B. LE RECOURS À L'ALLOCATION JOURNALIÈRE DU PROCHE AIDANT DEMEURE TIMIDE MALGRÉ SON UTILITÉ CERTAINE
1. Le déploiement de l'AJPA demeure limité
Malgré l'indéniable avancée qu'elle représente pour les proches aidants et le périmètre très large des personnes susceptibles d'en bénéficier, le recours à l'AJPA (ainsi qu'au CPA)120(*) demeure limité.
Au 1er novembre 2024, d'après les données de la direction de la sécurité sociale, 19 836 droits à l'AJPA ont été ouverts, contre 14 190 au 1er novembre 2023, soit + 40 % en un an. Le nombre moyen de jours indemnisés par aidant et par mois est de 9 jours121(*).
Sur le plan budgétaire, en 2023, l'AJPA représente, pour la CNSA, un coût total de 11 millions d'euros, contre 8 millions d'euros en 2022122(*).
La montée en charge de l'AJPA reste donc limitée au vu du nombre d'aidants potentiellement éligibles. En effet, l'évaluation préalable annexée au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 estimait que près de 270 000 salariés et 67 000 agents publics aidants pourraient prétendre à l'indemnisation du CPA. Sur cette base, le taux de recours serait donc d'environ 6 %.
À titre de comparaison, le taux de recours est estimé à 50 % pour le minimum vieillesse, 34 % pour le revenu de solidarité active (RSA) et 27 % pour la prime d'activité123(*).
2. Plusieurs facteurs expliquent ce faible taux de recours
a) Des freins inhérents à la situation financière du proche aidant
Premièrement, le faible recours au CPA et à l'AJPA s'explique par la perte de salaire qu'il induit pour les travailleurs.
En effet, si le montant de l'AJPA n'est pas pénalisant pour les plus faibles salaires, au-delà du Smic, si l'employeur n'a pas mis en place de mécanisme de complément, il se traduit par une perte de salaire.
Ainsi, malgré l'avancée que constitue l'indemnisation du CPA, les aidants, anticipant que l'allocation versée ne correspondra pas à leur équivalent de salaire, peuvent préférer - à défaut d'être contraints - de maintenir leur activité professionnelle en sus de leur activité d'aidant ou de solliciter un autre type de congé.
Si cette population représente une infime part des personnes éligibles124(*), comme l'a souligné la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) au rapporteur, ce constat s'observe par exemple chez les exploitants agricoles, qui doivent maintenir l'équilibre économique de leur entreprise.
Par ailleurs, l'importance des freins psychologiques ne doit pas être sous-estimée : comme pour toute autre allocation, certaines personnes refusent de faire appel à la solidarité nationale.
b) Des conditions de recours qui restent complexes
Deuxièmement, les conditions de recours à l'AJPA peuvent se révéler complexes.
Selon l'association française des aidants, la nécessité, pour l'aidant, de réaliser deux démarches en parallèle - la demande de congé auprès de l'employeur d'une part, et la demande d'allocation auprès de la sécurité sociale d'autre part - est particulièrement lourde.
De plus, les dossiers de demande d'AJPA sont souvent mal remplis, ce qui donne lieu à des refus pour non-conformité et alimente le non-recours. Entre septembre 2020 et février 2022, sur les 18 987 demandes d'AJPA reçues par les CAF, seulement 35 % ont abouti à l'ouverture d'un droit : les dossiers étaient mal renseignés, ou les personnes non éligibles à l'allocation (en grande majorité des personnes retraitées).
En outre, l'AJPA peut difficilement être sollicitée en cas de dégradation brutale de l'état de santé de la personne aidée. En effet, la demande d'AJPA suppose de fournir des données qui caractérisent la perte d'autonomie (calcul du point GIR ou du taux d'incapacité). Or, les délais pour obtenir une évaluation de la perte d'autonomie, qui peuvent aller jusqu'à plusieurs mois, ne sont pas compatibles avec une mobilisation du CPA et de l'AJPA en urgence.
Enfin, il ressort des travaux du rapporteur que le taux de recours au CPA et à l'AJPA est plus faible dans la fonction publique que dans le secteur privé. Pour un certain nombre d'emplois postés, le fractionnement du temps de travail est difficilement envisageable, les agents de la fonction publique hospitalière étant les plus exposés à ce frein.
c) Un dispositif récent qui manque de notoriété
Enfin, le faible recours à l'AJPA s'explique par un défaut de connaissance de cette allocation, constat que dressait déjà le rapport d'évaluation de l'AJPA publié en 2022125(*).
Au moment de l'entrée en vigueur de la réforme, au début de l'année 2021, un plan de communication a été mis en place par les caisses de sécurité sociale via la diffusion de supports de communication grand public et l'envoi de mails à destination des personnes en perte d'autonomie dont les aidants sont susceptibles d'être éligibles à l'AJPA. En outre, l'information a été relayée par le ministère des solidarités et de la santé auprès des acteurs institutionnels locaux (agences régionales de santé, départements, associations d'aidants, etc.).
Une deuxième campagne de communication été mise en place dans le courant de l'année 2021, face au constat de la montée en charge limitée de l'allocation. Les sites internet institutionnels ont notamment évolué pour mieux mettre en avant l'AJPA et les critères d'éligibilité.
Pour autant, plus de quatre ans après la création de cette allocation, les administrations et l'association française des aidants constatent que l'AJPA reste trop méconnue non seulement des aidants, mais aussi de certains guichets institutionnels - tels que les MDPH et les maisons départementales de l'autonomie - et des associations de soutien qui interviennent auprès d'eux.
3. Pour renforcer l'effectivité de ces dispositifs, il convient de simplifier les démarches et de mieux cibler la communication
a) Simplifier le recours au CPA et à l'AJPA
Un travail de réflexion pourrait être conduit par les administrations et les caisses de sécurité sociale pour simplifier le recours au congé et à l'allocation journalière du proche aidant. Celui-ci pourrait porter sur :
- l'identification des irritants qui entravent le recours, par les agents publics, au CPA et à l'AJPA ;
- les pistes de simplification de la procédure envisageables pour permettre aux aidants de bénéficier de l'AJPA, a posteriori si nécessaire, dans le cas d'une dégradation brutale de l'état de santé de la personne aidée ;
- et l'opportunité d'ouvrir le renouvellement des droits à l'AJPA pour une même personne aidée.
Par ailleurs, concernant le cas spécifique des exploitants agricoles, un travail pourrait être conduit sur l'extension du service de remplacement aux bénéficiaires de l'AJPA, qui serait de nature à favoriser son accès.
Proposition n° 18 : Simplifier le recours au CPA et à l'AJPA pour garantir leur effectivité.
b) Mieux cibler la communication sur le CPA et l'AJPA
La communication sur le dispositif doit également se poursuivre, et associer toutes les parties prenantes - administrations, acteurs institutionnels locaux, associations et employeurs.
La direction de la sécurité sociale a indiqué au rapporteur qu'un travail sur l'amélioration de la connaissance de l'AJPA serait bientôt conduit. En tout état de cause, en sus du renforcement des actions de communication mentionnées ci-avant, il conviendra de s'appuyer sur le déploiement du service public départemental de l'autonomie, censé intervenir dans le courant de l'année 2025, dont l'une des missions est de faciliter les démarches des proches aidants126(*).
Les employeurs peuvent aussi jouer un rôle important dans la lutte contre le non-recours. En améliorant leur connaissance du dispositif, ceux-ci pourraient, lorsque les salariés ou agents publics sollicitent un congé de proche aidant auprès d'eux, les informer systématiquement de leur droit à percevoir l'AJPA.
Proposition n° 19 : Mieux cibler la communication sur le CPA et l'AJPA en s'appuyant sur le service public départemental de l'autonomie.
* 120 La Direction générale du travail ne dispose pas de données sur le recours au congé de proche aidant.
* 121 Source : données de la Caisse nationale des allocations familiales.
* 122 Source : questionnaire envoyé à la direction de la sécurité sociale.
* 123 Rapport n° 44 fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023 par Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale (session 2024-2025).
* 124 Selon les données de la CCMSA, près d'une centaine d'exploitants agricoles sont proches aidants.
* 125 Direction de la sécurité sociale, Direction générale de la cohésion sociale et Caisse nationale des allocations familiales, Rapport d'évaluation de l'allocation journalière du proche aidant, 2022.
* 126 Loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie (article 2).