez et de Panama, les contributions à la croissance respectives de la hausse des exportations et de la baisse des importations s'élèvent ainsi à 0,9 et 0,4 point, aboutissant à une contribution du commerce extérieur à la croissance de 1,3 point. Pour que l'analyse soit complète, toutefois, il faut préciser que le recul des importations s'est accompagné en 2024 d'un important mouvement de déstockage des entreprises, qui a grevé la croissance de 0,8 point.

Il n'en demeure pas moins que ce mouvement confirme l'amélioration du solde du commerce extérieur déjà enregistrée en 2023.

Évolution du solde du commerce extérieur entre 2012 et 2024

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données de l'Insee

Comme le signale l'Insee, cette amélioration s'explique par un recul des importations énergétiques, principalement en gaz et pétrole brut, de biens fabriqués (en particulier les biens d'équipement et les voitures), ainsi que par une hausse des exportations de produits agro-alimentaires, chimiques et pharmaceutiques, ainsi que par une accélération des exportations de services, notamment aux entreprises.

Toutefois, le recul des importations constitue également la contrepartie d'une certaine atonie de la consommation des ménages.

Si elle accélère par rapport à 2023, en augmentant de 1 %, elle ne contribue à la croissance du PIB qu'à hauteur de 0,5 point, ce qui est certes plus élevé qu'en 2023, mais historiquement faible. Ainsi, seule la consommation de services augmente (+ 2,2 %) notamment du fait des achats de billets pour les jeux Olympiques et Paralympiques, tandis que la consommation de biens diminue de 0,2 %.

En effet, si en 2024 le pouvoir d'achat du revenu disponible a augmenté de 2,6 %, et de 2,1 % par unité de consommation, cette dynamique fait suite à une diminution, pendant plusieurs années, des salaires réels, qui ont enregistré un recul de l'ordre de 3 % entre fin 2020 et fin 202410(*). Combinée à une forte inflation ressentie, souvent plus élevée que l'inflation mesurée11(*), et à la hausse généralisée des facteurs d'incertitudes sur l'année 2024, cette situation a pu contribuer à l'élévation du taux d'épargne, qui est passé de 17 % à 18,2 % entre 2023 et 202412(*). Le niveau de consommation s'en trouve nécessairement affaibli. Au contraire, lors de l'examen du PLF, le Gouvernement prévoyait une baisse du taux d'épargne et estimait sur ce fondement que la consommation soutiendrait fortement la croissance. La commission des finances du Sénat estimait à l'époque que les hypothèses gouvernementales étaient « trop favorables au regard de nombreux éléments d'incertitudes »13(*).

3. Les effets retardés de la contraction monétaire et la hausse de l'incertitude ont entraîné une baisse de l'investissement

Enfin, plus encore qu'en 2023, la contraction monétaire décidée par la Banque centrale européenne entre juillet 2022 et septembre 2023, période lors de laquelle ses taux directeurs ont augmenté de 450 points de base, a pesé sur l'investissement. Le climat d'incertitude, lié notamment à la dissolution de l'Assemblée nationale décidée le 9 juin 2024, a également alimenté l'attentisme des entreprises. Ces deux facteurs ont conduit à une diminution non seulement de l'investissement des ménages - comme en 2023 - mais encore désormais à une baisse de l'investissement des sociétés non financières.

L'investissement des ménages a poursuivi sa chute, tout en la ralentissant, puisqu'il a baissé de 5,4 % en 2024 contre 8 % en 2023, ce qui a pesé à hauteur de 0,3 point sur la croissance. L'investissement des sociétés non financières a baissé de 2,2 %, minorant la croissance de 0,3 point : la hausse des taux est en effet venue diminuer le nombre de projets rentables. Dans l'investissement privé, seul celui des sociétés financières augmente, à hauteur de 8,9 %, soit une contribution de 0,1 point à la croissance.

Au total, l'investissement a diminué de 1,1 %, grevant la croissance de l'activité de 0,2 point : la hausse de l'investissement public n'a pas suffi pour compenser la chute de l'investissement privé.


* 7  Rapport d'information n° 153 (2024-2025) du 19 novembre 2024 de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général : « Octobre 2023 - Septembre 2024 : une irresponsabilité budgétaire assumée, un Parlement ignoré ».

* 8 0,55 point pour être plus précis.

* 9 Ces dépenses sont catégorisées comme de la « consommation individualisable des administrations publiques ». En revanche, les prestations sociales sont des dépenses de transfert non comptabilisées dans la demande publique et donc comme contribution à la croissance, mais dans la demande privée au moment de leur utilisation sous forme de consommation ou d'investissement.

* 10 Note de conjoncture de l'Insee : « La croissance entre pouvoir d'achat et incertitudes », 10 octobre 2024.

* 11 Outre des effets psychologiques, l'inflation n'est pas la même selon les paniers de biens consommés par les différentes catégories de population, et elle se distingue également de l'inflation globale.

* 12  Données de l'Insee.

* 13  Rapport général n° 128 (2023-2024), tome I, de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général, déposé le 21 novembre 2023

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