II. EN SEPTEMBRE 2025, LA COMMISSION A OFFICIELLEMENT ADOPTÉ LE PROJET D'ACCORD ET DÉCIDÉ DE PRÉSENTER DEUX TEXTES DISTINCTS POUR CONTOURNER LE VETO DES ÉTATS MEMBRES ET PARVENIR À UNE ENTRÉE EN VIGUEUR RAPIDE DU VOLET COMMERCIAL

A. L'ACCORD UE-MERCOSUR, UN ACCORD MIXTE QUE LA COMMISSION A DÉCIDÉ DE SCINDER EN DEUX TEXTES DISTINCTS POUR ISOLER LE VOLET COMMERCIAL ET GARANTIR SON ENTRÉE EN VIGUEUR À BRÈVE ÉCHÉANCE

À l'instar de nombreux accords commerciaux « de nouvelle génération », le projet d'accord avec le Mercosur constitue un accord « mixte », c'est-à-dire relevant à la fois de la compétence exclusive de l'Union européenne en matière commerciale et des compétences des États membres.

Or, le 3 septembre 2025, la Commission a officiellement adopté le projet d'accord UE-Mercosur et décidé de scinder l'accord en deux textes juridiques parallèles, un accord de partenariat UE-Mercosur (APEM) et un accord intérimaire sur le commerce (AIC) :

l'APEM est un accord-cadre mixte, requérant l'approbation du Conseil à la majorité qualifiée, l'approbation du Parlement européen et la ratification des 27 États membres ;

l'AIC ne couvre que les dispositions commerciales relevant de la compétence exclusive de l'Union, et sa ratification ne requiert qu'une majorité qualifiée au Conseil et l'approbation du Parlement européen.

Une fois ratifié, l'AIC s'appliquera de plein droit, dans l'attente d'une avancée concernant l'accord global. L'AIC expirera et sera remplacé par l'accord de partenariat UE-Mercosur dès l'entrée en vigueur de ce dernier, à la suite de sa ratification.

D'un point de vue procédural, en application de l'article 218 du TFUE, le Conseil doit adopter, pour chaque accord, une décision autorisant la signature de l'accord, puis après approbation du Parlement européen, une décision portant conclusion de l'accord, qui vaut ratification de l'Union.

Dans la mesure où l'APEM constitue un accord de partenariat, et non un accord d'association, et où « les composantes prépondérantes de l'accord sont la politique commerciale, les transports, la coopération au développement et la coopération économique, financière et technique avec les pays tiers »6(*), la règle de vote retenue est la majorité qualifiée.

B. POUR EMPÊCHER LA CONSTITUTION D'UNE MINORITÉ DE BLOCAGE, LA COMMISSION A PRÉSENTÉ UNE PROPOSITION DE RÈGLEMENT DESTINÉE À GARANTIR L'EFFECTIVITÉ DE LA CLAUSE DE SAUVEGARDE BILATÉRALE CONTENUE DANS L'ACCORD

En dépit de la scission (largement anticipée) de l'accord, permettant de s'affranchir de la règle de l'unanimité, l'entrée en vigueur du volet commercial ne semblait pas acquise ces derniers mois, l'issue du scrutin au Conseil demeurant incertaine. La France et plusieurs États alliés - Italie, Pologne, Hongrie, Autriche, Irlande, Roumanie - ont ainsi tenté depuis décembre 2024 de mettre sur pied une minorité de blocage au Conseil.

Pour empêcher la constitution d'une telle minorité de blocage, la Commission a adopté un engagement politique destiné à « opérationnaliser » la clause de sauvegarde bilatérale prévues par l'accord, en précisant l'interprétation qu'en fait l'exécutif européen.

1. La clause de sauvegarde bilatérale négociée en 2019 : une clause générale à la portée limitée, dont de nombreuses parties prenantes ont dénoncé l'ineffectivité

La clause de sauvegarde bilatérale incluse dans l'accord ne se distingue que très marginalement du cadre global prévu par l'OMC et ne comporte aucune source de protection supplémentaire.

De nombreuses parties prenantes estiment qu'elle ne permettra pas de répondre aux défis structurels posés par la mise en concurrence des filières agricoles européennes avec les pays du Mercosur :

cette clause n'a vocation qu'à atténuer de manière temporaire et exceptionnelle les conséquences de l'accord, en offrant un sursis aux filières nationales de production - ce sursis devant être mis à profit pour s'adapter aux nouvelles conditions de concurrence ;

l'activation de cette clause est complexe, puisque subordonnée à la démonstration d'un lien de causalité entre des importations d'un produit et un préjudice grave pour une branche de production nationale ;

les délais d'activation de cette clause ne permettent pas une réaction rapide ; la décision finale doit être publiée dans un délai maximal d'un an à compter de l'ouverture de l'enquête, ce dernier pouvant être prolongé à dix-huit mois. De plus, les mesures de sauvegarde ne peuvent entrer en vigueur avant que des consultations n'aient été menées entre les parties.

2. La proposition de règlement présentée par la Commission : un engagement politique destiné à simplifier et accélérer l'activation de la clause de sauvegarde

En réponse à ces griefs, la Commission européenne a publié, le 8 octobre dernier, une proposition de règlement7(*), dans laquelle elle s'engage, pour 23 produits sensibles8(*), à :

surveiller étroitement l'évolution des marchés, et transmettre tous les six mois au Parlement européen et au Conseil un rapport sur l'évolution des flux et leur impact sur le marché de l'Union ;

lancer automatiquement une enquête de sauvegarde sur la base de critères quantitatifs prédéterminés (correspondant, sur un an, pour un produit donné, à une hausse de 10 % du volume des importations ou une baisse de 10 % du prix moyen à l'importation, dès lors que ce produit est importé depuis le Mercosur à un prix inférieur d'au moins 10 % à son équivalent européen) ;

mener les enquêtes de sauvegarde dans un délai maximum de quatre mois, (et dans les cas les plus urgents, sous réserve que le risque de dommage soit suffisamment élevé, mettre en place une mesure de sauvegarde provisoire dans un délai de 21 jours à compter de la réception de la demande d'enquête).

Si ces garanties sont évidemment bienvenues, leur portée réelle interroge :

• sur la forme, cette proposition constitue un engagement unilatéral de l'Union européenne. Ce document ne crée aucune obligation nouvelle à l'endroit des pays du Mercosur mais se borne à éclairer les citoyens européens sur la manière dont l'exécutif européen entend recourir aux marges de manoeuvre dont il dispose en matière de sauvegarde ;

• sur le fond, plusieurs organisations agricoles estiment que les modalités d'application de cette clause de sauvegarde demeurent peu effectives.

En réalité, aucune clause de sauvegarde n'a été ajoutée à l'accord ; sur ce point, et contrairement aux déclarations récentes du Président de la République9(*), le contenu de l'accord n'a pas été renégocié depuis 2019.

En définitive, la proposition de règlement sur la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde bilatérale ne modifie pas l'économie générale de l'accord en matière agricole. C'est dans cette perspective que la Commission a proposé la création d'un fonds de compensation, doté d'un montant d'un milliard d'euros par an pendant six ans, afin d'aider les filières qui ne pourront faire face à la concurrence internationale à se reconvertir ou mettre un terme à leur activité.


* 6 Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, de l'accord de partenariat, entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Marché commun du Sud, la République argentine, la République fédérative du Brésil, la République du Paraguay et la République orientale de l'Uruguay, d'autre part, COM(2025) 357 final.

* 7 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant mise en oeuvre de la clause de sauvegarde bilatérale prévue par l'accord de partenariat UE-Mercosur et l'accord intérimaire UE-Mercosur sur le commerce pour les produits agricoles, COM(2025) 639 final.

* 8 Notamment la viande bovine, la volaille, le riz, le miel, les oeufs, l'ail, l'éthanol et le sucre.

* 9 Le Président de la République a affirmé le 7 novembre dernier que « si ces clauses, qui n'existaient pas dans l'accord, sont bien mises en oeuvre, à ce moment-là nous considérerons que cet accord peut être acceptable ».

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