EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
Interdiction de se
prévaloir de son origine ou de sa religion pour se soustraire aux lois
de la République et aux autres règles applicables
La proposition de loi constitutionnelle tend à inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour se soustraire aux lois de la République et aux autres règles applicables.
Elle entend ainsi donner aux acteurs de terrain un fondement clair pour répondre aux pressions et revendications communautaristes auxquelles ils sont confrontés.
Le texte s'inscrit dans le prolongement d'une précédente proposition de loi constitutionnelle, adoptée par le Sénat en octobre 2020 mais rejetée par l'Assemblée nationale.
La commission a adopté la proposition de loi constitutionnelle en revenant, dans un souci de clarté de sa rédaction, au texte adopté par le Sénat en 2020.
1. Des principes constitutionnels qui s'opposent à toute forme de communautarisme
1.1. Des principes qui s'opposent à toute reconnaissance d'une communauté fondée sur l'origine, la langue ou la religion
Comme le prévoit l'article 1er de la Constitution, la France est une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
Outre le principe de laïcité18(*), ces dispositions consacrent les principes fondamentaux du pacte républicain, qui ont valeur constitutionnelle : l'indivisibilité de la République19(*), l'unicité du peuple français20(*) et l'égalité devant la loi21(*).
Ces principes fondamentaux « s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » (Conseil constitutionnel, n° 99-412 DC du 15 juin 1999, cons. 5).
1.2. Le principe de laïcité, dimension essentielle de la République
a. Neutralité de l'État et égalité des citoyens devant la loi, deux composantes du principe de laïcité
« Pierre angulaire du pacte républicain »22(*), le principe de laïcité voit ses modalités de mise en oeuvre définies par la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État, qui affirme à la fois la protection de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes (article 1er) et la neutralité de l'État, qui ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (article 2).
Consacré à l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit23(*). Dans sa décision n° 2012-2978 QPC du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel en énumère les composantes essentielles : « qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte » (cons. 5).
Le principe de laïcité porte en lui-même et contribue à l'égalité de tous les citoyens devant la loi, ce qu'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision Traité établissant une Constitution pour l'Europe du 18 novembre 2004, par laquelle il a jugé que les dispositions de l'article 1er de la Constitution « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers »24(*).
Dans ses voeux au Président de la République du 3 janvier 2005, Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, explicitait la portée de cette décision en rappelant que « la règle commune que constitue la loi doit rester une règle. [...] Autrement dit : le communautarisme n'a tout simplement pas sa place dans notre ordre constitutionnel »25(*).
b. Des exigences différenciées pour les agents et les usagers du service public
L'exigence de neutralité du service public s'étend non seulement aux collectivités publiques, mais également aux personnes privées à qui est confiée l'exécution de ce service public26(*), cette exigence ayant été rappelée et consacrée par l'article 1er de la loi du 24 août 202127(*).
Ainsi, si les agents des services publics sont astreints à une stricte obligation de neutralité, qui prend la forme d'une interdiction de manifester leurs convictions religieuses ou leur appartenance à une religion dans l'exercice de leurs fonctions28(*), l'usager est en principe libre d'exprimer ses convictions religieuses. Les restrictions apportées à cette liberté ne peuvent résulter que :
- d'une législation particulière, à l'instar de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ;
- à défaut, des nécessités de l'ordre public et du bon fonctionnement du service, ces restrictions faisant l'objet d'un contrôle de proportionnalité29(*).
Si des adaptations ou des aménagements du service peuvent être concédés dans le respect du principe d'égalité et du bon fonctionnement du service public, l'usager du service public ne peut en aucun cas se prévaloir d'un droit à obtenir de tels aménagements ou adaptations30(*), ni exciper de ses croyances religieuses pour s'exonérer du respect des règles qui régissent ce service31(*).
Ces principes ont été rappelés par le Conseil d'État au sujet des menus de substitution dans les cantines scolaires. Il a jugé qu'il « n'existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d'un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu'il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l'article premier de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Il a toutefois jugé que « ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas » (CE, 11 décembre 2020, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 426483, Rec.).
Dans son ordonnance du 21 juin 2022 (n° 464648), où était en cause la légalité d'une délibération du conseil municipal de Grenoble modifiant le règlement intérieur des piscines municipales aux fins de permettre le port du « burkini », le juge des référés du Conseil d'État a précisé que les aménagements et adaptations du service public, s'ils sont octroyés, ne peuvent l'être que dans le respect de l'ordre public, du bon fonctionnement du service ainsi que de l'égalité de traitement des usagers : « lorsqu'il prend en compte pour l'organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l'ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l'égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l'obligation de neutralité du service public. »
Même s'il est bien établi, ce cadre juridique fait régulièrement l'objet de contestations de la part des usagers, voire de certains agents. Cette pression communautariste s'observe dans l'ensemble des services publics, tant à l'école - le ministère chargé de l'éducation nationale recensant pas moins 4 230 signalements pour des atteintes à la laïcité au cours de la seule année 2024-202532(*) - qu'à l'hôpital33(*).
1.3. Dans la sphère privée, un cadre juridique peu lisible et d'un maniement difficile pour les acteurs de terrain
L'obligation de neutralité qui procède du principe de laïcité ne s'applique pas dans la sphère privée. Les employeurs, qu'il s'agisse d'entreprises ou d'associations, doivent respecter la liberté de religion de leurs salariés.
Une telle obligation de neutralité ne peut être mise en place que par le règlement intérieur. Depuis la loi « El Khomri » du 8 août 201634(*), l'article L. 1321-2-1 du code du travail dispose que le règlement intérieur « peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés », à la double condition que ces restrictions soient, d'une part, justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et, d'autre part, proportionnées au but recherché.
L'intérêt de cette disposition « apparaît aujourd'hui faible dès lors que le droit positif est essentiellement modelé par la [Cour de justice de l'Union européenne] »35(*), dont la jurisprudence impose notamment que les restrictions prévues par l'employeur répondent notamment à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante »36(*). Celle-ci se définit comme une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause37(*), à l'instar de considérations tenant à la sécurité du personnel ou des clients de l'entreprise38(*).
L'appréciation de cette exigence et du caractère proportionné des restrictions imposées par l'employeur est complexe et constitue un facteur d'insécurité pour les entreprises, comme l'illustre l'affaire de la crèche Baby loup.
L'affaire Baby loup
De retour de congé parental, une employée de la crèche porte un voile islamique, alors que le règlement intérieur de l'association impose le respect du principe de laïcité. Refusant de le retirer, elle est licenciée pour faute grave en décembre 2008.
L'employée se porte alors devant l'ancienne Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), qui considère ce licenciement comme abusif en mars 2010. Dans le même temps, le Parlement examine une proposition de loi de la sénatrice Françoise Laborde pour sécuriser la décision de la crèche39(*).
La justice est également saisie : elle rendra cinq décisions, dont un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation. Plus de cinq ans après les faits, le 25 juin 2014, la Cour a confirmé le licenciement de l'employée, considérant que « la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché » (13-28.369, Bull.).
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) que les conditions dans lesquelles l'employeur peut limiter l'expression des convictions religieuses de ses salariés demeurent très restrictives.
La Cour considère notamment que l'interdiction du port de tout signe manifestant les convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail ne peut procéder de la seule « volonté de l'employeur de poursuivre une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse à l'égard des clients ou des usagers » que si ce dernier établit qu'il s'agit de répondre à un véritable besoin de l'entreprise, « en prenant notamment en considération les attentes légitimes desdits clients ou usagers ainsi que les conséquences défavorables que cet employeur subirait en l'absence d'une telle politique, compte tenu de la nature de ses activités ou du contexte dans lequel celles-ci s'inscrivent »40(*). Ces conséquences défavorables devant être suffisamment importantes pour caractériser une atteinte à sa liberté d'entreprendre41(*).
Par ailleurs, la jurisprudence tend à ériger en dernier recours le licenciement en cas de refus d'un salarié de se conformer à l'interdiction du port de signes manifestant une croyance religieuse. Une autre affectation n'impliquant pas de contact visuel avec les clients doit auparavant être recherchée, « tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire »42(*).
Si le licenciement a pu par le passé être admis lorsque le salarié refuse d'exécuter certaines tâches prévues par son contrat de travail43(*), les sanctions prononcées en la matière sont, de manière croissante, contestées sur le terrain de la discrimination et la jurisprudence tend à étendre à ce cas de figure l'obligation de reclassement dégagée pour le port de signes religieux.
Dans un arrêt récent rendu au sujet d'un salarié refusant, au prétexte de ses convictions religieuses, de rejoindre son site d'affectation, la chambre sociale de la Cour de cassation a certes admis la faculté de l'employeur de sanctionner l'intéressé - en l'espèce, par une mutation disciplinaire -, mais elle s'est également attachée à contrôler qu'une telle sanction répondait à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante » et revêtait un caractère proportionné, soulignant que cette mutation disciplinaire « permettait le maintien de la relation de travail par l'affectation du salarié sur un autre site de nettoyage »44(*). La doctrine a pu y lire un glissement de la jurisprudence, abandonnant la primauté des obligations contractuelles du salarié et imposant à l'employeur de rechercher des « accommodements raisonnables »45(*).
Le licenciement est également difficile à prononcer dans d'autres cas, à l'instar du refus de saluer ou de communiquer avec un collègue du sexe opposé ou d'une autre religion46(*).
Dans un contexte de croissance continue du fait religieux dans le monde du travail, les employeurs sont ainsi souvent mis en difficulté par des revendications à caractère religieux ou communautaire (port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement leur appartenance religieuse, aménagement des horaires, refus de réaliser certaines tâches ou d'avoir certaines interactions avec des collègues à raison de leur sexe ou de leur religion, etc.).
2. Une proposition de loi constitutionnelle visant à clarifier et conforter le droit applicable au profit des acteurs de terrain
La proposition de loi constitutionnelle prévoit d'insérer à l'article 1er de la Constitution un nouvel alinéa aux termes duquel : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect des règles applicables. »
Le texte reprend, pour l'essentiel, une rédaction déjà adoptée par le Sénat en octobre 2020, à l'occasion de l'examen d'une précédente proposition de loi constitutionnelle déposée par Philippe Bas et plusieurs de ses collègues47(*), dont l'article 1er proposait la rédaction suivante : « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune »48(*). Ce texte avait, par la suite, été rejeté en première lecture par l'Assemblée nationale, le 20 décembre 2020.
Ainsi que le précise l'exposé des motifs, la modification proposée cherche à répondre à certaines des objections formulées à l'occasion de ces débats.
Tel était, en particulier, le cas de la référence à la « norme commune », qui avait été regardée comme imprécise par le Gouvernement et certains parlementaires.
L'exposé des motifs précise que, comme la « norme commune », la référence aux « règles applicables » a vocation à recouvrir l'ensemble des règles qui s'appliquent à chacun, qu'il s'agisse des lois et règlements de la République mais aussi des règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations. Il rappelle que ces règles ne sont pas nécessairement uniformes et une telle rédaction ne remettrait aucunement en cause les régimes dérogatoires en vigueur dans certains territoires de la République, ni la faculté de la personne publique ou de l'employeur de concéder des adaptations pour tenir compte des prescriptions religieuses des usagers ou des salariés.
3. La position de la commission : réaffirmer les principes essentiels de la République pour faire échec au communautarisme
3.1. Une réaffirmation nécessaire au profit des acteurs de terrain
Cinq ans après l'adoption par le Sénat d'une précédente proposition de loi constitutionnelle en ce sens, la multiplication des comportements et des pressions communautaristes rend plus que jamais nécessaire la réaffirmation des règles essentielles de la République.
L'ajout, à l'article 1er de la Constitution, de la disposition proposée a pour objet d'affirmer clairement :
- d'une part, l'absence de droit à l'adaptation du service ou des règles applicables à un individu à raison de son origine et de ses croyances ainsi que l'absence d'obligation, pour l'employeur comme pour la collectivité publique, de procéder à telles adaptations ;
- d'autre part, l'impossibilité pour toute personne d'exciper de son origine ou de ses croyances pour se soustraire au respect des règles, qu'il s'agisse de celles qui régissent la vie de la nation comme de celles qui sont propres aux entreprises ou aux services publics.
Le président Philippe Bas voyait dans la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat en 2020 « une reformulation pour notre temps de principes qui sont au fondement de la République », afin d'imprimer « dans nos moeurs des pratiques dont nous n'aurions jamais dû nous écarter et qui garantiront la cohésion de la Nation »49(*).
Pour Jean-Éric Schoettl, conseiller d'État honoraire, il s'agissait de rappeler : « plus fermement et plus explicitement que jusqu'ici, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, les principes sur lesquels peuvent se fonder le maire, le chef d'entreprise, le principal de collège, le médecin d'hôpital pour s'opposer aux revendications communautaristes qui menacent notre société d'éclatement. Oui, en ce domaine, la République a besoin de repères simples à formuler et à respecter. Non, les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits, au sein de la sphère étatique elle-même »50(*).
La disposition proposée donnerait aux acteurs de terrain une base juridique claire et explicite afin de répondre aux pressions communautaristes auxquelles ils sont confrontés. Le rapporteur est d'avis que le rôle du pouvoir constituant est justement d'inscrire, au sommet de la hiérarchie des normes, les principes nécessaires à notre temps qui doivent régir l'organisation de la République.
3.2. Une référence à la « règle commune » qui paraît plus pertinente
Suivant son rapporteur, la commission a estimé que la formulation « règle commune », qu'elle avait déjà adoptée en 2020, était préférable à celle des « règles applicables ».
Elle a en effet estimé que cette nouvelle rédaction n'apporte pas de réelle amélioration : il n'est pas précisé à qui les règles en cause sont applicables ni la nature de celles-ci ; de plus, la formulation pourrait même laisser accroire qu'il s'agit des règles applicables aux individus et aux groupes concernés à raison de leur origine ou de leurs croyances. Jean-Éric Schoettl soulignait que cette expression « pourrait être interprétée , à l'inverse de ce qui est souhaité, comme une règle si personnalisée qu'elle serait réceptive aux affirmations identitaires ! »51(*).
En outre, le professeur Levade relevait que « l'expression "règles applicables" semble peu claire dans la mesure où, d'une part, il ne va pas de soi qu'il s'agit de règles juridiques - le mot règles n'étant pas usuel dans le texte constitutionnel - et le qualificatif applicables incitant à s'interroger sur le champ de l'applicabilité »52(*).
Au contraire, la notion de « règle commune », termes employés par le Conseil constitutionnel dans sa décision Traité établissant une Constitution pour l'Europe du 19 novembre 2004 et repris par le Conseil d'État53(*), a semblé mieux établie et ne présente pas de réelle difficulté d'interprétation.
En particulier, cette formulation ne remettrait en cause ni les régimes dérogatoires prévus par la loi - à l'instar du régime des cultes en Alsace-Moselle ou dans certaines collectivités d'outre-mer, qui constituent la « règle commune » pour ceux auxquels ils sont applicables - ni les dérogations accordées pour des considérations religieuses. L'argument selon lequel l'emploi de ces termes recélerait un risque de remise en cause de certains régimes particuliers a d'ailleurs été jugé « spécieux et juridiquement erroné » par le professeur Levade54(*).
L'emploi du singulier permet d'englober l'ensemble des règles applicables aux individus et aux groupes, quelle que soit leur nature (loi, règlement, convention collective, règlement intérieur, etc.). Comme le relevait le professeur Guillaume Tusseau, l'emploi du singulier « évoque une forme d'unité qui, précisément parce qu'il s'agit de préserver l'intégration et de lutter contre la dispersion communautariste, est bienvenue au regard des ambitions du texte »55(*).
Au bénéfice de ces éclaircissements, qui renseignent sur le sens de cette formule et lèvent les objections, mal fondées, qui lui avaient été opposées, la commission a par conséquent adopté l'amendement COM-2 présenté par le rapporteur, qui tend à revenir à la rédaction déjà adoptée par le Sénat en 2020 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République.
La commission a adopté la proposition de loi constitutionnelle ainsi modifiée.
* 18 Cons. const., n° 2004-505 DC du 19 novembre, cons. 18.
* 19 Cons. const., n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, cons. 5.
* 20 Cons. const., n° 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 12 et 13. Le Conseil constitutionnel rappelle à cette occasion que la Constitution « ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Ce principe est également déduit de l'article 3 de la Constitution, aux termes duquel : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » (n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, cons. 16).
* 21 Id., n° 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 13. Le Conseil constitutionnel se fonde néanmoins quasi exclusivement sur l'article 6 de la Déclaration de 1789 lorsqu'il est amené à se prononcer sur le respect du principe d'égalité devant la loi.
* 22 Rapport de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, dite commission « Stasi », remis au Président de la République le 11 décembre 2003.
* 23 Cons. const., n° 2012-297 QPC du 21 février 2013. Le Conseil d'État l'avait auparavant consacrée comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CE, 6 avril 2001, n° 219379, Rec.) puis comme principe constitutionnel (CE, Section, 26 mars 2005, n° 265560, Rec.).
* 24 Cons. const., n° 2004-505 DC du 18 novembre 2004, cons. 18.
* 25 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18 - juillet 2005.
* 26 Pour des exemples récents, s'agissant du salarié d'une caisse primaire d'assurance maladie (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 12-11.690, Bull.) ou d'une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes (Cass. soc., 19 octobre 2022, n° 21-12.370, Bull.).
* 27 Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
* 28 CE, avis, 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux, n° 217017, Rec.
* 29 Pour un exemple récent, s'agissant de l'interdiction du port de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » dans les compétitions et manifestations organisées par la Fédération française de football (CE, 29 juin 2023, n° 458088, 459547, 463408, Rec.).
* 30 Ce principe ne souffre d'exceptions que dans certaines situations où les personnes publiques ont l'obligation d'assurer le libre exercice du culte de certaines catégories de personnes : militaires, patients des hôpitaux et détenus, notamment par l'institution d'aumôneries (prévues par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905) ou, s'agissant des détenus, en fournissant - dans la mesure du possible et sous les réserves liées à l'ordre et au fonctionnement des établissements pénitentiaires - une alimentation permettant le respect des prescriptions alimentaires, cette obligation étant davantage une obligation de moyens que de résultat (CE, 25 février 2015, n° 375724, T. ; CE, 10 février 2016, n° 385929, Rec.).
* 31 Introduit par la loi du 24 août 2021, le premier alinéa de l'article 433-3-1 du code pénal réprime « le fait d'user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ».
* 32 Chiffres publiés sur le site du ministère : https://www.education.gouv.fr/bilans-de-l-action-des-equipes-valeurs-de-la-republique-377756
* 33 Le rapport Pelloux sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé (mars 2022) faisait le constat, s'agissant des faits de radicalisation, de prosélytisme ou d'atteintes à la laïcité commis par des agents du service public hospitalier, d'« un consensus sur des faits quasiment inexistants avant les années 1990, et en augmentation lente mais constante ces 30 dernières années » (p. 20).
* 34 Loi n° 2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Cette disposition est aujourd'hui codifiée à l'article L. 1321-2-1 du code du travail.
* 35 Bérénice Bauduin, « Religion et activités professionnelles », Titre VII, n° 14, avril 2025.
* 36 Voir CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15, reprenant en cela les termes de l'article article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.
* 37 Ne constitue pas une telle exigence la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits d'un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique (CJUE, 14 mars 2017, C-188/15, point 40).
* 38 Par ex., Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.742, Bull.
* 39 Proposition de loi n° 56 (2011-2012) visant à étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité. Adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale en première lecture mais dans des termes différents, ce texte n'a pas été examiné en deuxième lecture.
* 40 CJUE, 15 juillet 2021, C-804/18 et C-341/19, point 64.
* 41 Ibid., point 67.
* 42 CJUE, 14 mars 2017, C-157/15, point 43 ; Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855, Bull.
* 43 Il en va ainsi du boucher qui refuse de traiter la viande de porc (Cass. soc., 24 mars 1998, n° 95-44.738).
* 44 Cass. soc., 19 janvier 2022, n° 20-14.014, Bull.
* 45 J. Mouly, « Force obligatoire du contrat et convictions religieuses du salarié à l'épreuve des discriminations », Recueil Dalloz 2022, n° 9, 10 mars 2022, p. 492. Voir également : N. Anciaux et J. Icard, « Exiger l'exécution de la prestation de travail est-il discriminer ? », Droit social 2022, n° 5, 12 mai 2022, p. 397 ; J. Colonna et V. Renaux-Personnic, « Sanction du refus d'exécuter une obligation du contrat de travail pour motif religieux », La Semaine Juridique Edition Générale n° 10, 14 mars 2022, act. 324.
* 46 Les questions-réponses sur le fait religieux en entreprise publiées sur le site internet du ministère du travail indiquent qu'il s'agit d'un licenciement « très particulier », « non fautif » et qui « doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui permettent d'établir de façon non équivoque que la relation de travail ne peut pas être maintenue ».
* 47 Proposition de loi constitutionnelle n° 293 (2019-2020) visant à garantir la prééminence des lois de la République.
* 48 Cette rédaction a été également adoptée par la commission des lois à l'article 1er de la proposition de loi constitutionnelle n° 646 (2022-2023) relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l'immigration et à l'asile, qui n'a pas été adoptée par le Sénat.
* 49 Compte rendu intégral de la séance du 19 octobre 2020, JO Sénat p. 7535 et 7536.
* 50 Contribution écrite adressée au rapporteur.
* 51 Contribution écrite adressée au rapporteur.
* 52 Contribution écrite adressée au rapporteur.
* 53 La jurisprudence de la Cour de cassation n'offre pas d'exemple dans ce sens, si ce n'est un arrêt du 5 novembre 2019 (n° 18-84.554) de la chambre criminelle de la Cour de cassation, par lequel elle a jugé que « nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes édictées par la loi pénale ».
* 54 Contribution écrite adressée au rapporteur.
* 55 Contribution écrite adressée au rapporteur.