II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
A. LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT SUPPOSE UNE VISIBILITÉ PLURIANNUELLE
1. Au cours de l'exercice 2024, pour atténuer la dérive inédite des finances publiques, les recettes affectées à l'AFITF ont été réduites de 399 millions d'euros
Compte-tenu des besoins en matière de financement des infrastructures les lois de finances initiales 2023 puis 2024 avaient conduit à augmenter de manière significative le cumul des plafonds d'affectation à l'AFITF du rendement des taxes composant son panier de ressources. Ainsi, selon les prévisions de la loi de finances initiale pour 2024, les recettes affectées à l'AFITF9(*) au titre de cette année devaient-elles atteindre près de 4,6 milliards d'euros contre 3,7 milliards d'euros en 2023 et 3,2 milliards d'euros en 2022, soit une hausse de 1,3 milliard d'euros (+ 40 %) en deux ans. Par rapport aux ressources affectées à l'agence en 2019, l'augmentation devait même représenter 2 milliards d'euros (+ 85 %).
Cependant, comme indiqué supra, dès l'exercice 2024, le budget de l'AFITF a été amené à contribuer à l'effort d'atténuation du dérapage inédit des finances publiques. Cette contribution s'est matérialisée, dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion pour 2024, par la réduction de 399 millions d'euros du plafond d'affectation de l'accise sur les énergies10(*). Aussi, et alors que l'exécution effective d'autres ressources affectées à l'AFITF a différé des prévisions initiales, les recettes de l'agence se sont-elles établies à 4,2 milliards d'euros en 2024, soit un recul de 8 % par rapport à la prévision initiale. Ce montant demeure néanmoins supérieur de 0,9 milliard d'euros (+ 29 %) par rapport aux recettes constatées en 2023 et de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2019 (+ 70 %).
Les recettes de l'AFIT en 2024
(en millions d'euros)
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
LFI 2024 |
Exécution 2024 |
Variation exécution 2024/2023 |
Variation LFI 2024 / exécution 2024 |
|
Taxe d'aménagement du territoire |
523 |
459 |
561 |
561 |
561 |
561 |
561 |
- |
- |
Redevance domaniale |
357 |
365 |
336 |
370 |
402 |
411 |
422 |
+ 5,0 % |
+ 2,7 % |
Amendes radars |
228 |
167 |
271 |
178 |
178 |
252 |
134 |
- 24,9 % |
- 47,0 % |
TICPE |
1 206 |
1 587 |
1 285 |
1 248 |
1 908 |
2 050 |
1 651 |
- 13,5 % |
- 19,5 % |
Écocontribution billets d'avion |
- |
- |
- |
138 |
226 |
250 |
254 |
+ 12,6 % |
+ 1,8 % |
Taxe sur les infrastructures de transport de longue distance |
- |
- |
- |
- |
- |
600 |
549 |
- |
- 8,5 % |
Plan de relance autoroutier |
60 |
58 |
- |
- |
- |
- |
188 |
- |
- |
Produits exceptionnels |
89 |
- |
- |
2 |
4 |
30 |
10 |
+ 160,0 % |
- 65,0 % |
Dotations budgétaires diverses de l'État |
- |
250 |
100 |
82 |
- |
- |
- |
- |
- |
Versements de la mission « Plan de relance »11(*) |
- |
- |
599 |
660 |
409 |
397 |
411 |
+ 0,5 % |
+ 3,6 % |
Total |
2 462 |
2 886 |
3 152 |
3 239 |
3 689 |
4 550 |
4 180 |
+ 13,3 % |
- 8,1 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les budgets et rapports d'activité de l'AFITF
S'agissant des recettes de l'AFITF en 2024, deux autres évolutions notables sont à souligner.
Il s'agit d'une part de la première année de rendement de la nouvelle taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance12(*). Le produit de la taxe a atteint 549 millions d'euros, en retrait toutefois par rapport au produit initialement attendu à hauteur de 600 millions d'euros.
Les rapporteurs soulignent qu'en 2024, en affectant l'intégralité du produit de cette nouvelle taxe, le Gouvernement n'a pas appliqué la disposition législative qui prévoit que deux fractions d'un douzième de son rendement soient versées chaque année aux communes et aux départements afin de contribuer au financement de leur voirie. En effet, son intention initiale, lors du dépôt du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 était d'abroger cette disposition avec un effet rétroactif au 1er janvier 2024. Cependant, le Parlement a confirmé cette disposition dans le cadre de l'examen de ce projet de loi. Le texte promulgué n'a pas prévu son abrogation. Aussi, les rapporteurs constatent-ils que l'État est désormais débiteur de 92 millions d'euros à l'égard des départements et des communes au titre du produit de la taxe perçu en 2024.
D'autre part, après un arrêt du tribunal administratif de Cergy Pontoise du 14 mars 2024, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont été contraintes de verser à l'AFITF les échéances 2021, 2022 et 2023 d'une contribution volontaire qu'elles s'étaient engagées à verser à l'agence dans le cadre du plan de relance autoroutier de 2015, soit 188 millions d'euros.
En contentieux avec l'État au sujet de l'indexation partielle de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation, les sociétés d'autoroutes refusaient de s'acquitter de cette contribution depuis 2021.
S'ils sont satisfaits que cette dette ait pu être enfin acquittée, les rapporteurs ne peuvent néanmoins cacher leur désapprobation quant au comportement des sociétés d'autoroutes qui s'apparente à une forme de prise d'otage du financement des infrastructures de transport à travers l'agence qui les financent. C'est ainsi avec regret qu'ils ont appris que les sociétés d'autoroutes avaient à nouveau choisi de refuser de verser la somme de 60 millions d'euros qu'ils devaient à l'AFITF au titre de l'année 2024. Ils continueront à suivre avec attention cette situation à l'heure où, par ailleurs, l'avenir des concessions autoroutières est en grande partie en train de se jouer.
2. Bien que réduites par les efforts d'économies en cours de gestion, les dépenses de l'AFITF ont atteint un niveau record en 2024
En 2024, la consommation effective de crédits de l'AFITF s'est élevée à 4,8 milliards d'euros en AE et 4,3 milliards d'euros en CP. Essentiellement du fait de la contribution des dépenses d'investissement dans les infrastructures de transport à la limitation du dérapage des finances publiques (voir supra), ces montants sont inférieurs d'environ 270 millions d'euros aux prévisions du budget initial, soit un peu moins de 6 % des CP programmés en début d'exercice.
Ces montants restent néanmoins nettement supérieurs à ceux constatés au cours des années précédentes. Ainsi, entre 2022 et 2024, les dépenses effectives de l'AFITF ont-elles progressé de 1,1 milliard d'euros, soit 32 %. Depuis 2019, la hausse a atteint 1,9 milliard d'euros (+ 76 %).
Crédits de paiement consommés annuellement par l'AFITF (2016-2024)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les budgets et rapports d'activité de l'AFITF
Le total des crédits consommés en 2024 par l'AFITF selon les différents modes de transports est présenté dans le tableau suivant :
Dépenses de l'AFITF par destination en 2024
(en millions d'euros)
Domaine |
AE |
% |
CP |
% |
Ferroviaire |
2 466,9 |
51,3 % |
1 674,8 |
38,5 % |
Routes |
1 211,2 |
25,2 % |
1 368,2 |
31,5 % |
Fluvial |
171,0 |
3,6 % |
248,6 |
5,7 % |
Maritime |
150,3 |
3,1 % |
63,4 |
1,5 % |
Transports en commun et mobilités actives |
760,5 |
15,8 % |
878,9 |
20,2 % |
Divers et support |
45,9 |
1,0 % |
113,5 |
2,6 % |
Totaux |
4 805,8 |
- |
4 347,3 |
- |
Source : commission des finances du Sénat, d'après le budget exécuté de l'AFITF
Alors qu'elles s'étaient stabilisées depuis 2020, les dépenses de l'AFITF dans les infrastructures ferroviaires ont fortement augmenté en 2024 pour s'établir à 1,7 milliard d'euros, soit près de 40 % du total de la consommation des CP de l'agence.
Les dépenses de l'agence dans les domaines routiers comme en faveur des transports en commun et des mobilités actives ont également poursuivi leur progression en 2024.
Évolution des crédits de paiement
consommés par l'AFIT en faveur des infrastructures ferroviaires,
routières et des transports en commun
et mobilités actives
(2017-2024)
(en millions d'euros)
TCM : transports en commun et mobilité verte
Source : commission des finances du Sénat, d'après les budgets et rapports d'activité de l'AFITF
3. Inscrits par nature dans le temps long, les investissements dans les infrastructures de transport ne peuvent se satisfaire d'un horizon annuel
La trajectoire pluriannuelle des investissements de l'AFITF dans les infrastructures prévues par la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) ne courait que jusqu'en 2023. Depuis, les investissements dans les infrastructures de transport en France ne bénéficient presque plus de visibilité pluriannuelle.
Alors que les investissements dans leurs infrastructures supposent une stratégie cohérente inscrite dans le temps long, les rapporteurs considèrent qu'il est nécessaire que la loi prévoie les grandes lignes de cette stratégie et garantisse une visibilité suffisante quant à son financement à travers une programmation pluriannuelle des dépenses de l'AFITF. Au demeurant, les rapporteurs rappellent que cette exigence est explicitement prévue par les dispositions de l'article 3 de la LOM.
* 9 Y compris les crédits alloués à l'agence au titre des opérations liées au plan de relance.
* 10 L'ancienne taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
* 11 Programmes 362 et 364.
* 12 Créée par l'article 100 de la loi de finances initiale pour 2024.