EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 26 novembre, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Etienne Blanc sur le projet de loi n° 857 (2024-2025) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Monténégro relatif à la coopération dans le domaine de la défense.
M. Philippe Paul, président. - Enfin, nous allons examiner le projet de loi n° 857, qui vise à autoriser l'approbation de l'accord de coopération en matière de défense entre la France et le Monténégro. Cet accord bilatéral vise le renforcement de notre coopération militaire avec le Monténégro dans le cadre du développement de la stratégie française pour les Balkans occidentaux. Je donne la parole à notre collègue Étienne Blanc.
M. Etienne Blanc, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui un projet d'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et celui de la République du Monténégro, dont nous sommes saisis en première chambre. Les auditions que j'ai conduites avec les commissaires du Gouvernement en charge du dossier, m'ont permis de mesurer l'enjeu de cet accord, qui, au-delà du nécessaire cadre juridique qu'il apporte à notre coopération, est porteur d'opportunités pour les deux parties.
Le rapporteur projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.
Situé dans les Balkans occidentaux, le Monténégro est un petit État d'Europe du Sud-Est, doté d'une façade sur l'Adriatique et entouré par la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Kosovo et l'Albanie. Il est officiellement candidat à l'adhésion à l'Union européenne depuis 2010 et membre de l'Alliance atlantique depuis 2017.
La candidature monténégrine à l'Union européenne s'inscrit dans une logique de stabilisation régionale et de renforcement de la sécurité dans les Balkans occidentaux. Outre les réformes politiques, judiciaires et économiques exigées par l'Union européenne, le pays s'efforce de moderniser ses forces armées et sa coopération militaire avec ses partenaires européens et atlantiques. Membre de l'OTAN depuis 2017, le Monténégro cherche à aligner ses standards de défense sur ceux de l'Union européenne, ce qui constitue un facteur clé pour son intégration future. Les négociations d'adhésion intègrent ainsi des volets liés à la sécurité, à la lutte contre le crime organisé et au contrôle aux frontières, reflétant l'importance accordée par l'UE à la stabilité régionale. En l'état actuel, la quasi-totalité des trente-trois chapitres de négociation ont été ouverts, et sept chapitres ont été provisoirement clos. Bien que des progrès significatifs aient été réalisés, la mise en oeuvre effective des réformes reste un défi, et l'adhésion définitive, visée autour de 2028, dépendra de l'avancement concret dans tous les chapitres, surtout ceux liés à l'État de droit et à la sécurité.
La possible adhésion du Monténégro à l'Union européenne s'inscrit pleinement dans la stratégie française pour les Balkans occidentaux, qui vise à renforcer la stabilité, la sécurité et l'intégration européenne de la région. La France soutient l'élargissement progressif de l'UE pour consolider la démocratie, l'État de droit et le développement économique, tout en limitant les influences extérieures pouvant déstabiliser ces États. Dans ce cadre, l'adhésion du Monténégro permettrait de renforcer la coopération en matière de défense et de sécurité, de sécuriser les voies d'accès à l'Adriatique et d'encourager les réformes régionales, tout en servant de modèle pour les autres candidats des Balkans occidentaux, comme la Serbie et le Kosovo. La France, comme cela était relevé dans le rapport d'information Réinvestir les Balkans occidentaux : un impératif stratégique cosigné en juillet 2023 par nos collègues Olivier Cigolotti, Hélène Conway-Mouret, Bernard Fournier et Michelle Gréaume, considère donc l'intégration européenne du Monténégro comme un levier stratégique pour stabiliser et sécuriser durablement la région balkanique, tout en affirmant l'influence française et européenne dans cette zone géopolitique sensible.
En matière de politique étrangère, le Monténégro mène depuis son indépendance en 2006, une politique résolument tournée vers l'intégration euro-atlantique, considérant que sa sécurité, sa stabilité institutionnelle et sa prospérité dépendent avant tout de son ancrage dans l'Union européenne et l'OTAN. L'adhésion du Monténégro à l'Alliance atlantique en 2017 a été vivement critiquée par Moscou, qui a tenté d'influencer le contexte politique interne. L'événement le plus marquant demeurant la tentative de coup d'État d'octobre 2016 attribuée à des agents liés à la Russie selon les autorités monténégrines et plusieurs services occidentaux. L'entrée dans l'OTAN a donc été perçue comme un basculement géopolitique contre l'intérêt de Moscou. Néanmoins, le Monténégro participe activement aux mécanismes de défense collective et augmente progressivement son effort militaire, près de 2 % de son PIB soit environ 150 millions de dollars en 2024.
Comme nous l'avons vu précédemment, son rapprochement avec l'UE est avancé : Podgorica est l'un des favoris des Balkans occidentaux dans les négociations d'adhésion, bénéficiant d'un alignement élevé sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), d'un soutien financier européen et d'un renforcement capacitaire via la Facilité européenne pour la paix (FEP). C'est dans ce cadre que, le 28 février 2025, le Conseil de l'Union européenne a adopté une mesure d'assistance d'un montant de 6 millions d'euros pour soutenir les forces armées du Monténégro et qu'en 2022, il avait également bénéficié d'une partie des 6 millions d'euros destinés au Balkan Medical Task Force (BMTF) soutenant les capacités médicales militaires des pays balkaniques.
Depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, le Monténégro soutient fermement Kiev, en ligne avec son ancrage euro-atlantique et sa politique pro-OTAN. Le pays a appliqué l'ensemble des sanctions de l'UE contre la Russie, participe à des exercices et formations de l'OTAN, et a fourni un soutien symbolique limité mais visible, notamment en termes de personnel et de matériel de défense. Cette position a renforcé sa crédibilité internationale mais accentué les tensions internes, certains partis pro-russes contestant cet alignement.
Dans la région des Balkans occidentaux, le Monténégro cherche à projeter l'image d'un acteur fiable, pro-européen et stabilisateur. À ce titre, il a signé, en octobre 2023, avec la France et la Slovénie, un accord relatif à la création du Centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux, dit « C3BO », visant à renforcer la cybersécurité, la lutte contre la cybercriminalité et la coopération politique dans le cyberespace. Comme notre collègue Sylvie Goy-Chavent nous l'a indiqué dans son rapport du 29 janvier dernier sur l'approbation de cet accord, l'initiative, financée majoritairement par la France, permet de former les administrations et les forces de sécurité des Balkans occidentaux, tout en consolidant l'ancrage euro-atlantique du Monténégro et en renforçant son rôle stratégique régional. Le centre, installé à Podgorica, contribue à améliorer la résilience numérique face aux menaces criminelles et étatiques, tout en offrant à la France un levier de soft power et de coopération régionale. Les principaux défis concernent la pérennité du financement, la participation active des États balkaniques et la gouvernance multilatérale pour garantir un impact durable. Malgré cette volonté d'afficher une certaine fiabilité dans la région, ses relations avec la Serbie demeurent ambivalentes, mêlant interdépendances économiques et tensions politiques, notamment autour des questions identitaires et de l'influence de partis pro-serbes.
Cependant, malgré toutes les actions pro-euro-atlantiques et son fort potentiel géostratégique, le Monténégro est très exposé à des vulnérabilités structurelles. En premier lieu, des faits de corruption et de clientélisme, affaiblissent les institutions et peuvent favoriser des crises de gouvernance, d'autant que les coalitions politiques peuvent être fragiles. En deuxième lieu, sa dépendance aux capitaux étrangers, notamment chinois, et son endettement structurel compromettent la résilience économique. En troisième lieu, le pays doit également composer avec les tentatives d'influence externe (russes, serbes, parfois chinoises ou turques), qui exploitent ses divisions internes. Cette vulnérabilité rend d'autant plus stratégique son ancrage euro-atlantique, ainsi que la coopération régionale dans les domaines de l'énergie, des transports et de la sécurité. En quatrième lieu, le développement touristique rapide combiné à la faiblesse des infrastructures peut poser des risques environnementaux comme du surtourisme, de l'érosion ou une pression sur les ressources. Enfin en dernier lieu, si les réformes nécessaires ne sont pas consolidées, cela pourrait ralentir ou compliquer le processus d'entrée dans l'Union européenne.
Les relations bilatérales entre la France et le Monténégro s'inscrivent dans une histoire longue et globalement positive, marquée notamment par l'engagement du Monténégro, allié de la Serbie aux côtés de l'Entente durant la Première Guerre mondiale, puis par son rôle de haut lieu de la résistance yougoslave contre l'occupation italienne et allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Après son indépendance en 2006, cette relation s'est encore approfondie, portée par un dialogue diplomatique régulier et un engagement commun en faveur de la stabilité des Balkans et de l'intégration euro-atlantique. Sur le plan économique, les échanges restent modestes mais progressent, avec une présence française croissante dans les secteurs du tourisme, de l'énergie et des infrastructures. Cette relation, ancienne, éprouvée et tournée vers l'avenir, constitue aujourd'hui un socle solide pour une coopération renforcée.
Dans le domaine de la défense, notre coopération était régie par un arrangement technique bilatéral signé en 2014. Il constituait un cadre souple de coopération en matière de défense, moins contraignant qu'un traité officiel, destiné à poser les bases d'une collaboration bilatérale. Ses principaux objectifs étaient de renforcer les échanges militaires dans plusieurs domaines, notamment l'enseignement du français, les escales navales et les contacts stratégiques entre états-majors, tout en préparant la mise en place d'un cadre plus formel à l'avenir. Cet arrangement s'inscrivait également dans la stratégie française pour les Balkans occidentaux, visant à soutenir la stabilité de la région et à préparer la coopération avec le Monténégro avant son adhésion ultérieure à l'OTAN.
L'accord de coopération dans le domaine de la défense signé le 3 avril 2024 entre la France et le Monténégro marque un renforcement significatif de leur coopération militaire, en posant un cadre juridique beaucoup plus solide que l'arrangement technique de 2014. Cet accord couvre un large spectre d'actions : politique de défense, formation des forces, équipement et armement (notamment des patrouilleurs hauturiers), ainsi que des missions navales. Les clauses de l'accord sont très classiques, reprenant des dispositions traditionnelles des accords de défense bilatéraux : coopération technique, échanges de personnels, formation, assistance mutuelle, protection et statut des forces. Il inscrit aussi explicitement le statut des personnels militaires sous le régime du « SOFA OTAN », clarifiant les droits et obligations des troupes sur le territoire de l'autre partie. Enfin, il s'inscrit dans la stratégie française pour les Balkans occidentaux, en vue de stabiliser la région et de consolider des partenariats stratégiques avec un allié déjà membre de l'OTAN.
Cet accord constitue avant tout un cadre général destiné à organiser et faciliter la coopération de défense entre la France et le Monténégro, sans en limiter la portée : il fixe les principes, les modalités et le socle juridique commun, mais laisse entièrement ouverte la possibilité d'aller plus loin. Ainsi, toute action additionnelle, tout programme nouveau ou tout approfondissement opérationnel peut être décidé ultérieurement par les deux parties, ce qui permet d'adapter en permanence la coopération à leurs besoins stratégiques et à l'évolution du contexte régional.
Au regard de ces éléments, il apparaît clairement que cet accord offre un cadre solide, évolutif et pleinement cohérent avec nos intérêts stratégiques dans les Balkans occidentaux comme au sein de l'OTAN. Il s'inscrit dans la continuité du travail déjà accompli par notre commission, puisque nous avons déjà approuvé plusieurs accords très similaires, notamment avec la Macédoine du Nord il y a quelques semaines, ainsi que celui officialisant le C3BO en janvier dernier, témoignant ainsi de notre volonté de renforcer la stabilité et l'intégration de la région. Cet accord consolide une coopération ancienne, sécurise notre partenariat militaire et ouvre la voie à des développements futurs bénéfiques pour les deux pays. Je vous invite donc, chers collègues, à approuver ce texte.
L'examen de ce projet de loi est inscrit en séance publique à l'ordre du jour du mercredi 10 décembre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des Présidents, ainsi que votre rapporteur, a souscrit.
Présidence de M. Philippe Paul, vice-président
M. Philippe Paul., président - Merci au rapporteur que je félicite de son travail.
Mme Hélène Conway-Mouret - Merci au rapporteur pour cette excellente présentation. Je pense en effet, que nous ne saurons que nous féliciter de ces accords. Ce sont des signaux incroyablement importants que nous nous devons de donner aujourd'hui aux pays de cette région, qui font de gros efforts pour se raccrocher au bloc européen. Et je pense que c'est un signal très positif. En plus, la position géographique fait que nous nous devons également de les soutenir pour les inciter à aller plus vite dans ce qui est mis en place sur le plan civil, et ces accords de défense sont un gage dont ils ont besoin, donc merci. En tout cas, je souscris totalement à ce qui a été proposé.
Mme Michelle Gréaume - Je voudrais revenir sur un point. Il a été évoqué que j'avais fait partie du déplacement aux Balkans, et que je suis d'accord avec cette coopération de défense. Non, pas du tout. Au contraire, je voterai contre, pourquoi ? Parce que cet accord contribue à l'élargissement du maillage de l'OTAN et nous sommes contre, bien entendu, dans une région qui, je le rappelle, est historiquement sensible. La France, au lieu de défendre une politique étrangère indépendante et tournée vers la paix s'inscrit, là, dans une logique d'alignement militaire atlantiste. De plus, la coopération définit dans les articles 3 et 4 ses limites à la sphère militaire alors que le Monténégro a besoin de partenariats civils, universitaires, culturels et économiques. Le texte lui-même encadre finement les responsabilités des personnels, les frais, le soutien médical et l'indemnisation des dommages, ce qui témoigne de l'ampleur et de la lourdeur de l'engagement militaire. Enfin, à l'heure où notre pays fait face à des défis considérables ici en France, en matière de service public et de transition écologique, dédier des ressources à un accord militaire de cette ampleur constitue, pour nous, un mauvais choix de priorité.
M. Étienne Blanc - On comprend bien le contexte politique. C'est vrai que le Monténégro s'est rapproché de l'OTAN, qu'aujourd'hui il a des partenariats extrêmement forts avec les occidentaux et que de fait, le Monténégro a fait un choix et que ce choix assure une sécurité notamment vis-à-vis d'une influence russe. Donc sur ce point-là, évidemment nous avons un désaccord avec nos collègues du CRCE-K.
M. Rachid Temal - Je voudrais tout d'abord saluer la grande qualité du rapport d'Etienne Blanc et dont nous partageons les conclusions. J'attire l'attention sur un pays clé mais qui est un peu oublié, c'est la Bosnie-Herzégovine. Parce qu'aujourd'hui, le débat qui doit permettre la stabilisation et la paix dans les Balkans c'est la Bosnie-Herzégovine. Voilà un pays qui est totalement impacté par toutes les ingérences russes. Voilà un pays qui aujourd'hui est à deux doigts de se faire couper en deux puisque la République de Serbie de Bosnie-Herzégovine a un leader qui contrevient à toutes les règles et qui menace de faire imploser le pays. On sait qu'il y a eu des guerres. Je ne comprends pas les positions de l'Union européenne et de l'OTAN, de refuser la demande qui est faite par la Bosnie-Herzégovine. Alors, ce n'est pas le sujet du jour mais je crois que si on continue à ne pas regarder, à ne pas soutenir la Bosnie-Herzégovine, il y aura un problème dans ce pays, et il n'y aura pas de stabilité dans les Balkans. C'est une priorité absolue. D'ailleurs quand on regarde une carte, on voit très clairement qu'au milieu des Balkans, il reste la Bosnie-Herzégovine. Vous avez la Croatie qui est membre à la fois de l'OTAN et de l'Union européenne. On voit en bas le Monténégro. On connait la question de la Serbie notamment son rapport depuis 1999 avec l'OTAN. C'est la Bosnie-Herzégovine qui est aujourd'hui l'enjeu majeur des attaques serbes et russes. Donc, je crois que nous leur devons solidarité et soutien. J'estime qu'il est urgent que le Sénat s'exprime pour que la Bosnie-Herzégovine rejoigne au plus vite l'Union européenne, dans les conditions prévues, et aussi l'OTAN. Je crois d'ailleurs que la question de l'adhésion à l'OTAN est beaucoup plus simple paradoxalement que la question de l'adhésion à l'Union européenne pour la Bosnie-Herzégovine.
M. Jean-Luc Ruelle - La mise en place et l'application de cette convention n'impliquent-elles pas un risque de fuite de nos savoir-faire vers des puissances hostiles ?
M. Étienne Blanc - Non, je ne pense pas. Évidemment, tout cela sera placé sous contrôle. Cette convention est extrêmement large et elle ouvre des opportunités. Je crois qu'on fera du cas par cas en fonction des situations qui vont se présenter à nous. Je l'ai dit très clairement dans le rapport, l'essentiel pour la France c'est de s'inscrire dans une politique de stabilisation de cette région. Donc, la convention pose ce principe-là, puis après, au cas par cas, nous aurons des coopérations renforcées. Et, évidemment, il faudra être extrêmement vigilants, notamment du fait des influences russes, pour qu'il n'y ait pas de percolations.
Le projet de loi est adopté sans modification.