II. FRANCE-SURINAME : UN PARTENARIAT EN CONSTRUCTION

1) La relation bilatérale après l'isolement : premiers pas et perspectives

Bénéficiant du renouveau diplomatique du pays, la relation bilatérale a été relancée depuis l'élection du président Chan Santokhi après plusieurs années de stagnation dues à l'isolement diplomatique du Suriname sous l'ère Bouterse (2010-2020).

Ainsi, 2022 a vu l'entrée en vigueur de l'accord de coopération en matière policière, signé en 2006 par Chan Santokhi, alors ministre de la Police, et sur le fondement duquel a pu être pérennisée, à partir de début 2024, l'organisation de patrouilles conjointes sur le Maroni entre la police française aux frontières et la police surinamaise, et qui a rapidement fait la preuve de son utilité30(*).

Les armées françaises apportent par ailleurs un soutien stratégique aux forces armées du Suriname, dans le cadre du programme « Solidarité Stratégique ». Ce partenariat se concrétise par le financement de l'équipement complet d'une section commando sur le fleuve Maroni31(*).

Plusieurs rencontres de haut niveau se sont tenues par ailleurs au cours des quatre dernières années, avec notamment :

Ø En 2022, la visite du Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, à Paramaribo.

Ø En juillet 2023, l'entretien, en marge du sommet UE-CELAC, du Président Macron avec le président Santokhi, qui a constitué la première rencontre entre chefs d'État français et surinamais.

Ø La visite, en avril 2024, du ministre surinamais des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération internationale, reçu par son homologue français Stéphane Séjourné. A l'occasion de cet entretien, la France et le Suriname ont signé un accord de coopération décentralisée portant sur les domaines économique, environnemental, éducatif et celui des services de proximité.

Ø Le Conseil du Fleuve, lancé en 2009, a été réformé en 2022 afin de garantir une meilleure efficacité et opérabilité de l'exercice transfrontalier. La dernière édition en séance plénière a eu lieu à Paramaribo le 6 décembre 2024, réunissant l'ensemble des services de la préfecture de Guyane et les services surinamais, sous la co-présidence du préfet de Guyane, M. Antoine Poussier.

Ø Le ministre surinamais des Travaux publics s'est également rendu récemment en Guyane pour promouvoir la coopération entre territoires guyanais et surinamais.

2) L'irritant du tracé frontalier

Avec ses quelque 520 km le long du fleuve Maroni, la frontière entre la Guyane française et le Suriname représente la cinquième plus longue frontière terrestre de la France. Cette frontière commune implique des intérêts et des défis communs en matière de développement, d'infrastructures, de migrations et de sécurité, le Maroni étant, historiquement, plus un bassin de populations qu'une frontière hermétique32(*).

Cette frontière présente cependant la particularité d'une délimitation contestée sur une part importante de son tracé, occasionnant un différend frontalier de plus d'un siècle entre les deux voisins.

Historiquement, la frontière entre les deux États a été fixée au Maroni par le traité d'Utrecht de 1713 (le Suriname étant alors une colonie néerlandaise), mais demeurait imprécise du fait des vastes « terrae incognitae » de la forêt amazonienne non cartographiées. Un arbitrage d' Alexandre III de Russie en 1891 a précisé cette limite comme devant être entendue « suivant le Lawa en amont de sa confluence avec le Tapanahoni ».

Dans une convention signée en 1915, dite « de Paris », la frontière a été délimitée entre l'île Portal (à hauteur de Saint-Laurent du Maroni) et l'île Stoelman (à hauteur de Grand-Santi) selon le principe de la ligne médiane.

Cette absence de délimitation rend particulièrement perméable cette frontière, tant en matière de migrations humaines que de flux des différents trafics - stupéfiants, armes, orpaillage.

Au quotidien, 434 enfants traversent le fleuve Maroni en pirogue pour fréquenter les écoles françaises sur la rive de Saint-Laurent-du-Maroni. De très nombreuses pirogues remontent également quotidiennement le Maroni transportant des personnes d'une rive à l'autre mais sont également impliquées dans l'exploitation illégal de l'or côté guyanais (environ 10 tonnes par an).

De plus, le tracé en lui-même demeurait un irritant entre les deux pays, source, régulièrement, de tensions transfrontalières, et notamment en 2019, suite à la destruction par l'armée française, dans le cadre de l'opération Harpie contre l'activité aurifère illégale, de sites d'orpaillage illégaux sur le territoire surinamais33(*).

Une étape importante a été marquée par la signature, le 15 mars 2021, d'un protocole additionnel à la convention de 1915, réaffirmant le principe suivant lequel la frontière est constituée par la ligne médiane des eaux ordinaires, c'est-à-dire la ligne équidistante des deux rives ; mais aussi corrigeant d'importantes anomalies figurant dans les cartes IGN depuis les années 1950, concernant la répartition des quelques 950 îles du Maroni et de la Lawa - dont la plupart sont inhabitées - qui se trouvaient indûment rattachées au Suriname, ou réciproquement.

Les trois premiers segments de la frontière franco-surinamaise, de l'embouchure du fleuve jusqu'au début de la rivière Lawa - soit la partie en aval (au nord) de la localité d'Antecume Pata, seraient ainsi dorénavant délimités avec précision par des points GPS.

S'agissant des îles chevauchant le ligne, l'appartenance nationale a été en règle générale décidé en fonction de la position de la plus grande surface insulaire : si elle est à l'est de la ligne médiane, l'île appartient à la France, si elle est à l'ouest, elle appartient au Suriname.

Pour une soixantaine d'îles habitées, une enquête a été conduite sur l'attachement principal des populations, évalué en fonction de leurs papiers d'identité (quand ils existent), leur allégeance à des autorités politiques ou religieuses, leurs affinités nationales, le pays qui a construit et entretient les principaux équipements et infrastructures de l'île... Une quinzaine d'îles ont fait l'objet du déplacement sur place d'une mission conjointe franco-Surinameienne. Dans certains cas, les habitants se sont revendiqués surinamais alors que leurs îles sont situées à l'est de la ligne médiane (côté français). Celles-ci, telles Bada Tabiki et Siki Tabiki en amont du village d'Apatou, ont alors été rattachées au Suriname.

Quant aux îles où se sont déroulés les incidents transfrontaliers de 2018 et 2019 à l'origine du processus de révision de la frontière, elles ont été définitivement confirmées comme françaises.

En amont de la localité d'Antecume Pata, un accord reste à trouver, le tracé se situant sur la rivière Litani, selon les cartes françaises, et sur la Marouini, pour les cartes surinamaises ; un dernier cycle de négociations devrait débuter après la ratification du protocole, afin de tenter de régler cet ultime différend frontalier, concernant une zone d'environ 3 000 km2.

Cependant, à ce jour, une incertitude demeure sur la ratification par la partie surinamaise du protocole de 2021, suite aux récentes élections : En effet, la leader du parti NPD, Jennifer Simons, a d'ores et déjà fait savoir que si son parti arrivait au pouvoir, il chercherait à renégocier ledit Protocole qui n'a, selon elle, fait l'objet d'aucune consultation auprès de la population locale...


* 30 Cf https://la1ere.franceinfo.fr/guyane/ouest-guyanais/guyane/operation-atipa-une-lutte-coordonnee-contre-les-trafics-sur-le-maroni-1555909.html.

* 31 Cf Franceguyane.fr, 16 mai 2025 : Patrouilles armées sur le Maroni : l'heure de l'action concertée, par Eric Gernez.

* 32 La guerre civile surinamaise (1986-1992), notamment, a provoqué l'afflux en Guyane de réfugiés surinamais Noirs-marrons de l'intérieur (les Bushinenge), dont des milliers sont restés sur place après la fin des hostilités. On estime que près de 25 000 personnes ont été déplacées durant ce conflit.

* 33 Voir Geoconfluences, 2/10/2019 : La frontière Suriname - Guyane française : géopolitique d'un tracé qui reste à fixer, par Patrick Bloncodini.

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