V. LE RECOURS À L'ALLOCATION JOURNALIÈRE DU PROCHE AIDANT (AJPA) (CHANTAL DESEYNE)
A. L'ALLOCATION JOURNALIÈRE DU PROCHE AIDANT : UNE ALLOCATION MISE EN PLACE POUR RENFORCER L'EFFECTIVITÉ DU CONGÉ DE PROCHE AIDANT
1. En reconnaissance du rôle des proches aidants, le législateur a créé un congé et une allocation spécifiques
a) La nécessité de reconnaître le rôle des proches aidants
En France, près d'une personne sur cinq est proche aidante, soit 8,8 millions d'adultes et 0,5 million de mineurs âgés de cinq ans ou plus102(*). Les aidants sont définis comme les personnes qui viennent en aide, de manière régulière et fréquente et à titre non professionnel, à une personne en perte d'autonomie du fait de son âge, de sa maladie ou de son handicap pour l'aider à accomplir des actes ou des activités de la vie quotidienne103(*).
Depuis plusieurs années, le nombre et le rôle des proches aidants prennent de l'ampleur sous les effets du vieillissement de la population, des difficultés d'accès aux soins et de l'impossibilité, pour certaines familles, de financer une aide à domicile ou un placement en établissement. Peu à peu et le plus souvent par défaut, les proches aidants se substituent aux professionnels en réalisant parfois eux-mêmes les gestes de soin.
Dans ce contexte, est apparue la nécessité de mettre en place des dispositifs pour que les aidants puissent concilier leurs vies professionnelle et personnelle.
Selon une enquête de la Drees104(*), 33 % des aidants en emploi qui ressentent une charge importante ont dû aménager leur vie professionnelle (horaires, lieu et/ou nature de l'emploi) et 39 % sont amenés à prendre des congés pour aider leur proche. Le statut d'aidant s'accompagne ainsi d'un risque d'éloignement durable du marché du travail, en particulier pour les femmes, qui représentent près de 60 % des aidants.
b) Le congé de proche aidant
Prenant acte de cet enjeu, le législateur a créé un congé de proche aidant (CPA), entré en vigueur en janvier 2017105(*).
Ce congé est ouvert à tout salarié, sans condition d'ancienneté, qui souhaite suspendre son contrat de travail pour s'occuper d'un proche présentant un handicap ou une perte d'autonomie. Il est pris à l'initiative du salarié, qui en informe l'employeur106(*). Depuis 2020107(*), les fonctionnaires et les agents publics peuvent également en bénéficier.
En outre, depuis le 11 mars 2023108(*), le bénéfice du CPA est également ouvert aux salariés du particulier employeur ainsi qu'aux assistants maternels de droit privé.
La notion de proche
Dans le cadre du congé de proche aidant, la notion de proche est appréhendée de façon très large. En vertu de l'article L. 3142-16 du code du travail, il peut s'agir du conjoint, du concubin, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité (Pacs), d'un ascendant, descendant ou collatéral de son conjoint, concubin ou partenaire, ou encore d'une personne âgée ou handicapée avec laquelle le salarié réside ou avec laquelle il entretient des liens étroits et stables.
Pour que le droit au congé de proche aidant soit ouvert, la personne aidée doit justifier de son niveau perte d'autonomie109(*) :
- s'il s'agit d'une personne en situation de handicap, elle doit avoir un taux d'incapacité au moins égal à 80 % reconnu par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ;
- s'il s'agit d'une personne en situation de perte d'autonomie, elle doit être éligible à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), c'est-à-dire justifier d'une perte d'autonomie correspondant aux GIR 1 à 4. Ce critère a été assoupli : initialement, il était exigé que la perte d'autonomie soit d'une « particulière gravité ». Le législateur a supprimé la référence à ce critère, qui ne s'applique plus depuis le 1er juillet 2022110(*).
Le groupe iso-ressources (GIR)
La grille « autonomie gérontologie groupe iso-ressources », dite grille « AGGIR », est utilisée pour évaluer le niveau de perte d'autonomie d'une personne âgée. À l'issue de l'évaluation, la personne âgée est classée dans un des six groupes iso-ressources (GIR) existants, le GIR 1 correspondant au niveau de perte d'autonomie le plus élevé. Cette grille est notamment utilisée par les équipes médico-sociales départementales pour établir l'éligibilité des personnes âgées à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).
La durée maximale du CPA et le nombre de renouvellements possibles peuvent être fixés par accord collectif111(*). À défaut, la durée maximale du CPA est de trois mois, renouvelable dans la limite d'un an sur l'ensemble de la carrière professionnelle du salarié112(*).
En cas de dégradation soudaine de l'état de santé de la personne aidée ou de toute situation de crise, le congé débute ou peut être renouvelé sans délai113(*), sur production d'un certificat médical ou d'une attestation en cas de cessation brutale de l'hébergement en établissement114(*).
Le salarié peut également choisir de fractionner son congé ou de le transformer en période d'activité à temps partiel, sous réserve de l'accord de l'employeur, sans toutefois pouvoir dépasser la durée maximale de trois mois.
Le congé de proche aidant n'est pas rémunéré, sauf usage ou accord collectif avantageux. En cas de période de travail à temps partiel, le salarié reçoit la rémunération proportionnelle au temps de travail effectué. Toutefois, les bénéficiaires du CPA peuvent percevoir une allocation journalière.
c) L'allocation journalière du proche aidant
Dans les années qui ont suivi la création du congé de proche aidant, l'absence d'indemnisation est rapidement apparue comme un obstacle à son utilisation, rendant ce congé en pratique ineffectif.
En conséquence, en 2020, dans le cadre de la stratégie nationale « Agir pour les aidants », le législateur a créé l'allocation journalière du proche aidant (AJPA)115(*) pour renforcer le recours au CPA. Cette allocation est versée par les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses de mutualité sociale agricole (CMSA) pour le compte de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Au 1er janvier 2025, le montant de l'AJPA est fixé à 65,80 euros par jour. Elle peut être versée, sur l'ensemble de la carrière professionnelle, dans la limite de 264 jours d'accompagnement de proches avec un maximum de 66 jours par proche116(*).
Comme pour le CPA, pour en bénéficier, l'aidant doit justifier que la personne aidée a un taux d'incapacité d'au moins 80 % reconnu par la MDPH ou une perte d'autonomie évaluée en GIR 1 à 4.
Le spectre des personnes susceptibles de bénéficier de l'AJPA est particulièrement large : il comprend les salariés, les agents publics, les travailleurs indépendants et conjoints collaborateurs, les stagiaires de la formation professionnelle rémunérée et les chômeurs indemnisés.
Le CPA et l'AJPA s'articulent avec d'autres dispositifs ouverts aux aidants (voir tableau ci-après).
Congés et allocations ouverts aux aidants
Congé de proche aidant Allocation journalière du proche aidant (AJPA) |
Congé de présence parentale Allocation journalière de présence parentale (AJPP) |
Congé de solidarité familiale Allocation journalière d'accompagnement d'une
personne |
|
Personne aidée |
Proche en situation de perte d'autonomie |
Enfant gravement malade, accidenté ou handicapé |
Proche |
Durée |
66 jours (renouvelable trois fois sous conditions) sur l'ensemble de la carrière |
310 jours d'absence (renouvelables sous conditions) au sein d'une période déterminée par le médecin, dans la limite d'une durée de trois ans |
3 mois |
Versé par |
CAF |
CAF |
Assurance maladie |
Financé par |
Branche autonomie |
Branche famille |
Branche maladie |
Montant |
65,80 euros |
65,80 euros |
64,41 euros |
Public éligible |
Salariés du secteur privé, agents publics, travailleurs indépendants et demandeurs d'emploi. |
Source : Commission des affaires sociales
Pour demander l'AJPA, les salariés, agents publics et stagiaires rémunérés doivent avoir préalablement fait une demande de CPA à leur employeur. Ils doivent ensuite communiquer mensuellement, à la CAF ou à la CMSA, l'attestation de leur employeur indiquant le nombre de jours de congés pris dans le mois.
De leur côté, les travailleurs indépendants et les chômeurs indemnisés doivent transmettre chaque mois, à la CAF ou à la CMSA, une déclaration sur l'honneur attestant de leur réduction ou cessation d'activité professionnelle ou de recherche d'emploi pour s'occuper de la personne aidée.
2. L'attractivité de l'AJPA a été renforcée par l'assouplissement des conditions d'éligibilité et sa revalorisation
Afin d'élargir le recours à l'AJPA, le législateur a progressivement renforcé l'attractivité du dispositif.
D'une part, en cohérence avec la réforme des critères d'éligibilité au CPA (suppression de la notion de « particulière gravité » de la perte d'autonomie) mentionnée ci-avant, depuis 2022, le champ du bénéfice de l'AJPA a été élargi aux aidants de personnes en perte d'autonomie moins avancée (jusqu'au GIR 4).
D'autre part, le montant de l'AJPA a été rehaussé au niveau du Smic journalier net des prélèvements sociaux obligatoires. Il est revalorisé au 1er janvier de chaque année sur l'évolution du Smic net117(*).
Par ailleurs, en 2023, la mesure d'écrêtement du montant de l'AJPA appliquée aux travailleurs indépendants et aux chômeurs indemnisés a été supprimée. Ils peuvent ainsi percevoir le montant plein de l'AJPA, sans qu'il ne soit réduit du fait de leurs autres revenus ou allocations118(*).
Enfin, depuis le 1er janvier 2025, le droit à l'AJPA, initialement limité à 66 jours sur l'ensemble de la carrière pour aider un proche, est renouvelable trois fois, à condition que la personne aidée soit différente119(*). Le proche aidant peut ainsi bénéficier, au total, de 265 jours indemnisés (66 jours × quatre proches). Si l'association française des proches aidants salue cette mesure, elle regrette que le droit à l'AJPA ne puisse être renouvelé pour une même personne aidée.
* 102 Il s'agit des personnes déclarant apporter une aide régulière à une personne en situation de handicap ou de perte d'autonomie (Drees, Études et résultats n° 1255, paru le 2 février 2023).
* 103 Article L. 113-1-3 du code de l'action sociale et des familles.
* 104 Enquête Handicap Santé Ménages de la Drees, 2008.
* 105 Articles L. 3142-16 à L. 3142-27 du code du travail.
* 106 Article L. 3142-19 du code du travail.
* 107 Décret n° 2020-1557 du 8 décembre 2020 relatif au congé de proche aidant dans la fonction publique pris en application de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
* 108 Loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (article 18).
* 109 Article D. 3142-8 du code du travail.
* 110 Décret n° 2022-1037 du 22 juillet 2022 relatif au congé de proche aidant et à l'allocation journalière du proche aidant (article 3), pris en application de la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 (article 54).
* 111 Article L. 3142-26 du code du travail.
* 112 Article L. 3142-27 du code du travail.
* 113 Article L. 3142-19 du code du travail.
* 114 Article D. 3142-7 du code du travail.
* 115 Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 (article 68).
* 116 Décret n° 2024-697 du 5 juillet 2024 relatif à la durée de versement de l'allocation journalière du proche aidant.
* 117 Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 (article 54).
* 118 Loi n° 2023-622 du 19 juillet 2023 visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité.
* 119 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 (article 80).