EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
Réduction à trente-cinq heures de la durée légale hebdomadaire du travail effectif des salariés
(Art. L. 212-1 bis nouveau du code du travail)

L'article premier du projet de loi tel qu'il a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale crée un nouvel article L. 212-1 bis dans le code du travail afin de fixer la durée légale du travail effectif des salariés à trente-cinq heures par semaine à compter du 1 er janvier 2002. Cette nouvelle durée légale devrait toutefois s'appliquer dès le 1 er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés.

I - Le dispositif proposé

L'article L. 212-1 bis, à caractère normatif, n'impose pas de ramener la durée effective du travail à 35 heures : il signifie avant tout que les heures effectuées au-delà de la 35 ème devront être rémunérées en heures supplémentaires.

Les délais accordés pour l'application de la nouvelle durée, pendant lesquels l'article L. 212-1 du code du travail, qui fixe la durée légale à 39 heures, continuera à s'appliquer, visent à permettre aux entreprises de s'adapter aux nouvelles règles. Il s'agit de leur donner le temps de mettre en place une nouvelle organisation du travail, le cas échéant dans un cadre conventionnel, procédure fortement incitée par les articles 2 et 3 examinés ci-après.

Les débats à l'Assemblée nationale 47( * ) ont été l'occasion pour Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, de préciser que 13 millions de personnes étaient concernées par l'abaissement de la durée légale du travail dont 9 millions pour les entreprises de plus de vingt salariés.

Quatre points nécessitent d'être explicités.

1. Le seuil de vingt salariés

Pour justifier le délai supplémentaire accordé aux entreprises de moins de vingt salariés, le Gouvernement a mis en avant les difficultés supplémentaires que devraient rencontrer ces entreprises pour procéder aux réorganisations imposées par la réduction de la durée légale du temps de travail.

L'idée de différencier les dates d'application de l'article premier selon la taille de l'entreprise a fait l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale en dehors même du débat sur l'article premier.

D'une part, il est apparu que le choix du seuil n'avait rien d'évident : certains députés ont proposé de retenir le seuil de cinquante salariés, d'autres celui de dix salariés. D'autre part, l'idée même d'un seuil a été contestée, car elle risque en effet d'inciter certaines entreprises à maintenir leurs effectifs en dessous du seuil pour éviter d'avoir à subir les conséquences de son franchissement.

Votre commission observe en outre, comme l'a d'ailleurs fait la commission d'enquête, que ce seuil introduira des distorsions de concurrence entre les entreprises d'un même secteur situées de part et d'autre de ce seuil. Même s'il a un caractère temporaire, on ne peut exclure que cette concurrence puisse avoir des conséquences graves pour l'entreprise soumise aux surcoûts des 35 heures alors que ses concurrents directs n'y seraient pas encore.

Un amendement adopté lors de la première lecture à l'Assemblée nationale a étendu l'application anticipée de la durée légale des 35 heures aux unités économiques et sociales de plus de vingt salariés qui sont reconnues comme telles par convention ou par le juge. Non explicitée, cette notion d'unité économique et sociale pourrait laisser supposer que des personnes morales de moins de vingt salariés se verraient appliquer la nouvelle norme légale dès 2000, dès lors qu'elles seraient regroupées en un ensemble cohérent employant plus de vingt salariés.

Enfin, le seuil des vingt salariés est apprécié dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 421-1, ce qui signifie que l'effectif de vingt salariés doit avoir été atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes.

Le calcul des effectifs doit être effectué mois par mois et non en opérant une moyenne pour chacune des trois années.

2. Durée légale du travail et heures supplémentaires

·  Aux termes de l'article L. 212-1 du code du travail, la durée légale du travail effectif est fixée, depuis l'ordonnance n° 82-14 du 16 janvier 1982, à 39 heures par semaine.

Cette durée légale ne constitue ni un maximum, ni un minimum ; son franchissement a seulement pour effet de faire basculer l'employeur et le salarié dans le régime des heures supplémentaires.

Dans le cadre de la législation actuelle, les heures supplémentaires sont caractérisées par une majoration du salaire horaire de 25 % à partir de la quarantième heure et jusqu'à la quarante-septième heure incluse, cette majoration étant portée à 50 % pour les heures suivantes. Elles peuvent également s'accompagner dans certains cas d'un repos compensateur.

Le recours aux heures supplémentaires est subordonné à une double limite :

- la durée hebdomadaire moyenne de travail ne peut excéder 46 heures sur une période quelconque de douze semaines consécutives ;

- en aucun cas, la durée hebdomadaire absolue ne doit dépasser 48 heures.

·  L'abaissement de la durée légale du travail à trente-cinq heures devrait donc avoir pour conséquence directe d'augmenter, à législation inchangée, le coût du recours au facteur travail au-delà de cette durée lorsque aucun accord d'aménagement de la durée du temps de travail n'aura été négocié.
Si le projet de loi adopté en première lecture à l'Assemblée nationale devait être appliqué tel quel, il se traduirait par un décompte des heures supplémentaires à partir de la trente-sixième heure. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, les majorations de rémunérations correspondant aux trente-sixième à trente-neuvième heures devraient être au maximum de 25 %.

Ainsi, une entreprise pourrait tout à fait, à la vue du texte adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, continuer à pratiquer un horaire hebdomadaire de 39 heures, mais elle devrait alors rémunérer ses salariés sur la base de 39 heures hebdomadaires payées 40 (35 heures à taux normal + 4 heures majorées chacune de 25 %).

Le surcoût serait alors de 2,5 % et le Gouvernement assure qu'il pourra être absorbé sans difficulté par les gains de productivité, voire l'inflation 48( * ) . En outre, le contingent annuel d'heures supplémentaires, actuellement fixé à 130 heures, sauf si une convention ou un accord en dispose autrement, ne permettra pas de maintenir la durée du travail effectif à 39 heures toute l'année. En tout état de cause, l'entreprise sera prise entre ce contingent annuel, que la loi prévue en 1999 pourrait d'ailleurs modifier, et une négociation qu'elle aborde en état d'infériorité puisque, pour une large part, l'issue de cette dernière est prédéterminée.

3. La notion de durée du travail effectif

La réglementation de la durée du travail est basée sur la notion de travail effectif définie par l'article L. 212-4 du code du travail.

Cette définition de la durée du travail est particulièrement restrictive puisqu'aux termes de cet article " la durée du travail s'entend du travail effectif à l'exclusion du temps nécessaire à l'habillage et au casse-croûte ainsi que des périodes d'inaction dans les industries et commerces déterminés par décret ". Elle rapproche le travail effectif du travail productif.

La rédaction de l'article L. 212-4 résulte de l'article premier de la loi du 28 août 1942 tendant à maintenir le rendement des entreprises industrielles et commerciales. On rappellera la place importante du travail manufacturier à cette époque, en usine ou en atelier.

En application stricte de ce texte, seules les heures de travail effectif, c'est-à-dire consacrées à une activité productive, devraient être prises en compte pour l'application des dispositions relatives à la durée du travail et notamment au paiement des heures supplémentaires. Cette notion de travail effectif figure déjà à l'article L. 212-1 qui fixe la durée légale à 39 heures.

Ces règles ont toutefois connu des aménagements conventionnels variés permettant d'assimiler certains temps de simple présence dans l'entreprise à du travail effectif et d'indemniser ces temps de présence comme du temps de travail n'entrant pas dans le décompte du travail pour le déclenchement des heures supplémentaires ou le calcul des durées maximales.

Par ailleurs, de nombreux dispositifs conventionnels d'astreintes sur le lieu de travail ou à domicile ont été mis en place au fur et à mesure du développement des techniques nouvelles de production et de communication et de la pratique de la production en flux tendus.

Ces fluctuations, quant à la notion de travail effectif, ont sans doute inspiré l'amendement adopté en première lecture à l'Assemblée nationale qui a créé un article 4 bis nouveau. Cet article complète l'article L. 212-4 du code du travail précédemment évoqué en précisant la notion de travail effectif.

Votre rapporteur reviendra plus en détail sur cette notion à l'article 4 bis. Il soulignera cependant qu'il convient de ne pas confondre travail effectif, qui vient d'être défini, et durée effective, que l'on oppose généralement à durée légale, même si l'article 4 bis tend à rapprocher ces deux notions.

4. Le champ d'application de la nouvelle durée légale

Les établissements ou les professions concernés par cette disposition sont ceux mentionnés à l'article L. 200-1 du code du travail.

L'article L. 200-1 du code du travail comprend :

- les établissements industriels et commerciaux et leurs dépendances, de quelque nature qu'ils soient, publics ou privés, laïques ou religieux, même s'ils ont un caractère d'enseignement professionnel ou de bienfaisance, lorsqu'ils ne dépendent pas d'un régime législatif particulier (transports urbains, marine marchande et pêche) ou d'un régime spécial (transports routiers, navigation fluviale, mines, dockers, journalistes...) ;

- les offices publics ou ministériels ;

- les professions libérales ;

- les sociétés civiles ;

- les syndicats professionnels ;

- les associations.

Sont également soumis à ces dispositions les établissements où ne sont employés que les membres de la famille sous l'autorité soit du père, soit de la mère, soit du tuteur, même lorsque ces établissements exercent leur activité sur la voie publique.

Par ailleurs, et à l'instar de l'article L. 212-1 du code du travail, le projet d'article L. 212-1 bis fait référence, en plus des établissements et professions mentionnés à l'article L. 200-1, aux établissements agricoles, artisanaux et coopératifs, ainsi qu'à leurs dépendances.

On doit également noter que le projet d'article inclue les établissements agricoles dans le code du travail alors qu'ils bénéficiaient jusqu'alors d'un régime dérogatoire au droit commun en ce qui concerne les modalités d'application de la durée légale du travail en vertu d'une ordonnance du 30 janvier 1982. Si la durée légale du travail effectif des salariés agricoles et similaires était fixée également à trente-neuf heures par semaine, les conditions d'application de la durée du travail étaient déterminées par les articles 992 à 998 du code rural.

Le cas des hôpitaux pose un problème particulier puisque les hôpitaux privés à but lucratif et non lucratif entrent dans le champ d'application de ce projet de loi, au titre de l'article L. 200-1, alors que les établissements publics font l'objet d'une réglementation particulière qui repose sur le statut de la fonction publique hospitalière.

Le Gouvernement ayant précisé que les hôpitaux publics ne seraient pas concernés par l'abaissement de la durée légale du temps de travail, on peut s'étonner de cette différence de traitement qui semble difficilement justifiable.

Ces remarques conduisent tout naturellement à s'interroger sur les incidences des 35 heures légales sur les fonctions publiques. La question a largement été débattue à l'Assemblée nationale et a débouché sur l'adoption d'un article additionnel (art. 10 nouveau) examiné ci-après.

II - Les propositions de la commission

Pour la commission des Affaires sociales, l'article premier est l'article le plus contestable du projet de loi puisqu'il prévoit l'abaissement de la durée légale du travail. Cet abaissement ne correspond à aucune nécessité dictée par des impératifs de santé publique ou d'amélioration décisive des conditions de travail comme cela a pu être le cas dans le passé.

Quant à son impact sur l'emploi, il est très largement discuté ainsi que l'a parfaitement montré le rapport de la commission d'enquête, auquel renvoie votre rapporteur pour les analyses du fonctionnement des modèles économétriques. Pour sa part, votre commission est convaincue que cet impact pourrait être négatif, dans le prolongement de l'expérience de 1981-1982.

Pour que la réduction du temps de travail puisse être appréciée positivement, votre commission considère qu'elle doit être négociée par les partenaires sociaux, notamment comme une contrepartie à des progrès en termes de flexibilité, qu'il s'agisse d'annualisation ou d'autres disposifs de modulation. Ce " donnant-donnant " était d'ailleurs au coeur de la démarche prônée par l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 et il semble préférable de le laisser vivre.

C'est pourquoi votre commission vous propose un amendement de suppression de cet article, restituant ainsi aux partenaires sociaux le domaine de l'aménagement du temps de travail.

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