2.- La procédure

La circulaire laisse aux préfets, malgré la définition de critères de régularisation, une assez large marge d'appréciation.

En revanche, le texte comporte des règles de procédure assez précises.

Les demandeurs devaient se manifester par écrit avant le 1 er novembre 1997.

Une instruction complémentaire du 21 octobre 1997 a précisé que cette date s'entendait comme celle de la remise du courrier à la poste, et non celle de sa réception par la préfecture, celle-ci devant intervenir avant le 8 novembre.

Toutefois, la circulaire prévoit que ce délai ne s'applique pas à certaines catégories de demandeurs pour lesquels les requêtes pouvaient être reçues " jusqu'à l'entrée en vigueur des nouveaux textes législatifs ". Sont concernés les conjoints de réfugiés statutaires, les personnes invoquant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays d'origine, les malades, les étudiants et les enfants issus d'une précédente union entrés hors regroupement familial qui, dans la plupart des cas, bénéficient de plein droit de la carte de séjour depuis l'entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998.

Les demandeurs devaient ensuite être convoqués pour un entretien, à l'occasion duquel ils remettaient les pièces à l'appui de leur requête. Si l'étranger ne donnait pas suite à sa convocation, il devait être une nouvelle fois invité à se présenter dans les services, selon l'instruction complémentaire du 12 mars 1998, confirmant une pratique usuelle des préfectures. Si l'intéressé persistait à ne pas se présenter, il était alors considéré comme ayant renoncé à sa demande.

La non-réponse aux convocations semble avoir représenté dans certains départements environ 15 % du total des demandes. Elle peut provenir soit d'une prise de conscience par le demandeur de ce qu'il ne répond pas aux critères -la présentation médiatique initiale ayant pu laisser penser que la régularisation serait automatique-, soit de courriers retournés avec la mention " n'habite pas à l'adresse indiquée ", pouvant notamment concerner des demandeurs ne résidant pas en France. On peut aussi imaginer qu'un demandeur, prenant prétexte d'un changement d'adresse, puisse avoir présenté une nouvelle demande dans un département réputé moins rigoureux.

Dans un premier temps, l'objet de cet entretien individuel n'a pas été apprécié de la même manière dans toutes les préfectures.

Pour certaines d'entre elles, l'entretien s'est limité à la mise en état du dossier, ou à un rendez-vous pour signification de la décision de refus.

Les difficultés ont pu parfois provenir de l'absence de locaux adaptés.

Le ministère de l'Intérieur a dû renouveler ses instructions pour que l'entretien constitue un véritable examen de situation, ce qu'il était, dès le départ, dans la plupart des préfectures.

L'entretien individuel, pratiqué à la suite de ces instructions complémentaires comme des examens de situation, a permis d'apporter des éléments déterminants dans l'appréciation des situations individuelles, en particulier lorsqu'il s'agissait de décider à partir d'un faisceau d'indices ou de juger du caractère probant des preuves apportées.

Le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques a indiqué à la commission d'enquête, lors de son audition du 7 mai 1998, que la mauvaise perception initiale de la portée des entretiens individuels avait contribué à de nombreux retards dans certaines préfectures, celles-ci ayant dû, le cas échéant, à nouveau convoquer les intéressés.

L'entretien individuel était organisé, suivant les moyens dont disposaient les préfectures, soit dans les locaux habituels, soit dans des lieux spécialement aménagés.

Les entretiens individuels à Paris

Le requérant était convoqué dans l'un des six centres de réception des demandes, même si son dossier n'était pas complet.

L'étranger était entendu à un guichet.

Si nécessaire, il était convoqué une nouvelle fois, ce qui s'est produit dans 15 % des cas.

En moyenne, l'entretien durait une vingtaine de minutes.

L'étranger pouvait se faire assister par une personne de son choix et, le cas échéant, se faire accompagner par un interprète.

La circulaire spécifie que la charge de la preuve incombe aux demandeurs et que les services apprécient la valeur probante des documents présentés.

Il est donc intéressant de voir quelles preuves ont pu être demandées par les préfectures et comment celles-ci ont apprécié l'authenticité des documents présentés.

A cet égard, l'exemple de la préfecture du Rhône peut apparaître assez significatif.

L'appréciation du caractère probant
des justificatifs à Lyon

Des formulaires spécifiant les pièces réclamées à l'appui des demandes présentées au titre des différents critères de la circulaire ont été fournis aux candidats.

Quelques observations peuvent être faites à leur sujet.

La communauté de vie était justifiée par la présentation de documents portant les deux noms (déclaration de revenus, avis d'imposition, bail, compte bancaire...).

Les ressortissants d'un État dont la loi autorise la polygamie devaient joindre une déclaration sur l'honneur selon laquelle ils ne vivaient pas en France en état de polygamie.

La présence en France était justifiée par des certificats médicaux, des factures, attestations d'organismes divers, avis d'imposition...

La présence des enfants en France était établie par la production de certificats de scolarité ou d'attestations indiquant que l'enfant vivait sous le toit du demandeur, accompagnés de documents probants d'un organisme ayant à connaître la situation de l'enfant (services sociaux...).

En cas de logement assuré par un tiers, une attestation d'hébergement sur l'honneur était accompagnée d'un justificatif de domicile de l'hébergeant.

L'ancienneté de séjour était justifiée par celles des ressources, du domicile, de l'imposition et par les certificats de scolarité ou de santé de l'enfant.

Dans tous les cas, un passeport ou une carte d'identité était demandé ainsi qu'un livret de famille ou une fiche familiale d'état civil du demandeur et, le cas échéant, un extrait d'acte de naissance et une fiche individuelle d'état civil de l'enfant.

Le parent naturel devait prouver son autorité parentale et sa contribution aux besoins de l'enfant.

Les parents d'enfants nés en France devaient attester sur l'honneur que ceux-ci vivaient sous leur toit et étaient à leur charge.

L'absence de charge de famille en France était justifiée par une attestation sur l'honneur.

Pour les étrangers atteints d'une pathologie grave nécessitant un traitement de longue durée, la présence en France depuis au moins un an devait être établie. Ces personnes devaient présenter un certificat médical circonstancié sous pli confidentiel libellé à l'attention du médecin de l'administration.

L'étudiant devait produire ses cartes d'étudiant ou ses certificats d'inscription depuis l'année de refus de son titre de séjour, ainsi que ses diplômes ou relevés de notes, pour la même période.

Les services ont affirmé que les faux documents étaient facilement détectés.

Les bulletins de salaires étaient présentés, s'agissant de personnes en situation irrégulière au moment de leur demande, pour des périodes où ils étaient en situation régulière.

Pour la situation fiscale, la réception de la déclaration et, le cas échéant, le paiement pouvaient être aisément contrôlés.

La conformité des copies à l'original était vérifiée.

Le contrôle sur place de la véracité des pièces a été rarement engagé. Néanmoins, 140 enquêtes de police avaient été diligentées pour vérification, lors de la visite de la délégation, le 12 février 1998.

La plus grosse difficulté rencontrée portait sur les preuves de la résidence en France.

Dans les autres préfectures visitées, la méthode d'examen des preuves était, dans l'ensemble, comparable, même si quelques différences mineures ont pu apparaître.

Ainsi, la préfecture de Lille, contrairement aux autres, ne présentait pas de liste indicative des pièces à fournir, laissant à l'étranger l'initiative des preuves à présenter.

Les preuves de la réalité du séjour ainsi que de l'activité professionnelle, le plus souvent clandestine, ont été les plus difficiles à apporter.

A cet égard, s'est bien évidemment posée la question de l'authenticité des documents présentés, singulièrement des feuilles de salaires.

En revanche, la preuve de la scolarisation des enfants, par exemple, a souvent pu être vérifiée par téléphone.

Lorsque la communauté de vie apparaissait douteuse, des enquêtes de police ont pu être diligentées.

Le malaise du personnel des préfectures, selon l'Inspection générale
de l'administration du ministère de l'Intérieur

L'Inspection générale de l'administration a relevé un certain malaise de bon nombre d'agents " face à la production de documents d'origine très douteuse (y compris présentant un caractère officiel ou émanant massivement de tel ou tel médecin ou de tel ou tel employeur). Un tel sentiment s'explique d'autant plus facilement que, de la consultation des dossiers de demandes de régularisation à laquelle les membres de la mission se sont livrés à l'occasion de leurs déplacements, il ressort que la justification du séjour en France s'est fréquemment fondée sur la production de fiches de paie et de documents de même nature à l'authenticité douteuse (notamment des fiches de paie dépourvues de n° SIRET ou URSSAF, de la référence à la convention collective applicable, etc.). "

La circulaire invite les préfectures à recueillir, si nécessaire, l'avis des services sociaux sur la situation des familles et des personnes concernées.

Il ne semble pas, d'une manière générale, que cette possibilité ait été beaucoup utilisée. On notera toutefois que la préfecture des Hauts de Seine a attaché une certaine importance à cette possibilité de recourir à une enquête sociale de la DDASS, même si les délais se sont avérés longs (parfois plusieurs mois), surtout à partir du mois de janvier avec la mise en place du plan d'urgence sociale.

Le ministre de l'Intérieur, dans sa réponse à une question écrite de notre collègue M. Robert Pagès concernant la situation des demandeurs ne résidant plus en France parce qu'ils avaient été frappés par un arrêté de reconduite à la frontière , a indiqué qu'il pouvait se faire que des étrangers rentrés dans leur pays d'origine reçoivent une convocation de la part de la préfecture dont ils relevaient avant leur départ. Il a ajouté qu'il paraissait " difficile de refuser aux intéressés de voir leur dossier examiné par les services compétents ", la personne concernée pouvant, si nécessaire, être auditionnée par le poste consulaire (J.O. Questions Sénat, 12 mars 1998, p. 848).

Il était donc admis qu'un étranger résidant hors de France puisse bénéficier d'une régularisation.

L'étranger ayant fait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire devait préalablement avoir obtenu de la juridiction compétente le relèvement de cette interdiction.

L'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière ne faisait pas obstacle à l'instruction d'une demande de régularisation , étant précisé qu'en cas d'interpellation, la demande était instruite en urgence pendant la durée de la rétention administrative. On notera cependant que, dans certains cas, le demandeur interpellé n'a pas fait l'objet de cette procédure d'urgence et que son éventuelle rétention a été différée jusqu'à l'issue de l'examen de sa requête.

On peut à cet égard se demander s'il était vraiment nécessaire de prévoir expressément la possibilité de régulariser une personne en instance d'éloignement du territoire.

Les décisions prises devaient, aux termes de la circulaire, être fondées sur l'ordonnance du 2 novembre 1945 et les conventions internationales, ratifiées par la France, en particulier la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, notamment son article 8.

Lorsque l'instruction du dossier conduisait à une décision de régularisation, les services délivraient un récépissé de demande de titre de séjour et abrogeaient, le cas échéant, la mesure de reconduite.

Puis, les étrangers étaient invités à passer la visite médicale habituelle organisée par l'OMI.

La tarification de la visite médicale, destinée à contribuer au financement des actions de l'OMI en matière d'immigration, a été fixée à 1.050 F par adulte ou 1.750 F par famille.

Avant de recevoir son titre de séjour, l'étranger devait également acquitter, selon le droit commun, 1.300 F au titre des droits de chancellerie et un timbre fiscal de 220 F.

L'instruction des dossiers à Lille

Un accusé de réception était adressé au demandeur. Ce document ne valait pas titre de séjour provisoire, mais pouvait être présenté en cas de contrôle d'identité. La préfecture ne prenait pas de mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont une demande de régularisation était en instance.

La demande était enregistrée sur un fichier créé spécialement pour l'opération et portée sur le fichier de l'application de gestion des dossiers de ressortissants étrangers en France (AGDREF) après recherche d'éventuels dossiers précédents relatifs au séjour des étrangers (demande de titre, mesure d'éloignement).

Le cas échéant, la demande était réorientée vers la préfecture compétente.

Un extrait de casier judiciaire était demandé (B2).

Les étrangers étaient convoqués dans un délai d'un mois environ.

Un service d'accueil spécifique a été créé pour les demandeurs non connus du service des étrangers. Ceux qui avaient déjà fait l'objet d'un dossier étaient reçus dans les locaux habituels du service.

Après l'entretien, les dossiers étaient instruits par les agents de la préfecture. Chacun faisait l'objet d'une fiche synthétique comportant une proposition de décision.

Le dossier était ensuite vérifié par le chef de section ( " régime général " et " Algériens " ) puis soumis au chef du bureau des étrangers ou à son adjoint. La régularisation était décidée par le chef de bureau ou par le directeur de la réglementation.

En cas de refus, la décision finale appartenait au secrétaire général de préfecture.

Une réunion hebdomadaire, à laquelle participaient le directeur de la réglementation, le chef du bureau des étrangers et son adjoint, les chefs de section ainsi que l'agent responsable du contentieux, permettait l'examen des dossiers difficiles.

Les dossiers les plus délicats -notamment ceux soulevant une question de principe- faisaient l'objet d'une note adressée à la hiérarchie ou étaient examinés au sein d'une commission composée du directeur de cabinet, du secrétaire général, du directeur de la réglementation et du chef de bureau des étrangers.

Les services de la préfecture se refusaient à tout contact avec les associations et entendaient se situer strictement dans le cadre des critères de la circulaire.

Seul le cabinet du préfet assurait les relations avec les associations souhaitant soutenir tel ou tel dossier, mais se refusait toutefois à quelque forme de cogestion.

Au total, quelques centaines de dossiers ont été défendus par des associations, mais les demandes étaient présentées par les intéressés seuls.

Quelques avocats ont aussi suivi certains dossiers.

Par ailleurs, la circulaire annonce l'attribution de moyens supplémentaires pour permettre la mise en oeuvre de cette opération par les préfectures, notamment par le développement du préaccueil organisé par les agents de l'OMI.

Enfin, les services sociaux ont été chargés d'assurer un " suivi social " des personnes régularisées.

Votre rapporteur développera ultérieurement ces deux points.

Que deviendront les dossiers
des non régularisés ?

Au cours de son audition par la commission d'enquête, le 12 mai 1998, M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, a indiqué que les dossiers individuels seraient exploités pour une étude approfondie sur l'immigration clandestine, par l'Institut des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure et par le CNRS.

Il n'a pas formulé d'objection de principe à la destruction de ces dossiers après leur exploitation aux fins d'étude, sous réserve des contraintes fixées en matière d'archives par la loi du 3 janvier 1979.

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