Article 3
Champ de la loi organique définissant, pour une période de vingt ans, le statut de la Nouvelle-Calédonie

L'article 3 du projet de loi initial prévoit qu'après approbation de l'accord de Nouméa par voie de consultation référendaire prévue à l'article 2 et devant intervenir avant la fin de l'année 1998, une loi organique déterminera le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie " dans la mesure nécessaire à la mise en oeuvre " de l'accord de Nouméa. Cette loi organique sera prise " après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie ", c'est-à-dire, selon le statut actuel, après avis du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Cette précision procédurale peut paraître superfétatoire dans la mesure où, tant que le nouveau statut n'est pas adopté, les procédures doivent continuer à s'appliquer faute de quoi la Nouvelle-Calédonie se trouverait confrontée à un vide juridique entre l'adoption de la révision constitutionnelle et celle de la loi organique.

Les différents points composant le statut relevant de cette loi organique sont ensuite énumérés :

- les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie ainsi que le calendrier et les modalités de ces transferts, en particulier la répartition des charges en résultant ;

- les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions, et notamment la procédure selon laquelle certaines catégories d'actes de la nouvelle assemblée locale pourront être soumises " au contrôle préalable " du Conseil constitutionnel ;

- les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;

- les autres conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie auront à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.

Les autres mesures nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa sont renvoyées à une loi simple.

• Concernant la répartition et les transferts de compétences , le point 3 de l'accord de Nouméa distingue, en procédant par voie d'énumération, trois catégories : les compétences transférées, avec celles faisant l'objet d'un transfert immédiat et celles transférées dans une seconde étape ; les compétences partagées entre l'État et la Nouvelle-Calédonie ; les compétences régaliennes (justice, ordre public, défense, monnaie et affaires étrangères) qui ne pourront être transférées que lors de l'éventuelle accession à la souveraineté.

Il est en outre prévu que l'assemblée délibérante puisse demander à la majorité qualifiée des trois cinquièmes, d'une part, la modification de cet échéancier, et d'autre part, une compensation financière des charges afférentes à ces nouvelles compétences, le principe de cette compensation devant être constitutionnellement garanti.

Le point 5 de l'accord prévoit enfin le caractère irréversible de la nouvelle organisation politique progressivement mise en place, cette irréversibilité bénéficiant également d'une garantie constitutionnelle.

Ces deux garanties figurent bien au deuxième alinéa de l'article 3 du projet de loi qui dispose que les compétences transférées le seront de façon définitive et que la loi organique devra fixer la répartition des charges. On observera cependant que, bien qu'inscrit dans la Constitution, ce principe d'irréversibilité n'est pas exclu du champ de la révision constitutionnelle contrairement à " la forme républicaine du Gouvernement ", aux termes du dernier alinéa de l'article 89.

• Concernant les règles d'organisation et de fonctionnement des nouvelles institutions et le régime applicable à certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante, le point 2 de l'accord apporte un certain nombre de précisions : il modifie la composition des assemblées provinciales ; il fixe à cinq ans la durée du mandat des membres du Congrès et des assemblées de province ; il prévoit l'instauration d'un Sénat coutumier et d'un conseil économique et social obligatoirement consulté sur les délibérations à caractère économique et social du Congrès ; il précise que l'exécutif sera confié à un gouvernement collégial, élu à la proportionnelle par le Congrès et responsable devant lui. L'accord de Nouméa prévoit en outre que " certaines délibérations du Congrès auront le caractère de loi du pays et de ce fait ne pourront être contestées que devant le Conseil constitutionnel avant leur publication, sur saisine du représentant de l'État, de l'Exécutif de la Nouvelle-Calédonie, d'un président de province, du président du Congrès ou d'un tiers des membres du Congrès ".

Comme l'avait suggéré le Président et le rapporteur de votre commission des Lois, l'Assemblée nationale a adopté sur le deuxième alinéa de l'article 3 un amendement tendant à préciser que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur certains actes de l'assemblée délibérante ne pourra intervenir qu'entre leur adoption par cette assemblée et leur publication . Il avait en effet semblé à votre commission que la rédaction du projet de loi initial pouvait laisser présumer que ce contrôle interviendrait en amont de la procédure, avant même le vote d'adoption.

Cette procédure, concernant des actes pris par une assemblée locale, est tout à fait novatrice. Elle consacre l'apparition d'une nouvelle hiérarchie des normes, spécifique à la Nouvelle-Calédonie, certains actes que la loi organique devra définir étant soumis au contrôle du Conseil constitutionnel à l'instar des lois adoptées par le Parlement. La traduction de ce dispositif dans la loi organique statutaire sera un exercice délicat car il faudra distinguer entre ces actes, désignés dans l'accord de Nouméa sous la dénomination de " lois du pays ", et ceux qui demeureront des actes de nature administrative. Quel que soit le degré de précision de la loi organique, un tel dispositif laisse entrevoir le développement d'une jurisprudence constitutionnelle relative au contentieux de la recevabilité.

• Concernant les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier qui devront être définies par la loi organique, l'accord de Nouméa énonce un certain nombre de principes et de modalités.

Aux termes du point 2 de cet accord, " l'un des principes de l'accord politique est la reconnaissance d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie " qui " traduit la communauté de destin choisie ". Cette citoyenneté se commuerait en nationalité à la fin de la période d'application de l'accord, en cas d'accession à la souveraineté. Il est précisé qu'au cours de cette période " la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays et pour la consultation finale " et constitue " une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local ".

Ce même point de l'accord de Nouméa précise la composition du corps électoral en distinguant les consultations relatives à l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie intervenant à l'expiration de la période d'application de l'accord et les élections aux assemblées de provinces et au Congrès.

Concernant la consultation finale , appartiendront au corps électoral les personnes inscrites sur les listes électorales à la date de la consultation remplissant les conditions alternatives suivantes :

- avoir été admis à participer à la consultation référendaire de 1998, ce qui nécessite d'être inscrit sur les listes électorales à cette date et de pouvoir justifier alors d'une domiciliation en Nouvelle-Calédonie depuis la date du référendum ayant approuvé la loi statutaire du 9 novembre 1988,

ou

avoir rempli les conditions pour participer à cette consultation de 1998, sauf à pouvoir justifier que les interruptions dans la continuité de la domiciliation résultent de contraintes professionnelles ou familiales ;

- les personnes relevant du statut coutumier ou nées en Nouvelle-Calédonie qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;

- celles qui, ayant le centre de leurs intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie, n'y sont pas nées mais ont un de leurs parents qui y est né ;

- les jeunes atteignant la majorité électorale qui, s'ils sont nés avant 1988, auront eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ou, s'ils sont nés après 1988, ont eu un de leurs parents qui remplissait ou aurait pu remplir les conditions pour voter au scrutin de 1998 ;

- les personnes qui pourront justifier, en 2013, de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie.

Concernant les élections aux assemblées de provinces et au Congrès , le corps électoral est ainsi composé :

- les personnes remplissant les conditions pour participer au scrutin de 1998 ;

- les personnes qui rempliront une condition de domiciliation d'une durée de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection ;

- les personnes atteignant l'âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit, auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe, justifieront d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection.

La référence constitutionnelle au régime électoral s'avérait nécessaire dans la mesure où la possibilité de définir un corps électoral restreint déroge au principe fondamental de l'égalité de tous les citoyens français devant le droit de suffrage. Il convient de préciser, comme l'ont observé certains responsables politiques locaux lors de la mission de la commission des Lois en Nouvelle-Calédonie, que la définition du corps électoral relative aux élections locales aura pour effet de priver du droit de participer à ces élections des personnes ayant voté en 1995.

Le point 3 de l'accord de Nouméa place en tête des compétences immédiatement transférées le droit à l'emploi . Il précise que " la Nouvelle-Calédonie mettra en place, en liaison avec l'État, des mesures destinées à offrir des garanties particulières pour le droit à l'emploi de ses habitants ", la réglementation sur l'entrée des personnes non établies en Nouvelle-Calédonie devant être confortée et le droit d'établissement pour les professions indépendantes pouvant être restreint concernant ces mêmes personnes. Il prévoit également que " pour les salariés du secteur privé et pour la fonction publique territoriale, une réglementation locale sera définie pour privilégier l'accès à l'emploi des habitants ".

Ces restrictions en matière d'accès à l'emploi et de liberté d'établissement rendait indispensable une mention dans la Constitution permettant de déroger au principe d'égalité.

Le point 1 de l'accord de Nouméa tend à prévoir une exception au principe posé par l'article 75 de la Constitution aux termes duquel " les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun (...) conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé ". Il s'agit de permettre à toute personne susceptible de relever du statut coutumier (jusqu'alors dénommé statut civil particulier) qui y aurait renoncé ou en aurait été privée à la suite d'une renonciation faite par ses ancêtres, par mariage ou par toute autre cause, d'en bénéficier à nouveau.

On peut observer que si dans son esprit l'article 75 avait pour objet de faire progressivement accéder tous les citoyens de la République au statut civil de droit commun, sa lettre n'interdit pas aux personnes relevant de ce statut de droit commun de retrouver le bénéfice du statut coutumier. La mention de cette dérogation dans la Constitution ne paraissait donc pas indispensable. En revanche, la mise au point d'un dispositif relatif à l'accès au statut coutumier dans la loi organique sera délicate : il paraît en effet nécessaire d'éviter qu'une même personne puisse changer de statut civil à plusieurs reprises car cela créerait des situations juridiques inextricables et serait source d'un contentieux abondant.

• Concernant l'accession à la pleine souveraineté à l'issue de la période d'application de l'accord de Nouméa, l'article 3 du projet de loi renvoie à la loi organique la définition des conditions et des délais dans lesquels les populations intéressées seront amenées à se prononcer.

Le point 5 de l'accord prévoit qu'au cours du quatrième mandat du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire pendant la période quinquennale suivant la quinzième année, une consultation électorale sera organisée. La date en sera déterminée par le Congrès à la majorité qualifiée des trois cinquièmes et, à défaut d'avoir été fixée par celui-ci avant la fin de la dix neuvième année, il reviendrait à l'État de l'arrêter, la consultation ayant alors lieu au cours de la vingtième année.

L'objet de la consultation est défini de la façon suivante : " le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité ", c'est-à-dire l'accès à la pleine souveraineté.

Il est précisé qu' " une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global ". Le destin des trois provinces sera donc solidaire quelles que soient les disparités dans les réponses à la question posée susceptibles de résulter des différences de majorités politiques.

Si la réponse à la première consultation était négative, les électeurs se prononçant majoritairement contre l'accession à la souveraineté, le tiers du Congrès pourra provoquer l'organisation d'une nouvelle consultation au cours de la deuxième année suivant ce premier scrutin. Si la réponse était à nouveau négative, une troisième consultation pourrait être organisée aux mêmes conditions de procédure et de délais. En cas de nouvel échec, les partenaires politiques se réuniraient pour examiner la situation. Pendant toute cette période, la Nouvelle-Calédonie continuerait à être régie par l'organisation politique mise en place en application de l'accord de Nouméa.

Le dispositif proposé est donc clairement orienté vers une émancipation, à terme, de la Nouvelle-Calédonie, sous réserve de la consultation de ses habitants.

Outre la clarification déjà signalée concernant la procédure de contrôle de certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante calédonienne par le Conseil constitutionnel, l'Assemblée nationale a également précisé par voie d'amendement que les dispositions de la loi organique devraient avoir pour objectif d'assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie " dans le respect des orientations définies par (l') accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre " et pas seulement " dans la mesure nécessaire à la mise en oeuvre de (l') accord " comme le prévoyait le projet de loi initial.

Cette modification reprend les termes figurant initialement à l'article premier et tend à permettre que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur la loi organique inclue la vérification du respect par ses dispositions des orientations de l'accord de Nouméa.

Par coordination avec le rétablissement du titre XIII au sein de la Constitution, l'Assemblée nationale a également intégré sous un article 77 les dispositions figurant à l'article 3 du projet de loi.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter conforme l'article 3.

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