B. LES SPÉCIFICITÉS PROCÉDURALES DES INDUS FRAUDULEUX GÉNÈRENT DES CONTRAINTES OPÉRATIONNELLES MAJEURES QUI REQUIÈRENT UNE EXPERTISE ADAPTÉE
1. La complexité de la qualification de la fraude nécessite des délais de traitement étendus malgré l'existence d'outils d'aide à la décision
La qualification de la fraude mobilise des ressources considérables et génère des délais de traitement significativement supérieurs à ceux des indus non frauduleux. Les indus frauduleux nécessitent en moyenne 20 mois de recouvrement contre 4,4 mois pour les indus non frauduleux, soit un facteur multiplicateur de 4,5. Cette différence substantielle s'explique par la complexité inhérente à l'établissement de l'intentionnalité et la nécessité de respecter les droits des allocataires dans le cadre de procédures contradictoires.
L'utilisation du « mémento fraude », outil d'aide à la décision composé de 9 fiches thématiques, vise à harmoniser les pratiques de qualification. Cet outil, fruit de l'expertise capitalisée par la caisse nationale des allocations familiales, n'a cependant pas encore permis de résorber entièrement les écarts territoriaux de performance.
2. Les montants unitaires élevés des indus frauduleux amplifient les difficultés de recouvrement et réduisent l'efficacité des procédures
Les indus frauduleux présentent un montant unitaire moyen 15 fois supérieur à celui des indus non frauduleux (7 981 euros contre 542 euros en 2023). Cette caractéristique structurelle génère des difficultés spécifiques de recouvrement, notamment un risque accru d'absence de prestations permettant d'effectuer des retenues.
La part du recouvrement dans l'année d'implantation de la créance s'établit à seulement 34,1 % pour les indus frauduleux contre 79,2 % pour l'ensemble des indus. Cette performance dégradée s'explique par la fréquence plus élevée des ruptures de prestations (57 % contre 77 %), privant les caisses d'allocations familiales de leur principal levier de recouvrement amiable.
Les pertes sur indus frauduleux comptabilisées dans les charges de la Cnaf s'élèvent à 6,2 milliards d'euros en 2024. La complexification de la prime d'activité et celle des aides au logement expliquent en grande partie le montant des pertes sur indus frauduleux.
C. L'ORGANISATION DU RECOUVREMENT MOBILISE DES MOYENS CONSÉQUENTS AVEC UN RENDEMENT ÉCONOMIQUE SATISFAISANT MALGRÉ DES DÉFIS PERSISTANTS SUR LA MODERNISATION INFORMATIQUE ET LA PRÉVENTION DES INDUS FRAUDULEUX.
1. Le dispositif organisationnel est coûteux mais présente une performance incontestée
La branche famille mobilise 3 336 équivalents temps plein (ETP) dédiés au contrôle, à la fraude et au recouvrement en 2024, représentant 10 % de ses effectifs totaux. Parmi ces ressources, 1 030 ETP sont spécifiquement affectés au recouvrement des indus frauduleux et non frauduleux.
L'analyse du rendement économique révèle une efficacité notable : en 2023, chaque ETP dédié au recouvrement a permis de récupérer 3 113 250 euros, pour un ratio coût-efficacité de 53,5 euros recouvrés pour 1 euro investi. Cette performance, stable par rapport à 2022 (53,1 euros), démontre la viabilité financière du dispositif.
Le rattachement des services de recouvrement aux directions comptables et financières des caisses d'allocations familiales depuis 2017 a permis une professionnalisation des équipes mais n'a pas résorbé les écarts territoriaux de performance, suggérant la nécessité d'une harmonisation renforcée des pratiques professionnelles.
2. La modernisation des outils informatiques s'accélère pour répondre à des défis technologiques croissants
Le système d'information du recouvrement des indus frauduleux repose principalement sur l'outil de gestion Corali, dont la refonte est programmée pour fin 2025. Cette modernisation, accompagnée d'évolutions fonctionnelles régulières (trois fois par an en moyenne), vise à améliorer l'efficacité du suivi des créances et la qualité du pilotage opérationnel.
Les perspectives d'innovation technologique incluent l'utilisation du datamining pour cibler les dossiers présentant un risque d'indu supérieur à 600 euros sur six mois, et le déploiement d'un modèle big data utilisant des graphes pour identifier des schémas de fraudes complexes. Ces innovations pourraient significativement améliorer les capacités de détection préventive.
3. L'importance de la prévention des indus frauduleux et l'apport de la solidarité à la source
La prévention des indus occupe une place stratégique dans la politique de maîtrise des risques financiers de la branche famille. Plutôt que de concentrer l'essentiel des efforts sur la détection et le recouvrement a posteriori, il s'agit de limiter en amont la survenue des situations génératrices d'indus, qu'elles soient frauduleuses ou non. Les mesures de prévention, telles que l'amélioration des contrôles ex ante, la fiabilisation des échanges de données et la sensibilisation des usagers, constituent ainsi un levier essentiel pour limiter la volumétrie des indus à traiter et recentrer les moyens sur les cas les plus complexes ou litigieux.
Dans cette perspective, la généralisation au 1er mars 2025 de la solidarité à la source pour le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d'activité, testée depuis octobre 2024 dans cinq départements101(*), représente une avancée majeure. Ce dispositif consiste à préremplir automatiquement les éléments nécessaires au calcul des droits sociaux, en s'appuyant sur les données détenues par l'administration fiscale, les employeurs ou d'autres organismes sociaux. En réduisant la part des déclarations manuelles et des saisies par l'allocataire, la solidarité à la source limite mécaniquement les risques d'erreur ou d'omission, qu'ils soient involontaires ou intentionnels. Ce mode de gestion, déjà éprouvé dans le champ du prélèvement à la source de l'impôt, a une vertu dissuasive : il rend plus difficile la manipulation frauduleuse des informations déclaratives, puisque l'essentiel des données est transmis directement par des tiers de confiance.
* 101 Alpes-Maritimes, Aube, Hérault, Pyrénées-Atlantiques et Vendée.