II. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL » : DE TIMIDES PROGRÈS EN TENUE DE GESTION
A. UNE NOUVELLE SOUS-CONSOMMATION DES CRÉDITS, MAIS DANS DES PROPORTIONS MOINDRES EN 2024
Le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR) a pour objet le financement d'opérations de développement agricole et rural orientées par les priorités du programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Celui-ci a pour priorité de « viser à intensifier et massifier la transition agro-écologique en combinant la création de valeur économique et environnementale » en s'appuyant sur les principes de l'agroécologie. Il a été renouvelé en 2022 pour une période de cinq ans (2022-2027) prenant le relai du plan 2014-2020 qui avait finalement été prolongé d'une année pour couvrir l'année 2021.
Le CASDAR comprend les programmes 775 et 776 respectivement intitulés « Développement et transfert en agriculture » et « Recherche appliquée et innovation en agriculture ».
Le programme 775 (46 % du total des crédits de paiement du CAS en 2024) oriente les structures qui conseillent les agriculteurs vers l'agro-écologie, c'est-à-dire des modalités de production agricole cherchant à concilier le respect de l'environnement et les contraintes sanitaires tout en conservant un modèle économique viable. Il comprend des actions d'accompagnement thématique via des appels à projets ainsi que plusieurs volets de financement à destination :
- des programmes pluriannuels des chambres d'agriculture ;
- de chambres d'agriculture ;
- de la fédération des coopératives agricoles ;
- et des organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR).
Le programme 776 (54 % du total des crédits de paiement du CAS en 2024, soit deux points de plus qu'en 2023) poursuit principalement quatre objectifs, à savoir améliorer l'autonomie alimentaire française, améliorer la compétitivité des agriculteurs, promouvoir la diversité des modèles agricoles et des systèmes de production et enfin améliorer les capacités d'anticipation des acteurs de l'agriculture. À travers le financement de l'association de coordination technique agricole (ACTA), une association créée en 1956, qui représente les 19 instituts techniques agricoles auprès des pouvoirs publics et dispose d'un budget annuel de 6 millions d'euros environ, le programme 776 contribue au financement de ce que l'on pourrait qualifier de « Recherche et Développement » agricole.
Les dépenses du CASDAR exécutées en 2024 par programme
(en millions d'euros)
Source : Commission des finances du Sénat
Conformément à l'article 21 de la LOLF7(*), « [si], en cours d'année, les recettes effectives sont supérieures aux évaluations des lois de finances, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts, par arrêté du ministre chargé des finances, dans la limite de cet excédent. ». Autrement dit, une ressource supplémentaire par rapport aux prévisions ne pourra être réutilisée dans le cadre du présent programme qu'à la condition de faire expressément l'objet d'une ouverture de crédits par le ministre en charge des finances. Les crédits budgétaires sont donc ouverts à hauteur des prévisions de recettes, en l'espèce le montant de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles et les autorisations d'engagement sont égales aux crédits de paiement. Les rapporteurs spéciaux sont donc particulièrement attentifs à la sincérité et à l'efficacité de cette prévision. Cette année encore, les recettes ont été sous-évaluées, même s'il faut noter une relative amélioration puisque l'augmentation du plafond de recettes en LFI pour 2024 (146 millions d'euros contre 126 millions d'euros jusqu'alors), dont les rapporteurs spéciaux se réjouissent puisqu'elle répondait à une de leur préconisation, a eu pour effet de réduire le différentiel entre dépenses et recettes.
1. Des recettes qui demeurent supérieures aux prévisions et plaident pour un ultime relèvement du plafond de dépenses
Le CASDAR est alimenté par le produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. Conformément à l'article 302 bis MB du code général des impôts, cette taxe est « assise sur le chiffre d'affaires de l'année précédente ou du dernier exercice clos tel que défini à l'article 293 D, auquel sont ajoutés les paiements accordés aux agriculteurs au titre des soutiens directs attribués en application du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009, à l'exclusion du chiffre d'affaires issu des activités de sylviculture, de conchyliculture et de pêche en eau douce. Elle est également assise sur le chiffre d'affaires mentionné sur la déclaration prévue à la dernière phrase du 1° du I de l'article 298 bis. »
Alors que les rapporteurs spéciaux étaient allés l'an dernier jusqu'à « s'interroger sur la sincérité de la programmation budgétaire » au regard de l'accentuation ininterrompue, à partir de 2018, du différentiel entre la prévision initiale et la recette constatée, ils se réjouissent de l'atténuation de l'écart en 2024.
Cette tendance est le résultat d'un double effet tenant à la simultanéité d'une légère contraction du montant des recettes de la taxe qui ont finalement atteint 152 millions d'euros en 2024, en légère baisse de 3 millions d'euros par rapport à 2023, et de la hausse susmentionnée du plafond de dépenses.
Ainsi, la situation semble, pour la première fois depuis 2018, se diriger vers un rapprochement du plafond de dépenses autorisé (qui correspond à la prévision de recettes) et des recettes effectivement constatées. Les rapporteurs spéciaux soulignent la nécessité d'un léger rehaussement du plafond de dépenses dans la loi de finances pour 2026. Ils plaideront à cette occasion pour que la prévision de recettes soit portée à 150 millions d'euros, soit une hausse de 4 millions d'euros.
Évolution des recettes prévues en LFI et constatées entre 2018 et 2024
(en millions d'euros)
Source : Commission des finances du Sénat
Il n'en demeure pas moins qu'une partie de la taxe, qui pèse davantage sur les petites exploitations, reste inemployée et continue d'alimenter le solde comptable du CASDAR qui ne cesse de croître (cf. infra). Les rapporteurs spéciaux renouvellent donc leur analyse à ce sujet : cette situation apparait incompréhensible, alors même que le MASA, dans le cadre du budget général, est à la recherche de financements, a fortiori dans un contexte où le faible pouvoir d'achat d'une partie des agriculteurs constitue une préoccupation majeure.
2. Une nouvelle sous-exécution de crédits, certes dans des proportions moindres, aboutissant une nouvelle fois à une augmentation du solde comptable du CASDAR
La sous-consommation des crédits demeure une réalité pour le CASDAR : le taux de consommation des crédits en 2024 atteint 89,7 % en AE et 55 % en CP (contre respectivement 82,8 % en AE et 54 % en CP en 2023 et 87,4 % et 58,3 % en 2022).
Cette sous-consommation, même moins marquée que lors des exercices précédents, résulte en réalité de difficultés structurelles et également de la répétition assumée d'erreurs, à savoir principalement :
- d'une ouverture de crédits calculée chaque année en fonction des estimations de rendement de la taxe, sans que soient pris en compte les reports des exercices précédents, qui résultent de la pluriannualité des opérations financées par le CASDAR (ainsi, en 2024, le programme 776 voit ses crédits de paiement issus de reports excéder le niveau des crédits de paiement ouverts en LFI) ;
- de prévisions de rendements de la taxe qui demeurent prudentes malgré le rehaussement du plafond (le rendement estimé en 2024 à 146 millions d'euros, est resté inférieur aux recettes qui s'établissent in fine à 152 millions d'euros).
En outre, la gestion des projets soutenus par le CAS implique, tout particulièrement pour le programme 776, un dépassement de l'annualité budgétaire. Ils sont conduits sur une durée souvent supérieure à l'année et mobilisent une séquence de versements qui l'excède. Dans ce contexte, des reports et des restes à payer interviennent à chaque fin d'exercice.
Crédits ouverts et crédits consommés du CASDAR en 2024
(en millions d'euros)
Programme 775 |
Programme 776 |
Total CAS |
||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Loi de finances initiale |
67,93 |
67,93 |
78,07 |
78,07 |
146 |
146 |
Fonds de concours et attribution de produits |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
Autres mouvements de crédits |
9,47 |
34,83 |
20,36 |
79,02 |
29,83 |
113,84 |
Dont reports |
9,47 |
34,83 |
20,36 |
79,02 |
29,83 |
113,84 |
Dont versements art. 21 LOLF |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
AE bloquées (n-1) |
0,57 |
0,00 |
0,93 |
0,00 |
1,49 |
0,00 |
Loi de finances de fin de gestion |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
0,00 |
Total des crédits ouverts |
77,4 |
102,76 |
98,43 |
157,09 |
175,83 |
259,84 |
Crédits consommés |
66,94 |
65,12 |
90,78 |
78,52 |
157,72 |
143,63 |
Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire du CASDAR, avril 2025
Toutefois, les crédits consommés en 2023 se situent dans une fourchette particulièrement haute de ce qui a pu être constaté au cours de la période récente : ils s'élèvent à presque 158 millions d'euros en AE et 144 millions d'euros en CP (pour respectivement 141 millions d'euros en AE et 142 millions d'euros en CP en 2023, 135 millions d'euros et 142 millions d'euros en 2022, 126 millions d'euros et 114 millions d'euros en 2021.
Ce point, qui doit être d'autant plus souligné qu'il est plutôt positif, est la conséquence du rehaussement du plafond précité et entraîne une hausse du solde comptable de « seulement » 6 % par rapport à 2023, alors que cette hausse avait été de 11 % entre 2022 et 2023.
Ce rehaussement a donc évité au Gouvernement, en 2024, de procéder à l'ouverture de crédits par voie d'arrêté en cours d'année sur le fondement de l'article 21 de la LOLF8(*), ce qu'il avait été contraint de faire, constatant en en cours d'exercice 2021, 2022 et 2023, la faiblesse de sa prévision initiale de recettes. Les rapporteurs se réjouissent donc du fait que cette année, la réduction de l'écart entre la prévision initiale de recettes et le niveau constaté ne se fassent pas au prix de modifications infra-annuelles, jusqu'alors très prisées du MASA.
Enfin, les rapporteurs spéciaux soulignent que l'écart constaté depuis la création du CASDAR, d'environ 7 millions d'euros, entre le solde comptable et les crédits reportés, a enfin donné lieu à une explication satisfaisante et n'appellent donc plus cette année de recommandation. Cet écart provient d'une erreur de programmation commise en 2006, les autorisations d'engagement alors inscrites n'ayant pas donné lieu à autant d'inscriptions en crédits de paiement à la suite de la cessation d'activité de l'Agence de développement agricole et rural.
Exécution et prévision des recettes
du CASDAR
et dépenses constatées9(*)
(en millions d'euros)
Année |
Recettes inscrites en LFI |
Recettes constatées |
Exécution (CP) |
Solde cumulé au 31 décembre |
2006 |
134,46 |
145,96 |
99,70 |
46,26 |
2007 |
98,00 |
102,05 |
101,34 |
46,97 |
2008 |
102,50 |
106,30 |
98,47 |
54,80 |
2009 |
113,50 |
110,56 |
112,34 |
53,02 |
2010 |
114,50 |
104,89 |
111,21 |
46,70 |
2011 |
110,50 |
110,44 |
108,38 |
48,72 |
2012 |
110,50 |
116,76 |
114,35 |
51,13 |
2013 |
110,50 |
120,58 |
106,98 |
64,73 |
2014 |
125,50 |
117,10 |
132,40 |
49,43 |
2015 |
147,50 |
137,10 |
131,30 |
55,23 |
2016 |
147,5 |
130,8 |
129,2 |
56,83 |
2017 |
147,5 |
133,4 |
128,1 |
62,13 |
2018 |
136 |
136,5 |
131,2 |
67,60 |
2019 |
136 |
142,9 |
130,5 |
80,00 |
2020 |
136 |
140,3 |
127,2 |
93,20 |
2021 |
126 |
138 |
114 |
118,00 |
2022 |
126 |
145 |
142 |
121,09 |
2023 |
126 |
154,94 |
141,75 |
134,27 |
2024 |
146 |
151,86 |
143,63 |
142,5 |
Source : commission des finances du Sénat
En moyenne, depuis 2006, le solde comptable du CASDAR augmente en effet annuellement de 6 % et a ainsi plus que triplé sur la même période.
Le solde comptable cumulé du CASDAR : une hausse moyenne de 6 % par an
(en millions d'euros)
Source Commission des finances du Sénat
Compte tenu de l'attachement du secteur agricole au principe d'affectation des crédits permis par l'existence d'un compte d'affectation spéciale et, plus important encore, du fait du rapprochement - auquel l'insistance sénatoriale n'est sans doute pas étrangère - entre le prévisionnel de recettes et les recettes constatées, les rapporteurs spéciaux n'appellent plus, cette année, à la rebudgétisation des crédits, c'est-à-dire à la suppression du CASDAR. En revanche, certaines problématiques, devenues récurrentes devront être résorbées, en particulier afin que soit pleinement respectée la LOLF. En effet, parmi les comptes spéciaux10(*), les comptes d'affectation spéciale doivent, conformément à l'article 21 de la LOLF, présenter une « relation directe, par nature, entre la recette et la dépense11(*) ».
Le rapprochement substantiel, cette année, entre les dépenses et les recettes dans le CASDAR témoigne d'un lien plus marqué entre les deux. Toutefois, les rapporteurs spéciaux en appellent à des modalités de gestion plus rigoureuses encore.
* 7 Deuxième alinéa du II de l'article 21 de la loi organique n° 2001-692 relative aux lois de finances du 1er août 2001.
* 8 « Si, en cours d'année, les recettes effectives sont supérieures aux évaluations des lois de finances, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts, par arrêté du ministre chargé des finances, dans la limite de cet excédent » (extrait de l'article 21 de la LOLF).
* 9 Aux arrondis près jusqu'en 2018.
* 10 Les comptes spéciaux, distincts du budget général et des budgets annexes, comprennent les comptes d'affectation spéciale, les comptes de commerce, les comptes monétaires et les comptes de concours financiers. Très prisés après la seconde guerre mondiale pour leur simplicité d'utilisation - on en compte environ 400 en 1947 - ils ont été de plus en plus encadrés, en particulier par l'ordonnance budgétaire de 1959 puis par la LOLF.
* 11 « Les comptes d'affectation spéciale retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées. » (Premier alinéa du I de l'article 21 de la LOLF).