B. UNE FRAGILISATION RÉSULTANT DES ORIENTATIONS DU GOUVERNEMENT

1. Le poids des charges nouvelles

Les collectivités locales supportent de plus en plus de charges résultant de décisions de l'Etat qui ne s'accompagnent pas de transferts de ressources. La plus pénalisante pour les budgets locaux est l'augmentation des dépenses de personnel résultant des dispositions de l'accord salarial du 10 février 1998. Cet accord s'applique aux agents de la fonction publique territoriale alors que les collectivités locales n'ont pas participé à sa négociation.

Le coût total pour les collectivités de l'accord de février 1998 s'élève à 9,5 milliards de francs sur trois ans, dont 4 milliards de francs en 1999 et 3,2 milliards de francs en 2000. Il est intéressant de relever que ce coût est supérieur à l'augmentation de la principale dotation de fonctionnement de l'Etat aux collectivités locales, la DGF.

En outre, les collectivités locales doivent supporter la charge du recrutement des emplois-jeunes qui, selon la direction de la comptabilité publique, a conduit à majorer le coût des charges de personnel de 0,6 % en 1998.

L'exemple des conséquences des décisions du gouvernement en matière de rémunérations des agents est particulièrement révélateur. En effet, alors que depuis le milieu des années 90 les collectivités locales ont mené une politique de désendettement et de maîtrise des dépenses de fonctionnement qui leur a permis de dégager l'épargne nécessaire à une reprise de l'investissement largement autofinancée, le gouvernement leur impose des décisions qui contribuent à une rigidification nouvelle de leurs dépenses.

Cet exemple n'est cependant pas le seul. Ainsi, les collectivités locales supporteront en 2000 une hausse de leurs cotisations à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui devrait représenter une charge supplémentaire de 1,1 milliard de francs sur deux ans, dont 550 millions de francs dès 2000.

Les collectivités doivent également supporter le coût croissant de la départementalisation des services d'incendie et de secours (SDIS), initialement estimé à 11,6 milliards de francs. Cette prévision est aujourd'hui dépassée 41( * ) , à tel point que le ministre de l'intérieur a annoncé la création d'une commission de suivi et d'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme des SDIS. Lors de son audition par votre commission des finances, le 2 novembre 1999, le ministre de l'intérieur a également déclaré étudier les modalités de la création d'une dotation globale d'équipement spécifique aux SDIS.

Enfin, les investissements des collectivités locales sont largement dictés par la nécessité d'adapter les équipements existant aux évolutions des normes techniques établies par les administrations centrales. Selon une étude du Crédit local de France et du cabinet Arthur Andersen réalisée pour le compte de la fédération des villes moyennes, le coût des investissements nécessaires s'élève à 140 milliards de francs entre 1999 et 2005.

La reprise de l'investissement des collectivités locales depuis 1997 est principalement justifiée par ces contraintes de mise aux normes des équipements. Compte tenu du caractère parfois contestable de l'élaboration par les administrations centrales de normes qui s'imposent aux collectivités locales, il est à craindre que les investissements ainsi réalisés ne correspondent pas toujours à une allocation optimale des ressources, alors même que les besoins sont importants, notamment dans des domaines tels que les transports en commun et les télécommunications.

2. L'asphyxie financière

Les orientations du gouvernement actuel en matière de finances locales sont difficilement compréhensibles. Alors que l'évolution des charges des collectivités est manifeste, et que les besoins d'investissement non satisfaits le sont tout autant, le gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale ont retenu pour " l'enveloppe normée " des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales un taux de progression qui conduit à réduire d'année en année le montant de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP. Ainsi, en 2000, le montant des dotations de l'Etat regroupées dans l'enveloppe normée n'augmentera que de 1,475 %, soit 2,4 milliards de francs.

Le taux de progression de l'enveloppe normée est défini par l'article 57 de la loi de finances pour 1999, qui institue le " contrat de croissance et de solidarité ". Il est calculé en tenant compte de l'évolution des prix pour l'année à venir et d'une fraction du taux de croissance du PIB de l'année en cours. Pour 2000, le contrat de croissance fixe cette fraction à 33 %. Le Sénat avait estimé que le taux à retenir était celui de 50 %, qui aurait permis d'indexer de la même manière l'enveloppe normée et la DGF, ce qui permettrait d'enrayer la baisse de la DCTP.

L'application de taux de progression insuffisants aux dotations de l'Etat s'accompagne d'une volonté de ne pas faire profiter les collectivités de l'augmentation des bases de la fiscalité directe, qui s'établit à 3,8 % en 1999 contre 3,2 % en 1998. En effet, le gouvernement a décidé de supprimer progressivement un tiers de l'assiette de la taxe professionnelle et a réduit les taux des droits de mutation perçus par les départements et les régions. Les compensations versées en contrepartie sont indexées sur le taux de progression de la DGF, qui est nettement inférieur à celui de l'augmentation des bases 42( * ) .

3. L'incertitude sur le niveau des taux d'intérêt

La capacité de financement dégagée par les collectivités locales depuis 1997 est largement due à la politique de gestion active de leur dette par les collectivités locales. Une telle politique n'est réellement profitable que dans un contexte de baisse des taux d'intérêt. Or, la poursuite du mouvement de baisse n'est pas acquise, comme en témoigne la décision de la Banque centrale européenne prise le 4 novembre 1999 de porter le principal taux directeur de la zone euro de 2,5 % à 3 %.

Lors de son audition par la mission d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation, notre collègue Joël Bourdin, en sa qualité de rapporteur de l'Observatoire des finances locales, a " insisté sur le fait que l'amélioration de l'épargne des collectivités locales reposait principalement sur l'évolution des taux d'intérêt et que ce facteur ne serait pas forcément favorable dans l'avenir. Il a ajouté que le taux d'épargne des collectivités locales allait certainement se dégrader sous l'effet de la reprise de l'investissement ".

Une dégradation du taux d'épargne des collectivités locales conduirait à réduire la part de leur excédent comptable en pourcentage, et par conséquent à prolonger la tendance à la baisse enregistrée entre 1998 et 1999.

En faisant supporter aux collectivités locales des charges nouvelles supérieures à l'évolution de leurs ressources, le gouvernement prend le risque de " scier la branche sur laquelle il est assis " et de réduire, à terme, ses propres marges de manoeuvre car :

- si l'accroissement des charges devait remettre en cause la reprise de l'investissement local, qui est une composante centrale du dynamisme de notre pays, la croissance du produit intérieur brut pourrait en être affectée ;

- si l'excédent comptable des collectivités locales disparaissait, l'Etat devrait réduire davantage ses propres dépenses pour continuer à respecter son objectif de réduction progressive du déficit des administrations publiques en pourcentage du PIB.

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