B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. À la faveur d'un niveau de recettes historique, en 2024, la DGAC a été en mesure d'accélérer son désendettement

En 2024, à la faveur d'un niveau de recettes perçues historique, le BACEA a été en mesure d'accélérer la résorption de la dette massive qu'il a contractée durant les années de crise. Pour la première fois depuis le déclenchement de la crise sanitaire, le BACEA n'a pas eu recours à l'emprunt en 2024. Aussi, la dette du budget annexe a-t-elle reflué de 372 millions d'euros au cours de l'exercice pour s'établir à 2 milliards d'euros au 31 décembre 2024. L'objectif poursuivi par la DGAC est de réduire l'encours de dette du BACEA à moins de 1,5 milliard d'euros à l'horizon 2027.

Évolution de l'encours de dette du budget annexe de 2008 à 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. Le nouveau protocole social de la DGAC contribue déjà à accroître le montant des charges de personnel du BACEA

Le schéma d'emploi positif de 28 ETP prévu pour l'année 2024 a été respecté en exécution. Ainsi, en 2024, les effectifs du BACEA se sont-ils établis à 10 251 ETPT.

Si, au coeur de la crise sanitaire, les effectifs de la DGAC, y compris des contrôleurs aériens, avaient été réduits7(*), la dynamique de recrutement de contrôleurs a été relancée depuis 2024 en raison d'une part de la reprise du trafic aérien et, d'autre part, d'une vague de départs à la retraite qui doit intervenir à la fin de la décennie 2020. Du fait de ce contexte et de la période de formation des contrôleurs aériens qui s'étale sur cinq ans, la DGAC a élaboré avec la direction du budget une trajectoire pluriannuelle d'évolution de ses effectifs jusqu'en 2027.

En 2024, les dépenses de personnel du BACEA ont augmenté de 5 % (58 millions d'euros) pour s'établir à 1 317 millions d'euros, soit 59 % du total de ses dépenses. Cette progression s'explique notamment par l'application en année pleine de mesures nationales décidées par le Gouvernement en 2023 pour réévaluer le traitement des fonctionnaires dans un contexte de forte inflation8(*).

Une partie de cette hausse résulte également des premiers effets du nouveau protocole social9(*) que la DGAC a conclu avec trois organisations syndicales représentatives de ses personnels au printemps 2024. En effet, comme le rapporteur a pu le préciser dans un rapport d'information qu'il a présenté en octobre 202410(*), les mesures catégorielles prévues par ce protocole auront pour conséquence, lorsqu'elles auront été mises en oeuvre dans leur ensemble, à horizon 2027, de majorer de façon pérenne les charges de personnel du BACEA d'environ 100 millions d'euros par an.

Dans ce même rapport d'information, le rapporteur avait néanmoins observé qu'à la différence des accords antérieurs, ce protocole prévoyait, en contrepartie des mesures catégorielles coûteuses consenties, de réels dispositifs visant à améliorer la performance du contrôle de la navigation aérienne en France. Pour autant, si le rapporteur s'était résolu par pragmatisme à soutenir la conclusion de ce dernier accord tant ces pratiques restent à ce jour ancrées dans les représentations de la DGAC et des contrôleurs, il souligne à quel point sa mise en oeuvre sera déterminante et devra éviter les habituels blocages s'agissant du volet performance et productivité. À plus long terme une réflexion visant à mettre en oeuvre une réforme plus structurelle de la DGAC et du contrôle aérien français devra permettre d'éviter la lourdeur des processus actuels et donner de l'agilité aux contrôleurs, aux électroniciens et permettre une meilleure performance dans la gestion du trafic aérien. Cette réforme aurait pour vocation de rendre autonome la direction des services de la navigation aérienne (DSNA), un modèle d'organisation extrêmement majoritaire en Europe.

3. Tumultueuse, coûteuse et sans fin, la modernisation des outils de la DSNA est à nouveau compromise
a) Des programmes à 2,4 milliards d'euros qui ont accumulé retards et surcoûts

La majeure partie des dépenses d'investissements du BACEA (210 millions d'euros en 2024) relèvent du programme 612 « Navigation aérienne » qui porte notamment les crédits alloués aux programmes de modernisation des outils du contrôle aérien.

L'évolution des dépenses d'investissement entre 2013 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Dans un rapport d'information de juin 202311(*), le rapporteur spécial a mis en lumière le fait qu'en termes d'investissements, « la DSNA se trouve actuellement, et pour au moins encore quelques années, dans une phase critique dans laquelle elle doit tout à la fois assumer le coût financier des dérives constatées sur ses différents programmes de modernisation, assurer leur aboutissement, anticiper les projets de modernisation à venir et combler des années de sous-investissement dans des infrastructures aujourd'hui en situation d'obsolescence avérée ».

Dans ce contexte, au cours de l'année 2023, la DGAC a négocié auprès de la direction du budget une trajectoire d'investissements nettement réévaluée à compter de l'année 2024. Celle-ci comprend notamment les coûts prévisionnels de la transition du programme 4-Flight vers un système mutualisé (à travers un nouveau programme de modernisation technologique baptisé « 4-Flight révolution ») et les investissements nécessaires pour remédier à l'obsolescence de certaines infrastructures de la DSNA.

Comme il avait pu le préciser lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, le rapporteur estime que cette revalorisation de la trajectoire d'investissements de la DSNA était nécessaire. Les perturbations extrêmement significatives du trafic aérien les 18 et 19 mai 2025 qui ont résulté de dysfonctionnements de l'imagerie radar sur le site de l'aéroport d'Orly témoignent tant du vieillissement et de la complexité de l'architecture informatique de la DSNA que de l'état d'obsolescence de certaines de ses infrastructures ainsi que des conséquences particulièrement néfastes qu'elles sont susceptibles de provoquer.

Pour résorber son retard technologique par rapport à ses homologues européens, la DSNA poursuit depuis de nombreuses années des programmes de modernisation de ses outils de contrôle de la navigation aérienne. Le rapporteur l'a souligné et en a décrit les causes dans son rapport d'information précité de juin 2023 : la conception et le déploiement de ces projets ont été marqués par des dérapages considérables, que ce soit en termes de délais ou de surcoûts. Le rapporteur a évalué à environ un milliard d'euros les surcoûts constatés sur les programmes les plus significatifs.

Évolution des coûts d'investissement
des programmes 4-Flight, Coflight et Sysat

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

Le coût total des programmes de modernisation du contrôle aérien actuellement en cours de développement et/ou de déploiement atteint environ 2,4 milliards d'euros. Sur ce montant, 770 millions d'euros, dont 305 millions d'euros pour le seul projet « 4-Flight révolution », resteront encore à décaisser dans les années à venir.

Coût des programmes techniques de modernisation
du contrôle de la navigation aérienne

(en millions d'euros)

Programme

Durée du programme

Coût total fin 2024 (en CP)

Coût total programme après 2024 (en CP)

Coût total programme

4-Flight

2011-2026

856,3

42,7

899,0

4-Flight Révolution

2024-2030

36,4

305,6

342,0

Coflight

2003-2025

286,7

16,4

303,1

Sysat

2012-2032

153,2

276,8

430,0

NVCS12(*)

2012-2027

82,0

36,8

118,8

CATIA

2020-2025

16,2

21,3

37,5

Seaflight

2012-2029

28,3

36,7

65,0

E-CDM13(*)

2012-2029

66,0

48,0

114,0

AIM14(*)-SEPIA15(*)

2017-2029

24,2

20,8

45,0

Total

-

1 549,3

768,4

2 354,4

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur observe, non sans une certaine inquiétude, que les budgets prévisionnels de quatre programmes sont marqués par de nouveaux surcoûts substantiels. Il s'agit des programmes NVCS, Seaflight, E-CDM et AIM-SEPIA. Conjugué au gel regrettable du déploiement du programme 4-Flight (voir infra), cette situation lui fait craindre un retour aux travers qu'il avait dénoncé dans ses précédents rapports et qui ont tant fragilisés la DSNA et sa capacité à délivrer un service performant aux acteurs du transport aérien. Un tel recul serait lourd de menaces pour le contrôle aérien français.

Ainsi, en 2024, le coût total du programme NVCS a-t-il été réévalué de 19,2 millions d'euros (soit + 19,3 %) pour s'établir à 118,8 millions d'euros. Critique, le programme NVCS consiste en la modernisation du système de communications vocales de sécurité des centres en route de la navigation aérienne (CRNA), c'est-à-dire les communications radio entre les contrôleurs chargés du trafic de survol et les pilotes. Malgré l'importance de cette augmentation rapportée au coût total du programme, le rapporteur regrette qu'aucune explication n'ait été fournie aux parlementaires et aux citoyens dans le rapport annuel de performances du programme 612.

Le programme Seaflight consiste en la modernisation des outils du contrôle aérien en outre-mer. En 2024, son coût total a plus que doublé, passant de 31 à 65 millions d'euros. D'après les informations figurant dans le rapport annuel de performance, cette hausse a une double origine. D'une part, la prolongation de quatre années du programme, jusqu'en 2029, et, d'autre part, l'intégration dans ce programme d'autres projets liés aux outils du contrôle aérien en outre-mer.

Le programme E-CDM regroupe un ensemble de projets visant à développer des solutions collaboratives pour optimiser la gestion des flux du trafic aérien. En 2024, le coût total prévisionnel de ce programme a été réévalué de 30 millions d'euros (soit + 35,2 %) sans que là encore aucune explication ne soit précisée dans le rapport annuel de performances.

Le programme AIM-SEPIA comprend plusieurs projets relatifs à l'amélioration des informations aéronautiques. Le coût total de ce programme a augmenté de 10,2 millions d'euros (soit + 29,3 %) en raison d'importantes difficultés rencontrées dans sa mise en oeuvre, d'une sous-estimation de certaines contraintes et de certaines charges ainsi que de la nécessité, compte tenu du retard pris par le programme de la prolongation des coûts liés au maintien en condition opérationnelle (MCO) des systèmes existants. Le rapport annuel de performances du programme 612 précise ainsi que « des difficultés techniques sont apparues lors des opérations de déploiement du nouveau système SEPIA sur le site opérationnel fin 2023 et un retard majeur sur le planning a été acté ». Il ajoute que « la charge liée à la migration du volume de données à reprendre en format numérique n'avait pas été suffisamment prise en compte dans le périmètre et l'impact du standard SWIM pour les échanges, mal connu, avait été sous-évalué ».

Évolution du coût prévisionnel total de quatre programmes de la DSNA
entre 2023 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

b) La modernisation des outils du contrôle aérien se trouve menacée par un conflit social regrettable qui compromet encore une fois ce chantier de déploiement aussi coûteux qu'interminable

Véritable « porte étendard » de la modernisation des outils du contrôle aérien, symbole de la volonté de ce dernier de raccrocher le wagon de ses homologues européens en comblant une part de son retard technologique et véritable test de crédibilité pour la DSNA, la finalisation du déploiement de 4-Flight dans les cinq centres en route de la navigation aérienne (CRNA) français d'ici l'hiver 2026-202716(*) devait également démontrer que cette direction en avait fini avec ses errements organisationnels passés qui avaient engendrés les retards et les surcoûts précités.

Dans son rapport d'information de juin 2023, le rapporteur voulait croire en cette évolution salutaire d'une DSNA qui semblait enfin prête à réaliser son aggiornamento. Il avait parfaitement conscience que l'achèvement du déploiement de cet outil dans le respect des délais prévus dans le nouveau calendrier avait valeur de test pour cette direction. Un nouvel accroc risquait de saper l'amorce de réforme qu'elle semblait avoir engagée.

La perspective du déploiement d'une seule et même version de 4-Flight dans tous les CRNA apparaissait en elle-même comme révolutionnaire au regard des pratiques passées de la DSNA. Elle était symbolique de l'annonce d'un revirement stratégique de cette direction qui portait notamment en lui un objectif de convergence et d'harmonisation des systèmes entre les différents centres, le renoncement à la logique du « sur-mesure » ainsi que la volonté de mettre un terme au phénomène de sur-spécification pour, à terme, une fois son retard technologique comblé, et notamment en perspective de « l'après 4-Flight », inscrire l'effort de modernisation de la DSNA dans de véritables feuilles de routes industrielles partagées avec des prestataires de service de la navigation aérienne (PSNA) étrangers.

Or, c'est avec regret et inquiétude que le rapporteur a eu connaissance d'une remise en cause du calendrier de déploiement de 4-Flight liée à un conflit social qui a éclaté au sein du CRNA de Bordeaux, l'un des deux derniers centres en-route, avec le CRNA de Brest, à ne pas encore être doté de cet outil. Ce conflit social entre les ingénieurs électroniciens du CRNA de Bordeaux et la DSNA s'est durci jusqu'à l'atteinte d'un point de rupture en mars dernier entraînant le gel des opérations de déploiement de cet outil dans ce centre pour une durée de six mois. Si elle n'est pas réglée très vite, cette situation est susceptible d'occasionner un nouveau retard d'un à deux ans minimums du déploiement d'une version unique de 4-Flight dans les cinq CRNA français ouvrant enfin la voie à un décommissionnement du très ancien et très coûteux système qui prévalait à ce nouvel outil : Cautra.

Il est urgent que la situation de blocage actuelle soit résolue tant elle menace de paralyser l'indispensable rattrapage technologique du contrôle aérien français, sans quoi pourrait s'aggraver dangereusement la performance médiocre qui le caractérise actuellement et qui en fait le principal pourvoyeur de minutes de retard de vols en Europe. L'intérêt supérieur du contrôle de la navigation aérienne en France et plus généralement du transport aérien doit être remis au centre des débats et contribuer à apaiser les tensions afin de trouver une porte de sortie à cette crise. La crédibilité de la DSNA en Europe de même qu'auprès des décideurs politiques en France, tout particulièrement en cette période de très forte contrainte budgétaire, souffrirait immanquablement d'une nouvelle dérive du programme le plus emblématique de la modernisation du contrôle aérien.


* 7 En 2022, le schéma d'emplois de la DGAC avait ainsi représenté - 72 ETP.

* 8 Il s'agit notamment de la hausse du d point d'indice et la majoration de 5 points de l'ensemble des grilles.

* 9 Qui concerne la période 2023-2027.

* 10 DGAC : après des protocoles sociaux coûteux, enfin une vraie réforme ? Rapport d'information n° 5 (2024-2025) fait au nom de la commission des finances sur les protocoles sociaux, l'organisation du travail des personnels de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la performance du contrôle aérien français, par M. Vincent Capo-Canellas, octobre 2024.

* 11 Rapport d'information n° 758 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances sur les programmes de modernisation de la navigation aérienne 4-Flight, Co-Flight et Sysat par M. Vincent Capo-Canellas, juin 2023.

* 12 Pour « New Voice Communication System ».

* 13 Pour « extended collaborative decision making ».

* 14 Pour « aeronautical information management ».

* 15 Projet visant à créer une nouvelle base de données d'information aéronautique.

* 16 Un calendrier qui, après de nombreux dérapages et plus de dix années de retard, avait encore été reporté d'un an supplémentaire en 2024.

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