B. UNE LÉGISLATION NATIONALE PROTECTRICE MAIS LIMITÉE PAR LE DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE

Le législateur français, sous l'impulsion du Sénat notamment, a tenté de développer, depuis plusieurs années, un arsenal juridique, visant à protéger les mineurs face aux nouveaux enjeux du numérique. Ce cadre national se heurte cependant à des difficultés d'application liées à l'incertitude entourant la conformité des dispositifs nationaux au droit de l'Union européenne.

La loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 - dite loi Marcangelli - visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne prévoyait, en effet, l'obligation pour les réseaux sociaux de refuser l'inscription à leurs services des enfants de moins de 15 ans, sauf si un des parents avait donné son accord, par le biais de dispositifs de vérification d'âge. Ces dispositions ne sont cependant jamais entrées en vigueur, en raison d'un problème de conformité au droit de l'Union européenne (cf. encadré infra).

La loi française sur la majorité numérique jamais appliquée

Un décret était prévu pour l'entrée en application du dispositif de majorité numérique, mais il n'a jamais été publié compte tenu des observations de la Commission européenne, dans le cadre de la procédure de notification, jugeant les dispositions de la loi non conformes au droit européen, en particulier au DSA et à la directive sur le commerce électronique. Cette dernière impose, en effet, le respect du principe du pays d'origine, qui garantit que l'entreprise qui fournit un service dans d'autres pays de l'Union européenne est soumise exclusivement au droit de son pays d'établissement, sauf cas dérogatoires.

La position de la Commission européenne s'est vue renforcée par la jurisprudence ultérieure de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'arrêt « Google Ireland » du 9 novembre 2023 qui est venue confirmer une application stricte du principe de l'État d'origine s'opposant à ce que l'État destinataire d'un service puisse soumettre à des « obligations générales et abstraites » des opérateurs de services établis dans un autre État membre.

Malgré cela, sous l'impulsion des associations et de protection de l'enfance et du Sénat, des dispositions de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (ou SREN) sont venues compléter notre arsenal juridique, obligeant les plateformes en ligne fournissant des contenus pornographiques à instaurer un système de vérification de l'âge de leurs utilisateurs et, s'ils ne la respectent pas, à des mesures de blocage ou de déréférencement.

La loi a confié à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le soin d'établir un référentiel fixant les exigences techniques minimales auxquelles devront se conformer les systèmes de vérification d'âge des sites pornographiques. L'Arcom est ainsi compétente pour bloquer, voire ordonner le déréférencement de ces sites des moteurs de recherche, après une mise en demeure.

L'Arcom - dont la commission des affaires européennes tient à saluer de nouveau l'action essentielle - a ainsi publié son référentiel le 11 octobre 2024, laissant jusqu'au 11 avril aux plateformes établies en France et en dehors de l'Union européenne pour mettre en place un système de vérification de l'âge fiable, sur le principe du double anonymat.

S'agissant des sites établis dans un État membre de l'Union européenne, le régime est différent. En effet, le législateur - en raison du problème de conformité au droit de l'Union européenne évoqué supra et pointé par la Commission européenne avec deux avis circonstanciés adressés à la France - a dû mettre en place un dispositif lui permettant de se conformer au droit de l'Union. La France a ainsi dû notifier aux États membres hébergeant ces sites et à la Commission européenne l'arrêté pris le 26 février 2025 étendant les obligations imposées aux sites extra-européens et français à 17 sites pornographiques situés dans l'Union européenne.

Cependant quelques jours après l'entrée en vigueur de l'arrêté, le tribunal administratif de Paris, saisi par un site pornographique, a suspendu son application, invoquant un doute sérieux sur la compatibilité de ce texte avec le droit de l'Union européenne, en raison de l'existence d'un renvoi préjudiciel en cours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Le Conseil d'État avait, en effet, décidé, le 6 mars 2024 - à l'occasion d'un recours d'éditeurs tchèques de sites pornographiques contre notre dispositif national - de saisir la CJUE de plusieurs questions préjudicielles que soulève l'application de la loi pénale en matière de protection des mineurs.

La commission des affaires européennes considère que l'intérêt supérieur de l'enfant, exigence fondamentale prévue notamment à l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, justifie une action de la France visant à empêcher l'accès des mineurs aux sites pornographiques, y compris ceux établis dans un autre État membre de l'Union européenne - du moins temporairement, tant qu'un dispositif de vérification de l'âge robuste n'a pas été pas mis en place au niveau de l'Union européenne.

Bilan et chronologie du travail de l'ARCOM

? Mars - mai 2025 :

- l'Arcom est intervenue à l'encontre de 5 sites pornographiques établis en France et en dehors de l'Union européenne, qui ont finalement mis en place un système de vérification de l'âge après avoir reçu des lettres d'observations (pour trois d'entre eux) et des mises en demeure (pour deux d'entre eux) (Chaturbate (USA)Pornovore (FR)RueNu (Panama)Nuespournous (Panama)VoilaPorno (Panama)) ;

- l'Arcom a demandé le blocage d'un service en infraction mais sans mentions légales (Camschat).

? 4 juin 2025 : des sites du groupe Aylo (Pornhub, Youporn et RedTube) annoncent s'être rendus volontairement inaccessibles en France, en réaction à l'évolution du cadre légal applicable en France et à l'entrée en vigueur prochaine de l'arrêté désignant les sites établis dans d'autres États membres qui sont assujettis à la loi. Toutefois ces sites restaient accessibles par VPN en France ;

? Juin 2025 : Deux autres sites ont spontanément mis en place des dispositifs de vérification d'âge à la veille de l'entrée en vigueur de l'arrêté ;

? 7 juin 2025 : « entrée en vigueur » de l'arrêté désignant les sites établis dans d'autres États membres qui sont assujettis à la loi.

? 11 juin 2025 : l'Arcom a adressé une lettre d'observations (1re étape de la procédure légale) à 5 sites pornographiques établis dans l'Union européenne, parmi ceux avec la plus forte audience en France, afin qu'ils se mettent en conformité :  

-Xvideos (4 342 000 Visiteurs Uniques (VU8(*)) mensuels) ; 

-Xnxx (2 622 000 VU mensuels) ; 

-xHamster (5 746 000 VU mensuels) ; 

-xHamsterLive (1 068 000 VU mensuels) ; 

-Tnaflix (673 000 VU mensuels).

? 16 juin 2025 : l'arrêté est suspendu par le tribunal administratif de Paris (compatibilité au droit européen et au principe du pays d'origine) ; à la suite de cette décision, les services de Aylo - qui s'étaient rendus indisponibles avant la suspension de l'arrêté - ont rétabli leur accessibilité pleine et entière en France sans outils de vérification de l'âge.

? Juin 2024 - en cours :

En parallèle, dans le cadre du DSA :

- la Commission européenne a ouvert des procédures pour infraction pour absence de vérification de l'âge contre les très grandes plateformes pornographiques (Pornhub, Stripchat, XNXX et XVideos) ;

- la Commission et les coordinateurs nationaux pour les services numériques ont annoncé une action coordonnée des autorités nationales à l'encontre des plateformes en ligne ne vérifiant pas l'âge de leurs utilisateurs.

Par ailleurs, le gouvernement s'est pourvu en cassation pour contester la suspension de l'arrêté prononcée par le tribunal administratif de Paris.

Source : Arcom


* 8 La notion de visiteur unique (VU) est utilisée dans le calcul de la fréquentation d'un site Internet.

Le visiteur unique représente un seul internaute se rendant sur le site web intéressé, une ou plusieurs fois pendant une période donnée.

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