II. ALORS QUE LE COMPTE PORTE UNE PART MINORITAIRE DES DÉPENSES IMMOBILIÈRES DE L'ÉTAT, SON ÉVOLUTION EST TRIBUTAIRE DES INCERTITUDES AUTOUR DE LA RÉFORME DE LA FONCIÈRE DE L'ÉTAT

A. LE COMPTE REPRÉSENTE DES MONTANTS MODESTES AU REGARD DE L'ENSEMBLE DU PATRIMOINE IMMOBILIER DE L'ÉTAT

1. Une part mineure des crédits de l'État consacrés à l'immobilier, inférieure à 10 % sur la période récente

À l'évidence, les moyens du CAS pour impulser la politique immobilière de l'État sont très limités au regard de l'étendue du parc immobilier de l'État.

Au 31 décembre 2024, l'État et ses établissements publics occupaient un patrimoine immobilier de 96,7 millions de mètres carrés de surface bâtie (« surface utile brute »), dont 23,1 millions de mètres carrés de bureaux, 18,5 millions de mètres carrés de logements et 20,2 millions de mètres carrés pour les établissements d'enseignement, ainsi que 31 170 terrains non bâtis.

La valeur comptable de ce patrimoine immobilier est estimée à 73,6 milliards d'euros, soit une augmentation notable sur la période récente par rapport à la fin de l'année 2019 (+ 7,9 milliards d'euros, soit + 12 %). Cette évolution s'explique principalement par des réévaluations du patrimoine, dues à une correction d'évaluations initiales résultant notamment de la prise en compte des travaux effectués sur la valeur des biens.

Méthodologie de l'évaluation de la valeur comptable
du patrimoine immobilier de l'État

Les biens valorisés au bilan de l'État ne correspondent pas aux biens dont l'État est propriétaire mais aux biens dont il a le contrôle. Il s'agit de ceux dont l'État a la maîtrise des conditions d'utilisation ou la maîtrise du potentiel de service et/ou des avantages économiques futurs dérivés de cette utilisation. Ainsi, certains biens domaniaux ne sont pas contrôlés (donc absents du bilan), comme les biens confiés aux établissements publics nationaux ; à l'inverse, certains biens non domaniaux sont contrôlés (donc présents au bilan) comme les biens des collectivités territoriales mis à disposition de l'État de manière permanente.

En outre, le mode de valorisation dépend du type de bien : le parc immobilier et les autres infrastructures sont valorisés au coût historique amorti ; les terrains nus et les terrains d'assiette sont valorisés au coût historique ; les sites naturels, les cimetières, les biens sui generis du ministère des Armées et les biens historiques et culturels sont valorisés symboliquement ou forfaitairement ; les établissements pénitentiaires sont valorisés au coût de remplacement déprécié.

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DIE au questionnaire du rapporteur spécial

Rapporté à ce patrimoine très étendu, le CAS « Gestion du patrimoine de l'immobilier de l'État » représente un instrument marginal pour la politique immobilière de l'État.

Ainsi, le compte d'affectation spéciale ne représente qu'une part infime des crédits de l'État consacrés à l'immobilier : l'effort d'investissement supporté par le CAS représente en moyenne annuelle 11 % des dépenses d'investissement immobilier de l'État sur la période 2015-2024 (cette part descend même à 7 % sur la période 2021-2024 post crise sanitaire).

Part du CAS dans l'effort d'investissement immobilier de l'État

(en millions d'euros et en pourcentages)

Investissement (décaissements)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

CAS

314

212

143

278

233

309

234

180

255

150

Total investissements de l'État

1 667

1 669

1 795

1 763

1 886

1 934

2 226

3 119

3 462

2 135

Proportion du CAS

19 %

13 %

8 %

10 %

12 %

16 %

9 %

6 %

7 %

7 %

Source : document de politique transversale « Politique immobilière de l'État »

2. Un outil qui demeure fortement contourné
a) Des règles dérogatoires minorant le niveau des recettes encaissées
(1) Le système des décotes génère un manque à gagner important pour le compte d'affectation spéciale

Les recettes des produits de cession peuvent être minorées par le système de décote qui s'applique sur la cession de certains biens du patrimoine immobilier de l'État en vue de favoriser la construction de logements, notamment sociaux. Entre 2009 et 2023, ce système a représenté, pour l'État, un effort financier de 311 millions d'euros37(*).

Taux moyens de décote des biens

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Taux moyens

67,4 %

46,3 %

74 %

66,7 %

43,9 %

84,5 %

73 %

67,6 %

70,4 %

74,1 %

Source : réponses de la DIE au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Le système de la décote sur les cessions des biens de l'État

Le système de la décote comprend deux mécanismes :

- aux termes de l'article 95 de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, l'État peut céder un terrain de son domaine privé, bâti ou non, pour un prix inférieur à sa valeur vénale afin de favoriser la production de logements. La part de la décote, qui peut atteindre l'intégralité de la valeur vénale du bien, est négociée de gré à gré ;

- à ce principe général s'ajoute une décote « de droit ». En effet, conformément au dispositif dit de « décote Duflot », introduit par la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, des personnes morales peuvent bénéficier de la décote sur certains terrains éligibles, à condition qu'y soient réalisés des programmes de construction de logements sociaux. Cette décote est toutefois plafonnée en fonction du coût moyen du logement social lorsque les personnes publiques disposent de réserves foncières ou de biens susceptibles d'accueillir un programme de logements sociaux, en vertu du décret n° 2019-1460 du 26 décembre 2019.

Source : Cour des comptes, réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Afin de limiter le coût pour l'État et de prévenir tout risque de détournement du dispositif, le Parlement a voté en 201938(*) un mécanisme de plafonnement de la « décote Duflot », précisé par décret39(*), et soutenu par le rapporteur spécial. Inscrit à l'article R 3211-32-7 au code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), ce mécanisme fixe un plafond du taux de décote en fonction du coût moyen du logement social, lorsqu'une collectivité territoriale, un établissement public ou encore une société dispose de réserves foncières ou de biens susceptibles d'accueillir un programme de logements sociaux, pour une surface de plancher au moins égale à celle du programme prévu par le demandeur.

(2) Les dérogations au principe de la mutualisation des produits de cession

Les entités ou ministères occupants ne sont censés pouvoir exercer leurs droits de tirage sur le CAS qu'en contrepartie de la mutualisation de produits de cession. Cependant, des dérogations, décidées en accord avec les ministères concernés et le ministère du budget, peuvent conduire à ne pas mutualiser tous les produits de cession.

Liste des dérogations au principe de la mutualisation des produits de cession

Bénéficient d'un régime dérogatoire avec un taux de retour à 100 %, les produits de cession :

- des immeubles domaniaux occupés par le ministère des armées ;

- des immeubles domaniaux situés à l'étranger et occupés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, jusqu'au 31 décembre 2025 ;

- des biens mis à disposition des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel et des établissements publics administratifs mentionnés au II de l'article L. 711-9 du code de l'éducation ayant demandé à bénéficier de la dévolution de leur patrimoine immobilier par une délibération de leur conseil d'administration ;

- des biens immobiliers appartenant à l'État affectés ou mis à disposition d'établissements publics exerçant des missions d'enseignement supérieur ou de recherche, qui contribuent au financement de projets immobiliers situés dans le périmètre de l'opération d'intérêt national d'aménagement du plateau de Saclay ;

- des biens immeubles de l'État et des droits à caractère immobilier attachés aux immeubles de l'État occupés par la direction générale de l'aviation civile ;

- des biens mis à disposition de l'office national des forêts ;

- des biens mis à disposition des voies navigables de France.

Source : réponses de la DIE au questionnaire du rapporteur spécial

Un autre processus conduisant à contourner les règles du CAS résulte de l'octroi d'avances aux entités ou ministères qui, lors du lancement de certaines opérations immobilières, ne disposeraient pas de ressources suffisantes au titre de leurs droits dans les produits de cession. Le versement de ces avances est ainsi destiné à ne pas retarder le démarrage des opérations envisagées par les entités ou ministères concernés.

Selon la DIE, le niveau atteint par ces avances justifie qu'il n'y soit plus fait recours le temps que les ventes attendues pour le remboursement des principales avances se matérialisent. Ainsi, le montant net des avances consenties par le CAS s'élevait à 297,6 millions d'euros en juin 2025, soit un niveau stable par rapport au montant de 297 millions d'euros constaté en juin 2024.

b) Un poids marginal en dépenses, compte tenu du recours à d'autres vecteurs budgétaires pour des montants supérieurs

En l'absence de loyers versés par les administrations occupantes, les recettes du CAS sont largement insuffisantes pour répondre aux besoins d'entretien et de rénovation du parc immobilier de l'État. Aussi, dans la période récente, le Gouvernement a mobilisé d'autres vecteurs budgétaires pour porter des grands projets structurels, notamment le programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs », dont la DIE est également responsable et dont les principales caractéristiques sont présentées supra.

Initialement destiné à financer la rénovation des sites occupés par plusieurs services de l'État et de ses opérateurs (les « cités administratives »)40(*), ce programme a été doté depuis 2023 de financements complémentaires pour mener à bien les opérations du plan de sobriété énergétique, au titre de l'action « Résilience » (cf. supra).

Le programme 348 visait à moderniser les bâtiments publics en réhabilitant le parc existant, notamment pour diminuer les consommations d'énergies et en investissant sur des travaux ciblés sur la performance énergétique et sur l'évolution des modes de travail.

En LFI 2024, le programme 348 avait bénéficié de 528 millions d'euros de crédits de paiement, notamment pour accélérer la rénovation énergétique du parc immobilier (mesure « Résilience »). Depuis, les moyens du programme 348 connaissent une forte chute, liée à l'aboutissement du programme de rénovation des cités administratives et de la mesure Résilience, avec une première diminution à 300 millions d'euros en CP en LFI 2025, qui se confirme en PLF 2026 avec une nouvelle baisse à 203 millions en CP.

Si la mobilisation d'un programme budgétaire distinct du CAS pouvait s'expliquer par les contraintes spécifiques à la gestion de celui-ci, limitant l'engagement de nouvelles dépenses à hauteur des recettes issues des produits de cession et des redevances domaniales, ce choix a accentué l'éclatement de la politique immobilière de l'État. Aussi, dans le cadre de la nouvelle gestion immobilière qui devrait être initiée par la création de la foncière de l'État (voir infra), une extinction progressive du programme 348 pourrait être envisagée.


* 37 Réponses de la DIE au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 38 Article 274 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

* 39 Décret n° 2019-1460 du 26 décembre 2019 relatif au plafonnement de la décote prévue à l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques.

* 40 L'État compte 56 cités administratives dans son réseau déconcentré dont 36 bénéficiaires du programme de rénovation. La livraison des dernières cités administratives encore en travaux est intervenue en 2025.

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