C. DE LA DÉPENSE FISCALE À L'ABUS DE DÉPENSES FISCALES

1. Les inconvénients des allégements fiscaux

De par sa nature, la dépense fiscale présente des inconvénients difficilement contournables.

a) Pour le contribuable


La dépense fiscale ne s'adresse qu'aux contribuables imposés.

Ainsi, par définition, les foyers non imposés à l'impôt sur le revenu ne bénéficient pas de cette dépense : or, près d'un foyer sur deux n'acquitte pas d'impôt sur le revenu. - 111 -


Nul n'est censé ignorer les règles de la dépense fiscale

Outre les obligations liées au caractère déclaratif de l'impôt -qui supposent que le contribuable connaisse les dizaines de possibilités d'allégement- les règles de la dépense fiscale sont censées être suffisamment connues du contribuable pour influencer efficacement son comportement.

Or, le ciblage d'une mesure suppose l'édiction de règles assez nombreuses (nature des dépenses prises en compte pour une réduction d'impôt, plafonnement de ces dépenses, plafonnement de la réduction d'impôt...) pour être difficiles à connaître.

Par ailleurs, ces règles sont censées influencer le contribuable largement en amont de sa décision, l'avantage en impôt se concrétisant l'année suivant celle-ci, pour l'impôt sur le revenu comme pour l'impôt sur les sociétés.


Le contribuable prend un risque.

En l'absence de décision préalable expresse de l'administration, le contribuable prend le risque, en engageant des dépenses, de voir son accès aux allégements fiscaux contesté a posteriori à l'occasion d'un contrôle : certains dispositifs complexes, tels que le crédit d'impôt recherche, ont pu susciter de telles difficultés.

b) Pour l'administration


Par nature, la dépense "éludée" est mal connue de l'administration fiscale, ce qui rend son chiffrage difficile. Comme le souligne le tome II du fascicule "Evaluation des voies et moyens", "les opérations économiques exonérées sont largement ignorées" : dès lors les montants de dépenses fiscales indiqués "ne sont pas, la plupart du temps, des résultats constatés, mais seulement des estimations" . Par ailleurs, seules 236 mesures sur un total de 445 sont chiffrées en 1996.

De même, ces estimations ne portent que sur une année donnée, même si la mesure produit ses effets sur plusieurs années : ainsi, le régime de l'intégration fiscale des résultats des groupes de sociétés françaises qui produit des effets sur plusieurs exercices, n'est pas chiffré pour 1995-1996 afin d'éviter une estimation trop parcellaire.

Enfin, les chiffrages sont "directs" et ne peuvent pas prendre en compte les interactions entre les mesures, ou les effets indirects de celles-ci : une incitation à la consommation provoque par exemple une rentrée supplémentaire de TVA...

Un exemple de chiffrage incertain : la dépense fiscale en faveur de l'agriculture

1. Compte tenu du mode de calcul de l'assiette des cotisations sociales agricoles, les mesures spécifiques réduisant le revenu professionnel imposable ont un coût en matière de moindres cotisations sociales. Il y a donc effet multiplicateur de la dépense fiscale, d'autant plus significatif pour les finances publiques que l'Etat assure mécaniquement l'équilibre du BAPSA grâce à une subvention du ministère de l'agriculture.

2. La nomenclature retenue n'est pas insusceptible de critiques méthodologiques sérieuses. Jusqu'en 1995, le fascicule Voies et Moyens retenait le coût de la franchise d'impôt accordée aux bouilleurs de cru (390 millions de francs) comme une aide à l'agriculture, ce qui relève d'une simplification hâtive. En sens inverse, l'exonération de TIPP pour les biocarburants (1,050 milliard de francs en 1996) n'est pas considérée comme une dépense fiscale en faveur de l'agriculture.

3. Ces travaux de réflexion sur la dépense fiscale en agriculture ne semblent pas relever directement de la compétence de la Cour des comptes, ou ne pas susciter d'intérêt particulier chez les magistrats compétents. En réponse à une question de votre rapporteur général, il lui a été indiqué que :

"La Cour s'est limitée à citer quelques exemples de "dépenses fiscales" qu'il conviendrait de prendre en compte.

"Elle ne sous-estime pas les difficultés d'un recensement exhaustif en la matière. Il est par exemple difficile de chiffrer le coût de certaines mesures fiscales propres à l'agriculture. Il peut en outre s'avérer impossible d'isoler la part de l'agriculture, dans le coût de mesures qui bénéficient également à d'autres secteurs etc...

"Il serait souhaitable et il est sans doute possible, au moins en partie, que le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation et le service de la législation fiscale du ministère de l'économie et des finances, tentent de préciser l'analyse. Ainsi le Service de législation fiscale a-t-il établi la liste des mesures fiscales prises en faveur de l'agriculture et de la pêche depuis la fin de 1993. Certes, le service n'a pas été en mesure d'évaluer le coût de toutes les mesures. Mais outre que des progrès doivent être recherchés dans ce domaine, un tel recensement présente un intérêt certain pour l'information, notamment celle du Parlement. Il serait également souhaitable que l'analyse ne se limite pas aux seules mesures nouvelles, mais s'étende au droit existant. "

4 . Hors biocarburants, la dépense fiscale en faveur de l'agriculture s'établit à 5,99 milliards de francs (7 milliards de francs avec la mesure TIPP), soit près de 20 % des crédits du ministère de l'agriculture pour 1997. Après prise en compte de l'effet cotisations sociales, ce pourcentage pourrait atteindre 25 %.

5 . La dépense fiscale en faveur de l'agriculture tant par le nombre de mesures qu'elle comprend (31) que par son coût devrait devenir un élément central de la discussion du budget de l'agriculture.


Les effets "d'aubaine" peuvent être importants

Intervenant de manière indifférenciée pour des catégories entières de contribuables, à partir de décisions déjà prises par eux, la dépense fiscale peut susciter des effets d'aubaine importants : la réduction d'impôt pour emploi de salariés à domicile a ainsi été souvent dénoncée comme un moyen de "blanchir" des emplois déjà existants avant même d'être un moyen de créer des emplois.

c) D'un point de vue économique


La dépense fiscale "incitatrice" présente l'inconvénient de poursuivre deux objectifs à la fois : encourager une dépense, mais aussi avantager plus ou moins certaines catégories de contribuables, par la fixation d'un taux de réduction d'impôt, d'un montant de dépenses prises en compte, d'un plafonnement de l'avantage en impôt... Or, ces deux objectifs peuvent se révéler difficiles à concilier.


• La dépense fiscale est difficile à supprimer : même si les conditions qui ont justifié sa création ont disparu, l'avantage en impôt reste acquis aux yeux des contribuables, comme le montre le projet de suppression de l'abattement supplémentaire pratiqué sur le revenu de certaines professions salariées.


• Enfin, la dépense fiscale peut être un moyen de différer des réformes de fond : ainsi la multiplication des allégements d'impôt sur le revenu à certainement permis de renvoyer à plus tard l'aménagement indispensable de l'assiette et des taux.

De même, la commission des finances du Sénat a été amenée à proposer un aménagement du régime des transmissions dans le cadre de l'examen du dernier projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier. La commission constatait en effet que les difficultés constatées sur la transmission d'entreprises provenaient du relèvement des taux en 1984, et que la réponse la plus adaptée aurait été d'élargir des tranches ou d'abaisser le taux maximum applicable en ligne directe. Toutefois, la commission des finances constatait aussi qu'une telle démarche était délicate à mettre en oeuvre dans l'immédiat et proposait donc une nouvelle "dépense fiscale" : "Face à ce constat, et convaincue de la nécessité d'agir, votre commission vous propose donc une approche prenant la forme d'une réduction plus substantielle des droits en cas de transmission anticipée : à cet effet, elle suggère de majorer de six points le taux de réduction de droit associé au régime fiscal de la donation-partage ".

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