F. LE CHEMIN VERS L'OUVERTURE : AVANCÉES ET INCERTITUDES

1) Le poids de l'histoire : l'ère Bouterse

Après son indépendance obtenue en 1975 auprès du Royaume des Pays Bas25(*) le Suriname est demeuré isolé sur la scène politique régionale du fait de sa culture (il était le seul pays néerlandophone sur le continent), et de son enclavement géographique.

C'est dans ce contexte que fut conduit, le 25 février 1980, un coup d'Etat militaire - qui se voulait alors « progressiste » -, par de jeunes officiers, dirigés par le lieutenant-colonel Desi Bouterse, inaugurant une ère de quarante années de dictature et de guerres civiles.

Cette période restera marquée par des rapprochements avec notamment Cuba, la Grenade et la Libye du colonel Kadhafi, alors que par ailleurs le pays s'isolait sur la scène internationale ; mais aussi par l'assassinat de 15 opposants politiques en 198226(*) ; enfin, par la guerre qui, en 1986, a opposé l'armée issue de la majorité créole à des Noirs-Marrons (ou Bushinenge), dirigés par Ronnie Brunswijk. Un massacre commis par l'armée surinamaise à Mowaina en 1986 a notamment provoqué la fuite d'environ 10 000 Bushinenge vers la Guyane française.

Cette guerre n'a cessé qu'avec le retour de la démocratie en 1991, contraignant le dictateur à la démission l'année suivante ; mais celui-ci est revenu au pouvoir par la voie démocratique, et a été élu Président de la République en 201027(*), à la tête d'une coalition soutenue par son ancien ennemi Ronnie Brunswijk28(*). Il a été réélu en 2015.

2) 2020 : Le tournant Santokhi...

L'élection du président Chan Santokhi a permis à partir de 2020 l'alternance politique grâce à une alliance entre le VHP (parti présidentiel, hindoustani), l'ABOP (parti du vice-président Ronnie Brunswijk, s'appuyant sur la communauté des Noirs-Marrons), et le NPS qui se retira finalement de la coalition pour rejoindre le bloc de l'opposition. Il en est résulté une coalition contre-nature entre deux partis qui ne défendent pas les mêmes intérêts.

La première mission du président Santokhi et de son gouvernement a été de garantir la stabilité de l'économie surinamaise, qui peine à sortir de la profonde crise économique et financière qui a valu au pays de bénéficier d'un programme du FMI, et de négocier la restructuration de sa dette au sein du Club de Paris.

Sur le plan diplomatique, le président Santokhi a su réorienter la diplomatie du pays, notamment en renouant les liens avec les Pays-Bas, ce qui a permis le déblocage de l'aide au développement suspendue durant les mandatures du précédent président. Les Pays-Bas ont de leur côté présenté les excuses officielles du gouvernement pour le rôle de l'État néerlandais dans l'esclavage ; le roi William-Alexander a également présenté des excuses officielles lors de la 150ème commémoration de l'abolition de l'esclavage au Suriname le 1er juillet 2023 (célébrations du « Keti Koti »).

Cette ouverture récente, dans le contexte de la découverte des ressources pétrolières offshore du pays, a éveillé de la part des puissances étrangères un intérêt - voire une convoitise - manifestes29(*) : le Suriname a été le premier pays sud-américain à rejoindre les Nouvelles routes de la soie, et est devenu un « partenaire coopératif stratégique » pour la Chine, également très présente sur la problématique de la dette (voir D ci-dessus) ; le secrétaire d'État Marco Rubio a conduit une visite officielle en mars 2025 lors de sa tournée en Amérique latine, destinée notamment à y contrer l'influence grandissante du compétiteur chinois.

3) ...compromis par des élections à l'issue incertaine

Cependant, du fait des réformes structurelles entreprises pour sortir le pays du surendettement, qui ont plombé le soutien populaire à Chan Santokhi, les élections générales du 25 mai 2025 ont débouché sur un résultat à ce jour indécis, mais qui semble compromettre la continuité  de l'action du président sortant : ainsi, son parti, le VHP, et celui de l'ancien président décédé Desi Bouterse, le NPD, avec pour tête de liste Jennifer Simons, obtiennent respectivement 17 et 18 sièges au Parlement -cinq autres partis ayant remporté des sièges, dont l'APOB de l'actuel vice-président Ronnie Brunswijck, et le NPS, autrefois dominant, avec chacun de 5 à 6 sièges.

Dans le cadre d'une élection présidentielle indirecte, il appartient à présent aux 51 parlementaires élus de décider, à la majorité des deux-tiers, des futurs président et vice-président du pays, dans un délai d'un mois maximum après la proclamation des résultats officiels, ouvrant ainsi la porte à une vraisemblable coalition dirigée par Jennifer Simons : les tractations entre les partis décideront ainsi de la composition future du gouvernement et du tandem présidentiel.

L'alternance politique pourrait conduire à un revirement de certaines positions surinamaises sur des dossiers régionaux et internationaux, notamment sur le Vénézuela et sur l'Ukraine. Par ailleurs, Jennifer Simons a d'ores et déjà pris position contre le Protocole frontalier de 2021 (voir II. 2. ci-après).

Enfin, en cas de coalition avec le parti APOB, il est également rappelé que son chef, Ronnie Brunswijck, fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la part de la France et qu'un proche de ce dernier est sous le coup d'une procédure d'extradition émise par la France : il apparaît ainsi vraisemblable que celui-ci s'opposera à toute extension ultérieure de la présente convention aux demandes d'extraditions -non prévues dans le texte actuel.


* 25 La région avait été colonisée par les Provinces Unies depuis le XVIIème siècle, sous le nom de Guyane néerlandaise.

* 26 Desi Bouterse a été condamné en 2023 à 20 ans de prison dans son pays : l'ancien dictateur a été jugé pour l'exécution par balle de quinze opposants - avocats, journalistes, hommes d'affaires, militaires - en décembre 1982. Les victimes auraient été arrêtées, torturées puis exécutées au fort Zeelandia, le quartier général de l'armée. Trois d'entre elles auraient été tuées, selon des témoignages, des mains du président, ce qu'il a toujours nié. Il est mort le 24 décembre 2024, en fuite.

* 27 Malgré sa condamnation par contumace, en 1999, aux Pays-Bas à onze ans de prison pour trafic de cocaïne. Interpol ayant émis un mandat d'arrêt international à son encontre, il est demeuré protégé de l'extradition par son statut.

* 28 Ronnie Brunswijk a été condamné par contumace par un tribunal de Haarlem à six années d'emprisonnement pour trafic de cocaïne. La justice française l'a quant à elle condamné à dix ans de prison. Interpol a délivré à son encontre un mandat d'arrêt international, mais il s'est lui aussi trouvé protégé de l'extradition par son statut.

* 29 Voir Fondaskreyol, 5 juin 2025 : Un nouvel eldorado ? : pourquoi les immenses gisements pétroliers du Suriname intéressent les grandes puissances.

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