C. LE FINANCEMENT DES 35 HEURES N'EST PAS ASSURÉ

La réduction du temps de travail est l'autre priorité du gouvernement en matière d'emploi. Il s'agit de " promouvoir l'emploi par la réduction négociée du temps de travail et les allégements de charges sociales ".

Or, seuls 4,3 milliards de francs sont inscrits au budget de l'emploi pour 2000 au titre du passage aux " 35 heures ", alors que son coût est estimé à 65 milliards de francs pour l'année prochaine.

Votre rapporteur spécial souhaiterait rappeler les modalités du financement des 35 heures telles qu'elles étaient prévues par le gouvernement. Dans son projet initial

Elles sont relativement complexes car elles reposent en grande partie sur les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, et, surtout, sur un raisonnement postulant le succès du le passage aux 35 heures, le dispositif s'autofinançant en partie.

Trois éléments sont à distinguer :

- le coût des allégements de charges sociales existants ;

- celui de l'extension des mesures d'allégement ;

- et celui des aides à la réduction du temps de travail proprement dites.

Ces deux derniers points recouvrent le financement des 35 heures.

La création d'un fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale

Afin d'individualiser le coût des allégements, présents et à venir, des charges sociales, le gouvernement a décidé de créer, dans le PLFSS pour 2000, un fonds de financement auquel sera affecté l'ensemble des recettes destinées à financer cette mesure d'allégement. Le gouvernement reconnaît ainsi, implicitement, la pertinence d'une telle disposition en matière de créations d'emplois.

Les dépenses engagées au titre de la " ristourne dégressive " dite Juppé (allégement de charges sociales jusqu'à 1,3 SMIC), soit 39,5 milliards de francs , seraient ainsi " sorties " du budget de l'emploi et supportées par le fonds de financement.

Par ailleurs, l'allégement des charges sociales serait étendu de 1,3 à 1,8 SMIC, soit un coût estimé à 7,5 milliards de francs en 2000.

Cette mesure bénéficierait uniquement aux entreprises passées aux 35 heures
, les autres continuant à bénéficier de la " ristourne Juppé " jusqu'à 1,3 SMIC.

Pour l'année 2000, le coût total des allégements de charges sociales, supporté par le nouveau fonds, devrait donc s'établir à 47 milliards de francs.

Cette mesure sera financée, en partie, par un transfert de ressources de l'Etat au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale .

La plus grande part, soit 39,5 milliards de francs, des 46,2 milliards de francs attendus par l'Etat en 2000 au titre du droit de consommation sur les tabacs manufacturés sera affectée au fonds de financement, afin de financer la " ristourne Juppé ".

Une autre partie du produit du droit de consommation sur les tabacs sera affecté, d'une part, à la caisse nationale d'assurance maladie, à hauteur de 3,5 milliards de francs, afin de compenser la perte des cotisations d'assurance personnelle précédemment versées par les départements et l'Etat et supprimées par la loi créant la couverture maladie universelle, et, d'autre part, au fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante créé par la loi de financement de la sécurité sociale, pour un montant de 200 millions de francs.

D'une manière générale, les mesures d'allégements de charges sociales devraient être favorables à l'emploi, puisqu'elles élargissent la zone de dégressivité de l'allégement sur les bas salaires et transposent, sous la forme d'un allégement général, l'idée de la franchise de cotisations.

Il apparaît cependant que le financement de ces mesures n'est que partiel.

En effet, l'affectation de 39,5 milliards de francs sera insuffisante, le coût de l'ensemble de ces allégements de charges sociales s'établissant à 47 milliards de francs en 2000.

La différence, soit 7,5 milliards de francs, ne pourra être financée que par la création de deux nouveaux prélèvements :

- en premier lieu, l' " écotaxe " , c'est-à-dire l'extension, en 2000, de l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) aux granulats, aux phosphates et aux produits phytosanitaires (puis à la consommation d'énergie en 2001), serait à la charge des entreprises et devrait engendrer un produit fiscal estimé à 3,2 milliards de francs en 2000 ;

- en second lieu, une contribution sociale, au taux de 3,3 %, sur les bénéfices des sociétés réalisant plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires viendrait prendre le relais de la surtaxe temporaire sur les bénéfices des sociétés instaurée en 1997, et devrait rapporter 4,3 milliards de francs - cela maintiendrait l'imposition des bénéfices des sociétés à un haut niveau.

Le total de ces recettes nouvelles, affectées au fonds de compensation des exonérations de charges sociales servirait à financer l'extension de l'allégement des charges sociales de 1,3 à 1,8 SMIC, réservée aux seules entreprises qui passent aux 35 heures.

A terme, c'est-à-dire à partir de 2002, ces recettes devraient s'établir à 25 milliards de francs, soit 12,5 milliards de francs pour chacune des deux impositions.

Un financement en grande partie incertain

L'aide incitative à la réduction du temps de travail
- aide pérenne et générale, appelée aide structurelle - prendrait, quant à elle, la forme d'un allégement des cotisations patronales de 4.000 francs par salarié et par an, et sera réservée, ici encore, aux entreprises passées aux 35 heures : son coût est évalué à 17,5 milliards de francs en 2000, mais à 40 milliards de francs en 2002.

Le financement de l'aide structurelle serait assuré
de deux manières :

- par une dotation budgétaire de 4,3 milliards de francs , qui est inscrite au budget de l'emploi pour 2000, et qui peut être considérée comme une subvention de l'Etat au fonds de compensation des exonérations de charges sociales (par ailleurs, 2,5 milliards de francs sont destinés aux aides incitatives à la réduction du temps de travail dans le cadre de la loi Robien mais n'ont pas vocation à être intégrés dans le nouveau fonds 78( * ) ) ;

- par une mise à contribution des organismes de protection sociale, évaluée entre 13,5 et 15,5 milliards de francs : l'UNEDIC pour un montant compris d'environ 8 milliards de francs (les négociations sont en cours), et les caisses de sécurité sociale à hauteur de 5,5 milliards de francs.

Le gouvernement argue en effet que, en raison des moindres dépenses et des suppléments de recettes résultant, pour les régimes sociaux, des créations d'emplois engendrées par la réduction du temps de travail, les organismes de protection sociale doivent participer au financement des 35 heures. Le gouvernement parle du " recyclage " des économies de la sécurité sociale.

Or, ce " recyclage ", parfois aussi appelé " autofinancement ", est particulièrement hasardeux : il constitue un véritable pari, reposant sur le présupposé d'une corrélation quasi mécanique et proportionnelle entre réduction du temps de travail et créations d'emplois.

En tout état de cause, les partenaires sociaux sont opposés à cette formule, que notre commission avait critiquée dans le rapport relatif au débat d'orientation budgétaire, la qualifiant d' " usine à gaz ", et qui est contraire aux dispositions de la loi Veil du 25 juillet 1994 selon laquelle tout allégement de cotisations sociales décidé par l'Etat doit être intégralement compensé.

Elle porte aussi atteinte à l'autonomie des organismes de protection sociale, gérés par les partenaires sociaux sur une base paritaire.

En outre, si les 35 heures créaient réellement de nombreux emplois, l'amélioration des comptes sociaux devrait se traduire, non par un prélèvement, mais par une baisse du taux des cotisations sociales.

Enfin, il convient de rappeler que l'équilibre des comptes sociaux est très précaire , la CNAM étant même déficitaire en 1999 (- 12,1 milliards de francs) et devant l'être encore en 2000 (- 3,7 milliards de francs).

Le caractère hasardeux de ce mode de financement ne se pose donc pas tant pour 2000 que pour les années suivantes. La contribution des organismes sociaux pourrait ne plus être supportable, qui plus est si les 35 heures ne créent pas d'emplois à la hauteur des espérances du gouvernement et des complexes mécanismes financiers qu'il a échafaudés. Il n'y aurait pas, dès lors, d'économies à " recycler ". Le gouvernement n'a donc pas assuré le financement ex ante d'une mesure qu'il a pourtant imposée de manière autoritaire, tant aux entreprises qu'aux partenaires sociaux.

Le 25 octobre 1999, le gouvernement a annoncé qu'il renonçait finalement à imposer aux partenaires sociaux de contribuer au financement des 35 heures. Il a préféré faire financer une partie de son dispositif de réduction du temps de travail par le produit de la taxation des heures supplémentaires ainsi que par l'affectation au fonds de financement créé par le PLFSS pour 2000 des droits pesant sur les alcools, aujourd'hui affectés au fonds de solidarité vieillesse et à la CNAMTS.

" L'usine à gaz " s'est transformée en " bricolage ".

Selon une étude conjointe de l'Insee, de la DARES 79( * ) et de la Direction de la prévision du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, seuls 7 % environ des emplois créés entre juin 1997 et juin 1999 sont dus à la réduction du temps de travail.



Les allégements de charge, préconisés par notre commission sont donc plus efficaces que les 35 heures en terme de créations d'emplois.

Le financement des 35 heures n'est donc pas seulement incertain, il est aussi potentiellement dangereux pour l'équilibre de la sécurité sociale et des comptes sociaux.

La réduction " négociée " du temps de travail a été proposée par la France comme sa seconde " bonne pratique " dans le cadre de son PNAE.

La Commission européenne se montre très réservée. Elle note en effet : " Pour mesurer les retombées de la réduction du temps de travail sur l'emploi, il faut enregistrer les créations et les pertes d'emplois entraînées par la réorganisation des entreprises. Le résultat net dépendra principalement de l'évolution des salaires et des gains de productivité et ne deviendra donc visible qu'à moyen terme. Il convient en outre de tenir compte du coût budgétaire des emplois créés ou préservés ".

Quant au FMI, il écrit, à propos de notre pays : " Des politiques contestables, telles que des réductions statutaires du temps de travail, doivent être mises en oeuvre avec souplesse si elles ne peuvent être évitées ".

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