B. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX : CONTRIBUER AU REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES TOUT EN SOUTENANT UNE MISSION ESSENTIELLE POUR LA SOUVERAINETÉ FRANÇAISE ET PARTICULIÈREMENT SOUMISE AUX ALÉAS
1. Bien que la programmation de la mission AAFAR se soit révélée beaucoup plus efficiente en 2024, toutes les mesures ne sont pas prises pour mettre un terme au « Yo-Yo budgétaire »
Le différentiel entre les estimations initiales et l'exécuté constaté pour 2024 s'évère, au global, relativement restreint, en particulier si l'on prend en compte la dimension très pesante sur la mission des aléas, climatiques sanitaires et politiques. Les rapporteurs spéciaux soulignent que c'est d'autant plus remarquable cette année que les aléas politiques ont été très marqués à la fois du fait des soubresauts gouvernementaux (quatre premiers ministres en 2024) mais également en raison de la tenue de la campagne électorale en vue du renouvellement des instances des chambres départementales et régionales d'agriculture qui se sont tenues début 2025.
Toutefois, cette plus grande sincérité dans l'élaboration budgétaire ne doit pas masquer le manque de lisibilité résultant d'incessants mouvements de gestion : depuis trois ans, les rapporteurs spéciaux qualifient cette spécificité de la mission AAFAR de « Yo-Yo budgétaire » et l'année 2024, malgré les améliorations précitées, n'échappe pas à la règle.
Les rapporteurs spéciaux tiennent en particulier à dénoncer vigoureusement la pratique qui a consisté en une annulation massive de crédits par décret gouvernemental, en tout début d'exercice, moins de 60 jours après la promulgation de la loi de finances, ce qui pose sérieusement la question de la souveraineté parlementaire dans le vote des lois de finances. La mission a été particulièrement concernée puisque le décret du 21 février 2024 précité a annulé 71 millions d'euros, ce qui représente tout de même 9,7 % de la programmation initiale. Ces annulations ont principalement concerné le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture » (60 millions d'euros sur les 71 millions d'euros annulés) lequel a donc été amputé de 13,5 % de ses crédits initiaux.
Cette tendance s'est poursuivie en fin d'exercice puisque la loi de finances de fin de gestion (LFFG) a également annulé 181 millions d'euros en AE et 106 millions d'euros en CP.
Ces deux vagues d'annulation se sont traduites par des mouvements de crédits de diverse nature afin d'ajuster le niveau des crédits aux besoins progressivement ajustés. Il a en particulier de nouveau fallu alimenter en cours d'année la sous-action 22-02, « crises économiques et sanitaires », qui ne reçoit aucune budgétisation en loi de finances initiale et dont l'exécution a été portée à 591 millions d'euros en AE et 400 millions d'euros en CP. En plus de 60 millions d'euros en AE et 62 millions d'euros en CP de reports, cette sous-action a bénéficié de redéploiements de crédits, ainsi que du dégel intégral de la mise en réserve, avec des ouvertures de crédits à hauteur de 460 millions d'euros en AE et CP.
Le MASA considère fictivement qu'une budgétisation de la sous-action 22-02 « Crises économiques et sanitaires », consisterait à traiter les crises comme des dépenses structurelles et non plus comme des aléas conjoncturels. Il souligne chaque année que c'est l'anticipation de la gestion du risque qui permettra de réduire la probabilité de la survenue de la crise et d'en limiter ses effets. Les rapporteurs spéciaux considèrent que cette vision est une vue de l'esprit optimiste, sans doute fort louable, mais qui ne correspond pas à la réalité. Il en résulte une sous-programmation structurelle des besoins d'accompagnement d'exploitations de plus en plus confrontées aux effets des aléas, ce qui place le programme 149 régulièrement sous tension.
Certes, le niveau constaté des aléas de toute nature a favorisé une amélioration de la situation en 2024 puisque les aides destinées aux crises ont été moins nécessaires (le total des aides de crise pour 2024 est quatre fois moins élevé qu'en 2023 et six fois moins élevé qu'en 2022), mais les rapporteurs spéciaux considèrent qu'il aurait malheureusement pu en être autrement.
En particulier, les menaces sanitaires restent extrêmement vives et les risques tendent à se concrétiser, comme l'ont montré une série d'événements retentissants depuis 2023 : parmi les plus redoutables, on citera la tuberculose bovine, la brucellose qui peut se propager de l'animal à l'être humain, la salmonelle en élevage avicole ainsi que plusieurs foyers de capricorne asiatique actifs dans le domaine végétal. Plusieurs foyers de maladie hémorragique épizootique (MHE) ont également été déclarés en France dans des élevages de bovins du sud-ouest. Cette tendance s'est poursuivie en début d'année 2024 puisque trois foyers d'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) ont été détectés en Ille-et-Vilaine, dans le Morbihan, puis dans le Finistère. Par ailleurs, presque 2 000 foyers de fièvre catarrhale ovine (FCO) ont été signalés en 2024. Ces situations ont conduit le gouvernement à intensifier les campagnes de vaccination en 2024.
Récapitulatif des crédits de
paiement exécutés « aides de crises »
portées par le programme 149
(en millions d'euros)
Destination des aides |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Fonds d'urgence |
77 |
1 058 |
703 |
176 |
Inondations 2023 |
0 |
0 |
1 |
15 |
Maladie hémorragique épizootique 2024 |
0 |
0 |
0 |
50 |
Tempêtes Ciaran et Domingos Bretagne |
0 |
0 |
0 |
19 |
Viticulture 2024 |
0 |
0 |
0 |
60 |
Viticulture Mildiou 2023 |
0 |
0 |
0 |
20 |
Trésorerie filière banane |
0 |
0 |
0 |
11 |
Pyrénées orientales |
0 |
0 |
0 |
1 |
Grippe aviaire |
52 |
378 |
456 |
10 |
Crise 2020/2021 |
52 |
67 |
0 |
0 |
Crise 2021/2022 |
0 |
311 |
79 |
0 |
Total |
181 |
1 814 |
1 239 |
362 |
Source : Cour des comptes
2. Certains des indicateurs de performance pourraient évoluer
Au regard des effets du changement climatique et des priorités de la planification écologique, les rapporteurs spéciaux considèrent que la pertinence de trois indicateurs de performance de la mission en lien avec la filière forêt-bois - parmi les huit du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » - pourrait être questionnée.
Ils réitèrent donc leur préconisation, dans le prolongement d'un rapport d'information qu'ils ont établi l'an dernier sur le financement public de la filière forêt-bois5(*), visant à davantage tenir compte des cinq axes prioritaires défini par la feuille de route forêt bois qui vise à adapter la forêt au changement climatique et à maximiser les effets de la décarbonation de la filière bois pour la décarbonation : (i) mieux prévenir les risques et lutter contre les incendies, (ii) adapter la forêt au changement climatique, (iii) gérer les forêts durablement, (iv) restaurer et préserver la biodiversité et les sols et enfin (v) structurer et développer la filière bois.
L'indicateur 1.4 relatif à la récolte de bois rapporté à la production annuelle pourrait ainsi évoluer. La baisse structurelle de la croissance biologique des forêts, liée au changement climatique, entraîne une diminution mécanique du dénominateur, faisant progresser l'indicateur sans qu'il soit révélateur d'un quelconque effet des politiques publiques. Dans cette perspective, le volume récolté aurait davantage de sens, en cohérence avec les indicateurs forêt bois de la future stratégie nationale bas carbone (SNBC).
L'indicateur 2.2 relatif à la part de forêts gérées durablement pourrait être centré sur un double objectif prioritaire de maintien d'un taux élevé en forêt publique et d'un indicateur en forêt privée rapporté aux seules forêts de plus de 20 ha, les seules soumises à un plan simple de gestion (PSG). Le calcul actuel prend en compte toutes les parcelles forestières, y compris celles qui ne sont pas concernées par des obligations de gestion, ce qui apparait en décalage avec la réalité. Par ailleurs, cet objectif comporte une cible surfacique qui n'a pas été réévaluée alors que l'abaissement du seuil de 25 à 20 hectares voté par le Parlement dans le cadre de la loi « Incendie »6(*) devrait conduire à fixer un objectif volontariste au moins égal aux surfaces de forêts de plus de 20 ha.
L'indicateur 2.3 sur le taux de bois commercialisé contractualisé en forêt domaniale (en progression constante de 58,5 % en 2022 et qui devrait tendre vers 75 % en 2025) pourrait être étendu aux bois commercialisés dans les forêts des collectivités voire même dans les forêts privées, où des progrès en matière de contractualisation sont attendus. Les rapporteurs spéciaux considèrent en effet que la contractualisation est un paramètre important de la compétitivité des entreprises.
* 5 Le rapport est consultable via le présent lien.
* 6 Loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie consultable via le présent lien