IV. LA POSITION DU SÉNAT EN DEUXIÈME LECTURE : EN L'ABSENCE DE TEXTE ADOPTÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE, LA NÉCESSITÉ POUR LE SÉNAT DE RÉTABLIR UN TEXTE ÉQUILIBRÉ MAIS AMBITIEUX POUR LA SUITE DE LA NAVETTE
A. L'ASSEMBLÉE NATIONALE A REJETÉ LA PROPOSITION DE LOI AU TERME DE DÉBATS DIFFICILES
La proposition de loi a été examinée par la commission des affaires économiques, avec Antoine Armand pour rapporteur, et par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avec Jean-Marie Fiévet pour rapporteur.
Plus de 600 amendements ont été examinés en commission et plus de 800 en séance publique. En particulier, l'adoption d'un amendement ajoutant, à l'article 5 bis, un moratoire sur les projets éoliens et solaires, ne figurant en rien dans le texte initial, a suscité l'émoi.
Au terme de cet examen, le 24 juin 2025, l'Assemblée nationale a rejeté, par 377 voix contre et 142 voix pour, la proposition de loi ainsi modifiée.
B. L'ASSEMBLÉE NATIONALE N'AYANT PAS ADOPTÉ SA VERSION DE LA PROPOSITION DE LOI, LE SÉNAT DOIT MAINTENANT RÉTABLIR UN TEXTE ÉQUILIBRÉ MAIS AMBITIEUX, PERMETTANT LA POURSUITE DE LA NAVETTE PARLEMENTAIRE
Saisie en deuxième lecture, la commission regrette que l'Assemblée nationale ne soit pas parvenue à adopter de texte à l'occasion du vote solennel.
Elle constate que le texte issu des travaux en séance publique de l'Assemblée nationale était ambivalent. Il proposait des modifications souvent intéressantes des articles initiaux de la proposition de loi. En revanche, il intégrait aussi une multitude d'ajouts que la commission ne souhaite pas reprendre, tant pour des raisons juridiques qu'économiques.
La commission retient la réécriture par l'Assemblée nationale de l'article 3, sur lequel des échanges préparatoires ont eu lieu entre les deux chambres, fixant les nouveaux objectifs en matière d'énergie nucléaire. En effet, cette rédaction permettait de faire prospérer l'objectif sénatorial de 27 GW de nouveau nucléaire d'ici 2050, dont de 10 GW (soit 6 EPR2) d'ici 2026 et 13 GW (soit 8 EPR2) d'ici 2030.
Pour les mêmes raisons, elle retient également la réécriture par l'Assemblée nationale de l'article 5, fixant les nouveaux objectifs en matière d'énergies renouvelables. En particulier, les objectifs sénatoriaux d'au moins 560 TWh d'électricité décarbonée, dont 200 TWh de sources renouvelables, 297 TWh de chaleur renouvelable et 44 TWh de biogaz injecté d'ici 2030 étaient maintenus.
En revanche, elle regrette la diminution de l'ambition proposée par le Sénat sur trois points. D'une part, l'Assemblée nationale avait réduit à 4,5 GW d'ici 2030 l'objectif en matière d'hydrogène, prévu à l'article 4. D'autre part, elle avait abaissé à 330 000 logements par an l'objectif en matière de rénovation énergétique, mentionné à l'article 9. Enfin, elle avait supprimé tout objectif d'efficacité énergétique, initialement fixé entre 1 250 et 2 500 TWh via les C2E, au même article.
De plus, elle déplore l'ajout par l'Assemblée nationale d'une multitude d'objectifs énergétiques inapplicables : la sortie du marché européen de l'énergie, avec un changement de statut et une position monopolistique pour le groupe EDF de même qu'une extension des TRVE et un rétablissement des TRVG (article 1er) ; la réouverture de la centrale nucléaire de Fessenheim (article 3 bis) ; l'ingérence dans le fonctionnement des réacteurs électronucléaires (article 3 quater) ; l'introduction d'un moratoire sur les projets d'énergie éolienne et solaire (article 5 bis) ; l'ingérence dans les conversions des anciennes centrales à charbon (article 8 bis) ; la modification des conditions de circulation dans les zones à faibles émissions (ZFE) (article 9 bis) ou encore la dérogation à la directive « Concessions », du 24 février 2014, pour les concessions hydroélectriques (article 21 bis).
Enfin, la commission regrette la suppression par l'Assemblée nationale de plusieurs articles adoptés par le Sénat, en matière de simplification des normes ou de protection des consommateurs. Ces dispositions liées à la simplification des normes avaient été proposées par les acteurs des filières nucléaires comme renouvelables, dans le cadre de précédents bilans d'application des lois. De plus, les dispositions liées à la protection des consommateurs avaient été suggérées par la CRE et le MNE.
Au total, consciente de l'urgence de légiférer pour actualiser enfin la programmation énergétique de la Nation, la commission a choisi, en responsabilité, de rapprocher le texte sénatorial des positions de l'Assemblée nationale afin de faciliter son adoption par cette assemblée en deuxième lecture :
- d'une part, elle a pris acte du recentrage du texte sur son volet programmatique. C'est pourquoi elle a supprimé certaines dispositions du titre II, consacrées à la simplification des normes. Aussi a-t-elle adopté 12 amendements en ce sens ( COM-94 à COM-105). La commission sera particulièrement attentive à ce que les initiatives sénatoriales ainsi retirées prospèrent dans de prochains véhicules législatifs. Toutefois, la commission a maintenu les articles 14 à 16 bis, portant sur les projets d'énergie nucléaire, ainsi que les articles 23 à 24, portant sur la protection des consommateurs. Elle a même adopté un amendement ( COM-106) actualisant cet article 24, s'agissant de la mise en oeuvre du prix repère de vente de gaz naturel, de l'encadrement des offres d'électricité dont le prix n'est pas connu à l'avance ou encore des sanctions des fournisseurs d'électricité en l'absence de respect des nouvelles règles prudentielles ;
- d'autre part, elle a repris plusieurs apports de l'Assemblée nationale. Tout d'abord, elle a estimé satisfaisants les objectifs de production pour l'énergie nucléaire (article 3) et les énergies renouvelables (article 5), adoptés en séance publique, qui maintiennent l'ambition sénatoriale initiale. C'est pourquoi elle a adopté 2 amendements ( COM-87 et COM-89) reprenant ces rédactions. De plus, elle a aussi considéré appropriés les objectifs de stabilité des prix (article 1er) ainsi que de flexibilité et d'effacement (article 4), adoptés en séance publique, qui suppriment des redondances. Aussi a-t-elle proposé 2 amendements ( COM-86 et COM-88) intégrant ces ajustements. Il en va de même des objectifs de rénovation et d'efficacité énergétiques (article 9) et de sortie des centrales à charbon (article 8), proposés en commission, qui apportent de la souplesse. C'est la raison pour laquelle elle a adopté 2 amendements ( COM-91 et COM-90) ajoutant ces apports. Enfin, elle a jugé utile l'objectif de décarbonation des Outre-mer (article 10), adopté en commission et en séance publique, qui permet une adaptation à la réalité de ces territoires. Un amendement ( COM-92) a donc été proposé à ce sujet.
- enfin, elle n'a fait aucune suite aux propositions problématiques débattues à l'Assemblée nationale. Le droit de l'Union européenne n'autorise pas les évolutions proposées à l'Assemblée nationale sur le statut du groupe EDF, l'extension des TRVE ou la réintroduction des TRVG. De plus, le législateur n'a pas à s'immiscer, à la place de l'exploitant, dans la gestion des projets de production énergétique, en imposant des réouvertures de centrales nucléaires ou de centrales à charbon ou encore en interdisant de nouvelles installations éoliennes ou solaires.
En l'absence de procédure accélérée, la position responsable de la commission doit permettre aux deux chambres de converger rapidement sur une loi de programmation, attendue par tout un secteur.
Tel est le sens des 21 amendements adoptés par la commission à l'initiative des rapporteurs.
Dans ce contexte, la commission appelle le Gouvernement à confirmer l'inscription annoncée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, dès septembre prochain, de la proposition de loi de programmation ainsi amendée et à attendre la fin de la navette parlementaire, avant de prendre le décret sur la PPE.