II. LES BESOINS DE FINANCEMENT POUR COUVRIR LES ENGAGEMENTS EUROPÉENS DEVRAIENT CONDUIRE À UNE HAUSSE DES CONTRIBUTIONS NATIONALES À MOYEN TERME

A. LE FINANCEMENT DE L'ENSEMBLE DES PRIORITÉS DE L'UE PAR LE PROCHAIN CFP POURRAIT ENTRAINER UNE TRÈS FORTE HAUSSE DU PSR-UE

La Commission européenne a présenté le 16 juillet 20258(*) sa proposition pour le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2028-2034. Le paquet CFP constitué contient un ensemble de 24 propositions de textes ordonnés dans une articulation simplifiée :

- la proposition de budget est organisée en 4 rubriques contre 7 actuellement (cf. détail ci-après9(*)) ;

- afin de gagner en flexibilité, le CFP proposé regroupe de nombreux programmes dans des enveloppes plus larges : au total, le nombre de programmes est ramené de 52 à 16.

Dans le cadre des auditions menées par le rapporteur spécial, cette dernière simplification a été mise en avant, notamment par le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), les bénéficiaires potentiels des fonds européens pouvant facilement se perdre dans la profusion d'instruments, en particulier les acteurs plus modestes, qui ne disposent pas des moyens d'ingénierie nécessaires.

1. Une proposition coûteuse de la Commission européenne pour maintenir l'ambition du budget de l'UE

Dans l'ensemble, la Commission propose un plafond d'engagements de 1 763 milliards d'euros (prix de 2025, soit 1 985 milliards d'euros courants) et un plafond de paiements de 1 761 milliards d'euros (prix de 2025, soit 1 980 milliards d'euros courants) pour la période 2028-2034.

À ces montants s'ajoutent différents instruments financiers visant à confier une marge de manoeuvre à l'Union européenne (en plus de la reconduction de l'instrument de flexibilité existant, la proposition prévoit un mécanisme de crise), de nouveaux engagements financiers extrabudgétaires (réserve Ukraine et prêts stratégiques - cf. ci-après), et la reconduction de la facilité européenne pour la paix10(*).

Proposition de cadre financier pluriannuel 2028-2034
de la Commission européenne

(en millions d'euros, en euros courants)

 

2028

2029

2030

2031

2032

2033

2034

Total

1. Cohésion, agriculture, pêche, sécurité...

163 088

160 860

158 053

155 565

152 274

140 140

132 240

1 062 220

2. Compétitivité, prospérité et sécurité

66 875

81 300

83 176

87 312

88 611

90 706

91 614

589 594

3. Europe dans le monde

24 555

25 127

25 578

30 603

35 761

36 442

37 137

215 203

4. Administration

14 945

15 584

16 281

16 870

17 466

18 062

18 669

117 877

TOTAL

269 463

282 871

283 088

290 350

294 112

285 350

279 660

1 984 894

Au-delà des plafonds

Instruments de flexibilité

2 122

2 165

2 208

2 252

2 297

2 343

2 390

15 777

Réserve Ukraine

14 286

14 286

14 286

14 286

14 286

14 286

14 286

100 002

Prêts stratégiques

             

150 000

Mécanisme de crise (0,25 % RNB)

             

395 000

Hors CFP

Facilité européenne pour la paix

4 357

4 357

4 357

4 357

4 357

4 357

4 357

30 499

Source : commission des finances d'après la Commission européenne

Quel est le niveau d'ambition de cette nouvelle proposition ? La proposition de la Commission européenne se situe à 1,26 % du revenu national brut européen. Or le prochain CFP intègre le remboursement du plan de relance européen Next Generation EU, pour un montant équivalent à 0,11 % du RNB de l'UE : ne sont donc consacrées aux politiques de l'Union que 1,15 % du RNB de l'Union, soit une proportion du même ordre que celle du CFP en vigueur.

Comparaison des CFP 2021-2027 et 2028-2034

(en %du RNB de l'UE)

Source : commission des finances d'après le service de recherche du Parlement européen (EPRS)

La proposition de la Commission européenne implique néanmoins un choc budgétaire pour les États membres. En effet, la comparaison des proportions de RNB peut être trompeuse. Si en 2021, les États membres se sont engagés à hauteur de 1,13 % du PIB, les crédits du CFP étaient calibrés selon l'hypothèse standard d'un taux d'inflation à 2 % : or dans les faits, l'inflation a été bien supérieure, dépréciant la valeur réelle de ce CFP, estimée à 1,02 % du RNB.

Taux d'inflation annuel dans l'Union européenne
(indice des prix à la consommation harmonisé)

Source : commission des finances d'après Eurostat

La proposition de la Commission est donc d'ambition comparable à la proposition votée par les États membres en 2021, mais bien plus ambitieuse que le CFP actuellement en vigueur, représentant une hausse de plus de 40 % :

Comparaison des CFP 2021-2027 et 2028-2034, en tenant compte de l'inflation

(en milliards d'euros, en prix de 2025)

Source : commission des finances d'après la Commission européenne et le service de recherchedu Parlement européen (EPRS)

Auditionnée par le rapporteur spécial, la direction générale du trésor estime que la proposition de la Commission implique que le PSR-UE annuel moyen passe de 26 milliards d'euros pour le CFP 2021-2027 à 38 milliards d'euros pour le CFP 2028-2034, soit une hausse de 12 milliards d'euros par an difficilement envisageable dans le contexte budgétaire actuel.

À ce stade, il ne s'agit que d'une proposition de la Commission européenne, qui se veut d'une ambition comparable à celle portée initialement par le CFP précédent. Elle vise principalement, d'une part, à maintenir le financement de politiques consensuelles au sein de l'union (rubrique 1) et d'autre part à doper sa compétitivité, suivant les recommandations du rapport Draghi11(*) (rubrique 2). Les États membres doivent maintenant étudier et se prononcer sur cette proposition, contraints par un triangle d'incompatibilité (seuls deux objectifs sur trois peuvent être remplis - cf. ci-dessous).

2. Une première rubrique qui regroupe notamment la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion dans des plans de partenariat nationaux et régionaux (PPNR)

Une première rubrique, la principale avec 1 062 milliards d'euros en euros courants, regroupe les fonds structurels dans une enveloppe « Cohésion économique, sociale et territoriale, agriculture, prospérité et sécurité rurales et maritimes ».

Cette rubrique rassemble 21 programmes du CFP actuel, regroupant 14 d'entre eux en un seul plan de partenariat national et régional (PPNR) pour chaque État membre, ce qui constitue la principale innovation. S'inspirant de la logique de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), ces plans seraient élaborés par les gouvernements nationaux, en coopération avec les autorités locales et régionales, et devraient présenter des projets d'investissement contribuant aux objectifs politiques généraux du Fonds et répondant aux recommandations du Semestre européen. Ils seraient ensuite négociés avec la Commission et devraient être approuvés par le Conseil avant d'être mis en oeuvre.

Pour la Commission, l'objectif de la mise en commun des ressources dans un seul plan est d'accroître les synergies entre les politiques et de permettre une plus grande flexibilité. De fait, cette nouvelle architecture permet de renforcer la marge de manoeuvre des États membres, qui élaborent les plans et choisissent les domaines prioritaires à financer, dans un cadre qui comprend encore quelques obligations : les aides directes aux revenus des agriculteurs sont conservées, une part minimale est réservée aux régions les moins développées, etc.

Avec l'instauration de ces plans, la Commission propose de passer d'une logique de financement par les coûts (présentation des factures puis remboursement) à une logique de financement par la performance (définition d'objectifs et déboursement en fonction de l'atteinte des cibles). Plusieurs États membres (dont la France) ont salué cette évolution, défendue dans chaque audition menée par le rapporteur spécial. Celui-ci rappelle toutefois les critiques émises par la Cour des comptes européenne sur la FRR : l'efficacité des politiques financées reste encore à évaluer et, en termes de performance, les jalons définis, de qualité très inégale d'un État membre à l'autre, mesurent surtout la capacité à dépenser de l'argent rapidement. Dans un contexte budgétaire contraint, le rapporteur spécial appelle donc à ce que le cadre retenu permette de s'assurer de la bonne utilisation de ces fonds dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.

Enfin, outre les plans de partenariat, la Rubrique 1 regroupe d'autres éléments comme le service du remboursement de NGEU ou un nouveau programme « Catalyst Europe » qui offrirait jusqu'à 150 milliards d'euros de prêts à taux avantageux, financés par un endettement de l'UE, afin d'aider les États membres à financer les investissements des plans qui dépassent leurs enveloppes nationales.

Dernier élément, et non des moindres : la politique de cohésion et la PAC subiraient respectivement des réductions en termes réels d'environ 15 % et 20 %. Interrogés sur ce point, la direction générale du Trésor et le secrétariat général des affaires européennes ont indiqué au rapporteur spécial que ces baisses ne porteraient que sur l'enveloppe minimale de ces politiques : les marges de flexibilité offertes à chaque pays dans leur PPNR permettent d'ajuster les fonds dédiés à ces politiques à la hausse.

Le rapporteur spécial rappelle l'importance cruciale de la PAC pour maintenir le niveau de vie de nos agriculteurs et assurer la souveraineté alimentaire de la France et sera particulièrement vigilant à ce que ces dimensions soient bien défendues dans les négociations qui s'ouvrent.

3. Un nouveau fonds européen pour la compétitivité pour mettre en oeuvre les recommandations du rapport Draghi

La deuxième rubrique budgétaire, intitulée « Compétitivité, Prospérité et Sécurité », représente 589,6 milliards d'euros courants et regroupe aussi une série de programmes existants, fusionnant la rubrique budgétaire actuelle « Marché unique, numérique et innovation » avec celle de la sécurité et de la défense12(*). Elle intègre également des éléments provenant d'autres lignes budgétaires gérées directement par l'UE, comme le programme Erasmus+.

La grande innovation en matière de gouvernance est la création d'un Fonds européen pour la compétitivité (FEC), afin que les États membres coordonnent leur action et mutualisent leurs financements pour assurer une masse critique, de manière à ce que le continent puisse tenir son rang à l'échelle internationale.

Ce fonds fusionnerait en un seul instrument 14 programmes européens existants en matière de soutien à l'industrie, structuré autour de quatre grandes priorités : transition propre et décarbonisation industrielle, santé et bioéconomie, numérique, défense et espace.

Des programmes de travail définissant les priorités de dépenses seraient fixés par la Commission par le biais d'actes d'exécution suivant la procédure consultative13(*). Les programmes de travail définiront les critères d'éligibilité ou encore les taux de cofinancement des dispositifs du FEC.

Cette seconde rubrique était la plus défendue par la direction générale du Trésor en audition, portant sur des investissements d'avenir et, surtout, s'appuyant sur des instruments ayant un fort effet de levier comme InvestEU, c'est-à-dire des investissements qui permettent de démultiplier leur impact en mobilisant l'investissement privé14(*). Le rapporteur spécial a pu constater l'importance de cet effet de levier lors de son contrôle sur les engagements financiers extrabudgétaires avec, dans le cas d'InvestEU, près de 65 % de fonds privés levés sur les projets financés par ce programme15(*).

La direction générale du Trésor a aussi reconnu lors de son audition qu'il s'agissait de la rubrique où les fonds sont en plus forte hausse : + 70 % pour Horizon Europe, des dépenses consacrées aux infrastructures de transport et d'énergie plus que doublées (Mécanisme pour l'interconnexion en Europe), un financement des industries de la défense et de sécurité multipliés par 5... tout en notant que ces rythmes de progression sont avant tout dus à la faiblesse du financement de ces programmes dans le CFP précédent.

4. Un financement de l'action extérieure de l'Union réorganisé dans des proportions constantes

La troisième rubrique de ce nouveau cadre concerne l'action extérieure de l'Union (215,2 milliards d'euros en euros courants). Sa part dans le budget global reste globalement stable, à environ 10 %. La Commission propose néanmoins d'introduire plusieurs changements, tant dans la structure que dans les objectifs.

La plupart des dépenses extérieures sont réorganisées dans le cadre d'un nouvel instrument « Europe globale » qui couvre la majeure partie de la rubrique : la coopération pour le développement, l'aide humanitaire et l'aide de préadhésion. Une fois encore, la Commission préconise une certaine souplesse dans la manière dont les fonds externes sont dépensés. Chaque pilier est assorti d'un budget indicatif, mais les allocations finales seront déterminées dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle, la Commission disposant d'une grande latitude pour décider du montant à allouer aux différents programmes.

La proposition vise également à aligner davantage les dépenses externes sur les priorités stratégiques de l'UE : la sécurité économique et la compétitivité, la sécurité énergétique, la migration, le climat, la connectivité et l'accès aux matières premières critiques.

Enfin, la proposition met fortement l'accent sur le soutien aux pays candidats à l'élargissement, en particulier l'Ukraine. La Commission propose notamment une nouvelle Facilité pour l'Ukraine d'un montant de 100 milliards d'euros, en dehors des plafonds du CFP, afin de fournir un soutien à la préadhésion et à la reconstruction après la guerre, qui vient s'ajouter à un soutien déjà conséquent, analysé par le rapporteur spécial lors de son contrôle budgétaire (cf. infra).


* 8 La Commission européenne a complété ce paquet le 3 septembre 2025 en publiant sept règlements sectoriels supplémentaires.

* 9 Seules les 3 principales rubriques sont ici présentées, la dernière correspondant à l'administration européenne, soit l'équivalent de la 7e rubrique dans le CFP 2021-2027.

* 10 Cet instrument n'est pas financé via le budget européen mais directement par des contributions des États membres. Pour la France, la contribution est ainsi versée par les ministères contributeurs, à savoir le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, et le ministère des armées.

* 11 Une stratégie de compétitivité pour l'Europe, rapport remis à la Commission européenne, septembre 2024.

* 12 À l'exception du Fonds pour la sécurité intérieure, qui est transféré à la rubrique 1.

* 13 Les États membres doivent être consultés, mais qu'aucune approbation formelle de leur part n'est requise ; la seule exception concernerait le volet « Défense et sécurité », où les États membres conservent un droit de veto.

* 14 À titre d'exemple, sur InvestEU, l'Union européenne apporte une garantie à des prêts de la Banque européenne d'investissement, prêts souvent essentiels pour les porteurs de projets en ce qu'ils permettent de sécuriser des financements privés.

* 15 Interim evaluation of the InvestEU Programme, Commission européenne, décembre 2024.

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