DEUXIÈME
PARTIE
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LES
PROGRAMMES
« HÉBERGEMENT, LOGEMENT ET
VILLE »
I. LES CRÉDITS DÉDIÉS AU PROGRAMME 177 « HÉBERGEMENT, PARCOURS VERS LE LOGEMENT ET INSERTION DES PERSONNES VULNÉRABLES » GAGNENT EN COHÉRENCE PAR RAPPORT AUX OBJECTIFS AFFICHÉS
Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » porte la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Doté de 3,071 milliards d'euros en CP pour 2026, il se compose de trois actions dont les crédits sont très inégaux.
L'action 11 « Prévention de l'exclusion » représente 1,1 % des CP et finance des actions diverses, principalement de développement d'aires d'accueil des gens du voyage, comme l'allocation de logement temporaire « ALT 2 » versée à des gestionnaires locaux, et de prévention des expulsions locatives, ainsi qu'un dispositif de résorption des bidonvilles.
L'action 12 « Hébergement et logement adapté » comprend 98,6 % des CP. Elle porte les politiques de veille sociale, d'hébergement d'urgence et de logement adapté.
L'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » représente enfin 0,3 % des CP. Elle finance des actions de pilotage du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion (AHI), ainsi qu'un soutien aux fédérations locales des centres sociaux.
Répartition des crédits par action du programme 177 dans le PLF 2026
(en millions d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Le programme ne connaît pas d'évolution significative de son périmètre dans le présent projet de loi de finances.
Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit le maintien de la taille du parc d'hébergement d'urgence à son niveau de 203 000 places, soit une stabilisation au niveau historique atteint en 2021.
Le programme 177 est doté dans son ensemble, dans le projet de loi de finances pour 2026, de 3,05 milliards d'euros en AE et de 3,07 milliards d'euros en CP, dont 2,15 milliards d'euros pour l'hébergement. Cette hausse de 110 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2025, soit + 2,4 % en prenant en compte l'inflation, engage une voie vers la crédibilisation du financement du maintien du parc d'hébergement.
Évolution des crédits par action du programme 177
(en millions d'euros et en %)
|
LFI 2025 |
PLF 2026 |
Évolution PLF 2026 / |
||||
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montant |
% |
corrigé inflation |
||||
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11 - Prévention de l'exclusion |
AE |
35,8 |
34,6 |
- 1,2 |
- 3,4% |
- 4,6% |
|
CP |
35,8 |
34,6 |
- 1,2 |
- 3,4% |
- 4,6% |
|
|
12 - Hébergement et logement adapté |
AE |
2 893,1 |
3 003,9 |
+ 110,9 |
+ 3,8% |
+ 2,5% |
|
CP |
2 917,8 |
3 028,7 |
+ 110,9 |
+ 3,8% |
+ 2,5% |
|
|
14 - Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale |
AE |
7,9 |
8,2 |
+ 0,3 |
+ 3,7% |
+ 2,4% |
|
CP |
7,9 |
8,2 |
+ 0,3 |
+ 3,7% |
+ 2,4% |
|
|
Total programme 177 |
AE |
2 936,7 |
3 046,7 |
+ 109,9 |
+ 3,7% |
+ 2,4% |
|
CP |
2 961,5 |
3 071,4 |
+ 109,9 |
+ 3,7% |
+ 2,4% |
|
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Les crédits de l'action 14 connaissent une hausse comparable, en proportion, avec ceux prévus pour l'hébergement et le logement adapté. En revanche, les dispositifs de prévention de l'exclusion marquent le pas : la baisse de 4,6 % prévue entre la LFI 2025 et le PLF 2026 risque de mettre en péril la prévention des expulsions locatives, ou la résorption des bidonvilles.
A. LES CRÉDITS OUVERTS SUR LE PROGRAMME S'APPROCHENT DU BESOIN RÉEL DE FINANCEMENT SANS POUR AUTANT L'ATTEINDRE
1. La sous-budgétisation chronique du programme 177 rend moins efficace son pilotage en gestion
Depuis au moins 2007, les crédits ouverts en loi de finances initiale sur le programme 177 sont en-deçà, parfois largement, des crédits exécutés en fin d'année. Comme l'indique la revue de dépense8(*) qu'a connu le programme au premier semestre 2025, il « souffre d'une sous-budgétisation chronique [...] qui nuit au pilotage du parc et à la gestion financière des opérateurs. »
Prévision et exécution des crédits du programme 177
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des lois de finances initiales et des lois de règlement
Les effets pervers de cette budgétisation qui manque de sincérité sont connus et mis en valeur, notamment par le travail de la Cour des comptes9(*).
D'une part, on constate que la réserve sur le programme, qui concernait 4 % des crédits entre 2019 et 2022, puis 5 % depuis 2023 et même 5,5 % en 2025, est systématiquement levée et que le projet de loi de finances de fin de gestion vient abonder les crédits manquants. Cette situation répétée cause une perte du sens de la mise en réserve : le programme 177, composé de dépenses pour la plupart assimilables à des dépenses de guichet, ne peut, en gestion, se permettre de geler les crédits alors que les moyens disponibles sont insuffisants pour atteindre l'objectif de places arbitré.
En 2025, la situation perdure : avec une sous-budgétisation estimée par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) à 228 millions d'euros, la réserve, qui a atteint 202 millions d'euros en mai, devrait être non seulement consommée intégralement mais le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) devra probablement abonder le programme de crédits supplémentaires. La DIHAL estime ainsi que les crédits manquants pour financer les capacités existantes de veille, d'hébergement et d'accompagnement social s'élèvent en 2025 à environ 200 millions d'euros.
Le dégel de 101 millions d'euros entre mai et octobre 2025 montre que cette trajectoire a été déjà engagée. Une première démarche pour répondre à ce problème, recommandée par la Cour des comptes et souhaitée par l'administration, serait de fixer un taux réduit de mise en réserve, à 0,5 %.
D'autre part, la pérennité financière des structures et des associations engagées dans la mise en oeuvre de la politique d'hébergement d'urgence est mise à mal par cette gestion sous contrainte.
Comme le montre la Cour des comptes, les versements des crédits tendent à n'être mis en oeuvre qu'à la fin de l'année. Ainsi, dans le parc d'hébergement d'urgence généraliste, 52 % des crédits étaient versés dans les trois derniers mois de l'année 2023, dont 21 % pour le seul mois de décembre, une situation similaire à celle en 2022 : respectivement 48 % et 26 %. Cette situation oblige les gestionnaires de structures d'hébergement d'urgence à mettre à contribution de façon disproportionnée leur trésorerie.
Ensuite, cette logique de contrainte financière qui ne répond pas aux besoins, loin de favoriser un pilotage efficace, tend à accroître les coûts en gestion. En effet, le versement tardif des crédits conduit, pour certaines structures qui mettent en oeuvre la politique d'hébergement, à ouvrir des lignes de trésorerie infra-annuelle auprès des banques afin de tenir jusqu'à l'obtention des subventions.
La difficulté principale qui est relevée par les associations est que l'État ne leur donne aucune visibilité sur le montant final de la subvention qui leur sera accordée. En effet, cette dernière dépend d'arbitrages interministériels décidés au moment de la loi de finances de fin de gestion.
À un niveau plus global, il apparaît que le défaut de sincérité chronique qu'il est possible d'observer sur le programme 177 empêche de rechercher des économies. L'ensemble des mesures d'économies proposées pour la revue de dépenses précitée10(*) sont en effet subordonnées à la première proposition, de bon sens : « mettre à disposition les crédits correspondant aux engagements prévisibles de l'État dès la loi de finances initiale ».
Enfin, le rapporteur spécial dénonce les effets de l'insincérité budgétaire du programme sur la mise en oeuvre des mesures nouvelles votées par le Parlement. À l'issue de la navette et des négociations de la commission mixte paritaire, deux amendements avaient été retenus pour accroître de 2 000 places le parc d'hébergement, en faveur des femmes proches de la maternité et des enfants, pour un montant de 20 millions d'euros.
Or, les auditions menées par le rapporteur spécial et les réponses de la DIHAL montrent que, loin de permettre l'ouverture de nouvelles places, les crédits de ces amendements ont été fléchés pour réduire le besoin de financement déjà existant sur le programme 177.
Deux amendements portant l'ouverture de nouvelles places dans le parc d'hébergement d'urgence et retenus en loi de finances initiale pour 2025 n'ont pas été mis en oeuvre par l'État
Lors de la négociation en commission mixte paritaire du budget de l'État pour 2025, deux amendements portant l'ouverture de crédits pour de nouvelles places spécifiques pour certains publics vulnérables.
- les amendements identiques II-1860 et II-2163, repris partiellement, devaient permettre l'ouverture de 1 000 places pour les enfants ;
- les amendements identiques II-1495, II-2126, II-1862 et II-685 devaient permettre l'ouverture de 1 000 places pour les femmes proches de la maternité
L'ensemble des crédits supplémentaires ouverts par ces deux amendements atteignait 20,6 millions d'euros sur le programme 177.
Ces mesures nouvelles n'ont cependant pas été mises en oeuvre : les crédits ouverts ont simplement permis de réduire l'écart entre l'enveloppe budgétaire initiale et le besoin de financement réel pour les places déjà ouvertes, ils n'ont en aucun cas été utilisés pour en créer de nouvelles.
Source : commission des finances
Le rapporteur spécial somme ainsi l'État de prendre ses responsabilités : la mise en oeuvre des mesures votées par le Parlement ne saurait être remise en cause par l'insincérité de la budgétisation initiale.
2. Le montant prévu pour 2026, bien qu'insuffisant pour l'atteinte des 203 000 places dans le parc d'hébergement d'urgence, se rapproche des besoins
Le maintien de l'objectif de 203 000 places ouvertes dans le parc d'hébergement d'urgence, soit un niveau équivalent à celui de 2025, permet d'effectuer une comparaison de la budgétisation à objectif équivalent.
Ainsi, on constate une hausse de 110 millions d'euros des CP sur le programme par rapport à la loi de finances initiale pour 2025, dont 81 millions d'euros sont dédiés à l'hébergement. Comme l'indique la DIHAL11(*), ceci « constitue une première mesure dans l'intention de crédibiliser le financement du maintien du parc d'hébergement ».
Plus précisément, au sein de l'action 12 « Hébergement et logement adapté », qui finance les principaux dispositifs du programme 177, les crédits sont en hausse de 110,9 millions d'euros en AE et en CP. Ainsi, cette action est dotée en CP de 3 028,7 millions d'euros contre 2 917,8 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2025. Il s'agit d'une hausse de 2,5 % retraité de l'inflation.
Alors que sur le moyen terme, l'augmentation des crédits sur cette action était considérable, avec une hausse de près de 150 millions d'euros chaque année, la trajectoire entre 2022 et 2025 est moins dynamique, la hausse moyenne annuelle atteignant 82 millions d'euros. Le saut de 110,9 millions d'euros prévu dans le PLF 2026 semble renouer avec la période précédente : il s'agit en réalité d'un effet de rattrapage, la sous-budgétisation étant moins marquée en 2026 qu'en 2025.
Crédits de l'hébergement d'urgence et du logement adapté
(en millions d'euros proposé dans le PLF)
Note : les données sont celles du PLF de chacune des années considérées. Par conséquent, la hausse pour l'ensemble de l'action 12 est de 147 millions d'euros entre le PLF 2025 et le PLF 2026. En comparant la LFI 2025 au PLF 2026, la hausse est bien de 110,9 millions d'euros.
Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance
Comme l'indique le graphique, c'est surtout la brique réservée à l'hébergement d'urgence qui connaît l'évolution de dynamique la plus marquée. Les crédits qui lui sont dédiés ont été multipliés par 2,4 entre 2015 et 2022. Depuis, un plateau peut-être observé, à mesure que la taille du parc se stabilise.
Entre 2025 et 2026, en particulier, une augmentation de 67 millions d'euros en CP est prévue sur cette ligne budgétaire. Elle vient rattraper la prévision du PLF 2025 qui réduisait de 73,9 millions d'euros les AE et de 73,8 millions d'euros les CP. On constate donc qu'à parc constant, la budgétisation s'accroît en 2026, rattrapant ainsi une partie du manque.
La hausse est aussi prononcée pour les crédits des trois autres segments de l'action 12.
Les crédits consacrés à la veille sociale sont de 241,5 millions d'euros, en augmentation de 5 millions d'euros, afin d'accompagner la montée en puissance des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), qui coordonnent les structures d'accueil et d'hébergement. Dans ce dispositif, 500 équivalents temps plein (ETP) ont été créés en 2024, pour tenter d'infléchir la dynamique de réduction des demandes non pourvues (voir infra).
Les crédits des dispositifs de logement adapté augmentent de manière plus nette. Doté de 614,3 millions d'euros, soit une croissance de + 38,8 millions d'euros, ce dispositif s'inscrit dans les objectifs du second plan Logement d'abord 2023-2027. Il s'agit en priorité de créer 30 000 nouvelles places en intermédiation locative dans le parc locatif privé, 10 000 nouvelles places en pensions de famille et résidences accueil et de relancer la production de résidences sociale.
Enfin, les crédits dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) sont en croissance à hauteur de 36,6 millions d'euros, pour atteindre une dotation de 832,7 millions d'euros en 2026. Ces structures permettent un accueil intensif et pluridisciplinaire en vue d'une réinsertion plus complète. Les accueillis participent aux charges et versent une contribution. Par conséquent, ce dispositif s'adresse à un public qui est déjà entré dans une phase de réinsertion et ne peut se substituer à l'hébergement d'urgence.
* 8 Inspection générale des finances, Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale de l'administration, Revue de dépenses sur le budget de l'hébergement d'urgence, mai 2025.
* 9 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, 2 juillet 2024.
* 10 Inspection générale des finances, Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale de l'administration, Revue de dépenses sur le budget de l'hébergement d'urgence, mai 2025.
* 11 Réponses au questionnaire budgétaire.


