B. MAIS UNE RÉFORME CONDUITE DANS LA PRÉCIPITATION SANS VÉRITABLE ÉTUDE D'IMPACT NI PROGRAMMATION
1. Des réserves exprimées par la commission des affaires sociales lors de l'adoption de la réforme qui, malheureusement, se confirment dans les faits
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la commission des affaires sociales avait regretté que la réforme proposée par le Gouvernement ne s'apparente qu'à « un regrettable jeu de chamboule-tout à droit constant », réalisé sans évaluation de son impact financier.
Elle avait alors indiqué qu'aucune simulation des effets de la réforme ni des besoins d'accompagnement financier n'avait été mise à disposition du Parlement et qu'il ne lui était pas possible à ce stade d'anticiper les montants envisagés au titre de ce dispositif.
De ce fait, la commission avait appelé à une révision du calendrier prévu par le Gouvernement et à un report de la mise en oeuvre de ces dispositions au 1er janvier 2028 au lieu du 1er janvier 2025 afin de « définir dans de bonnes conditions les finalités de la réforme, son champ et ses dispositifs opérationnels précis ». Elle avait aussi souhaité la mise en place d'une expérimentation du modèle cible.
Force est de constater que les faits confirment malheureusement les réserves substantielles sur le calendrier et les modalités de mise en oeuvre exprimées alors par la commission. Selon l'aveu même de la Fédération hospitalière de France (FHF), « la réforme du financement a été peu, voire pas mise en oeuvre à ce stade ». De son côté la FHP indique dans sa réponse à la rapporteure que « le déploiement des réformes de financement issues du décret de ce début d'année 2025 n'est aujourd'hui pas effectif ».
En effet, alors que la date d'entrée en vigueur de la réforme du financement des activités MCO est fixée dans la loi au 1er janvier 2025, la rapporteure constate que si le nom des blocs de financement a changé, cela n'a, à ce stade, entrainé aucun impact concret pour les établissements, faute de déclinaisons opérationnelles. Ainsi, la FHF précise que les travaux relatifs aux missions spécifiques et aux objectifs de santé publique n'ont, à ce jour, pas été démarrés. Par ailleurs, aucun calendrier de mise en oeuvre concrète des réformes dans les différents secteurs ne semble avoir été précisément établi.
Surtout, les fédérations hospitalières, si elles ont été associées en amont de la publication des décrets, déplorent un véritable manque de priorisation des chantiers et de méthodologie, source d'incertitudes pour les établissements. Ce défaut de gouvernance entraîne une multiplication difficilement tenable des projets de réforme qui restent trop souvent inaboutis.
2. Des chantiers de réformes trop nombreux, trop souvent inaboutis et sans calendrier précis
· Les réformes des soins critiques et des soins non programmés, pourtant identifiées comme prioritaires et engagées il y a plus de dix-huit mois, semblent aujourd'hui à l'arrêt.
Dans les deux cas, les travaux ont été interrompus à la suite de l'absence de consensus des fédérations hospitalières sur la méthodologie proposée par le Gouvernement. Concernant le chantier des soins critiques, la FHF avait notamment appelé à prendre en compte l'intégralité de la filière, de la réanimation aux unités de soins intensifs en psychiatrie (Usip) et de déterminer des objectifs stratégiques précis en termes d'offre de soins critiques précis avant tout travaux sur les financements.
Si les fédérations hospitalières saluent le fait que les services du ministère de la santé aient pris en compte leurs inquiétudes en interrompant les travaux, elles ont toutefois indiqué ne plus avoir d'échange à ce sujet avec l'administration et ne disposer d'aucun élément de calendrier quant à la reprise des travaux sur ces deux activités.
· La rapporteure s'est particulièrement inquiétée de l'avancée, en parallèle de la réforme des financements MCO, des réformes portant sur la dialyse et la radiothérapie. Cette réforme des financements vers une modalité forfaitaire à l'épisode de soins est particulièrement nécessaire au regard de l'obsolescence du mode actuel de financement de ces activités, qui désincite à l'innovation et porte en germe un risque d'évolution des dépenses non maîtrisées.
Pour rappel, le Parlement a voté, en loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, l'avancement de la date de mise en oeuvre de cette réforme (alors prévue pour le 1er janvier 2026) au 1er octobre 2025. La commission s'était alors interrogée sur la pertinence d'avancer de trois mois l'entrée en vigueur d'une réforme systémique des financements de la radiothérapie et de la dialyse engagée depuis plus de dix ans49(*). Elle s'était inquiétée du fait que cette accélération du calendrier ne mette inutilement en difficulté les acteurs sur le terrain.
Interrogées sur la mise en oeuvre de cette réforme par la rapporteure, les fédérations hospitalières ont pu confirmer les craintes exprimées par la commission. Ainsi, le recueil de données, toujours en cours pour la radiothérapie et quasiment inexistant pour la dialyse50(*), empêche toutes projection et simulation de l'impact financier de la réforme, pourtant indispensables à sa bonne mise en oeuvre par les établissements.
Surtout, ces mêmes fédérations se sont inquiétées du risque de décorrélation dans l'application de cette réforme entre les radiothérapeutes libéraux et les établissements de santé51(*). Pour rappel, un des objectifs de cette évolution des financements est d'uniformiser les modes de financement selon les secteurs afin d'éviter les distorsions tarifaires et une mauvaise allocation des ressources.
Dans ce contexte, les fédérations ont unanimement appelé au report de l'entrée en vigueur de cette réforme, « afin d'assurer qu'elle bénéficie à l'ensemble des acteurs de manière simultanée et qu'elle se fonde sur des preuves médico-économiques tangibles et mesurées à l'aide d'étude d'impact »52(*).
Interrogée sur ces éléments par la rapporteure, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) a confirmé le calendrier de mise en oeuvre en précisant que la nomenclature commune au sein de la classification commune des actes médicaux (CCAM) a été élaborée et permettra bien « la création des différents forfaits d'ici au 1er octobre 2025 »53(*).
En tout état de cause, la rapporteure souhaite alerter sur le risque d'une mise en oeuvre en deux temps, sans étude d'impact et à marche forcée pour les établissements de santé au 1er janvier 2026, et, ensuite, pour les professionnels libéraux, selon un calendrier et des modalités encore inconnus, qui compromette fortement l'atteinte des objectifs de la réforme.
· Enfin, la rapporteure s'inquiète de l'absence d'avancée concernant le financement des activités de maternité, structurellement pénalisées par des séjours courts très demandeurs en ressources humaines et non correctement valorisés. Notre réseau de maternités est désormais structurellement fragilisé au point que, comme le relevait la mission d'information du Sénat sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, « des situations de tensions susceptibles de conduire à des fermetures précipitées de services structurants sont aujourd'hui identifiées dans différentes régions, menaçant ainsi les capacités d'accueil et de prise en charge de manière soudaine »54(*).
Face à l'urgence de la situation, il convient d'agir rapidement pour réformer le financement des maternités. Il est particulièrement pertinent de prévoir un financement mixte (dotation et activité) pour les activités de maternité, qui sont soumises au maintien d'un personnel formé et spécialisé en grand nombre indépendamment du nombre effectif d'accouchements. Un financement à l'activité aggrave dans ce cadre la situation financière de très nombreux établissements.
En réponse à la rapporteure, la DGOS a indiqué que la création d'une dotation socle avant la réorganisation de la carte des établissements pourrait amener à maintenir des activités de maternité « dont le maintien n'est pas pertinent du point de vue de la qualité, de la pertinence et de l'organisation de l'offre de soin ».
Le bilan de deux réformes de financements
préalables
à la réforme du champ d'activité
MCO
La réforme des soins médicaux et de réadaptation (SMR)
Le nouveau modèle de financement pour les activités de soins médicaux et de réadaptation est entré pleinement en vigueur le 1er juillet 2023.
La mise en oeuvre du nouveau modèle s'accompagne par ailleurs d'un dispositif transitoire, la dotation de transition, qui ajuste la dotation populationnelle afin de lisser dans le temps les effets revenus induits par ce nouveau modèle de financement. Ce mécanisme de transition, qui permet une appropriation meilleure du modèle par les acteurs, est dégressif jusqu'au 1er janvier 2028, date prévue de sa disparition.
En 2024, les établissements ont été entièrement financés selon le nouveau modèle, avec application de la dotation de transition.
Les fédérations ont toutes regretté les conditions de mise en oeuvre de cette réforme. Selon la FHP, cette réforme « mal préparée a abouti à une impossibilité de facturation » lors de son entrée en application en janvier 2024. Par ailleurs, alors que cette réforme avait pour objectif d'établir une équité dans les financements entre les établissements privés et publics, la FHP a indiqué que les écarts se sont au contraire aggravés entre les deux secteurs depuis la mise en oeuvre de celle-ci.
La réforme du financement des urgences
Depuis 2021, les structures de médecine d'urgence bénéficient d'un mode de financement combiné autour d'une dotation populationnelle et d'un compartiment dédié à la qualité des organisations et des prises en charge qui représente environ 2 % du financement de la médecine d'urgence.
Depuis 2022, ce modèle intègre une meilleure prise en compte, dans le financement à l'activité, de l'intensité des prises en charge avec la mise en place de forfaits (urgentistes, imagerie, biologie, spécialistes) et suppléments dépendant notamment de l'âge du patient et de ses caractéristiques.
Un forfait patient urgences unique (FPU) pour les passages aux urgences non suivis d'hospitalisation a été mis en place la même année. Il correspond au reste à charge dû par les patients ou leur organisme complémentaire. Le caractère forfaitaire de ce paiement permet au patient de connaître dès son passage le montant de son reste à charge.
Contrairement à la réforme SMR, celle du secteur des urgences a fait l'objet d'une meilleure appropriation par les acteurs.
La FHP souligne notamment que « la gestion au niveau national a été globalement marquée par une écoute des professionnels et le pragmatisme », qui a notamment permis de retarder la mise en oeuvre de celle-ci afin d'assurer une meilleure mise en oeuvre par les professionnels sur le terrain. La Fehap considère également que cette réforme a « introduit une logique pertinente combinant dotation populationnelle, paiement à l'activité et prise en compte de la qualité » même si certains points de vigilance restent en suspens. On peut notamment soulever des problématiques techniques de facturation du FPU par certains établissements qui empêchent le versement de la dotation qualité.
* 49 Cf. rapport de la commission des affaires sociales du Sénat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (rapport n° 138 (2024-2025)).
* 50 Selon la FHP, concernant la dialyse, « aucune remontée de données n'est planifiée ».
* 51 À ce titre, Unicancer précise par exemple que la méthode de recueil des données actuelle reposant sur l'utilisation de la méthode « Fichcomp » de l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih) ne permet pas d'intégrer correctement les acteurs libéraux.
* 52 Réponse d'Unicancer au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 53 Réponse de la DGOS au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 54 Rapport d'information n° 753 (2023-2024), tome I, déposé le 10 septembre 2024.