B. COMMENT MAÎTRISER LES DÉFICITS PUBLICS ?

Les conditions de réussite d'un rééquilibrage des comptes publics ont fait l'objet de plusieurs études récentes d'où l'on peut tirer quelques conclusions fortes pour l'action si l'on en combine les résultats avec la situation économique et financière de la France.

1. Le rééquilibrage des comptes publics suppose une politique déterminée de réduction du déficit public

Le tableau ci-dessus résume les données relatives aux redressements budgétaires de grande ampleur réalisés depuis 1974 dans les pays de l'OCDE. Le CEPII a analysé chacune de ces opérations.

Il s'agit des épisodes au cours desquels le solde structurel primaire des administrations publiques -c'est-à-dire le solde corrigé des influences conjoncturelles et hors charge de la dette- a été réduit de manière ininterrompue d'au moins trois points de PIB au cours d'une période de trois ans ou plus.

Lorsque la dette publique connaît une évolution incontrôlée, la menace d'un prélèvement massif prend corps, qui peut prendre la forme d'un défaut, d'une monétisation de la dette ou d'une taxation exceptionnelle. Les auteurs de l'étude jugent qu'en pareil cas, une réorientation budgétaire est tout autre chose qu'une ponction marginale sur le revenu des agents privés. Elle est le signal d'une bifurcation dans la politique économique, d'une restauration de ce que les économistes nomment la "soutenabilité" de la dette publique. Elle écarte la perspective de la monétisation comme celle d'une ponction fiscale massive à venir. C'est pourquoi elle met en jeu d'autres types d'effets que la "fine tuning" (régulation fine) budgétaire et fiscal.

Ils soulignent que les ajustements opérés ont souvent été massifs avec, en moyenne, une variation du solde structurel de sept points de PIB à raison de 1,6 point par an pendant quatre ans.

Ils estiment que


ces politiques ont, en général, atteint leur objectif qui était de redresser le solde des administrations et de restaurer la soutenabilité, un point de redressement du solde structurel primaire a, en moyenne, produit 0,7 point de solde public, mais que la variance est grande.

Enfin, ils jugent que :


Le coût en croissance (et donc en emplois) de ces efforts apparaît globalement faible. Pour les redressements achevés, l'écart annuel moyen entre le taux de croissance du pays et celui d'une zone de référence (UE 15 pour les pays européens, OCDE pour les autres) corrigé de l'écart tendanciel est, en moyenne, nul au cours de la période d'ajustement.


• Les taux d'intérêt à long terme ont baissé, rarement dès le début du programme de redressement -le cas du Danemark, où l'écart de taux long avec l'Allemagne est passé de 12,5 points en 1982 à 4 points en 1986, apparaît ici encore comme singulier -, mais assez généralement dans la durée si bien qu'au total, à l'achèvement du programme, la baisse de la prime de risque est pour l'ensemble des expériences achevées de 1,4 point.

Malgré quelques nuances, -telles que la prise en compte des caractéristiques structurelles des pays- on sait qu'une inflexion budgétaire a moins d'effets sur la croissance dans une économie très ouverte sur l'extérieur, comme le Danemark, que dans une économie plus autocentrée comme l'Allemagne-, ou l'évolution du change -les effets récessifs des redressements budgétaires, ont pu être compensés par la politique monétaire-, les conclusions de cette étude sont nettes.

Les redressements budgétaires ont d'autant plus de succès et d'autant moins d'effets négatifs sur l'économie qu'ils sont de grande ampleur.

Mais, pour atteindre cette ampleur, il est nécessaire que le redressement entrepris s'inscrive dans la durée.

L'affichage d'un objectif de réduction progressive des déficits publics permet en effet d'adresser un message clair aux agents économiques. Celui-ci est d'autant plus crédible que la réduction du déficit est étalée dans le temps. Or, l'expérience des redressements budgétaires démontre amplement qu'une réduction brutale du déficit a des effets contraires à ceux qu'on en attend. Elle prive brusquement l'activité économique d'un soutien important alors que les comportements des agents privés ne se modifient que progressivement.

Ainsi, en programmant son effort budgétaire, l'État délivre un message clair aux agents privés tout en ménageant du temps pour que ceux-ci relaient la demande des administrations publiques.

A ce propos, on ne peut que juger pertinente la règle du "5-4-3" retenue par le gouvernement consistant à programmer la réduction des déficits publics dans le temps.

Cette persévérance doit être mieux comprise par chacun. Dès lors que cela sera le cas, nul doute qu'il en sera récompensé.

2. Le redressement budgétaire doit reposer essentiellement sur une maîtrise des dépenses publiques

a) Considérations théoriques

D'une étude 12 ( * ) analysant les politiques budgétaires menées de 1960 à 1992 dans une vingtaine de pays de l'OCDE, les auteurs concluent que peuvent exister les différents types de politique budgétaire discrétionnaire suivants :

Type de politique budgétaire

Variation dans l'année du déficit

primaire structure (1) (2)

Neutre

entre + 0,5 et + 1,5 % du PIB

Fortement expansive

supérieure à 1,5 % du PIB

Rééquilibrage faible

entre - 1,5 et - 0,5 % du PIB

Fort rééquilibrage

supérieur à - 1,5 % du PIB

(1) Le déficit primaire est le solde des recettes et des dépenses hors charges d'intérêt et des recettes

(2) Les variations mentionnées éliminent les causes conjoncturelles ou cycliques qui agissent sur les finances publiques

Sur les quelque 547 observations disponibles, l'échantillon compte un nombre presque égal de politiques faiblement expansives - 124- et de politiques de rééquilibrage faible - 121 -. Il en va de même pour les politiques très expansives (65 cas) et les politiques de fort rééquilibrage (66 cas).

Dans la plupart des cas, les politiques budgétaires expansionnistes sont menées par l'intermédiaire d'une augmentation des dépenses tandis que les politiques d'ajustement du déficit passent par un accroissement des impôts.

En moyenne, les politiques budgétaires fortement expansionnistes se traduisent par une augmentation des dépenses de 2,25 points de PIB alors que les baisses d'impôt ne s'élèvent qu'à 0,17 % du PIB. Inversement, dans les politiques de fort ajustement les impôts s'élèvent de 1,2 point de PIB, les dépenses régressant de 0,79 % du PIB.

Le rapprochement de ces résultats suggère que les augmentations de dépenses qui interviennent lors des phases expansives de la politique budgétaire tendent à être permanentes et font le lit des hausses d'impôts que nécessitent les phases de rééquilibrage des finances publiques.

Une précision supplémentaire peut être fournie : dans les périodes de politique de soutien par les finances publiques, les dépenses publiques qui s'accroissent le plus sont les dépenses salariales et de transferts, tandis que dans les périodes d'ajustement des finances publiques l'investissement supporte l'essentiel des inflexions.

Sous l'effet de l'ensemble des évolutions décrites, la structure des finances publiques se déforme au profit d'un accroissement de la part des transferts.

Hormis cet effet structurel, le choix généralement opéré par les gouvernements de redresser les comptes publics en augmentant les prélèvements n'apparaît pas judicieux.

Dans les cas de réussite de la politique de rééquilibrage, 80 % de la réduction du déficit résulte d'une baisse des dépenses (les dépenses baissent en moyenne de 2,19 points de PIB alors que les impôts ne s'élèvent que de 0,5 point de PIB) tandis que, dans les échecs, l'augmentation des impôts est trois fois supérieure à celle des réductions de dépenses.

En outre, il apparaît que lorsque l'essentiel des diminutions des dépenses provient de baisses des transferts et des salaires publics l'ajustement connaît la réussite alors que dans les cas d'échecs ces dépenses se maintiennent, les investissements accusant eux une chute importante.

Tout rééquilibrage réussi des finances publiques suppose de réduire les prestations sociales, les traitements et l'emploi publics.

Les auteurs mentionnent cependant quelques cas d'ajustements réussis provenant d'une hausse des impôts. Mais alors ; c'est de la hausse de l'impôt sur les sociétés que provient le succès tandis qu'accroître les impôts sur les ménages provoque l'échec.

b) Données empiriques

Recettes et dépenses totales des administrations publiques
en pourcentage du PIB

Le graphique ci-dessus illustre l'importance du niveau des dépenses et des recettes publiques en France en les comparant avec l'Allemagne.

Il est instructif de constater que si les dépenses publiques étaient en France au niveau allemand, en points de PIB, il n'y aurait pas dans notre pays de déficit public.

Le haut niveau des dépenses publiques combiné avec l'importance des prélèvements obligatoires invite à rechercher les moyens d'optimiser la dépense publique sans alourdir encore les prélèvements.

La croissance de la part des dépenses publiques dans le PIB est, pour l'essentiel, provenue de l'augmentation des dépenses sociales.

Dépenses publiques pour la protection sociale en pourcentage du PIB

A cet égard, la part prise en France par les dépenses de protection sociale ainsi que leur évolution apparaissent tout à fait exceptionnelles.

Structure des dépenses sociales

ï vieillesse : 12,6 % du PIB, au lieu de 6 % il y a 20 ans ;

ï santé : 9,6 % du PIB (6 à 7 % du PIB au Japon et en Grande- Bretagne et 8,5 % en Allemagne) ;

ï famille : 3,5 % du PIB ;

ï chômage : 3 % du PIB

La progression des dépenses de protection sociale étant plus rapide que celle du PIB et, du fait du chômage et des modalités du partage de la valeur ajoutée, la masse salariale sur laquelle sont assis l'essentiel des prélèvements sociaux, évoluant moins vite que le PIB, les déficits sociaux s'accumulent.

Ils se traduisent à terme par des prélèvements supplémentaires. On doit d'ailleurs observer à ce sujet que depuis 10 ans, les salaires nets de cotisations sociales sont pratiquement restés stables. A l'évidence, la maîtrise des dépenses sociales est un impératif.

Controversée en théorie, la maîtrise des déficits publics est un impératif absolu pour la France, compte tenu de sa situation financière.

Dans le passé, la politique budgétaire n'a pas suffisamment contrecarré les influences de la conjoncture et de l'explosion des dépenses résultant de l'endettement.

Il s'en est suivi une progression continue de la dette publique qui, combinée avec le niveau des taux d'intérêt, a provoqué un doublement des charges d'intérêt dans le total des dépenses de l'État.

Cette évolution provoque une éviction des autres dépenses publiques, explique sans doute le haut niveau du taux d'épargne en France et, compte tenu de la part de la dette publique détenue par l'extérieur, fragilise la situation économique et financière du pays.

La réussite du redressement des comptes publics suppose une programmation de l'effort de réduction du déficit et que la politique entreprise repose essentiellement sur une maîtrise des dépenses publiques dont la part dans le PIB doit être diminuée.

Compte tenu du niveau des dépenses sociales dans le PIB et de leur responsabilité dans le niveau de l'ensemble des dépenses publiques, c'est l'effort de maîtrise des dépenses sociales qui s'impose comme une priorité.

* 12 Fiscal Expansions and Ajustements in OECD Countries par Alberto Alesina et Roberto Perrotti, Economie Policy, octobre 1995.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page