B. LA SNCF NE POURRA PAS FINANCER À ELLE SEULE L'AUGMENTATION INDISPENSABLE DES INVESTISSEMENTS DANS LE RÉSEAU FERROVIAIRE EXISTANT
Après avoir déjà augmenté de 26 % l'année précédente, en 2024, les concours versés à SNCF Réseau inscrits à l'action 41 « Ferroviaire » du programme 203 ont progressé de 6 %. Cette hausse s'explique par deux facteurs : d'une part l'augmentation des redevances ferroviaires, les péages ferroviaires, et, d'autre part, la réévaluation à la hausse des sommes versées par la SNCF au fonds de concours destiné à financer la régénération et la modernisation du réseau ferré.
Les dépenses consacrées aux redevances d'accès au réseau versées par l'État pour les trains express régionaux (TER), les trains d'équilibre du territoire (TET) ainsi que la compensation dédiée aux activités de fret ferroviaire ont augmenté de 9 % en 2024 pour s'établir à 2,9 milliards d'euros. Cette augmentation s'explique par la très forte hausse (+ 10 %) des péages ferroviaires en 2024.
Dans un rapport d'information de mars 202213(*) les rapporteurs spéciaux Hervé Maurey et Stéphane Sautarel avaient souligné et documenté un déficit d'investissements dans la régénération des infrastructures ferroviaires qui menaçait la pérennité du réseau ferré. Aussi, avaient-ils recommandé de majorer d'un milliard d'euros par an les investissements dans la régénération du réseau. En outre, en raison des retards considérables de la France en la matière, ils avaient également recommandé de programmer et de financer les programmes de modernisation du réseau ferroviaire que sont la commande centralisée du réseau (CCR)14(*) et l'ERTMS15(*). Un rapport publié en février 2023 par le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) était arrivé aux mêmes conclusions et la première ministre de l'époque, Madame Elisabeth Borne, s'était également appuyée sur ces constats pour annoncer un plan d'investissements dans le ferroviaire de 100 milliards d'euros.
Dans le cadre de ce plan, l'État avait alors pris l'engagement de réévaluer les investissements annuels dans la régénération et la modernisation à hauteur de 1,5 milliard d'ici à 2027 : 1 milliard d'euros par an supplémentaires pour la régénération et 0,5 milliard d'euros pour la modernisation. À la fin de l'année 2023 et jusqu'à cet horizon de 2027, le Gouvernement a fait le choix, traduit à partir de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, de faire exclusivement financer par la SNCF cette augmentation des investissements annuels dans le réseau ferré existant.
Entre 2024 et 2027, la SNCF a en effet, à la demande expresse de l'État, pris l'engagement de financer en totalité la montée en puissance des investissements dans la régénération et la modernisation du réseau. Cet engagement doit se traduire concrètement par des versements complémentaires16(*) au fonds de concours qui alimente chaque année l'action 41 du programme 203 pour contribuer à financer la régénération et la modernisation du réseau ferroviaire existant, à hauteur de 2,3 milliards d'euros sur l'ensemble de la période, soit près de 600 millions d'euros par an en moyenne.
Ainsi, alors que le contrat de performance de SNCF Réseau prévoyait que la SNCF alimente ce fonds de concours à hauteur d'un milliard d'euros en 2024, elle l'a finalement abondé à hauteur de 1,7 milliard d'euros17(*), soit un effort inédit pour le groupe. Il convient de préciser que cet abondement est essentiellement constitué d'un prélèvement effectué sur les bénéfices réalisés par la société SNCF Voyageurs. Ce prélèvement est considéré par l'État comme son propre renoncement au versement de dividendes par un groupe dont il est l'unique actionnaire.
Abondement du fonds de concours
dédié à la régénération du
réseau ferroviaire par les dividendes de SNCF Voyageurs et le plan de
relance ferroviaire
depuis 2016
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Les rapporteurs ont déjà eu l'occasion de manifester leurs interrogations quant au choix de cette modalité de financement qui présente plusieurs risques :
- un accroissement du lien de dépendance financière entre SNCF Réseau, le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire, et l'opérateur de transport de voyageurs historique SNCF Voyageurs ;
- un potentiel effet d'éviction au détriment d'autres investissements de la SNCF, notamment en matière de renouvellement de son matériel roulant ;
- un effet inflationniste sur le prix des billets.
Alors que la concurrence se développe progressivement dans les différents segments du transport ferroviaire de passagers, ce système de financement n'est pas soutenable à terme. En effet, outre le fait qu'il handicape SNCF Voyageurs face à ses concurrents, il conduit la société publique à financer, dans des proportions importantes, un réseau qui sera de plus en plus utilisé par d'autres opérateurs ferroviaires avec lesquels il se trouve en compétition.
Les rapporteurs ont noté que la SNCF a annoncé18(*) être en mesure de financer structurellement, à compter de 2027, un tiers des investissements supplémentaires requis en matière de régénération et de modernisation du réseau ferroviaire, soit 500 millions d'euros par an. À cet horizon, afin d'éviter une dégradation rapide et potentiellement catastrophique de l'état du réseau ferroviaire structurant, il conviendra de trouver les ressources complémentaires permettant de sécuriser sur la durée la revalorisation des dépenses d'investissements annuelles dans les infrastructures ferroviaires existantes.
* 13 Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d'agir, Rapport d'information n° 570 (2021 2022) de MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL, fait au nom de la commission des finances, 9 mars 2022.
* 14 La commande centralisée du réseau (CCR) doit se traduire par la création de « tours de contrôle » à grand rayon d'action permettant de centraliser la régulation des circulations. La CCR est un levier d'efficience considérable. Son déploiement permettrait de remplacer les 2 200 postes d'aiguillages actuels (1 500 pour le réseau structurant), auxquels plus de 13 000 agents sont affectés, par une quinzaine de tours de contrôle. D'après la Cour des comptes la baisse d'effectifs consécutive pourrait atteindre 40 %.
* 15 L'ERTMS est un système de signalisation de nouvelle génération, interopérable au niveau européen et permettant de réduire l'intervalle entre les trains. Aussi permet-il d'augmenter la cadence du trafic (de quatre trains par heure sur les LGV), d'accroître la performance du réseau, d'améliorer la régularité du trafic ainsi que l'offre de sillons, en particulier aux opérateurs de fret ferroviaire.
* 16 Par rapport à la trajectoire prévue par l'actuel contrat de performance de SNCF Réseau.
* 17 Dont 172 millions d'euros au titre de produits de cession, le reste étant prélevé sur les résultats de la filiale SNCF Voyageurs.
* 18 Dans la contribution écrite qu'elle a produite en mai 2025 dans le cadre de la conférence de financement des mobilités.