REPRÉSENTANTS DES MAGISTRATS

M. Georges Fenech,
président de l'Association Professionnelle des Magistrats (APM),
M. Valéry Turcey,
secrétaire général de l'Union Syndicale de la Magistrature (USM),
M. Jean-Pierre Boucher,
président du Syndicat de la Magistrature (SM)

A titre liminaire, M. Jacques Larché, président , soulignant la situation d'asphyxie d'un grand nombre de cours d'appel, s'est interrogé sur la future affectation des 100  nouveaux magistrats dont le recrutement avait été annoncé par le Gouvernement.

M. Georges Fenech , après avoir fait valoir que la réforme proposée était à ses yeux la plus importante depuis l'abolition de la peine de mort, a exprimé trois motifs d'inquiétude face au texte adopté par l'Assemblée nationale.

En premier lieu, s'agissant de la composition de la juridiction criminelle, M. Georges Fenech a fait observer que la réduction à cinq du nombre des jurés aurait pour effet d'abaisser le rôle du jury par la création d'un " mini jury ". Il a souligné que la prise de décision à une majorité de six voix sur huit impliquerait le vote favorable d'un magistrat pour emporter la décision, ce qui lui paraissait aboutir à un déséquilibre.

M. Georges Fenech a en outre estimé que la question des moyens dont disposeraient les juridictions criminelles se posait, les mesures annoncées par le Gouvernement étant encore insuffisantes.

Puis, M. Georges Fenech a proposé de distinguer entre un " circuit court " et un " circuit long ". Il a suggéré que le " circuit court " puisse s'appliquer à tous les crimes punis d'une peine de 20 ans de réclusion maximum. Il a exposé que de tels crimes seraient jugés par des magistrats professionnels dans une formation renforcée de cinq magistrats avec une possibilité d'appel devant un jury populaire composé de neuf jurés.

Quant au " circuit long ", il s'appliquerait aux affaires punissables de 30 ans de réclusion ou de la réclusion à perpétuité. Il a indiqué que ces affaires pourraient être jugées par une formation de trois magistrats professionnels et de neuf jurés avec une possibilité d'appel devant une autre cour d'assises.

M. Georges Fenech s'est ensuite déclaré hostile à l'abaissement à 18 ans de l'âge minimum pour pouvoir être juré. Il a fait valoir que certains jeunes gens ne seraient pas aptes à exercer de telles fonctions et que la comparaison effectuée avec le droit de vote ne paraissait pas valable.

En outre, il a considéré qu'une telle disposition était inutile dans la mesure où existait d'ores et déjà un " vivier " important de personnes pouvant assumer les fonctions de juré et que les jeunes de 18 ans n'y étaient eux-mêmes pas favorables.

M. Jacques Larché, président , indiquant alors qu'il avait, à titre informel, consulté des jeunes de deux classes de terminale, a fait observer que sur un total de 219 réponses dans un cas et 323 réponses dans l'autre, respectivement 75 % et 76 % des jeunes interrogés avaient manifesté leur hostilité à cette proposition. Il a précisé que ces jeunes étaient plutôt favorables au maintien de l'âge de 23 ans prévu par le droit en vigueur.

M. Valéry Turcey a fait valoir que deux dispositions du projet de loi paraissaient choquantes.

En premier lieu, il a fait part de ses réserves à l'encontre de la disposition permettant à un avocat de rappeler le président de la cour d'assises à son devoir d'impartialité. Il a considéré qu'une telle disposition qui exposait un magistrat aux remontrances d'un avocat risquait d'être exploitée afin d'obtenir la cassation du jugement, alors que les magistrats étaient d'ores et déjà soumis par la loi à un certain nombre d'obligations précises.

En outre, il s'est interrogé sur la situation dans laquelle le président de la cour d'assises émettrait une opinion dans le sens de l'innocence de l'accusé, se demandant si dans ce cas le procureur général devrait également rappeler le président de la cour d'assises à son devoir d'impartialité.

M. Valéry Turcey a, par ailleurs, appelé l'attention sur le texte proposé pour l'article 231-150 du code de procédure pénale, faisant observer que la rédaction de cet article aboutissait à reconnaître un véritable droit de veto au premier juré pour la lecture du jugement.

M. Valéry Turcey a, par ailleurs, jugé nécessaire de prévoir des procédures permettant de juger vite et bien une personne dont la culpabilité n'était pas contestée y compris par lui-même. Il a rappelé que la procédure du plaider-coupable existait dans plusieurs pays.

En réponse à une question de M. Jacques Larché, président , qui rappelait les conditions de mise en oeuvre de la procédure du " plea bargaining ", M. Valéry Turcey a fait observer qu'une procédure de ce type impliquait nécessairement que l'accusé en tire bénéfice. Il a souligné que celui-ci souhaitait en général pouvoir être jugé dans des délais rapides afin de bénéficier de toutes les possibilités de réduction de peine, ce que ne lui permettait pas le régime de la détention provisoire.

M. Valéry Turcey a enfin souligné la question, essentielle à ses yeux, des moyens de mise en oeuvre de la réforme.

Jugeant nécessaire de donner à la justice les moyens d'accomplir ses missions, il a considéré que la création de 100 postes supplémentaires de magistrats constituait un minimum.

M. Jean-Pierre Boucher, faisant part de son approbation de cette réforme, qu'il a jugée conforme aux principes fondamentaux et à la Convention européenne des droits de l'Homme, a estimé que la présence du jury était indispensable aux deux niveaux de justice criminelle.

M. Jean-Pierre Boucher a fait observer que le principe du caractère oral des débats devant la cour d'assises permettait l'existence d'une justice de qualité et facilitait, en outre, la valeur pédagogique de la justice pénale.

M. Jean-Pierre Boucher a considéré qu'il fallait éviter que le dossier puisse être utilisé pendant le délibéré.

Il a, en outre, estimé que le délibéré sur la décision à rendre devait être immédiat faute de quoi le rôle des magistrats professionnels se trouverait renforcé.

S'agissant de la question de la motivation, M. Jean-Pierre Boucher a fait valoir que des condamnations criminelles devaient être motivées et que cette motivation devait être réalisée au cours du délibéré. Cette motivation devrait reposer sur les éléments de fait, ce qui ne lui a pas semblé contraire à la règle de l'intime conviction, laquelle reposait nécessairement sur une interprétation des faits.

Puis, M. Jean-Pierre Boucher a fait part de deux réserves d'ordre général.

En premier lieu, il a jugé nécessaire de réviser le rôle du président du tribunal d'assises et de la cour d'assises.

En second lieu, tout en approuvant le recrutement exceptionnel de 100 magistrats, il a soulevé la question du nombre insuffisant de greffiers pour lesquels aucun concours n'était prévu en 1997 et en 1998 et le problème de l'équipement nécessaire des juridictions.

S'agissant enfin de l'âge des jurés, M. Jean-Pierre Boucher a indiqué que la réduction de cet âge à 18 ans ne soulevait pas d'objection de principe dans la mesure où il n'y avait pas de critère objectif autre que l'âge de la majorité.

M. Jean-Marie Girault, rapporteur , s'est alors interrogé sur la motivation des décisions d'acquittement et sur la minorité de blocage qui permettrait d'obtenir une telle décision.

En réponse, M. Georges Fenech a estimé que le parallélisme des formes devait être respecté, le procureur général pouvant, le cas échéant, faire appel de la décision.

Il a fait valoir que la motivation d'une décision prise par huit personnes était invraisemblable. Il a, en outre, émis des réserves sur l'idée d'une motivation d'une décision rendue en matière de crimes contre l'humanité par des jurés non professionnels.

M. Jean-Pierre Boucher , tout en admettant que dans des affaires complexes la motivation pourrait être plus longue à établir, a néanmoins fait valoir qu'il existait des raisons précises qui fondaient les réponses aux différentes questions posées à la formation de jugement et que, dans ces conditions, la décision d'acquittement pouvait être motivée.

S'agissant d'un acquittement obtenu par un minorité de trois jurés sur huit, M. Jean-Pierre Boucher a considéré qu'il appartiendrait à ces jurés de préparer la motivation de la décision.

M. Valéry Turcey a également jugé souhaitable la motivation des décisions d'acquittement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a alors souhaité avoir des précisions sur la répartition des cent nouveaux magistrats entre le siège et le parquet et s'est demandé si les magistrats affectés aux juridictions criminelles seraient choisis parmi les nouveaux magistrats. Il s'est par ailleurs interrogé sur le choix des greffiers qui seraient nécessaires dans ces juridictions. Il s'est en outre demandé s'il était bien nécessaire de continuer à poser des questions à la formation de jugement dès lors que celle-ci devrait motiver sa décision.

Enfin, faisant référence à la discussion du projet de loi sur l'immigration, M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est ironiquement interrogé sur la possibilité d'un appel suspensif de la part du parquet en cas d'acquittement.

M. Guy Allouche a souhaité avoir des précisions sur la proposition de créer un " circuit court " de jugement dans lequel un jury populaire n'interviendrait pas.

En réponse, M. Georges Fenech , réaffirmant que l'existence d'un jury composé de cinq personnes aurait pour effet d'affaiblir le rôle des jurés a considéré qu'il était surtout essentiel de maintenir une formation de neuf jurés en appel.

En réponse à une question de M. Jacques Larché, président , M. Georges Fenech a précisé que pour les affaires pouvant donner lieu à une condamnation à une peine d'emprisonnement de 30 ans ou à la réclusion perpétuelle, la compétence juridictionnelle serait directement exercée par la cour d'assises.

M. Valéry Turcey a estimé que les cent magistrats supplémentaires devraient être affectés à la formation du siège au niveau soit de la cour d'assises soit des tribunaux d'assises. Il a considéré qu'environ 30 magistrats seraient parallèlement nécessaires pour renforcer la formation du parquet. Il a en outre regretté que les recrutements nécessaires n'aient pas encore été réalisés.

S'agissant de la liste de questions posées à la formation de jugement, M. Valéry Turcey a fait valoir que sa disparition pourrait être envisagée si la motivation était rédigée comme pour les jugements rendus par les tribunaux correctionnels.

Estimant néanmoins qu'une période transitoire devrait être prévue, M. Valéry Turcey a considéré que cette liste de questions n'était pas inutile dans la mesure où elle pouvait servir de base à la motivation de la décision.

Enfin, il a estimé qu'une procédure d'appel suspensif pour les décisions d'acquittement était concevable.

M. Jean-Pierre Boucher a indiqué que les 100 magistrats supplémentaires devraient être affectés au siège et émis des réserves sur l'idée selon laquelle le parquet pourrait faire face à la réforme sans effectif supplémentaire. Il a par ailleurs estimé que des magistrats expérimentés devraient être affectés dans les juridictions criminelles.

S'agissant de la liste de questions soumises à la formation de jugement, M. Jean-Pierre Boucher a fait valoir qu'elle pourrait constituer une aide précieuse à la réflexion, une " pré-formalisation " de la motivation et une orientation de la réflexion des jurés.

Estimant qu'il était préférable de maintenir cette procédure, M. Jean-Pierre Boucher a relevé qu'elle n'était pas en contradiction avec le principe de la motivation qui pourrait être effectuée question par question.

M. Jean-Pierre Boucher s'est déclaré opposé à toute mesure conférant un caractère suspensif à l'appel contre une décision d'acquittement, notamment à l'initiative exclusive du parquet.

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