II. UNE PROPOSITION DE LOI QUI FACILITERAIT LES RUPTURES UNILATÉRALES DES LIENS FAMILIAUX

Partant du double constat que l'aide financière qu'un enfant « dont le parent a failli à ses responsabilités [est] contraint » de lui apporter alors « qu'il a été victime de violences ou de négligences » est une « situation profondément injuste » et que le droit en vigueur impose aux débiteurs « un long parcours administratif et émotionnel »5(*) pour prouver les manquements de leur créancier, l'auteur de la proposition de loi souhaite simplifier les démarches permettant de se décharger de l'obligation alimentaire, en prévoyant une procédure sans aucune motivation, quasi-inconditionnelle et dans laquelle le juge n'interviendrait qu'en cas de recours de la part du créancier.

Pour ce faire, la proposition de loi est articulée autour de trois articles modifiant le code civil.

L'article 1er complète l'article 207 précité, relatif aux décharges de l'obligation alimentaire, pour insérer un nouveau motif de décharge qui pourrait être qualifié « d'auto-décharge » que pourrait s'octroyer le débiteur à titre préventif, par un simple acte notarié, sans aucune motivation particulière. La seule condition qu'aurait à vérifier le notaire serait une condition d'âge, cette démarche ne pouvant être effectuée qu'entre les dix-huit et trente ans du débiteur.

L'article 2 concerne la contestation de cet acte notarié par le créancier. Celui-ci disposerait d'un délai de six mois à compter de la notification de cet acte par le notaire, lequel devrait lui faire parvenir une copie de cet acte dans un délai de quinze jours. En cas de contestation par le créancier, le juge aux affaires familiales serait alors saisi pour apprécier « si le parent a rempli ses devoirs parentaux et a fait preuve de bienveillance envers l'enfant pendant sa minorité », la charge de la preuve incombant au créancier. Une fois le délai de six mois écoulé, la décharge de l'obligation alimentaire serait alors définitive et opposable.

Enfin, l'article 3, qui est pensé comme un garde-fou par l'auteur du texte, prévoit la perte des droits successoraux de tout débiteur s'étant déchargé de l'obligation alimentaire.

III. UNE PROPOSITION DE LOI QUE LA COMMISSION A JUGÉE INOPPORTUNE, VOIRE DOMMAGEABLE

Si la commission, conformément à sa position lors de l'examen de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales qui a étendu les motifs de décharge de l'obligation alimentaire, est favorable au renforcement de la protection des victimes de maltraitance infantile, elle demeure attachée autant au principe de la solidarité familiale qu'au respect du droit à la défense s'exerçant dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Outre un désaccord sur l'opportunité de permettre à un débiteur, sans aucune justification ni aucun intermédiaire judiciaire, de se décharger de son obligation alimentaire, la commission a relevé que le texte soulève des difficultés juridiques et pratiques majeures, qui lui sont apparues insurmontables.

Les travaux du rapporteur ont effet mis en exergue une opposition unanime des professionnels du droit interrogés, notamment des représentants des notaires, placés au coeur de cette nouvelle procédure.

En premier lieu, le texte est, dans son objectif de rupture des liens familiaux en cas de manquement grave de la part du créancier, largement satisfait par l'article 207 du code civil.

En deuxième lieu, il est contraire à des principes fondamentaux du droit des successions, à l'instar de la prohibition des pactes sur succession future, et du procès civil : l'imprécision de la notion de « bienveillance », qui n'existe pas en droit, et le renversement de la charge de la preuve rendraient difficile la défense du créancier. L'utilisation de termes différents à l'article 1er, qui mentionne la défaillance du créancier pour justifier de l'acte notarié, et à l'article 2, qui évoque sa bienveillance pour contester ledit acte, risque en outre de prêter à confusion. Or l'absence de bienveillance n'a pas pour corollaire automatique la défaillance du parent, et inversement. En outre, la procédure de notification à distance, ne permettrait pas s'assurer que le créancier est en mesure d'en comprendre la portée. Tous ces éléments constituent une désincitation au droit au recours et assimilent cette nouvelle procédure à une présomption de défaillance parentale.

Enfin, dans la mesure où l'acte notarié n'a pas à être motivé et n'est pas nécessairement soumis au contrôle d'un juge, le texte risque d'engendrer un effet d'aubaine préjudiciable tant au parent concerné qu'à la solidarité nationale, qui prend le relais des débiteurs lorsqu'est sollicitée une aide sociale à l'hébergement.

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La commission n'a pas adopté la proposition de loi.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique, prévue le 23 octobre 2025, portera sur le texte initial de la proposition de loi.


* 5 Ces citations sont issues de l'exposé des motifs du texte.

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