IV. LES INDUS FRAUDULEUX DE LA CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES (OLIVIER HENNO)

A. LE DISPOSITIF DE RECOUVREMENT DES INDUS FRAUDULEUX PRÉSENTE DES PERFORMANCES CONTRASTÉES MALGRÉ UNE DYNAMIQUE D'AMÉLIORATION

1. Le dispositif juridique du recouvrement des indus frauduleux encadre l'action des caisses d'allocations familiales

La notion d'indu frauduleux distingue l'indu résultant d'une simple erreur de l'indu consécutif à une fraude96(*). Elle suppose la réunion de trois éléments : une violation d'une disposition légale ou réglementaire, l'obtention ou la tentative d'obtention d'une prestation indue, et l'intentionnalité. La fraude doit être établie à partir d'un faisceau d'indices concordants rendant la procédure de qualification exigeante pour les caisses d'allocations familiales.

Dès la détection d'un indu frauduleux, la caisse est tenue de notifier à l'allocataire la nature et le montant de la créance, ainsi que les motifs justifiant la qualification de fraude97(*). Cette notification ouvre à l'allocataire la possibilité d'exercer un recours, d'abord devant la commission de recours amiable, puis, le cas échéant, devant le tribunal judiciaire. En matière de recouvrement, les caisses d'allocations familiales privilégient la retenue sur les prestations en cours mais elles peuvent également recourir à d'autres modes de recouvrement tels que la mise en demeure ou la saisie sur compte bancaire. Le délai de prescription de l'action en recouvrement est fixé à deux ans à compter de la découverte de la fraude bien que le délai soit interrompu dès l'engagement de poursuites pénales98(*).

Lorsqu'un indu frauduleux d'un montant supérieur ou égal à 10 000 euros est constaté, la caisse d'allocations familiales a l'obligation de signaler le dossier au procureur de la République dans une logique d'articulation de l'action administrative de recouvrement avec l'action pénale99(*). En cas d'impossibilité manifeste de recouvrer la créance, notamment en cas de décès de l'allocataire, d'insolvabilité avérée ou d'usurpation d'identité, la dette est admise en non-valeur100(*).

2. La progression quantitative du recouvrement des indus frauduleux est notable mais demeure insuffisante au regard des enjeux financiers

Les données consolidées démontrent une amélioration substantielle du recouvrement des indus frauduleux sur la période 2020-2024. Les montants recouvrés ont progressé de 250 millions d'euros en 2020 à 314 millions d'euros en 2024, soit une augmentation de plus de 25 % en quatre ans. Cette performance s'inscrit dans le cadre des objectifs fixés par la convention d'objectifs et de gestion conclue entre l'État et la caisse nationale des allocations familiales (2023-2027) visant à porter le taux de recouvrement des indus frauduleux identifiés (hors revenu de solidarité active) à 24 mois de 76 % en 2023 à 80 % en 2027.

Indicateurs de cible de recouvrement des indus frauduleux
et non frauduleux fixés par la COG

(en %)

 

2023

2024

2025

2026

2027

Taux de recouvrement des indus frauduleux à 24 mois

76

77

78

79

80

Taux de recouvrement des indus non frauduleux à 48 mois

88

88,5

89

89,5

90

COG : convention d'objectifs et de gestion.

Source : Réponse au questionnaire du rapporteur par la Cnaf

Cependant, cette amélioration doit être relativisée au regard de l'ampleur des enjeux financiers. Sur les 4,2 milliards d'euros d'indus frauduleux et non frauduleux estimés à partir des indicateurs de risque pour la branche famille en 2023, seuls 400 millions d'euros d'indus frauduleux ont été détectés et 300 millions d'euros mis en recouvrement effectif.

Indus frauduleux recouvrés

(en euros)

2020

2021

2022

2023

2024

250 198 714

262 102 262

284 219 724

296 769 148

314 320 249

Source : Réponse au questionnaire du rapporteur par la Cnaf

Le montant total des indus frauduleux identifiés a progressé de 196 millions d'euros entre 2020 et 2024, soit une augmentation de 94 %. La courbe ascendante suggère à la fois une amélioration de la détection des indus frauduleux par la caisse nationale des allocations familiales et une augmentation des comportements frauduleux. Certaines augmentations sont très préoccupantes : le volume des indus frauduleux identifiés de la prime d'activité est passé de 17 millions d'euros en 2020 à 42 millions d'euros en 2024, soit une augmentation de 144 %, tandis que celui de l'allocation pour adulte handicapé est passé de 2,6 millions d'euros à 17,4 millions d'euros sur la même période, soit une augmentation de 558 %.

Montant par année et par prestation des principaux indus frauduleux identifiés

(en euros)

 

2020

2021

2022

2023

2024

Revenu de solidarité active

127 856 648

133 777 247

137 319 150

138 276 319

143 339 577

Prime d'activité

7 250 154

29 381 390

36 349 383

36 095 240

42 103 560

Aide personnalisée au logement

12 125 771

13 506 481

15 186 219

16 101 777

21 992 737

Allocation pour le logement familial

12 594 927

15 757 818

17 791 806

18 398 607

21 045 557

Allocation adulte handicapé

2 648 104

3 974 613

4 730 442

10 131 672

17 428 160

Allocation de soutien familial

6 036 854

7 705 131

8 823 855

9 649 292

13 807 095

Total
(dont prestations non mentionnées)

209 777 912

282 057 534

333 198 617

358 301 115

406 450 093

Source : Réponse au questionnaire du rapporteur par la Cnaf

3. Les écarts territoriaux de performance révèlent des marges d'amélioration dans l'homogénéisation des pratiques

L'analyse des performances territoriales révèle une hétérogénéité importante des résultats entre les 101 caisses d'allocations familiales. En 2024, les taux de recouvrement financier des indus frauduleux entre les caisses les plus efficaces et celles qui le sont moins vont de 50,7 % à 94,6 %, soit un écart de près de 44 points. Toutefois, par rapport à 2023, l'écart intervingtile entre les caisses est passé de 38 points à 17 points.

Cette disparité peut soulever des interrogations sur l'efficacité de l'organisation décentralisée du recouvrement. Les facteurs explicatifs identifiés, tels que l'hétérogénéité des publics, les typologies de fraudes différenciées selon les départements et les capacités financières variables des allocataires, ne suffisent pas à justifier entièrement de tels écarts de performance dans l'application uniforme de procédures nationales.


* 96 Article L. 553-2 du code de la sécurité sociale.

* 97 Article L. 114-17 du code de la sécurité sociale.

* 98 Article L. 553-1 du code de la sécurité sociale.

* 99 Article L. 553-2 du code de la sécurité sociale.

* 100 Article L. 161-1-5 du code de la sécurité sociale.

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