TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 18 décembre 1996, sous la présidence de M. Jacques Bimbenet, vice-président , la commission a procédé à l'examen du projet de loi n° 152 (1996-1997) relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal et de la proposition de loi n° 97 (1996-1997) de M. Bernard Plasait et plusieurs de ses collègues tendant à renforcer les pouvoirs des agents de contrôle des organismes mentionnés aux articles L. 243-7 et L. 216-6 du code de la sécurité sociale dans la lutte contre le travail clandestin.

Après avoir rappelé que le projet de loi était passé, à la suite de son examen à l'Assemblée nationale de 10 à 32 articles, M. Louis Souvet, rapporteur , a indiqué que les débats à l'Assemblée nationale avaient, sans modifier fondamentalement les orientations du texte, abouti à clarifier davantage la notion de travail clandestin, devenu travail " dissimulé ", et à renforcer les moyens de lutte contre le travail illégal.

Le rapporteur a rappelé les principales raisons justifiant la remise à jour périodique des textes visant à lutter contre le travail clandestin. Il a notamment cité des raisons humaines, les salariés non déclarés se trouvant généralement dans une situation de précarité et d'exclusion difficilement acceptable par notre société ; des raisons économiques, les distorsions de concurrence ainsi engendrées étant susceptibles d'affaiblir certains secteurs d'activités et de détruire l'emploi ; des raisons sociales et fiscales, avec les pertes de recettes des organismes de protection sociale et de l'Etat ; enfin, des raisons liées à la lutte contre l'immigration clandestine.

M. Louis Souvet, rapporteur , a alors souligné que les dispositifs de lutte contre le travail clandestin n'étaient plus en rapport avec l'ampleur du phénomène.

Il a expliqué cette situation par la faiblesse des moyens humains et l'inadaptation des dispositifs juridiques, celle-ci tenant d'une part aux statuts des différents corps de contrôle qui les empêchent de mener des investigations en-dehors de leur mission principale, d'autre part à l'évolution des pratiques, les employeurs adaptant leurs comportements aux évolutions de la législation. Pour le rapporteur, la lutte contre le travail clandestin constitue un complément indispensable du développement économique, de la politique de l'emploi et de la politique d'assainissement des déficits publics.

Après s'être félicité de l'initiative du Gouvernement de lutter contre ce phénomène avec détermination et clarté, le rapporteur a rappelé le contexte juridique dans lequel s'inscrivait le projet de loi.

Il a tout d'abord indiqué que cette législation remontait à 1940 et qu'elle avait depuis évolué dans le sens d'un élargissement des personnes physiques ou morales susceptibles d'être impliquées et, à partir de 1972, d'une pénalisation de cette pratique, dès lors qu'elle était effectuée " sciemment ".

Il a souligné que la notion de travailleur clandestin était apparue à cette date et qu'elle s'appliquait non à l'employé, considéré comme une victime, mais à l'employeur.

Il a indiqué qu'une loi de 1981 avait compris parmi les auteurs possibles de ce délit les donneurs d'ordre s'adressant à des sociétés écrans par le biais de la sous-traitance, qu'une loi de 1985 avait doté les services de contrôle de pouvoirs d'audition, d'investigation et de saisie, qu'une loi de 1987 avait fait référence à la dissimulation d'une partie de l'activité de l'entreprise et, enfin, qu'une loi de 1991 avait développé les possibilités de mise en cause du donneur d'ordre ou du client négligeant en spécifiant que leurs relations avec le travailleur clandestin pouvaient être directes ou par personne interposée.

Il a également mentionné le renforcement progressif de la solidarité civile de toutes les parties concernées, à l'exception du salarié, en soulignant son indépendance vis-à-vis d'éventuelles poursuites pénales.

M. Louis Souvet, rapporteur , a ensuite exposé les trois grandes orientations du projet de loi.

Il a indiqué que la première visait à clarifier et à adapter la définition du délit de travail clandestin caractérisé, d'une part, par la dissimulation d'activité, d'autre part, par la dissimulation d'emplois salariés. Il a expliqué les raisons pour lesquelles l'Assemblée nationale avait remplacé la notion de travail clandestin par celle de travail dissimulé et a proposé à la commission de maintenir cette notion.

Il a indiqué que l'Assemblée nationale avait, contre l'avis du Gouvernement, supprimé le caractère intentionnel du recours d'un donneur d'ordre au service d'une personne pratiquant elle-même le travail clandestin et a exposé les raisons pour lesquelles il était défavorable à cette suppression, citant notamment la confusion juridique qui pourrait en résulter.

Il a indiqué que l'Assemblée nationale avait posé le principe d'une présomption de travail clandestin lorsque le maître d'ouvrage n'avait pas agréé le sous-traitant et avait inclus dans le champ du travail clandestin l'exercice d'une profession libérale malgré un défaut d'inscription à l'ordre, deux dispositions qu'il proposerait de supprimer.

Après avoir énuméré les autres ajouts de l'Assemblée nationale, il a présenté la deuxième orientation du texte, le renforcement des pouvoirs des agents de contrôle et l'amélioration de la coordination de leurs actions.

Il a notamment cité la possibilité donnée aux différents corps de contrôle de rechercher les infractions au lieu, seulement, de les constater, la levée du secret professionnel et la valeur probante des procès-verbaux.

Il a également mentionné l'habilitation donnée aux agents des organismes de sécurité sociale et des impôts d'entendre les salariés hors de l'entreprise avec leur consentement. Il a indiqué que cette disposition répondait au souhait des auteurs de la proposition de loi tendant à renforcer les pouvoirs des agents de contrôle des organismes de sécurité sociale dans la lutte contre le travail clandestin, tout en indiquant qu'il lui semblait préférable de ne pas préciser que cette audition devait avoir lieu au domicile des salariés.

Il a également indiqué que les salariés auraient la possibilité de s'adresser aux agents de contrôle afin de connaître leur situation au regard des obligations déclaratives incombant à leur employeur.

Il a exprimé des doutes sur l'opportunité d'ajouter la lutte contre le travail clandestin au sein des collectivités publiques aux missions de la Cour des Comptes, tout en précisant qu'il souhaitait connaître, sur ce point, l'avis de la commission des lois.

Il a également indiqué que les pouvoirs d'investigation de certains agents de contrôle avaient été étendus aux délits de marchandage et que les juridictions seraient habilitées à communiquer aux caisses de sécurité sociale et de congés payés les informations utiles au recouvrement des cotisations éludées.

Il a rappelé qu'un article additionnel autorisant les officiers de police judiciaire à procéder à des contrôles d'identité dans les entreprises avait finalement été retiré du texte au cours d'une seconde délibération.

M. Louis Souvet, rapporteur , a ensuite présenté le troisième volet du projet de loi visant à dissuader de recourir, directement ou indirectement, au travail clandestin.

Il a indiqué que le texte prévoyait que le juge pourrait prononcer une peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, tout en précisant que l'Assemblée nationale avait supprimé la mention des droits de famille.

Il a présenté le dispositif permettant à l'administration de refuser des aides à l'emploi et à la formation professionnelle aux entreprises ayant fait l'objet d'un procès verbal de recours au travail clandestin, et s'est prononcé contre un ajout de l'Assemblée nationale permettant à l'administration de suspendre ces aides lorsque le délit était découvert postérieurement à leur octroi.

Enfin, le rapporteur a expliqué que le projet de loi prévoyait que les candidats à un marché public devraient faire la preuve qu'ils n'avaient pas fait l'objet d'une condamnation définitive pour infraction à la législation sur le travail clandestin ou sur l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail. Il a indiqué en quoi le dispositif avait été renforcé par l'Assemblée nationale. Il a souligné aussi les dangers qu'il recelait et qui l'incitaient à proposer de le modifier quelque peu.

Le rapporteur a également indiqué que l'Assemblée nationale avait voulu sanctionner plus rapidement et plus durement le non-respect de la déclaration préalable à l'embauche et qu'elle avait fait passer de un mois à six mois l'indemnité que le travailleur clandestin devrait verser au salarié non déclaré dont il se séparerait.

Il a également mentionné l'élargissement du champ de la solidarité des bénéficiaires et intermédiaires.

Il s'est déclaré réservé sur un autre ajout de l'Assemblée nationale consistant à mettre à la charge des employeurs les frais d'éloignement des travailleurs étrangers sans autorisation de travail, considérant que cette disposition relevait plutôt du texte sur l'immigration.

Enfin, il a indiqué que l'Assemblée nationale avait souhaité le dépôt d'un rapport annuel sur le travail dissimulé.

M. Louis Souvet, rapporteur , en conclusion, a dit qu'il ne lui paraissait pas nécessaire d'aller au-delà de ce qu'avait fait l'Assemblée nationale. Il a justifié cette position par le fait qu'une législation trop détaillée, qui risquait de devenir inquisitoriale vis-à-vis des entreprises, n'avait pas, ainsi que le révélait la jurisprudence, une efficacité très supérieure aux notions juridiques traditionnelles.

Il a également justifié sa position en expliquant que la lutte contre le travail clandestin reposait aussi sur une volonté d'agir de façon coordonnée et a exposé les grandes lignes du dispositif de lutte contre le travail illégal que le Gouvernement s'apprêtait à mettre en place par voie réglementaire ; ce dispositif devrait notamment permettre de démanteler les réseaux existants.

Enfin, M. Louis Souvet, rapporteur , a souligné qu'un moyen efficace de lutter contre le travail clandestin consistait à le prévenir, notamment en simplifiant les formalités administratives, en allégeant les charges des employeurs et en abaissant le poids de la fiscalité, et a rappelé que le Gouvernement s'était engagé dans cette voie.

Le rapporteur a alors indiqué que, sous réserve des amendements qu'il présentait, et de quelques autres qu'il pourrait être amené à proposer ultérieurement, en raison de la brièveté des délais dont il avait disposé pour mesurer toutes les implications du texte, il suggérait à la commission d'adopter le projet de loi.

Au cours de la discussion générale, Mme Marie-Madeleine Dieulangard a regretté la brièveté des délais d'examen du projet de loi. Elle a jugé ce texte nécessaire en raison des coûts humains, sociaux et fiscaux du travail clandestin. Elle s'est inquiétée de l'accent mis sur le contrôle de l'emploi dissimulé plutôt que sur la recherche des activités clandestines. Elle a dénoncé la diminution des moyens consacrés dans le budget pour 1997 aux services de contrôle du ministère du travail. Puis, elle a souhaité savoir si le texte s'appliquait aux particuliers pour les prestations de service, si les agents de contrôle auraient accès aux documents financiers et dans quelle mesure le prêt de main d'oeuvre était concerné. Enfin, constatant que l'informatique en réseau allait permettre un développement de nouvelles pratiques de travail clandestin, elle s'est inquiétée de savoir si le projet de loi permettait d'atteindre les employeurs se cachant derrière un paravent associatif.

M. André Jourdain, après avoir regretté que l'examen de ce texte intervienne si rapidement, s'est interrogé sur le poids de l'économie souterraine, s'est félicité de l'amélioration de la coordination entre services de contrôle, s'est inquiété du risque d'un développement des contrôles inquisitoriaux au sein des entreprises et a souhaité que soit poursuivie la voie préventive consistant à alléger les charges des entreprises et à simplifier les formalités administratives.

M. André Gournac s'est déclaré très favorable au projet de loi, qui devrait notamment permettre de freiner l'immigration. Il a souhaité que l'on conserve au délit de travail clandestin un caractère intentionnel. Il a regretté que les agents de police judiciaire ne puissent contrôler les identités dans les entreprises, s'est déclaré défavorable à la prise en charge par l'employeur de l'éloignement des travailleurs étrangers sans titre de travail et a regretté qu'on ne trouve pas dans le texte de dispositions permettant de lutter contre les réseaux de travail clandestin.

M. Guy Fischer , après avoir regretté l'amalgame fait entre immigré et travail clandestin, a souhaité que la recherche des activités clandestines ne passe pas avant la recherche de l'emploi dissimulé. Il a déploré le caractère dérisoire des moyens du ministère du travail consacrés à la lutte contre le travail illégal en rappelant les amputations de postes que subissait l'inspection du travail. Il a également souhaité pouvoir disposer à temps des conclusions de la commission des lois, saisie pour avis.

M. René Marquès a souligné qu'une part importante du travail dissimulé se situait dans le secteur des services aux particuliers.

En réponse aux intervenants, M. Louis Souvet, rapporteur , a rappelé que la lutte contre le travail clandestin concernait les employeurs et non les employés, victimes de cette pratique. Il a souligné que le développement des contrôles portait tout autant sur la recherche d'activités illégales que sur la recherche d'emplois dissimulés.

Il a précisé que les agents de contrôle auraient accès à tous les documents en rapport avec l'activité illégale, y compris dans le cadre du marchandage.

Il a souligné que la recherche de la dissimulation d'emploi, qui ne supposait pas une activité lucrative, permettait désormais de lutter contre les paravents associatifs.

Il a constaté que, par définition, on ne pouvait mesurer avec certitude le poids de l'économie souterraine. A propos des contrôles, il a déclaré partager l'opinion que l'aspect inquisitorial ne devait pas être développé au-delà du nécessaire, se déclarant plutôt favorable à un changement de mentalités.

Il a précisé qu'il souhaitait maintenir le caractère intentionnel du délit et a rappelé qu'un texte spécifique, prochainement examiné, était consacré à l'immigration. Il a indiqué que la lutte contre les réseaux de travail clandestin relevait du dispositif interministériel mis en place par décret. Il a reconnu que les moyens du ministère du travail n'étaient pas renforcés mais a souligné que le projet de loi dotait les autres corps de contrôle de moyens juridiques accrus.

A propos des emplois familiaux, il a rappelé que la déduction fiscale et le chèque emploi-service favorisaient le " blanchiment " de ces emplois, mais qu'au-delà, il fallait développer les comportements civiques.

M. Paul Masson, rapporteur pour avis de la commission des lois , a rappelé que le projet de loi ne concernait qu'indirectement les particuliers.

La commission a ensuite procédé à l'examen des articles et des amendements proposés par le rapporteur.

Après intervention de Mme Marie-Madeleine Dieulangard et de M. Guy Fischer , elle a adopté l'article premier A (sanctions du non-respect de l'obligation des déclarations préalables à l'embauche) réécrit par un amendement remplaçant l'amende administrative par la procédure de l'ordonnance pénale.

Elle a adopté l'article premier A (notion de travail dissimulé) sans modification.

Elle a adopté l'article premier (définition du délit de travail dissimulé) sous réserve d'un amendement rétablissant la mention du caractère intentionnel du délit.

Elle a supprimé l'article premier bis (présomption de recours du donneur d'ordre au travail dissimulé).

Elle a adopté l'article 2 (définition du travail dissimulé et élément constitutif de l'infraction) sous réserve de deux amendements. Le premier, outre une modification rédactionnelle, supprime la référence aux professions libérales et le second, qui a donné lieu à un débat entre Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M. Paul Masson, rapporteur pour avis, M. Bernard Seillier et M. Jacques Bimbenet, vice-président , vise à tenir compte des accords d'annualisation du temps de travail à propos du délit de dissimulation d'heures travaillées.

Elle a adopté l'article 3 (droit d'information et indemnisation des salariés) sous réserve d'un amendement rédactionnel ainsi que l'article 3 bis (responsabilité solidaire en cas d'emploi d'étrangers sans titre de travail) sans modification.

Elle a adopté l'article 4 (compétences des agents de contrôle et procédure) sous réserve de trois amendements. Le premier, pour faire référence aux fonctionnaires des corps techniques de l'aviation civile, le deuxième, d'ordre rédactionnel et le troisième pour ôter tout caractère inquisitorial à l'audition des salariés par les agents des organismes de protection sociale.

Elle a adopté l'article 5 (coordination) sans modification, l'article 6 (levée du secret professionnel) sous réserve d'un amendement rédactionnel ainsi que l'article 6 bis (contrôle de la législation sur les congés payés) sans modification.

Puis, elle a adopté quatre amendements regroupant les articles 6 ter, 6 quater, 6 quinquies et 6 sexies en un seul article (condamnation solidaire pour recours à un travailleur clandestin).

Elle a procédé de même pour les articles 6 septies, 6 octies, 6 nonies et 6 decies (condamnation solidaire au cas où une personne ne s'est pas assurée que son cocontractant s'acquittait de ses obligations).

Elle a adopté sans modification les articles 6 undecies (coordination), et 6 duodecies (échanges d'informations relatives au travailleur étranger entre les différents corps de contrôle).

Elle ne s'est pas prononcée sur l'article 6 terdecies (information des conseillers rapporteurs des conseils de prud'hommes) qui sera examiné par la commission des lois.

Elle a adopté sans modification les articles 6 quaterdecies (extension des pouvoirs de recherche des agents de la direction générale des impôts et de la direction générale des douanes en matière de marchandage), 6 quindecies (habilitation des agents des douanes pour le contrôle de l'emploi des étrangers sans titre de travail) et 7 bis (levée du secret professionnel entre les agents habilités à contrôler le marchandage et droit d'accès à certains documents de l'entreprise).

Elle ne s'est pas prononcée sur l'article 7 ter (prise en charge des frais d'éloignement par l'employeur d'un travailleur étranger sans autorisation de travail) qui sera examiné au fond par la commission des lois.

Elle a adopté l'article 8 (peines complémentaires de privation des droits civiques et civils) sous réserve d'un amendement rétablissant la peine de privation des droits de famille.

Elle a adopté l'article 9 (refus d'attribution des aides à l'emploi ou à la formation professionnelle) sous réserve d'un amendement retirant à l'administration la possibilité de supprimer les aides déjà octroyées.

Elle a adopté l'article 10 (obligations d'attester de la non-condamnation au titre du travail illégal pour les candidats titulaires de marchés publics) sous réserve de deux amendements : l'un pour inclure le marchandage dans le dispositif, l'autre à titre de coordination.

Elle a ensuite adopté l'article 11 (dépôt d'un rapport) sans modification, le nouveau titre du projet de loi ainsi que le projet de loi dans son ensemble.

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