N° 158

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 novembre 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement
de la
République française et le Gouvernement du Monténégro relatif
à la
coopération dans le domaine de la défense (procédure accélérée),

Par M. Étienne BLANC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; M. Étienne Blanc, Mme Valérie Boyer, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Pierre Médevielle, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Sénat :

857 (2024-2025) et 159 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

Le présent projet de loi a pour objet l'approbation de l'accord, signé à Paris le 3 avril 2024 par le ministre des armées de la République française, Sébastien Lecornu, et par le ministre de la Défense du Monténégro, Dragan Krapovic.

Cette relation bilatérale n'était jusqu'à présent encadrée que par un simple arrangement technique signé par les mêmes représentants dix ans auparavant1(*).

Le Monténégro, indépendant depuis le 21 mai 2006, a rapidement déposé sa candidature d'adhésion à l'Union européenne2(*). Puis, forte d'approfondir davantage sa position pro-occidentale dans une région des Balkans occidentaux marquée par des tentatives répétées de déstabilisation, la République du Monténégro a fait le choix d'entrer dans l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) le 5 juin 2017.

Plus récemment, le 16 octobre 2023, nos deux pays ont signé, aux côtés de la Slovénie, un accord relatif à la création du Centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux3(*), dit « C3BO », afin de développer une culture dans le domaine de la cybersécurité dans cette région fragile en la matière. Les trois membres fondateurs de cette organisation internationale, implantée dans la capitale monténégrine, ont vocation à être rejoints par les autres pays de la zone, voire par d'autres pays européens4(*).

Dans ce contexte, l'accord faisant l'objet du présent rapport vient renforcer les liens entre nos deux pays en développant la coopération en matière de défense. S'il s'inscrit dans le cadre général de la Stratégie française pour les Balkans occidentaux5(*) et qu'il couvre largement tous les domaines et formes de coopération dans le domaine de la défense, cet accord met davantage en avant le développement concret de capacités telles la coopération navale (escales, plongée et lutte contre les mines), la modernisation des forces et l'acquisition d'armement (patrouilleurs hauturiers) et la participation au C3BO. En outre, il cherche à donner un cadre juridique solide pour faciliter et/ou relancer des projets concrets déjà engagés.

Il s'appuie classiquement sur le statut des forces armées (dit « SOFA ») prévu par le Traité de l'OTAN, mais prévoit des aménagements pratiques simplifiés pour le règlement des demandes d'indemnités en cas de dommage en lieu et place d'une référence pure au SOFA. 

En abrogeant l'arrangement technique de 2014, cet accord créé un cadre plus complet présentant des intérêts sur quatre plans. Tout d'abord, sur le plan géopolitique et stratégique, il permettra à la France de consolider sa présence dans les Balkans occidentaux et de contribuer à la stabilité régionale. Sur le plan opérationnel, il favorise notamment interopérabilité entre les membres de l'OTAN et le renforcement de la coopération technique et du C3BO. Sur le plan économique et industriel, il ouvre des perspectives d'exportations pour l'industrie de défense française et renforce la marque « France partenaire stratégique européen ». Enfin, il présente des intérêts diplomatiques pour notre place dans l'Europe en offrant à la France une position de partenaire de référence dans la région à l'heure où l'Union européenne cherche à relancer l'intégration des Balkans.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en première lecture.

1) I. APPROCHE CONTEXTUELLE

Le Monténégro, État des Balkans occidentaux d'environ 620 000 habitants, possède une position stratégique entre l'Adriatique et les massifs dinariques. Bien que petit par sa taille, son rôle géopolitique est important en raison de sa localisation et de son histoire complexe, marquée par la domination ottomane, l'intégration à la Yougoslavie, puis l'indépendance en 2006.

Depuis cette indépendance, le pays s'engage dans une trajectoire double : consolider son État et ses institutions, tout en s'ancrant dans l'espace euro-atlantique. Cette trajectoire inclut des engagements régionaux et internationaux majeurs : l'adhésion à l'OTAN en 2017, la participation à la Convention C3BO, la perspective de l'adhésion à l'Union européenne, et la signature d'un accord de défense bilatéral avec la France en 2024.

A. UN ÉTAT JEUNE MARQUÉ PAR UN HÉRITAGE HISTORIQUE ET INSTITUTIONNEL COMPLEXE

1. Du démantèlement yougoslave à l'affirmation souveraine : un long processus d'émancipation

Le Monténégro a longtemps été intégré à des entités fédérales plus larges, comme la République fédérative socialiste de Yougoslavie après la Seconde Guerre mondiale. Durant cette période yougoslave, il bénéficie d'une autonomie relative mais reste dépendant de Belgrade pour les décisions stratégiques et militaires. Après la dissolution de la Yougoslavie, il forme avec la Serbie l'Union de Serbie-Monténégro de 1992 à 2006. Cette période est marquée par un dilemme identitaire : préserver des liens historiques, culturels et religieux avec la Serbie tout en construisant un État autonome.

Le référendum d'indépendance du 21 mai 2006, avec 55,5 % de votes favorables, marque le début de la souveraineté reconnue internationalement. Cette indépendance n'est pas seulement politique, mais aussi symbolique. En effet, elle ouvre la possibilité au Monténégro de rejoindre les institutions internationales et de définir sa propre politique de sécurité et de défense.

Le Monténégro affirme progressivement une identité nationale propre, façonnée par un équilibre délicat entre plusieurs influences historiques et culturelles. Héritier d'un passé étroitement lié à la Serbie, le pays partage avec elle la langue, une partie des traditions et l'appartenance majoritaire à l'orthodoxie, longtemps pilier de sa cohésion politique et sociale. Pourtant, la singularité monténégrine s'est aussi construite dans la continuité d'une histoire particulière : celle d'une principauté puis d'un royaume qui a conservé son autonomie face aux grands empires voisins. À cela s'ajoute l'empreinte adriatique, issue de siècles d'ouverture vers la mer et de contacts avec les mondes vénitien et méditerranéen, qui ont nourri une culture plus tournée vers l'Europe occidentale. Entre héritage serbe, tradition orthodoxe et influences adriatiques, le Monténégro forge aujourd'hui une identité plurielle, revendiquant à la fois ses racines communes et son caractère distinct.

L'enjeu identitaire reste central. Une partie de la population s'identifie à la culture serbe, tandis qu'une autre se rattache à une identité monténégrine spécifique. Cette dualité influence encore aujourd'hui les orientations politiques et les relations bilatérales avec Belgrade.

2. La consolidation interne : institutions, gouvernance et transition démocratique

La Constitution du 19 octobre 2007 établit une république parlementaire, démocratique et laïque. Les institutions prévues par cette dernière comprennent un parlement monocaméral (Skuptina Crne Gore) composé de 81 membres élus pour 4 ans au suffrage universel selon la représentation proportionnelle, un président élu au suffrage universel direct pour 5 ans renouvelable une fois dont le rôle est surtout symbolique et diplomatique, un gouvernement dirigé par un Premier ministre responsable devant le Parlement, une Cour constitutionnelle et un pouvoir judiciaire indépendant dominé par une Cour suprême.

Depuis l'indépendance, le pays a connu une longue période de domination politique par le Parti démocratique des socialistes (DPS) et son leader Milo Dukanovic, héritier de l'ancien Parti communiste. Cette hégémonie a généré des critiques liées au clientélisme, à la corruption et la lenteur des réformes institutionnelles. L'année 2023 marque un tournant politique majeur puisque, Jakov Milatovic du mouvement Europe Now ! est le premier président n'appartenant pas au parti historique à être est élu. Ce changement de cap sera confirmé avec les élections législatives anticipées dans lesquelles Europe Now ! reste en tête mais dans lesquelles aucune majorité claire ne s'est dégagée, obligeant les uns et les autres à former des coalitions complexes rendant la stabilité gouvernementale fragile.

Malgré ces difficultés, plusieurs réformes ont été engagées telles que les réformes judiciaires pour renforcer l'indépendance des tribunaux, celles sur la modernisation de l'administration et l'amélioration de la transparence financière, ou encore celles sur l'adaptation de la législation aux standards européens, notamment en matière de droits humains et de lutte contre le crime organisé. 

Cette consolidation est indispensable pour préparer le Monténégro à ses engagements internationaux, en particulier à l'égard de l'OTAN, de la Convention « C3BO » et de l'Union européenne.


* 1 Le 9 mai 2014 à Paris.

* 2 le 15 décembre 2008 en France. Le statut de candidat officiel lui est accordé en décembre 2010 par le Conseil européen, soit 2 ans après sa demande.

* 3 Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie.

* 4 Cf rapport n°284 (2024-2025) de Mme Sylvie Goy-Chavent du 29 janvier2025

* 5 Cf rapport d'information n°882 (2022-2023) sur « Réinvestir les Balkans occidentaux : un impératif stratégique », de M. Olivier Cigolotti, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Bernard Fournier et Mme Michelle Gréaume

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