II. LES COTISATIONS AT-MP DÉROGATOIRES : UN FREIN AU DÉPLOIEMENT D'UNE LOGIQUE DE PRÉVENTION ? (MARIE-PIERRE RICHER)

A. LES COTISATIONS AT-MP DE DROIT COMMUN DÉPENDENT, DANS UNE VISÉE ASSURANTIELLE ET PRÉVENTIVE, DE LA SINISTRALITÉ DU SECTEUR OU DE L'ENTREPRISE

1. Les modalités de détermination du taux brut de cotisation AT-MP dépendent de la sinistralité

Le financement de la branche AT-MP repose quasi-intégralement sur les employeurs : les cotisations à leur seule charge représentent ainsi 97 % des recettes de la branche en 2023.

En droit commun, le taux brut de cotisation AT-MP applicable à chaque établissement est déterminé annuellement59(*) en fonction de la sinistralité propre à l'entreprise ou de la sinistralité de son secteur d'activité60(*).

Plus l'effectif de l'entreprise est important, plus le taux brut de cotisation est individualisé. Aussi :

- une tarification collective, fondée sur la sinistralité moyenne du secteur d'activité, est applicable aux entreprises de moins de 20 salariés61(*) ;

- une tarification mixte, fondée à la fois sur la sinistralité propre de l'établissement et sur celle du secteur, est applicable aux entreprises de 20 à 149 salariés. Plus l'entreprise se rapproche de 149 salariés, plus la part individuelle de la tarification prend le dessus62(*) ;

- une tarification individuelle, fondée sur la sinistralité propre de l'établissement, s'applique à partir de 150 salariés.

La sinistralité prise en compte pour le calcul du taux brut est celle des trois dernières années connues, soit les années n-2, n-3 et n-4.

Comme le note la direction des risques professionnels (DRP) de la Cnam dans ses réponses écrites au questionnaire de la rapporteure, « pour le calcul du taux brut en tarification individuelle : le coût imputé à l'employeur pour chaque sinistre n'est pas le coût réel mais un coût moyen par catégorie de gravité de sinistres, établi par grands secteurs d'activités (au niveau des comités techniques nationaux) ». Ce coût estimatif est ensuite divisé par la masse salariale de chaque établissement pour déterminer le taux brut.

Plus précisément, le code de la sécurité sociale prévoit six catégories d'incapacité temporaire (sans arrêt de travail ou avec un arrêt de travail de moins de quatre jours ; avec arrêt de travail de quatre à quinze jours ; de seize à quarante-cinq jours ; de quarante-six à quatre-vingt-dix jours ; de quatre-vingt-onze jours à cent cinquante jours ; de plus de cent cinquante jours) et quatre catégories d'incapacité permanente (inférieure à 10 % ; comprise entre 10 % et 19 % ; comprise entre 20 et 39 % ; supérieure à 40 % ou décès) sur lesquelles sont moyennés les coûts63(*).

Le mode de calcul du taux brut s'inscrit donc dans une visée assurantielle et incitative à la prévention pour les entreprises : une baisse de la sinistralité se traduit en effet par une diminution des cotisations. Plus l'entreprise est grande, plus l'incitation à la prévention est forte, puisque plus le lien entre la sinistralité propre et le taux de cotisation est direct.

La cotisation AT-MP fait partie, selon la direction des risques professionnels (DRP) de la Cnam, des principaux leviers à la disposition des pouvoirs publics pour renforcer la culture de prévention dans les entreprises, avec l'accompagnement des entreprises par des préventeurs et les politiques de subvention pour l'investissement en prévention, par exemple dans le cadre du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu)64(*).

2. Le passage du taux brut au taux net

Le taux brut est ensuite affecté par quatre majorations65(*) pour déterminer le taux net, effectivement acquitté par les employeurs66(*), selon la formule suivante : Taux net = (Taux brut + M1) × (1 + M2) + M3 + M4, où :

M1 (taux 2025 : 0,18 %) constitue la majoration applicable au titre des accidents de trajet, dont le coût est mutualisé. Elle est additionnelle du taux brut ;

M2 (taux 2025 : 56 %) constitue la majoration due aux « charges générales de gestion, dépenses de prévention et de rééducation professionnelle et, depuis 2024, versement à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des AT/MP et compensations entre régimes de sécurité sociale (notamment au titre de déséquilibres démographiques). En tant que majoration d'équilibre, M2 permet également de couvrir les prestations non financées par ailleurs et d'atteindre le solde fixé en LFSS. Cette majoration est multiplicative du taux brut c'est-à-dire qu'elle a d'autant plus d'impact pour une entreprise/un secteur d'activité que sa sinistralité est élevée »67(*) ;

M3 (taux 2025 : 0,19 %) représente la majoration liée aux maladies professionnelles non imputables à un employeur et aux dotations aux fonds en faveur des victimes de l'amiante ;

- M4 (taux 2025 : 0,03 %) représente la majoration « pénibilité », finançant les dépenses générées par le dispositif de retraite anticipée au titre de l'incapacité permanente et par le compte professionnel de prévention (C2P). Cette majoration est additionnelle du taux brut.

3. Des exceptions à la tarification de droit commun

Le principe d'une tarification dépendant de la sinistralité individuelle au-delà d'un certain effectif, fondé sur les coûts moyens associés à différentes catégories de sinistres ne trouve toutefois pas d'application générale et absolue.

Aussi l'article D. 242-6-14 du code de la sécurité sociale prévoit que les établissements exerçant certaines activités listées par arrêté soient amenés à conserver un taux de cotisation collectif. Tel est, notamment, le cas de secteurs à très faible sinistralité tels que la banque ou l'assurance, mais aussi du secteur médico-social ou des agents et salariés des industries électriques et gazières, des concierges d'immeubles.

Les articles D. 242-6-6 et D. 242-6-22 du même code prévoient également des conditions de tarification dérogatoires pour le secteur des bâtiments et travaux publics.


* 59 Article L. 242-5 du code de la sécurité sociale.

* 60 Article D. 242-6-4 du code de la sécurité sociale.

* 61 Le seuil diffère en Alsace-Moselle : le taux collectif s'applique jusqu'à 50 salariés.

* 62 Article D. 242-6-13 du code de la sécurité sociale : la fraction du taux individuel est égale à 0,9/130 × (Effectif - 20) + 0,1. La part individuelle de la tarification mixte varie donc de 10 % à 99 %.

* 63 Article D. 242-6-6 du code de la sécurité sociale.

* 64 Créé par la LFRSS pour 2023, article L. 221-1-5 du code de la sécurité sociale.

* 65 Définies à l'article D. 242-6-9 du code de la sécurité sociale.

* 66 Article D. 242-6-3 du code de la sécurité sociale.

* 67 Réponses écrites de la direction des risques professionnels de la Cnam au questionnaire de la rapporteure.

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