PREMIÈRE PARTIE

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN PROJET DE LOI NÉCESSAIRE

L'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications est l'aboutissement des engagements européens souscrits par la France depuis plus d'une décennie. Elle s'inscrit dans une logique mondiale convergente des principaux pays industrialisés. La « démonopolisation » est, en outre, un impératif technique ainsi qu'une réelle chance économique, tant pour les entreprises que pour les consommateurs.

A. LA DYNAMIQUE DE L'ENGAGEMENT EUROPÉEN

La France a oeuvré dès 1984, au sein de la Communauté, dans le sens d'une ouverture accrue à la concurrence du secteur des télécommunications.

1. L'évolution de la politique communautaire dans le domaine des télécommunications

Le secteur des télécommunications n'était pas visé par le Traité de Rome. C'est en 1984 que la Commission européenne a décidé d'élaborer un « Livre vert » sur ce sujet. L'adoption de l'Acte unique et l'objectif de construction du grand marché intérieur l'a, en définitive, amenée à mettre en place une véritable politique dans le secteur des télécommunications.

La publication, en 1987, du « Livre vert » de la Commission sur le « Rôle des télécommunications dans la construction européenne » et les discussions qui l'ont suivie ont conduit à définir des règles d'action mises en oeuvre et précisées depuis.

a) Une mise en oeuvre progressive


L'ouverture du marché des terminaux

Dans le domaine des matériels de télécommunications, la Communauté s'est attachée à favoriser la constitution d'un marché intérieur unifié des équipements terminaux (postes téléphoniques, terminaux téléinformatiques, télécopieurs, répondeurs, téléphones sans fils, modems, mais aussi centraux téléphoniques d'entreprises...), c'est-à-dire des matériels permettant d'accéder aux réseaux de télécommunications.

Pour ce faire, elle a institué une procédure de reconnaissance mutuelle des agréments accordés à ces équipements dans chaque État membre. Cette procédure a été mise en oeuvre par deux directives du Conseil : la directive n° 86-361 du 24 juillet 1986 et la directive n° 91-263 du 29 juillet 1991.

Parallèlement à cette oeuvre d'harmonisation, la Commission a adopté, en 1988 -sur le fondement de l'article 90-3 du Traité de Rome-, une directive ouvrant à la concurrence l'importation, la commercialisation, la mise en service et l'entretien de terminaux de télécommunications, sous réserve du respect d'un certain nombre d'exigences essentielles. En France, au moment de la publication de cette directive, la fourniture de tels équipements n'était déjà plus réservée au seul opérateur public.


L'ouverture partielle des services de télécommunications

Pour ce qui concerne les services, les règles retenues ont été formulées par un compromis adopté, le 7 décembre 1989, sous présidence française, par le Conseil des ministres des Télécommunications.

Le compromis a été mis en oeuvre par deux directives communautaires en date du 28 juin 1990. La première (n° 90-387) dite directive « ONP-cadre » (Open Network Provision ou fourniture d'un réseau ouvert) a été prise par le Conseil sur le fondement de l'article 100 A du Traité de Rome. Elle fixe les grandes règles à respecter par les détenteurs de réseau public pour garantir l'accès des prestataires autorisés à ces réseaux et assurer une harmonisation minimale en ce domaine dans toute la Communauté. La seconde (n° 90-388), dite directive « services » prise par la Commission sur le fondement de l'article 90-3 du même Traité, organise la concurrence sur le marché des services de télécommunications.

En application de ces textes, la France a modifié sa législation. La loi du 29 décembre 1990 relative à la réglementation des télécommunications a limité le monopole de France Télécom à l'établissement des réseaux ouverts au public, ainsi qu'au service de télex et de téléphonie vocale entre points fixes.

b) Un objectif d'ouverture générale des services téléphoniques

Le bilan de l'application des directives de 1990 précitées a été dressé, par la Commission de Bruxelles, deux ans après leur publication. Au vu de ces éléments, le Conseil des ministres des Télécommunications du 16 juin 1993 a adopté à l'unanimité la décision de généraliser la concurrence sur tous les services de télécommunication, à compter du 1er janvier 1998.

Une telle décision impliquait que, sauf exception spécifique, les États membres auraient l'obligation, à cette date :

1. de permettre l'accès des prestataires au réseau public de téléphonie vocale ;

2. d'ouvrir la concurrence sur l'ensemble des services de téléphonie vocale publique entre points fixes.

Par ailleurs, dans la même résolution, le Conseil des ministres des télécommunications considérait qu'il était nécessaire de définir la politique communautaire qui serait appliquée aux communications mobiles, aux communications par satellite et aux infrastructures de télécommunications.

c) L'extension aux infrastructures de télécommunications

En décembre 1994, le Conseil des ministres a retenu le principe de la « démonopolisation » de la fourniture d'infrastructures de télécommunications, le 1er janvier 1998, à la même date que celle arrêtée pour les services.

Dans le cadre de la négociation de l'acceptation par la Commission européenne de l'accord dit « Atlas » passé entre France Télécom et Deutsche Telekom, la France s'est, en outre, engagée à permettre aux propriétaires d'infrastructures « alternatives » 4 ( * ) d'offrir au public des services de télécommunications déjà libéralisés (ce qui exclut la téléphonie vocale entre points fixes) à compter du 1er juillet 1996.

Le tableau ci-après retrace les évolutions européennes dans le secteur des télécommunications.

CALENDRIER EUROPÉEN DE L'OUVERTURE
DES TÉLÉCOMMUNICATIONS À LA CONCURRENCE

1984 Décision d'engager l'élaboration d'un « Livre vert » sur le rôle des télécommunications dans la construction européenne

1986 Adoption de l'Acte unique européen

1987 Publication par la Commission européenne du « Livre vert » sur les télécommunications européennes

16 mai 1988 Directive instaurant la concurrence pour les terminaux (dont postes téléphoniques).

7 décembre 1989 Sous présidence française : décision du Conseil des Ministres européens d'ouvrir progressivement à la concurrence la plupart des services de télécommunications, sous réserve des droits exclusifs et spéciaux sur le service téléphonique entre points fixes et sur les infrastructures publiques.

28 juin 1990 Directives ONP et « services » instaurant la concurrence pour les services de télécommunications hors service téléphonique.

1er janvier 1993 Concurrence sur les services de transmissions de données.

16 juin 1993 Décision du Conseil des Ministres européens de généraliser la concurrence sur tous les services de télécommunications à compter du 1er janvier 1998.

17 novembre 1994 Décision du Conseil des Ministres européens de généraliser la concurrence sur les infrastructures à compter du 1er janvier 1998.

16 janvier 1996 Directive instaurant la concurrence sur les mobiles (libéralisés depuis 1987 en France).

13 mars 1996 Directive modifiant la directive « services » pour fixer le calendrier et les conditions de la généralisation de la concurrence.

1er juillet 1996 Concurrence sur les infrastructures alternatives.

1er janvier 1998 Concurrence sur le service téléphonique ouvert au public et l'établissement des infrastructures sous-jacentes.

La France a beaucoup oeuvré en faveur de l'adoption de ces directives.

2. L'opiniâtreté porte ses fruits

Le calendrier qui vient d'être présenté le souligne : le processus qui s'achèvera le 1er janvier 1998 aura été engagé de longue date. Il a été amorcé par la Commission européenne le 17 décembre 1984, sous le premier septennat de François Mitterrand. Il a été officialisé, le 30 juin 1987 toujours sous ce septennat, par la publication du « Livre vert » sur « le rôle des télécommunications dans la construction européenne ». Ce document s'appuyait sur le Traité de Rome, mais aussi et surtout sur l'Acte unique européen signé par le Gouvernement de M. Laurent Fabius, ratifié par le Parlement français pendant le Gouvernement de cohabitation dirigé par M. Jacques Chirac.

Dans le domaine des services, ce processus a été constamment soutenu par le Conseil européen des ministres des télécommunications de 1989 à 1994. En l'espèce, les deux décisions majeures ont été prises en 1989 et 1993, sous le second septennat de François Mitterrand (la première pendant la présidence française de la Communauté), l'une par le Gouvernement de M. Rocard, l'autre par le Gouvernement de M. Balladur.

Une attitude constante a ainsi été maintenue par tous les Gouvernements qui se sont succédés depuis 1984, quelle qu'ait été leur sensibilité politique.

Une concurrence accrue dans le secteur des télécommunications en Europe est, en effet, une chance pour l'économie française, grâce aux perspectives de croissance des marchés. C'est une chance aussi pour les entreprises à qui sera proposée une offre plus diversifiée à moindre coût et pour le consommateur qui sera le principal bénéficiaire de la concurrence.

Mais c'est aussi une chance pour l'opérateur public, France Télécom, qui compte parmi les premiers en Europe et qui ne peut que gagner de l'ouverture des marchés de nos partenaires. Les efforts de compétitivité que France Télécom sera amené à faire ne peuvent que lui ouvrir plus largement encore les portes du marché mondial.

Enfin, nul ne doit oublier qu'une telle ouverture ne peut que favoriser la croissance du marché des équipements de télécommunications où Alcatel occupe les premiers rangs mondiaux.

Le mouvement européen vers la concurrence en matière de télécommunications a donc été largement lancé et accompagné par la France.

Mais l'Europe n'est pas la seule à connaître une telle évolution. L'ouverture à la concurrence et, plus largement, la mondialisation du secteur des télécommunications touchent l'ensemble des pays industrialisés.

B. UN MOUVEMENT D'AMPLEUR MONDIALE

Jusqu'en 1984 les télécommunications étaient partout cloisonnées en monopoles nationaux détenus par un opérateur public. Depuis, nombre de pays industrialisés ont instauré la concurrence sur leur marché intérieur.

1. L'ouverture à la concurrence des marchés intérieurs

a) Les États-Unis : une « démonopolisation » en deux temps


En 1984, le « Modified final judgement » permet la concurrence sur le trafic longue distance

Il y a douze ans le « Bell system » a été démantelé en huit entités : sept compagnies régionales et ATT. Le territoire américain est découpé en 170 zones. Les compagnies régionales bénéficient d'un quasi monopole sur le trafic interne à leurs zones. Le trafic longue distance est quant à lui ouvert à la concurrence, permettant à Sprint, MCI et d'autres de concurrencer ATT, même si les compagnies régionales n'y ont pas accès.


En février 1996, une nouvelle étape est franchie avec le « Telecommunications Act » qui ouvre le marché local à la concurrence

Le Télécommunications Act fut une réforme importante votée avec une large majorité au Congrès le 1er février 1996 et signée par le Président Clinton le 8 février 1996. Il a eu pour objet de lever les barrières à l'entrée instituées en 1984 pour le trafic local. Afin que la concurrence soit équilibrée pour les nouveaux entrants, le texte a imposé aux compagnies régionales, qui étaient en position de force sur leurs marchés locaux, des obligations d'interconnexion et de partage des infrastructures.

La nouvelle législation américaine a aussi permis aux câblo-opérateurs et aux compagnies de distribution de gaz et d'électricité d'intervenir dans le marché des télécommunications qui leur était fermé par les lois précédentes.

En outre, la loi a défini les « principes du service universel » pour sauvegarder les intérêts des plus démunis, même si le texte ne précise pas les conséquences financière de cette définition.

La nouvelle législation américaine a ainsi permis de « décloisonner » le marché des télécommunications, qu'il s'agisse de la téléphonie longue distance ou locale ou des services proposés sur les réseaux câblés, et de les ouvrir à la concurrence, sous le contrôle de la FCC (Fédéral commission of communication, agence indépendante chargée de l'application de la législation en matière d'audiovisuel et de télécommunications).

b) En République Fédérale d'Allemagne

Comme la France, l'Allemagne s'apprête à libéraliser ses télécommunications.

Le Conseil des ministres a adopté le 31 janvier 1996 un projet de loi de réglementation des télécommunications actuellement en discussion visant à « encourager la compétition par une régulation dans le domaine des télécommunications » , à « garantir des prestations de services adéquates et suffisantes sur tout le territoire » et à « définir l'ordonnancement des fréquences » (article 1 du projet de loi).

Le projet de loi créé une autorité de régulation nationale indépendante (« national Regulierungsbehôrde » ). Il instaure la liberté d'établissement et prévoit quatre classes de licences selon le type de réseau et d'infrastructure.

Le projet de loi définit le service universel qui devrait être fourni par le libre jeu de la concurrence. Si le jeu de la concurrence ne suffit pas à assurer ce service, l'autorité de régulation des télécommunications procédera à un appel d'offre voire, si cela se révèle nécessaire, imposera, sur le marché où l'insuffisance a été décelée, à une ou plusieurs entreprises en position dominante sur ledit marché d'assurer le service universel. Dans la mesure où l'entreprise soumise à une obligation de fourniture de service universel prouve qu'une telle obligation génère un déficit, l'autorité de régulation lui accordera une compensation financière. Tous les opérateurs titulaires de licences possédant plus de 5 % du marché pertinent devront participer à son financement au prorata de leur chiffre d'affaire.

Le projet de loi dispose, enfin, que l'obligation d'interconnexion s'impose aux opérateurs de réseaux publics de télécommunications.

Ce texte vise à instaurer une concurrence organisée entre les opérateurs, sous l'égide d'une autorité indépendante du pouvoir exécutif.

c) La Grande-Bretagne

En Grande-Bretagne, pays de l'Union où le processus a été engagé dès le début des années 1980, le changement s'est opéré en trois temps sur plus d'une dizaine d'années.

En 1982, Mercury, filiale de Cable and Wireless, a été autorisée à créer un réseau téléphonique public distinct de celui de l'opérateur historique British Télécom (BT).

En 1984, le « Telecommunication Act Britannique » a privatisé British Telecom à hauteur de 50,2 %. Parallèlement, il autorise l'interconnexion du réseau de BT avec celui de Mercury. Il a accordé, en outre, aux deux opérateurs l'exclusivité des licences d'exploitation de ce réseau filaire, jusqu'en 1990. Enfin, il a délivré des licences d'exploitation des réseaux publics de radiotéléphonie cellulaire à deux sociétés (Racal Vodaphone et Cellnet, filiale de BT), tout en créant l'OFTEL (Office des télécommunications), organisme gouvernemental indépendant chargé de réguler les activités de télécommunications.

En 1991, le monopole BT/Mercury sur le réseau commuté a été supprimé. Le Gouvernement a permis à d'autres sociétés d'obtenir des licences d'établissement et d'exploitation, tandis que BT devait ouvrir son réseau à tout prestataire de services. Les câblo-opérateurs, tout comme les sociétés de téléphonie sans fil, pouvaient désormais offrir n'importe quel service empruntant le réseau commuté, y compris le téléphone de base.

Entre 1993 et 1994 de nouvelles licences de « public télécommunication operators » permettant d'offrir des services au public ont été accordées à de nouvelles sociétés, tandis que les câblo-opérateurs commencent à livrer une concurrence sévère à BT sur les communications locales.

d) Les autres pays européens

Les pays adhérant à l'Union européenne sont tenus par les échéances prévues par les directives communautaires. Toutefois, certains partenaires bénéficient d'un délai d'ajustement. C'est le cas de l'Espagne. L'Irlande, la Grèce et le Portugal qui disposent de 5 ans supplémentaires pour l'ouverture à la concurrence du service téléphonique au public qui s'impose aux autres partenaires au 1er janvier 1998.

Certains de nos partenaires ont engagé le processus devant mener aux réformes rendues nécessaires par l'échéance de 1998. C'est le cas de l'Italie, qui a prévu de privatiser complètement son opérateur principal la STET et d'ouvrir son marché à la concurrence. D'autres pays sont déjà engagés plus avant dans la voie de la « démonopolisation » comme la Suède par exemple.

e) Le reste du monde

L'ouverture à la concurrence est un mouvement qui touche, au-delà de l'Europe et des États-Unis, l'ensemble des partenaires commerciaux au niveau mondial.

La Nouvelle Zélande a entrepris l'ouverture à la concurrence dès les années 1980, de même que l'Australie. Un processus de privatisation des opérateurs est engagé dans ces deux pays.

Au Japon, les communications longues distances devraient être prochainement ouvertes à la concurrence puis dans un deuxième temps, les communications régionales et locales.

La même évolution vers la concurrence se retrouve dans les pays issus de l'Union soviétique, en Amérique latine et en Asie. En Inde, où des membres de votre commission se sont rendus 5 ( * ) , la réforme des Postes et Télécommunications a consisté à créer un exploitant public ainsi qu'une autorité chargée de la régulation et une commission chargée de la stratégie et du Plan des télécommunications. Une ouverture au secteur privé a été réalisée, en deux étapes : en 1992, pour les services de télécommunications à valeur ajoutée, en 1994, pour les services de base. L'évolution dans ce pays a donc été largement parallèle à celle des principaux pays industrialisés.

2. Les négociations en cours dans les instances multilatérales

Des négociations commerciales mondiales ont été engagées.

Depuis juillet 1995. 53 pays, dont les quinze membres de l'Union européenne, négocient en vue d'obtenir une ouverture aussi large que possible à la concurrence des marchés de télécommunications.

C'est la première fois que les télécommunications entrent dans le champ des négociations commerciales multilatérales, puisque ce sujet n'était pas inclus dans les négociations du cycle de l'Uruguay du GATT, conclu en 1994.

L'ensemble des pays en négociation représente 93 % du marché mondial des télécommunications. 82 % des lignes téléphoniques dans le monde et 84 % du trafic international, parmi lesquels les États-Unis, l'Union européenne, le Japon, le Canada, la Corée du Sud, l'Inde, Taïwan, Singapour.

L'enjeu des négociations en cours est immense : le marché mondial des télécommunications est actuellement estimé à 625 milliards de dollars (environ 3.200 milliards de francs) d'après l'Observatoire Mondial des systèmes de communication (Omsyc).

L'échéance, initialement fixée au 30 avril 1996 pour la signature définitive d'un accord, n'a pas été respectée mais les négociations devraient être prolongées pour aboutir en février 1997.

3. La mondialisation s'accompagne d'une recomposition du secteur

Le secteur des télécommunications est l'objet d'alliances et de transferts de capitaux qui témoignent du dynamisme du marché et de son internationalisation.

a) Des partenariats internationaux

Il y a déjà plusieurs années que les plus puissantes compagnies de télécommunications de pays étrangers ont constitué des partenariats internationaux pour répondre aux besoins d'une clientèle d'entreprises multinationales.

Il s'agit principalement de Concert -regroupant BT, le premier britannique, et MCI, le deuxième américain- mais aussi d'Uniworld (associant ATT et ses partenaires de World Partners -KDD, Singapore Telecom- et les européens fédérés au sein d'Unisource, à savoir le suédois Télia ainsi que les opérateurs historiques néerlandais, suisse et, récemment, espagnol). Ces deux groupes ont commencé à proposer des prestations sur le marché international en 1994.

La Compagnie générale des Eaux (CGE), deuxième opérateur français de téléphonie mobile, et Unisource ont fondé, en avril 1995, une filiale commune -S1RIS-dont l'objectif est de détenir plus de 10 % du marché français des télécommunications professionnelles d'ici l'an 2000.

Après avoir été ébauchées au début de la décennie au sein de leur filiale Eunetcom, détenue à parité, les bases du rapprochement de Deutsche Telekom et France Télécom ont été jetées fin 1993 au travers d'un protocole de rapprochement, qui prévoyait la constitution d'une société -dénommée « Atlas »- fédérant les offres de services des deux grands opérateurs en matière de transmission de données, de réseaux privés virtuels et de liaisons internationales. L'accord a été conclu en décembre 1994.

L'objectif assigné à Atlas est de proposer des prestations « sans coutures » à l'échelle planétaire aux entreprises multinationales. Il s'agit d'éviter à ces entreprises d'avoir à gérer un contrat de télécommunications différent dans chaque pays où elles sont installées, ainsi que les problèmes techniques de connexion ou de compatibilité de divers réseaux de transmission de données qu'elles peuvent avoir à utiliser.

L'intérêt commercial d'une telle structure résulte du fait qu'elle garantit aux entreprises multinationales une offre homogène permettant le développement de services très sophistiqués.

Pour élargir l'assise territoriale de leur alliance, France Télécom et Deutsche Telekom ont signé, en juin 1994, un protocole d'accord avec le troisième opérateur nord-américain, Sprint, afin de constituer, ensemble, une filiale présente sur tous les continents : Global one.

Global One a vocation à fournir une offre globale à l'échelle mondiale. Celle-ci inclura des services de voix, de données et d'images pour les multinationales, les grands clients d'affaires et les entreprises ayant des besoins de communications internationales. Elle comportera également des services internationaux pour les particuliers, notamment dans un premier temps, dans le domaine des cartes téléphoniques pour les personnes en déplacement. Enfin, elle proposera des services d'opérateur à opérateur.

Les trois entreprises ont signé, le 22 juin 1995, un accord de partenariat sur la base du protocole de 1994.

France Télécom a, en outre, noué des alliances avec Olivetti en Italie, tandis que BT s'associait à Mediaset. Aux États-Unis foisonnent les projets d'alliances en tous genres (celle annoncée le 2 mai entre Bell South, Western Bell et Pacific Telesis par exemple).

b) Des transferts de capitaux

La déréglementation et l'internationalisation des télécommunications entraînent une recomposition du capital de certains opérateurs.

Aux États-Unis, par exemple, suite à l'ouverture à la concurrence des liaisons régionales, plusieurs fusions sont en cours. SBC et Pacific Telesis, par exemple, deux des sept « Baby bells », les opérateurs régionaux, viennent d'annoncer leur fusion.

De même, Nynex et Bell Atlantic sont engagées dans un processus de rapprochement par la voie de l'absorption de Nynex par Bell Atlantic pour 22 milliards de dollars (110 milliards de francs), donnant ainsi naissance à un opérateur de 27 milliards de dollars (135 milliards de francs) de chiffre d'affaires, présent dans 13 États de la côte Est, avec 36 millions de clients et 133.000 salariés, qui prend la deuxième place dernière ATT.

Au Mexique, Alestra et Unicom ont annoncé leur fusion le 23 avril 1996.

Ces rapprochements entre opérateurs témoignent de leur volonté de s'adapter aux changements que va entraîner l'ouverture du secteur à la concurrence. Ils présagent aussi, indirectement, de la vigueur des combats économiques qui vont être menés dans les prochaines années. Ils révèlent, en définitive, la puissance du mouvement de « démonopolisation ». C'est indéniablement une tendance lourde, partagée par de nombreux pays.

S'il en est ainsi, c'est en partie à cause du fait que dans ce domaine, les nouvelles techniques imposent naturellement la concurrence.

C. L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE, UN IMPÉRATIF TECHNIQUE

Même en l'absence des échéances juridiques fixées par Bruxelles et des évolutions internationales, les progrès technologiques enregistrés dans le domaine des télécommunications ces derniers temps tendraient à rendre obsolètes les protections monopolistiques.

La concurrence téléphonique, c'est déjà aussi simple que le « call back ».

Le « call back » consiste à appeler, depuis une ligne téléphonique déclarée, un ordinateur à l'étranger. On laisse retentir la sonnerie et on raccroche, sans avoir établi la communication. L'ordinateur compose alors automatiquement le numéro de téléphone correspondant à la ligne déclarée et la connecte sur un central téléphonique. On décroche alors son téléphone et on compose le numéro que l'on désire obtenir dans un pays étranger. La communication est ensuite obtenue, dans les conditions habituelles, à la différence que la facturation n'est pas établie par France Télécom mais, à des coûts bien moindres, par la compagnie étrangère qui a acheminé l'appel.

Certes, la signature d'un contrat de « call back » entraîne parfois la souscription d'un engagement de consommation minimum et suppose l'acceptation d'une légère contrainte d'utilisation.

En revanche, comme les prestataires de « call back » sont installés dans des pays où la concurrence a déjà fait baissé les prix (États-Unis, Grande-Bretagne...), le coût de la communication est 30 à 60 % moins élevé que si elle était établie par France Télécom.

Bien plus, lorsqu'on choisit un opérateur de « call back » américain et que le correspondant à joindre est installé sur le territoire des États-Unis, l'appel n'est pas considéré comme un appel international, mais comme un appel intérieur aux États-Unis et se trouve donc facturé 2 à 3 fois moins cher.

Comment, dans ces conditions, s'étonner de la vogue que connaît le « call back » auprès d'entreprises disposant de succursales à l'étranger ou auprès de particuliers dont des proches séjournent hors de nos frontières ?

PRESTATAIRES DE « CALL-BACK » EN France

Consommation minimale

Abonnement

Cadences de facturation

Appel du serveur

TVA

Gain réalisé par rapport au tarif public de France Télécom

Londres

New-York

CENTRAL CALL

aucune

gratuit

1 min puis 6 s

n° vert

oui

21 %

46 %

TELEGROLP

aucune

gratuit

30 s

1 UT (3)

non

30 %

33 %

INTERWORLD

aucune

gratuit

30 s puis 6 s

gratuit

non

- (4)

60 %

TRANSWORLD

25 $/mois

gratuit

30 s puis 6 s

n° vert

non

32%

50 %

USA FONE

aucune

gratuit

30 s puis 6 s

n° vert

non (3)

-(4)

43 %

GOLDEN LINE

aucune

10 S/mois

30 s puis 6 s

gratuit

non

21 %

48 %

PASSPORT

25 S/mois

gratuit

30 s puis 6 s

gratuit

non

40 %

60 %

Source L'Entreprise n° 12° - avril 1996, cité par M. Claude Gaillard, dans le rapport n° 2750 de la Commission de la Production et de Échanges de l'Assemblée nationale.

(1)Unité de France Télécom (0,74 F)

(2) 20,6 %

(3) Si facturation en dollars

(4) Non desservi

Mais le « call back » n'est pas le seul argument pour montrer que le monopole n'est qu'un « bouclier de carton ». Votre commission le soulignait déjà dans le rapport d'information sur « L'avenir de France Télécom : un défi national ».

Les monopoles actuels ne sont pas d'une parfaite étanchéité comme le mettent en évidence les projets futuristes de réseaux satellitaires permettant de s'exonérer des contraintes imposées par les infrastructures filaires et, en conséquence, d'offrir des services de téléphonie en ignorant ceux qui sont propriétaires de ces infrastructures.

Le plus connu de ces projets est celui piloté par Bill Gates -le Président de Microsoft, première entreprise mondiale de logiciel- et Craig Mc Caw, le milliardaire américain de la téléphonie cellulaire.

Ils ont, en effet, annoncé leur intention d'ouvrir, à compter de 2001, un réseau mondial de télécommunications constitué de 840 satellites en orbite basse. Ce réseau permettrait de couvrir la totalité de la planète et de véhiculer, de manière interactive et à très grande vitesse, des voix (c'est-à-dire des services téléphoniques), des données, des images et la plupart des prestations multimédias (vidéo-conférence, télédiagnostic,...). Ce serait l'une des plus importantes applications commerciales de la technologie développée par le programme de recherche dit « guerre des étoiles ».

Au-delà des perspectives ouvertes par une « résille de satellites » tourbillonnant autour de la planète, le formidable potentiel qu'offre la combinaison des technologies numériques et hertziennes n'a pas été sans frapper votre rapporteur, lorsqu'il préparait le rapport d'information précité.

Aujourd'hui, dans les laboratoires on est à même de faire circuler simultanément 30 programmes de télévision sur les fils du téléphone en numérisant les images et en comprimant les données ainsi obtenues avec des algorithmes adéquats.

Appliquées à des systèmes de communication par voie hertzienne comme le MMDS (Microwaves Multichannel Distribution System, système de distribution multipoint multiplexe), ces technologies numériques ouvrent de nouvelles possibilités de desserte, par des réseaux à hauts débits, des zones rurales où l'installation d'infrastructures lourdes serait difficilement rentable.

A titre personnel, votre rapporteur tend, d'ailleurs, à considérer que « l'hertzien numérique » constitue aujourd'hui l'avenir le plus prometteur des systèmes de télécommunications et que les télécommunications hertziennes peuvent être une chance de développement pour l'espace rural.

Le débat conduit, à son initiative, au sein de votre commission amènera d'ailleurs cette dernière -qui s'attache depuis longtemps à promouvoir une politique garante d'un meilleur aménagement du territoire- à vous présenter un amendement engageant le pays de manière résolue dans la voie du maillage de l'ensemble du territoire national en réseaux de radiocommunications mobiles.

Parallèlement aux possibilités ouvertes par les technologies hertziennes, certains pronostiquent des formes de concurrence inédites sur les réseaux filaires, notamment par l'intermédiaire d'Internet.

Ainsi, Christian Huitema, chercheur à l'INRIA et membre de l'« Internet Architecture Board », affirme « qu'il est évident qu'à terme il y aura intégration des voix et des données sur l'Internet. Dans le futur, on ne vendra plus de postes téléphoniques mais des outils de communication dont le téléphone ne sera qu'une composante. Si les opérateurs de téléphone veulent survivre ils doivent prendre le virage » .

Demain, la perspective d'être en mesure d'appeler Tokyo pour le prix d'une communication locale ne va-t-elle pas susciter une demande accrue des « Internautes », pouvant conduire à l'émergence de produits rendant attractif et peu cher le téléphone sur le « Net » ?

En tout état de cause, il est certain que s'il restait enfermé derrière la « ligne Maginot du monopole », notre opérateur téléphonique serait vite contourné et aurait bien peu de chance de résister à « l'offensive » des nouvelles technologies.

Communications satellitaires, numérisation, essor des réseaux hertziens terrestres, nouvelle concurrence sur les réseaux filaires, les moyens de contournement du monopole s'accroissent sans cesse.

Face à cette nouvelle donne, la concurrence est nécessaire et souhaitable en France car elle « poussera », tant qu'il est encore temps, notre opérateur historique, France Télécom, à s'adapter rapidement à la « nouvelle donne mondiale » des télécommunications et elle lui permettra de bénéficier de l'ouverture des marchés de nos partenaires. Notre économie dans son ensemble sera alors à même de profiter des perspectives de croissance annoncées.

D. UNE OPPORTUNITÉ ÉCONOMIQUE

L'ouverture du secteur et les perspectives de croissance des télécommunications qui en découlent pourraient avoir un impact bénéfique sur l'économie française.

1. Pour l'économie : perspective de croissance, d'investissements et effet sur l'emploi

a) Les perspectives de croissance liées à l'ouverture du secteur

Le marché des télécommunications est un secteur important de l'économie puisqu'en France, on estime habituellement qu'il emploie lato sensu (services et équipements) directement et indirectement environ 230.000 personnes (dont plus de 170.000 dans les services). Dans l'Union européenne ces activités procurent quelque 1,55 million d'emplois (1 million dans le tertiaire, 300.000 directement et 250.000 indirectement dans l'industrie).

En 1995, lesdites activités ont généré un chiffre d'affaires impressionnant de 174 milliards de dollars. Grâce à une croissance de 6 % par an, le secteur devrait dépasser, rien que pour l'Europe, le chiffre des 1.000 milliards de francs en 1998, année de la « démonopolisation » totale du téléphone.

Les télécommunications renferment un potentiel de développement important pour ce qui concerne la croissance et l'emploi. Selon les évaluations de l'Union européenne, les télécommunications, secteur à haute technologie et de service, auront, d'ici l'an 2000, un poids économique plus important que celui de l'industrie automobile.

Pourtant, les télécommunications ne représentent en France que 1,6% du produit intérieur brut contre respectivement 2,2% et 2,1 % aux États-Unis et au Royaume-Uni, pays dans lesquels la concurrence est déjà une réalité. Ces chiffres laissent supposer qu'un rattrapage pourrait se produire dans les prochaines années.

En effet, les perspectives de croissance du secteur sont fortes. Les seuls services de télécommunications devraient générer plus de 3.200 milliards de francs en l'an 2000, car ils englobent les secteurs où les taux de croissance sont les plus spectaculaires. Entre 1984 et 1994, plus de 250 millions de lignes téléphoniques ont été installées dans le monde, soit une croissance de 66 % en 10 ans. Dans le même temps, le trafic international a quadruplé. Pour le seul radiotéléphone, de 1991 à 1995, le nombre d'abonnés a augmenté de 500 %.

Deux études menées en 1993 pour le ministère de la poste et des télécommunications par L ' IDATE et BIPE Conseil, intitulées respectivement « Le marché des services de la voix à l'horizon 2000 » et « L'étude prospective des télécommunications à l'horizon 2000 », ont montré le potentiel de développement qui existait déjà indépendamment de toute « démonopolisation » du marché.

La conclusion essentielle de la première étude est que la demande va contribuer au dynamisme du marché d'ici à l'horizon 2000. Le marché français des services vocaux est en pleine phase de développement avec les nouveaux produits, tels que le kiosque téléphonique, le numéro vert, la messagerie vocale et les services mobiles.

Sur la base d'une évolution tarifaire égale à l'indice des prix à la consommation moins 4 % et une inflation de l'ordre de 2,5 % par an, la projection conduit à une progression du chiffre d'affaires du marché de la voix de plus de 4,2 % par an, en francs courants.

L'étude BIPE Conseil, quant à elle, concerne les perspectives d'évolution du marché des télécommunications : voix, écrit, données et mobiles. Elle prévoit une croissance de plus de 6,9 % par an pour l'ensemble des services de télécommunications. Cette évaluation repose sur une hypothèse de croissance de 3 % par an et une évolution tarifaire égale à l'indice des prix à la consommation moins 3 % par an.

Pour la consommation téléphonique proprement dite, les données fournies par l'Observatoire Mondial des systèmes de Communication (OMSYC 1993-1994) montrent que l'usage d'une ligne téléphonique en France est de 8 minutes par jour pour un particulier, alors que celui des Américains est de plus de 20 minutes. Compte tenu du niveau de vie des Français, voisin de celui des Américains, et des baisses tarifaires en perspective, cet écart ne peut qu'être progressivement réduit par les incitations tarifaires et les usages nouveaux du téléphone.

Les exemples étrangers montrent que la concurrence est un facteur de croissance du marché : dans les marchés déjà ouverts, les consommateurs bénéficiant des baisses de tarifs et d'options tarifaires ont augmenté leur consommation téléphonique. Ce développement de l'usage du téléphone est également stimulé par l'innovation et la baisse du prix des équipements tels que les télécopieurs, les répondeurs, les téléphones sans fil, les téléphones mobiles et les micro-ordinateurs personnels.

Le tableau suivant illustre la corrélation entre l'ouverture à la concurrence et la consommation téléphonique puisque l'avance des États-Unis, pays où l'introduction de la compétition a été plus précoce, se constate nettement pour ce qui est du nombre de communications téléphoniques par ligne.

NOMBRE DE COMMMUNICATIONS PAR LIGNE
TÉLÉPHONIQUE PRINCIPALE

1991

1992

1993

États-Unis

3 726

3 751

3 794

Japon

1 374

1 365

1 354

Allemagne

1 094

1 151

1 199

Royaume-Uni

1 150

1 160

1 165

France

1 011

1 062

1 101

Source Étude d'impact annexée au projet de loi 6 ( * )

Ces exemples montrent les potentiels de croissance du secteur que la concurrence est appelée à mobiliser.

b) Le développement attendu des investissements

La croissance attendue du chiffre d'affaires du secteur des télécommunications devrait entraîner un effort d'investissement accru de la part des opérateurs, effort vertueux pour la croissance et l'emploi, grâce aux effets d'accélération et de multiplication induits par un investissement supplémentaire.

Le bilan des ouvertures à la concurrence menées à l'étranger montre qu'une telle hausse de l'investissement s'est effectivement réalisée.

Aux États-Unis, la concurrence pour les communications longue distance a permis un accroissement de près de 340 % de 1984 à 1990 de la longueur des réseaux à fibre optique construits par les opérateurs.

La récente loi de février 1996 qui ouvre les communications locales à la concurrence devrait permettre un développement des investissements productifs de l'ordre de 9 milliards de dollars par an, d'après une étude du US Council of economic advisors citée par l'étude d'impact annexée au projet de loi.

D'autres estiment à 30 milliards de dollars l'investissement qui devra être réalisé dans les trois prochaines années (étude du bureau de conseil « Forester Research Inc » ).

Au Royaume-Uni, l'entrée des câblo-opérateurs sur le marché britannique de la téléphonie en 1991 a entraîné des investissements élevés. Ils ont engagé au total plus de 2 milliards de livres en 1995, et prévoient d'en engager plus de 10 d'ici à l'an 2000, alors que le montant total cumulé de leurs investissements s'élevait à 3.2 milliards de livres à la fin 1994.

En France, l'exemple du secteur des télécommunications mobiles, ouvert à la concurrence, confirme que la « démonopolisation » permet une hausse des investissements réalisés.

SFR aura investi 8,3 milliards de francs de 1988 à 1995 et 2 à 3 milliards en 1996. Bouygues Télécom investira entre 10 et 15 milliards de francs d'ici l'an 2000. A titre de comparaison, un rapport de la Cour des Comptes d'octobre 1995 indique que les investissements cumulés de France Télécom dans ce secteur pouvaient être estimés à environ 10 milliards de francs.

Pour autant, même si l'effet sur le secteur en son entier est nettement positif en ce qui concerne l'investissement, l'opérateur historique peut être amené à réduire, dans un premier temps, son taux d'investissement sur le marché intérieur. Toutefois, le développement de nouveaux services et les effets de sa stratégie -déjà bien engagée - d'implantation sur les marchés extérieurs minorent ce risque.

c) L'impact attendu sur l'emploi

L'appréciation des conséquences de l'ouverture à la concurrence sur l'emploi est complexe. En effet, l'évolution résultera d'actions contradictoires, de gains de productivité induits ainsi que de l'accroissement de la demande lié à la baisse des prix et à l'apparition de nouveaux services.

D'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, les effets en matière d'emploi devraient être positifs.


• Dans la téléphonie vocale entre points fixes

1. Les exemples étrangers

Aux États-Unis, l'ouverture à la concurrence a d'abord concerné le marché des communications longue distance. Dans ce secteur, l'emploi a augmenté, en dépit de gains de productivité très élevés, du fait des nouveaux acteurs (MCI, Sprint...). Si le nombre des emplois a légèrement diminué chez l'opérateur historique, cela a été plus que compensé par des créations d'emplois chez les nouveaux opérateurs.

L'EMPLOI CHEZ LES OPÉRATEURS DU MARCHÉ AMÉRICAIN
DES COMMUNICATIONS À LONGUE DISTANCE

(en milliers)

Sociétés

1988

1992

AT&T

85,5

79,9

MCI

17,6

30,9

Sprint

37,7

43,4

Total

140,8

154,2

source : Étude d'impact annexée au projet de loi.

D'après l'OCDE, les emplois aux États-Unis dans le secteur des réseaux publics commutés sont passés de 883.000 à 785.000 entre 1987 et 1994, mais les suppressions d'emplois ont concerné le niveau local, où les opérateurs régionaux sont restés en quasi-monopole, tandis que le secteur longue distance se révélait, lui, créateur net d'emplois.

Le même phénomène est relevé dans des pays aussi différents que le Japon ou l'Irlande. NTT a perdu des emplois dans les secteurs restés sous monopole (-25 % pour les activités télégramme et télex) même en présence d'une forte croissance du chiffre d'affaires sur ces segments de marché (+ 32 %). Telecom Eireann a perdu 29 % de son personnel entre 1982 et 1990, alors qu'il est assuré de conserver ses droits exclusifs jusqu'en 2001.

2. L'emploi chez France Télécom

D'après les études prospectives, en France, les emplois supplémentaires devraient être créés surtout par les acteurs qui entrent sur le marché.

Contrairement à d'autres opérateurs, France Télécom a, apparemment, peu à craindre de la « démonopolisation ». En effet, tant sa productivité que son niveau technique soutiennent la comparaison avec les opérateurs européens.

Ayant atteint un bon niveau de productivité, il ne sera pas nécessaire de mettre en place des plans de réduction d'effectifs comparables à ceux mis en oeuvre par BT ou Deutsche Telekom. Avec 207 lignes par employés contre 186 en moyenne en Europe, France Télécom fait, en effet, bonne figure notamment par rapport à Deutsche Telekom (172 lignes par agent) et British Telecom (197 lignes par agent).

De surcroît, le coeur du métier de France Télécom est appelé à connaître un développement important si l'on en juge par la comparaison de la consommation téléphonique moyenne en France avec celle d'autres pays.

Dès lors, les pertes de parts de marché en France de l'opérateur public, qui résulteront logiquement de l'ouverture à la concurrence, devraient être compensées par l'accroissement global du marché.

Bien plus, la diversité des activités de France Télécom, et ses points forts dans les services-supports, l'image et le multi-média, constituent des atouts. Bien entendu cela suppose que l'entreprise mette en place des modes de gestion de ses ressources humaines lui permettant d'accroître sa compétitivité et sa capacité d'adaptation, de développer de nouvelles compétences et d'opérer les redéploiements nécessaires, notamment dans les secteurs commerciaux et financiers.


Dans les réseaux câblés

Depuis l'autorisation donnée, en 1991, aux câblo-opérateurs opérant au Royaume-Uni d'offrir le téléphone sur leurs réseaux, il est apparu progressivement que les câblo-opérateurs gagnaient environ 30.000 abonnés par trimestre dans le secteur résidentiel.

Le secteur du câble compte maintenant 1,1 million d'abonnés recevant des dizaines de chaînes, ainsi que 1,2 millions d'abonnés au téléphone. Il emploie environ 25.000 personnes, dont la moitié a été embauchée pour les activités dans les télécommunications. A l'horizon de l'an 2000, les câblo-opérateurs espèrent gérer un parc de plus de quatre millions d'abonnés au service téléphonique, entraînant une augmentation substantielle de leurs effectifs.

En France, une étude sur « l 'économie de l'offre du téléphone sur les réseaux câblés » effectuée à la demande du ministère par l' IDATE et PROCAST (1995) a montré que la rentabilité globale des réseaux câblés serait en France très sensiblement améliorée avec l'offre du service téléphonique sur ces réseaux, et cela, quelle que soit la solution technique retenue.

Dans cette perspective, des créations d'emplois comparables à celles constatées au Royaume-Uni pourraient être envisagées.


Dans la téléphonie mobile

En matière d'emploi, les effets induits par les nouveaux services de télécommunications sont importants. Ainsi, pour accompagner la croissance de ses activités, SFR, premier opérateur privé français, a poursuivi un rythme d'embauche soutenu et son effectif a atteint 1.200 collaborateurs en 1995.

Par son développement, SFR estime avoir permis la création de 5.000 emplois indirects, par l'intermédiaire de ses sous-traitants, de ses distributeurs et des industriels auxquels la société fait appel.

L'effectif de l'entreprise Bouygues Télécom est actuellement de 550 personnes ; il devrait s'élever à 2.200 dans quatre ans.

Les créations d'emplois dans ce secteur devraient s'accentuer avec le succès grandissant de la téléphonie mobile en France, à l'instar de ce qui s'est déroulé au Royaume-Uni. Dans ce pays, où on compte environ 5 millions d'abonnés, 42.000 emplois étaient liés directement ou indirectement à cette activité en 1994. Ils pourraient être 90.000 d'ici l'an 2000.

Au total, en France, d'après une première approximation, l'étude d'impact annexée au projet prévoit, au regard des exemples étrangers, qu'environ 70.000 créations d'emplois pourraient résulter de la « démonopolisation » d'ici 5 ans (18.000 dans la téléphonie de base, 20.000 dans le secteur du câble, jusqu'à 30.000 dans les mobiles).

On peut donc raisonnablement espérer que l'impact de l'ouverture à la concurrence sur l'emploi sera positif.

2. Une opportunité pour les entreprises

Comme le soulignait votre commission dans « L'avenir de France Télécom : un défi national » , le monopole ne favorise pas la diffusion du progrès technique dans un environnement technologique en évolution rapide. Le rapport précité relevait l'exemple de la téléphonie mobile :

« En Suède, où il y a trois opérateurs de radiotéléphone, on compte 21,6 abonnés pour 100 habitants. En France, où pendant huit ans, il n'y a eu que deux opérateurs dont un par ailleurs en situation de monopole sur le téléphone entre points fixes, on ne compte que 2,1 abonnés pour 100 habitants, soit dix fois moins, un des taux les plus bas d'Europe, le plus bas des pays de niveau de développement comparable

Entre le 1er janvier 1994 et le 30 juin 1995, le nombre d'abonnés au radiotéléphone a, d'un coup, doublé, dépassant à cette date -sous l'effet d'une baisse des prix prononcée- le seuil du million de personnes. Cette brutale accélération se comprend mieux quand on se rappelle qu'en 1994, a été désigné un troisième opérateur de téléphonie mobile : Bouygues Télécom. Sa prochaine arrivée sur le marché a en quelque sorte déclenché un sursaut préventif des deux opérateurs en place. S'il fallait trouver une preuve que la concurrence favorise la démocratisation du progrès technique, on pourrait la voir là. »

La diffusion accélérée des nouvelles technologies qu'entraîne la concurrence va profiter au tout premier plan aux entreprises.


• Ceci devrait en effet être favorable à une meilleure insertion de l'économie française dans les échanges internationaux. Cette dernière est plutôt spécialisée dans les biens à forte valeur ajoutée et son avantage comparatif réside dans la qualification de la main d'oeuvre, ainsi que dans sa capacité à innover ou à exploiter le progrès technique. Dans cette perspective, l'intégration dans les meilleures conditions des nouvelles technologies de l'information apparaît comme un enjeu stratégique pour la compétitivité de notre économie et le développement de ses emplois dans les services.

De fait, communiquer à moindre coût est, pour les entreprises, la condition de leur compétitivité et de leur développement. En outre, prix plus bas et diversification des services se traduisent habituellement par une baisse des coûts de transaction, un développement de l'innovation et des gains de productivité. La combinaison de tous ces éléments tend donc à favoriser, dans un certain nombre de cas, une augmentation des embauches.

Différentes études américaines ont chiffré les effets bénéfiques d'un usage développé des moyens de télécommunications pour l'ensemble de l'économie. Ainsi, l'étude DR1/McGraw-Hill a évalué la contribution des télécommunications à la productivité de chaque secteur de l'économie : elle estime que les progrès dans le secteur des télécommunications représentaient 25 % des gains de productivité entre 1967 et 1991.


• Par ailleurs, la « démonopolisation » améliore l'attractivité économique du pays. L'existence d'opérateurs de télécommunications performants et offrant des conditions tarifaires intéressantes, constitue un avantage dans la compétition internationale pour l'implantation d'entreprises industrielles et commerciales en France. Tel est l'effet très généralement constaté dans les pays ayant « démonopolisé » leurs télécommunications : ils attirent plus facilement les activités fortement consommatrices de moyens de télécommunications, comme les activités financières.


• Au total, l'ensemble des entreprises françaises pourra tirer parti de la « démonopolisation ». Celles de l'industrie des télécommunications, au tout premier chef, mais aussi les autres.

A cet égard, le rapport sur « Les téléservices en France » 7 ( * ) , publié en 1993, soulignait que les téléservices innovants, tels la télémédecine, le téléenseignement, le télésecrétariat, ou la télécompatabilité, nécessitent des moyens technologiques de télécommunications et de bureautique performants et notamment des services avancés de télécommunications à faible prix. Or, il n'existe pas en France aujourd'hui, dans le cadre du monopole, de réel développement des services à large bande. Leur prix, quand ces services son disponibles, demeurent le plus souvent prohibitifs, et ils ne permettent pas d'assurer la rentabilité d'usages innovants.

Le marché des téléservices, évalué dans le rapport « Les téléservices en France » à 33 milliards de francs en 1993, pourrait représenter entre 85 milliards et 195 milliards de francs en 2005. Ce développement est susceptible de provoquer des créations d'emplois.

L'ouverture à la concurrence représente donc de réelles chances pour les entreprises et pour la compétitivité de notre économie.

3. Les avantages pour le consommateur

Les avantages attendus pour le consommateur sont, eux aussi, loin d'être négligeables.

La concurrence devrait entraîner une baisse des prix et un enrichissement de l'offre de services.


• Les exemples étrangers

Les expériences déjà menées chez certains de nos partenaires montrent que la suppression de monopoles a été suivie par une baisse des prix.

L'étude 1995 de l'OCDE « Perspectives des communications » illustre ce phénomène puisqu'elle montre que les baisses tarifaires ont été plus fortes dans les pays ouverts à la concurrence que dans ceux qui ne l'étaient pas.

En Angleterre, par exemple, depuis 1984, date de l'ouverture à la concurrence, le prix d'un panier moyen de services des télécommunications a baissé de 37 % en termes réels.

ÉVOLUTION DES TARIFS DE 1990 À 1994

Pays ouverts à la concurrence

Pays non libéralisés

Tarifs professionnels

- 8,6 %

-3,1 %

Tarifs résidentiels

-3,1 %

+ 8,7 %

d'après l'OCDE. 1995

En outre, les options et réductions tarifaires proposées se sont multipliées. Par exemple, ATT vend plus de 52 % de ses minutes de communication à prix réduit. Les opérateurs ont proposé des « couples tarifaires » abonnement/consommation à des prix différents selon les besoins de leurs différentes clientèles.


• La situation française

France Télécom demande des prix relativement élevés pour les communications à longue distance et des prix en deçà des autres pays et inférieurs aux coûts pour l'abonnement résidentiel et -dans une moindre mesure- les appels locaux.

Une telle situation résulte d'un déséquilibre historique de la structure tarifaire française entre d'une part les appels longue distance (interurbains et nationaux) et, d'autre part, les abonnements au service de base et les frais de raccordement au réseau.

L'ouverture à la concurrence rend indispensable un rééquilibrage des tarifs qui les rapproche des coûts réels. Sinon, un autre opérateur pourrait déstabiliser l'opérateur public en captant les segments les plus rentables du marché par des offres de prix avantageuses (surtout s'il n'a pas à supporter les coûts fixes liés à l'accomplissement du service public et au raccordement des réseaux locaux). La directive européenne 96/19/CE du 13 mars 1996 (voir texte en annexe) fixe comme objectif la résorption des déséquilibres tarifaires non justifiés.

France Télécom a d'ailleurs déjà commencé de résorber ce déséquilibre tarifaire. Tout comme votre commission l'avait souhaité à plusieurs reprises 8 ( * ) , ce projet de loi de réglementation des télécommunications (article L. 35-3- 11-3°) prévoit la « résorption progressive » du déséquilibre, égale sur tout le territoire.

Au-delà de ce rééquilibrage, qui s'accompagnera d'une tarification adaptée aux personnes souffrant d'un handicap ou disposant de faibles revenus, on peut s'attendre à une baisse globale des prix des télécommunications en France.

Selon les informations fournies à votre commission par M. le ministre délégué à la poste et aux télécommunications, si les tarifs français rejoignaient ceux qui sont pratiqués Outre-Manche, le prix d'un « panier » moyen de consommation pourrait progressivement baisser de 30 %.

Néanmoins, les ménages dont les consommations sont les plus faibles pourraient voir leur facture augmenter sous l'effet de la hausse de l'abonnement, ce qui justifie pleinement, comme le prévoit le projet de loi, de mettre en place des tarifs d'abonnements spéciaux.

En outre, la concurrence est un facteur d'accroissement des services proposés au consommateur.

Le tableau ci-après montre d'une part que le prix de l'abonnement est moins cher en France que dans les pays déjà libéralisés (Pays-Bas, Grande-Bretagne, États-Unis, Suède...) sous l'effet du déséquilibre tarifaire précité. Il montre d'autre part qu'un plus grand nombre de services gratuits sont inclus dans l'abonnement dans les pays ouverts à la concurrence : inscription sur « liste rouge », facturation détaillée, transfert d'appel, signal d'appel, conversation à trois, cartes téléphoniques, alors qu'ils sont facturés en supplément de l'abonnement en France.

Le projet de loi de réglementation des télécommunications, présenté par le Gouvernement, est donc nécessaire. Certes, les évolutions techniques et l'engagement européen de la France rendent son examen inéluctable. Mais surtout, l'ouverture à la concurrence va dynamiser l'économie nationale, offrir de nouvelles opportunités à nos entreprises au premier rang desquelles France Télécom, et profiter largement au consommateur.

* 4 Les infrastructures alternatives sont des infrastructures privées de télécommunications installées et exploitées par des entreprises pour la satisfaction de leurs besoins propres et destinés à une utilisation exclusivement interne. On peut citer, parmi ces réseaux, ceux de la SNCF, d'EdF, d'Air France, des sociétés concessionnaires d'autoroutes et de certaines règles municipales de transports (Lille, Marseille, Lyon).

* 5 Voir rapport d'information n°390 (Sénat 1995-1996) de la Commission des Affaires économiques.

* 6 En application de la circulaire du 21 novembre 1995 relative à l'expérimentation d'une étude d'impact accompagnant les projets de loi et de décret en Conseil d'État, le Gouvernement a transmis au Parlement une étude d'impact qui a, fort à propos, éclairé ses débats.

* 7 Rapport de M. Thierry Breton « Les téléservices en France », novembre 1993, cité par l'étude d'impact annexée au projet de loi.

* 8 Rapport Sénat (1995-1996) présenté par M. Pierre Hérisson et celui intitulé « L'avenir de France Télécom : un défi national » précité.

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